samedi 24 janvier 2009

Du mal et du mauvais

J'ai déjà défini mon éthique en vous expliquant qu'elle se basait uniquement sur le bonheur et la souffrance. Maintenant, j'aimerais ici vous faire part de la distinction que je fais entre la dualité bien/mal et celle bon/mauvais.

Si «le mal» se définit comme une action causant plus de souffrance que de bonheur, cette même action doit être, disons, «transitive». C'est-à-dire, faite par un individu A sur un individu B. Nous devons être libres de disposer de nous-mêmes. Conséquemment, on ne peut parler de bien ou de mal pour qualifier une action intransitive, c'est-à-dire qui n'aurait d'impact que sur celui qui la commet. Par exemple, si quelqu'un choisit de consommer une drogue dangereuse pour la santé, je ne peux pas dire «C'est mal!» puisqu'il ne nuit à personne d'autre qu'à lui-même. Je peux toutefois lui rappeler que «C'est mauvais!» car, effectivement, il risque d'y trouver plus de souffrance que de bonheur. À première vue, «le mauvais» peut sembler être aberrant. Pourquoi un individu choisirait-il sciemment de s'infliger à lui-même de la souffrance? Mais je vois plusieurs causes à l'existence de ce mauvais.

D'abord l'ignorance. L'individu croyait faire un choix lui apportant du bonheur mais il s'est trompé, il était mal informé, il était conditionné, trompé, manipulé ou victime d'un biais cognitif. On peut vaincre cette source de «mauvais» (et donc de souffrance) en éduquant les gens pour qu'ils fassent des choix éclairés. J'irais même jusqu'à dire que s'abstenir d'aviser une personne qu'une action qu'elle s'apprête à commettre lui causera de la souffrance est aussi contraire à l'éthique que de lui infliger soi-même cette souffrance.

La deuxième origine du mauvais est l'addiction. Une personne peut être instruite des conséquences néfastes de son action mais y être tellement habituée ou dépendante qu'elle ne puisse imaginer sa vie sans. Guérir d'une addiction est plus compliqué, c'est pourquoi la prévention demeure le meilleur moyen. Il peut également y avoir d'autres causes psychologiques mais je pense que ce sont les deux principaux fondements du mauvais ou que les autres peuvent toute être considérées comme des dérivés de ces deux-là.

Il demeure toutefois que le mauvais est intrinsèquement subjectif et donc plus difficile à évaluer. Une personne peut agir d'une manière qu'une autre croirait mauvaise pour elle sans que ce ne soit le cas. Par exemple, un malade qui souffre beaucoup pourrait évaluer que telle drogue, même si elle est mauvaise pour sa santé à long terme, lui épargnera une forte douleur à court terme. S'il estime que la souffrance encourue vaut le bonheur obtenu (sans être victime d'une addiction ou d'une erreur de jugement), c'est que ce geste n'est pas mauvais pour lui.

Le philosophe utilitariste John Stuart Mill (1806-1873) disait que le pouvoir coercitif de l'État n'était légitime que pour empêcher l'individu de nuire aux autres, et non pour l'empêcher de disposer librement de lui-même. Comme lui, je pense que l'on ne devrait pas interdire aux gens de se nuire à eux-mêmes. Simplement les aviser des conséquences pour qu'ils puissent faire eux-mêmes leurs choix de vie de façon éclairée. Comme vendre des cigarettes mais écrire «Fumer tue!» sur les paquets.

Évidemment, cette logique ne s'applique que pour les êtres lucides et rationnels. Il est donc normal, par exemple, de ne pas vendre de cigarettes aux enfants. Également, certaines actions dont on pourrait dire qu'elles sont nécessairement le fruit d'un manque de lucidité, mériteraient peut-être ce genre de prohibition. Par exemple, on peut assumer que de ne pas mettre sa ceinture de sécurité dans une voiture est un acte de négligence qui n'apporte aucun avantage, et donc rendre le port de la ceinture obligatoire. Même chose pour une personne qui voudrait se suicider sans qu'elle ne soit en phase terminale d'une maladie douloureuse; on peut assumer qu'elle a un problème psychologique et que, par conséquent, son choix n'est pas éclairé.

Et ce ne serait même pas une entrave à sa liberté. Supposons qu'une personne veut commettre une action X parce qu'elle croit, à tord, que cela aura un effet Y alors que cela aura en réalité des conséquences négatives pour elle. L'empêcher de faire X ne brimera pas ses désirs, puisque ce qu'elle désire vraiment n'est pas de faire X mais d'avoir Y; or elle n'aura pas Y qu'on la laisse faire X ou non. Par contre, il ne faudrait pas trop abuser de ce type prétexte pour entraver la liberté individuelle des gens. Il faut tenir compte du fait que de se sentir brimer dans sa liberté d'agir est une souffrance que l'on doit inclure dans la balance. Certains choix de vie qui pourraient nous paraître irrationnels, ont un sens pour ceux qui les font. Nous n'avons pas tous les mêmes besoins. La limite logique c'est qu'il ne faut pas que la contrainte qu'on impose à quelqu'un, soi-disant pour son bien, lui occasionne davantage de souffrance que la conséquence contre laquelle on tentait de le prémunir.

7 commentaires:

  1. Où commencerait l'âge adulte et, surtout, comment en arriver à tracer une ligne fixe?

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  2. Une ligne fixe entre un adulte et un enfant ne pourrait être tracée légitimement que s'il y a un « rite de passage » pour évaluer si l'individu a acquis la sagesse de l'adulte.

    Sinon, on peut faire une moyenne, imposer un âge fixe en fonction de cette dernière mais permettre des mécanismes pour que les « cas d'exception » soient reclassés dans la bonne catégorie. Par exemple, dire :
    « Tous les moins de 18 sont par défaut mineurs mais peuvent obtenir leur majorité en accomplissant un examen psychologique »
    et
    « Tous les 18 ans et plus sont par défaut majeurs mais peuvent perdre ce statut si une évaluation psychologique confirme une aliénation mentale suffisante »

    Il est aussi plus légitime de faire varier l'âge «adulte» selon la responsabilité, en fonction de son impact potentiel. Par exemple, à 16 ans on peut conduire, à 18 voter et à 21... je me rappelle pu c'est quoi qu'on acquiert à 21 mais, bref, l'idée c'est qu'il serait un peu réductionniste de tout centraliser l'acquisition des droits à 18 ans, surtout quand il n'y a aucune forme d'examen pour évaluer si l'individu a réellement acquis le sens des responsabilités qu'on lui présume.

    Mon point était tout simplement que sans la lucidité, on ne peut pas laisser l'individu s'adonner à une activité mauvaise en prétextant la liberté de disposer de soi, puisqu'il est fort probable qu'il évalue mal les conséquences de son geste.

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  3. "Par exemple, si quelqu'un choisit de consommer une drogue dangereuse pour la santé, je ne peux pas dire « C'est mal! » "

    Faux. C'est mal, car consommer une drogue dangereuse mêne éventuellement a une perte de fonction qui va devoir être remplis par d'autres. Le geste a donc un impacte indirecte et négatif sur autruit.

    Tant que l'individus vie en société, riens de ce qu'il s'afflige ne va pas éventuellement retomber sur quelqu'un d'autre.

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  4. Effectivement Laho, tu as raison. Je ne voulais pas m'embarquer dans cette direction mais il est évident que, par exemple, si une assurance-maladie financée par les contribuables paye pour mes frais médicaux, le fait de compromettre ma santé est dommageable pour la société.

    Toutefois, le «maléfisme» se situe à un autre niveau. Il est possible, par exemple, de «responsabiliser» l'individu. Imagine que l'assurance-maladie fasse comme les autres assurances et refuse de payer si l'individu est responsable de son état de santé. Dans cette perspective, se droguer et en assumer les conséquences (et payer les frais médicaux) n'est plus mal.

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  5. Il n'y a pas que les frais médicaux. Éventuellement, la famille de l'individus va devoir s'occupé de lui.

    A moins qu'il ne soit dans une bulle isolé de tous, sans personne qui l'aime, il y auras toujours un impacte sur autrui.

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  6. Oui mais c'est quand même possible de « se nuire à soi-même » suffisamment peut pour que cela n'ait pas d'impact significatif sur autrui.

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  7. Activation totale de certaines zones du cortex préfrontal vers 23 ans. Avant, incapacité partielle d'évaluation des risques et d'autrui, ainsi que d'analyse très complexe ou très abstraite. Biologiquement, on sait donc depuis peu qu'avant 23 ans, on n'est pas adulte.

    Par ailleurs, sur la liberté : si je maîtrise le piano et le violon au point de pouvoir créer avec facilité de nouvelles mélodies "planantes", alors jai le choix de préférer le piano ou le violon. Sinon, je n'ai pas le choix, je n'ai que la liberté de l'ignorant qui n'est pas une liberté. En réalité, peu de gens sont libres.

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