jeudi 29 janvier 2009

Le pari de Pascal

Blaise Pascal (1623-1662) fut un grand scientifique à qui l'on doit l'invention de la calculatrice et la découverte de la pression atmosphérique (que l'on mesure en kilopascals). Si je me souviens bien de son histoire, il a eu, à un moment donné dans sa vie, un accident qui lui a fait frôler la mort et cela causa chez lui par la suite une sorte de crise mystique existentielle qui le fît sombrer dans la religion. On peut donc dire qu'il est un sage déchu. C'est d'ailleurs dans cette phase de sa vie qu'il a énoncé son fameux pari.

Son pari est sur l'existence de Dieu. En gros, il dit que, même si on ne peut en être certain, on doit faire comme si Dieu existe (le prier, exécuter les rituels, suivre ses commandements, etc.). Car s'il existe effectivement, on y gagne la vie éternelle, et que s'il n'existe pas, on y aura pas perdu grand-chose. La mise est donc faible et le gain potentiel est énorme.

Il y a d'énormes faiblesses dans ce raisonnement. La première qui saute aux yeux est qu'il existe plusieurs religions. On ne peut pas savoir sur quel dieu parier parmi cette multitude de déités et de panthéons. Leurs commandements divergent. Comment savoir lesquels suivre? La seconde faille est sur l'aspect soi-disant «minime» de la mise. Faire comme si Dieu existe peut impliquer, par exemple, de ne pas copuler hors du mariage, de s'abstenir de boire de l'alcool ou de se lever tôt le dimanche matin pour aller à la messe. Tous ces rites et interdits peuvent sérieusement nous empêcher de jouir de la vie. Et, finalement, la troisième faille que j'y vois c'est que le risque pour que Dieu existe est si faible que cela ne vaut même pas la peine d'en tenir compte.

Miser sur l'existence de Dieu c'est donc comme de s'acheter un billet de loterie par semaine : on a très peu de chance de gagner, on finît par dépenser beaucoup là-dedans et il faut choisir les bons numéros. La différence c'est qu'avec la loterie on est sûr qu'il y a des gagnants de temps en temps…

124 commentaires:

  1. Seuls les personnes ne connaisant pas les raisons de la religion croits en la religion.

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  2. Faut quand même admettre que, dans son contexte, il était bien difficile voire inconcevable de ne pas miser là-dessus.

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  3. Moyennement en fait. La science était quand même relativement avancée mais, surtout, on avait déjà conscience de la pluralité des traditions religieuses. Limiter la question à une fausse dualité entre christianisme et athéisme était donc de mauvaise foi.

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  4. C’est mal comprendre le pari de Pascal.

    Pascal ne propose pas de croire sans égard aux preuves. Il propose son pari dans le contexte des différents arguments déjà établis en faveur du christianisme. Il s’adresse donc à des agnostiques semi-convertis tels que lui-même avant sa conversion complète. Le public cible du pari de Pascal reconnait de bonnes raisons de croire que le christianisme, et pas une autre religion, est vrai. Cependant, l’écart entre l’incrédulité et la certitude est un continuum. La conversion – le point où on se dit « je crois » – peut se situer à différents endroits de ce continuum; cela est vrai pour la foi religieuse autant que pour toutes les croyances profanes. Le pari de Pascal invite à se convertir à la foi chrétienne dès que l’on s’éloigne minimalement de l’incrédulité; il invite à croire longtemps avant la certitude.

    Pascal reconnaît que la foi peut exiger des sacrifices significatifs par rapport à l’ensemble de notre vie mortelle. Son argument est que, si nous avons une vie immortelle, même les plus grands sacrifices mortels sont insignifiants par rapport à l’éternité. Vaut mieux souffrir durant un siècle et jouir durant d’innombrables millénaires que de jouir durant un siècle et souffrir durant d’innombrables millénaires. Dans ce contexte, une personne qui refuse la foi chrétienne est déraisonnable à moins d’être certaine qu’il est faux. S’il y a une possibilité réelle que le christianisme soit vrai, le pari vaut la chandelle.

    Par ailleurs, les sacrifices ne sont pas si grands. Ils l’étaient à l’époque où les chrétiens étaient condamnés à se faire dévorer par les lions du cirque mais, aujourd’hui, ils impliquent une discipline morale tout-à-fait défendable en termes matérialistes. L’abstinence sexuelle hors mariage et les rituels hebdomadaires procurent un bonheur même à l’extérieur d’un contexte théiste; le confucianisme promeut cette même discipline morale sans invoquer quelque valeur métaphysique que ce soit. Pour ma part, je suis plus heureux depuis ma conversion même si je dois souvent faire des efforts afin d’atteindre cette discipline morale.

    Personnellement, le pari de Pascal me laisse indifférent. Les considérations qu’il soulève n’eurent aucun impact dans ma conversion, et j’estime qu’une foi fondée sur de telles considérations mercenaires est immature. Néanmoins, je pense qu’il s’agit d’un argument intellectuel légitime et que, lorsqu’une personne se convertit à cause du pari de Pascal, sa foi peut ensuite mûrir en une croyance plus sincèrement assumée. Je connais des gens dont c’est le cas…

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    1. Je comprends tout à fait que dans un contexte sociohistorique où les gens ont un préjugés favorables envers le christianisme par rapport à ses rivales, le pari de Pascal peut constituer la petite motivation qui manque. Mon point est justement que l'argument est fondé sur un ethnocentrisme.

      «L’abstinence sexuelle hors mariage et les rituels hebdomadaires procurent un bonheur même à l’extérieur d’un contexte théiste»

      Je ne vois sérieusement pas en quoi se priver d'un plaisir inoffensif ou s'adonner à des rites inutiles pourrait procurer du bonheur si l'on n'avait pas pour croyance que cela nous rapportera quelque chose à long terme. C'est donc effectivement un sacrifice inutile si la croyance qui les justifie est erronée.

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    2. En effet, la réponse à ce dernier paragraphe m'intrigue!

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    3. Je t’invite à remettre en question l’idée que la religion est d’abord une question ethnique. Il y a effectivement une corrélation entre l’ethnicité et la religion, mais il est aussi une corrélation entre l’ethnicité et l’éthique. Différents peuples ont des religions différentes; différents peuples ont des éthiques différentes. Selon cette logique, l’utilitarisme que tu défends serait également le fruit d’un ethnocentrisme que le christianisme. L’éthique prétend être universellement vraie; la religion prétend être universellement vraie. On peut contester l’une ou l’autre de ces prétentions mais elles sont du même ordre.

      Je trouve dommage que tu ne puisses même pas imaginer les bienfaits inhérents de l’abstinence sexuelle hors mariage et des rituels hebdomadaires. Je connais des incroyants qui pratiquent ces disciplines morales et qui s’en réjouissent. Ce sera pour une autre discussion…

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    4. Croire qu'une religion est plus vraie qu'une autre simplement parce que c'est celle dans laquelle on a été élevé, c'est un ethnocentrisme, c'est-à-dire un parti-pris arbitraire en faveur de sa propre culture. Les croyants, pour la quasi-totalité, ne connaissent pratiquement pas les autres religions que la leur. Ils ne prennent pas la peine d'analyser tous les cultes - actuels et passés - pour déterminer lequel a le plus de preuve de sa véracité. Si vous aviez été élevé par des Hindous vous seriez très certainement en train de défendre l'hindouisme.

      Se priver d'un plaisir tel que le sexe n'apporte rien en soi. Je peux comprendre que d'en avoir moins souvent puisse améliorer le plaisir de chaque expérience puisqu'elle sont plus rares, mais que les partenaires soient mariés ou non n'y change rien.

      Ma discipline morale c'est l'éthique. Je me sacrifie seulement lorsque cela peut apporter quelque chose à autrui ou lorsque je sacrifie un plaisir immédiat pour un plus grand plaisir à long terme. Ma récompense pour ces privations sont tous les plaisirs de la vie qui ne font de mal à personne.

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    5. Il est vrai que la plupart des gens adoptent la religion dominante de leur culture. Néanmoins, il est également vrai que la plupart des gens adoptent l’éthique dominante de leur culture. Il est vrai que certains intellectuels explorent et comparent la validité des différentes éthiques. Néanmoins, il est également vrai que certains intellectuels explorent et comparent la validité des différentes religions. Ce n’est que par préjugé que l’on attribue un plus grand potentiel d’universalité à l’une qu’à l’autre.

      Par ailleurs, je n’ai pas été élevé par des chrétiens mais par des agnostiques. Je me suis converti au christianisme à l’âge de 26 ans après avoir exploré différentes philosophies laïques autant que différentes philosophies religieuses. Il est plutôt arrogant d’affirmer que je serais très certainement en train de défendre l’hindouisme si j’avais été élevé par des Hindous. Je me pose la question : est-ce que tes parents sont des sceptiques?

      De plus, l’évolution actuelle de la foi chrétienne est tout simplement contraire à l’ethnocentrisme que tu lui attribues. La plupart des pays dotés d’une longue tradition chrétienne abandonnent la foi chrétienne alors que la foi chrétienne connaît une montée fulgurante dans plusieurs pays d’Afrique et d’Asie qui n’ont aucune tradition chrétienne. Vraiment, cette accusation d’ethnocentrisme est injuste.

      Pour ce qui est du plaisir, je me réjouis que tu comprennes l’idée que le plaisir puisse être augmenté par une certaine rareté. Si on couche seulement avec les filles qui signifient quelque chose d’important pour nous, on vit un plus grand plaisir que si on couche avec n’importe quelles filles. L’abstinence sexuelle hors mariage est ce principe poussé à l’absolu : on couche seulement avec la fille la plus significative pour nous.

      Plus concrètement, ça procure une douceur et une candeur qui multiplient le plaisir. Je ressens plus de joie à serrer ma copine actuelle dans mes bras que j’en ressentais à coucher avec mes amantes passées. L’idée que notre intimité physique soit strictement corrélée à notre degré d’engagement – et donc que l’intimité la plus totale soit réservée à l’engagement le plus total – nous procure une paix et une confiance extraordinaires. Mais ça, il faut le vivre pour le croire…

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    6. Quelqu'un qui suit un système de valeurs simplement parce que c'est celui qui domine dans sa culture est effectivement aussi ethnocentrique que celui qui suit le système de croyances dominant de sa culture. Je ne dis pas le contraire. Et c'est ce que font la majorité des gens. Leur système de valeurs est d'ailleurs bien différent du mien.

      Il y a toutefois une petite nuance que je vois entre les deux. Un système de valeurs peut être l'aboutissement d'un raisonnement plutôt qu'une simple tradition qui se perpétue. Mais on ne peut pas vraiment utiliser la raison pour savoir ce qui est plus probable entre des anges à ailes d'oiseau ou un dieu à tête d'éléphant. On ne peut pas utiliser une argumentation pour convaincre de ce genre de chose puisqu'il n'y a aucune preuve. C'est pour ça qu'on appelle cela la foi (ou la crédulité, ce sont des synonymes).

      Donc pour adopter une foi plus qu'une autre, ça prend au départ un certain "parti-pris" ou, disons, être accoutumé à une idée religieuse. Pour qu'elle nous paraisse moins absurde et bizarre que ce qu'elle est vraiment quand on prend du recul. Évidemment qu'il n'est pas nécessaire que tes parents soient très croyants, juste d'avoir grandi dans un environnement socioculturel où croire qu'un gars a changé de l'eau en du vin est normal. Dans un environnement hindou, même avec des parents agnostiques sur l'existence de Vishnou et Shiva, le christianisme te serait apparu comme une étrange croyance exotique sur laquelle tu aurais eu très peu de connaissances. Je doute que c'est vers lui que tu te serais tourné lors de ta quête de spiritualité.

      Ici, je ne reprochais pas à la religion d'être ethnocentrique mais au croyant de l'être en "choisissant" sa religion.

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    7. Merci de tes précisions ; ces considérations ne sont pas arrogantes. :)

      Des millions d’Africains et d’Asiatiques se tournent vers le christianisme malgré que celui-ci soit absent de leur tradition culturelle. Je pense que tu surestimes l’ethnocentrisme de la religiosité. Il y a effectivement un facteur ethnocentrique dans le « choix » de la religion, mais je pense que tu surestimes l’impact de ce facteur. Mais bon, ce n’est pas quelque chose de rigoureusement mesurable…

      Je pense qu’on peut utiliser la raison pour démontrer que les anges à ailes d’oiseau sont plus probables que le dieu à tête d’éléphant (bien que ni les chrétiens ni les hindous ne croient que ces images sont littéralement vraies ; les chrétiens croient aux anges et les hindous croient aux dieux mais ils savent que les images qui les représentent ne sont pas réelles). Je m’efforcerai de te partager cet usage de la raison en te relançant sur d’autres billets plus précis. J’aborde déjà la question avec Simon dans ce billet-ci.

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    8. Mon impression c'est que les nouveaux convertis sont soit des gens peu instruits qui n'ont pas les outils intellectuels pour vaincre la rhétorique des missionnaires, soit des gens dans un état de détresse qui sont contents de l'attention reçues par les missionnaires, soit des gens qui veulent être assimilés par l'Occident parce qu'ils trippent sur la culture étasunienne, soit des gens qui partent d'une religion dont les croyances sont significativement plus absurdes.

      Personnellement, j'ai toujours trouvé que le polythéisme indo-européen (dont l'hindouisme et la mythologie grecque) était plus cohérent que le monothéisme. Et, dans le monothéisme, l'islam me semble plus cohérent que le christianisme sur plusieurs points. Donc si tu es capables de prouver rationnellement que le catholicisme est la seule vraie foi, je t'invite à m'amener des preuves en commentant cet autre billet.

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    9. J’avais bien compris que tu as très peu d’estime pour la doctrine chrétienne. Tu dois savoir que, même si les chrétiens sont proportionnellement peu nombreux parmi les intellectuels contemporains, ils sont nombreux en chiffres absolus. Tous les intellectuels chrétiens seraient crédules et/ou de mauvaise foi? Il n’est pas arrogant d’affirmer qu’une doctrine est fausse et condamnable. Cependant, quand des milliers d’intellectuels défendent une doctrine, il me semble arrogant que lui attribuer aussi peu de crédibilité. Je me demande : quels intellectuels chrétiens as-tu lus? J’ai souvent l’impression que tout ce que les athées savent au sujet du christianisme a été écrit par d’autres athées…

      Il me fera plaisir de te partager les raisons qui m’amènent à croire que le christianisme est vrai. Ce ne sera peut-être pas dans ton billet puisque ça implique des textes plus longs, mais je te relance avant longtemps.

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    10. «Tous les intellectuels chrétiens seraient crédules et/ou de mauvaise foi?»

      Oui.

      «quels intellectuels chrétiens as-tu lus?»

      J'ai lu la bible mais, de ce que vous me dites, le catholicisme ne le reconnait plus comme la parole de Dieu. J'ai aussi lu un peu d'Augustin et de Thomas d'Aquin. J'ai lu aussi quelques pamphlets de Témoins de Jéhovah. C'est toujours les mêmes sophismes qui se répètent.

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    11. Tous les intellectuels chrétiens seraient crédule et/ou de mauvaise foi : Oui? Je suis désolé, mais c’est tout simplement grossier. Ce n’est pas à l’honneur de ton intelligence.

      Le catholicisme ne reconnaît pas la Bible à titre de parole littérale de Dieu; il la reconnaît à titre de parole théologique de Dieu. Ça ne devrait étonner personne; Saint Augustin, au 4e siècle, affirmait déjà que le récit de la Genèse est métaphorique.

      « Un peu Augustin et Thomas d’Aquin et quelques pamphlets des témoins de Jéhovah » Encore une fois, je suis désolé mais c’est ridicule. C’est comme si je te disais que j’avais seulement lu un peu de Démocrite et de Lucrèce et quelques pamphlets de végétaliens pour me convaincre que le matérialisme athée est faux.

      Si tu lis seulement l’article de Wikipédia au sujet de l’apologétique chrétienne (la défense de la foi en termes rationnels), tu verras que C.S Lewis et G.K. Chesterton sont cités à titre de principaux auteurs modernes. J’ai lu ces auteurs de même que plusieurs livres des principaux athées modernes (Bertrand Russel, Richard Dawkins, Christopher Hitchens, etc.) et il m’a semblé que les auteurs théistes étaient plus solides. Les auteurs athées apportent des arguments significatifs, mais il me semble que les auteurs théistes répondent aux arguments athées alors que le contraire n’est pas vrai. C’est pourquoi j’ai une confiance intellectuelle dans la validité du théisme.

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    12. Si tu devais lire un seul livre d’un auteur chrétien, je te recommande de lire Miracles de C.S Lewis. Ce livre est très insuffisant pour te faire connaître toute la rationalité du théisme chrétien mais il suffirait pour te faire comprendre que tes présupposés matérialistes sont éminemment contestables, et donc que le théisme chrétien est doté d’une validité intellectuelle que tu ne suspectes pas.

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    13. Juste pour préciser, parce que je fais du zèle pendant mon insomnie, ce que l’on veut dire par parole « théologique » de Dieu :

      Les auteurs de la Bible sont les personnes qui ont participé le plus intimement au développement de la relation entre l’humanité et Dieu. Ils racontent leurs témoignages théologiques en termes mythologiques, philosophiques, poétiques et/ou historiques. C’est en ce sens qu’on dit que la Bible est divinement inspirée. Ensuite, l’interprétation que l’on doit donner à ces témoignages théologiques est le fruit de débats théologiques vastes et complexes.

      Pour donner des exemples de développements théologiques en termes éthiques : l’Ancien Testament explique comment bien traiter les esclaves. Il s’agit évidemment d’une pratique éthique inférieure à celle de Jésus qui affirme que l’on doit aimer toute personne de façon inconditionnelle, peu importe ses fautes, au point de prier pour le salut de ses tortionnaires pendant sa crucifixion. Mais il y a néanmoins une prise de conscience par contraste à l’objectification totale dont les esclaves furent victimes durant l’antiquité. C’était le début de la révélation de la dignité humaine.

      Autre exemple : l’Ancien Testament ordonne la lapidation des adultères. Il s’agit évidemment d’une pratique éthique inférieure à celle de Jésus qui affirme « que celui qui n’a jamais péché lance la première pierre » en protégeant la femme adultère qui allait se faire lapider. Mais il y a néanmoins une prise de conscience par contraste à l’indifférence totale des païens qui niaient les dommages de l’adultère (les enfants engendrés par des mères monoparentales et qui souffraient de la pauvreté). C’était le début de la révélation de la responsabilité sexuelle.

      Vraiment, l’idée que les propos barbares de l’Ancien Testament sont forcément des exemples ou des normes éthiques pour les chrétiens relève d’une interprétation simpliste et superficielle de la Bible. Même les pires fondamentalistes ne le font que très partiellement.

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    14. «Tous les intellectuels chrétiens seraient crédule et/ou de mauvaise foi : Oui? Je suis désolé, mais c’est tout simplement grossier. Ce n’est pas à l’honneur de ton intelligence.»

      Pourtant, je suis sûr que tu penses la même chose des intellectuels juifs, musulmans, bouddhistes et hindous. Ils sont dans l'erreur et se mentent parfois à eux-mêmes ou manquent de rigueur dans leur argumentaire, parce qu'ils adhèrent trop viscéralement à leur dogme. Crédulité et mauvaise foi.

      Le problème avec les théologiens c'est qu'ils tentent de faire dire à la bible des choses qu'elle ne dit pas, et de lui faire ne pas dire des choses qu'elle dit. Si on la prend pour ce qu'elle est: une compilation de textes mythologiques de différentes époques, alors toutes ces contradictions et ces prescriptions barbares ne sont plus du tout aberrantes. Mais aussitôt qu'on essaye de me faire croire que de lapider les adultères et les homosexuels était un progrès moral d'inspiration divine, je m'excuse mais je décroche.

      Sérieusement, tu trouves que la monoparentalité est pire que la lapidation?

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    15. Vraiment, tu ignores la pensée religieuse…

      J’ai la plus grande estime pour certains intellectuels juifs, musulmans, bouddhistes et hindous. Je pense que leur démarche intellectuelle est parfaitement honnête et largement rigoureuse. J’estime seulement qu’ils commettent des erreurs. En effet, les erreurs sont souvent causées par une surestimation de l’importance de notre expérience personnelle, mais cette considération fait partie des discussions interreligieuses.

      Progressistes et conservateurs peuvent se respecter et s’estimer malgré leurs écarts d’opinion. Croyants et athées peuvent se respecter et s’estimer malgré les écarts de croyances. C’est seulement par orgueil que l’on peut affirmer que des milliers d’intellectuels défendant une doctrine opposée à la nôtre sont tous forcément crédules et/ou de mauvaise fois… surtout lorsque l’on n’a pas lu un seul auteur contemporain qui défend cette doctrine!

      La lapidation est pire que l’adultère. C’est la prise de conscience du caractère fautif de l’adultère qui est un progrès éthique. Les juifs de l’antiquité – comme la plupart des peuples antiques – avaient une conception barbare de la justice et ils punissaient de façon disproportionnée les gens coupables de quelque faute que ce soit. Le pardon face aux fautes est un progrès éthique ni plus ni moins nécessaire que la prise de conscience de ce qu’est une faute.

      À noter que la monoparentalité, dans la plupart des contextes historiques outre la modernité occidentale, nuisait sérieusement au bien-être des enfants qui souffraient de la pauvreté monoparentale. Un calcul utilitariste strict pourrait conclure que, dans le contexte antique, il était éthique d’infliger une souffrance lapidaire à quelques personnes adultères afin d’éviter les souffrances de la pauvreté à de nombreux enfants. Ce n’est pas mon opinion puisque je ne suis pas utilitariste.

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    16. «Je pense que leur démarche intellectuelle est parfaitement honnête et largement rigoureuse. J’estime seulement qu’ils commettent des erreurs.»

      Donc quand un penseur musulman prend comme postulat que l'Archange Gabriel s'est révélé à Mahomet, sans exiger la moindre preuve, il n'est pas intellectuellement malhonnête envers lui-même selon vous?

      C'est ça la pensée religieuse : on prend des dogmes pour acquis et on les justifie par des raisonnements fallacieux. C'est tout. Il n'y a pas de grandes sagesses derrière ça.

      «C’est seulement par orgueil que l’on peut affirmer que des milliers d’intellectuels défendant une doctrine opposée à la nôtre sont tous forcément crédules et/ou de mauvaise fois»

      Ce n'est pas parce qu'elle est opposé à la mienne. C'est parce qu'elle est opposé à la raison et aux faits.

      «C’est la prise de conscience du caractère fautif de l’adultère qui est un progrès éthique»

      Donc le créateur de l'univers a prescrit la lapidation parce que...?

      «Un calcul utilitariste strict pourrait conclure que, dans le contexte antique, il était éthique d’infliger une souffrance lapidaire à quelques personnes adultères afin d’éviter les souffrances de la pauvreté à de nombreux enfants.»

      Votre côté croyant ressort : la mauvaise foi. Vous savez très bien que ce n'est pas ce que mon éthique préconise. Vous n'avez cependant aucun scrupule à employer un raisonnement fallacieux.

      «surtout lorsque l’on n’a pas lu un seul auteur contemporain qui défend cette doctrine!»

      Je devrais aussi lire des milliers de lettres d'enfants au Pere Noel avant d'affirmer qu'il n'existe pas?

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    17. C’est vrai que je n’aurais pas dû invoquer l’utilitarisme dans ce contexte. J’estime que ton éthique utilitariste est incohérente – c’est ce que je visais à faire valoir par cette mention – mais il est vrai qu’elle serait contraire à la lapidation est adultères. J’en suis désolé.

      Dieu n’a jamais prescris la lapidation. Les juifs pratiquaient la lapidation contre les fautifs et l’inspiration divine leur a fait prendre conscience que l’adultère est une faute. Dans le témoignage des auteurs de la loi mosaïque, ces deux réalités sont confondues. C’est dans le Nouveau Testament que tout s’éclaire.

      Il n’y a pas des milliers d’intellectuels qui croient au Père Noël; tu n’écris pas de nombreux billets méprisants contre ceux qui croient au Père Noël. Comment peux-tu savoir que la doctrine chrétienne est contraire à la raison et aux faits en n’ayant pas lu un seul intellectuel chrétien de notre époque? Tu ne sais même pas ce qu’est la doctrine chrétienne et tu la méprises. En réalité, tu méprises l’image que les auteurs athées que tu lis dépeignent de la doctrine chrétienne.

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    18. Je crois qu'il serait sage de ramener le débat à des considérations extrapersonnelles et de ne pas s'accuser de mauvaise foi ou de manque d'érudition.

      J'ai toujours le cas typique en tête: le Bien est-il le Bien parce que Dieu l'a dit ou parce qu'il est Bien en soi? Y a-t-il du Bien en soi qui serait au-delà de Dieu? Si oui, quels sont ses principes ou, du moins, de quelle manière y accéder?

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    19. «J’estime que ton éthique utilitariste est incohérente»

      Ce n'est pas parce que tu ne comprends pas quelque chose que c'est incohérent. C'est juste que tu as de la difficulté à voir mon éthique en-dehors de ton propre paradigme éthique de récompense/punition.

      «Dieu n’a jamais prescris la lapidation»

      Dans la bible, oui. Depuis le début, tu parles comme si ta conception du christianisme allait de soi et qu'elle faisait consensus de nos jours. Ce n'est pas le cas. Je connais bien des gens qui se définissent comme chrétiens ou catholiques, et ils n'ont pas tous la même vision du monde. Alors, au lieu de me dire que je n'ai pas lu «les intellectuels chrétiens de notre époque» (lesquels!?), dis-moi ce à quoi tu crois et je te dirais pourquoi je n'y crois pas. Par exemple, si tu me dis qu'un témoignage vieux de deux milles ans, n'impliquant qu'une poignée de témoins, est suffisant pour prouver hors de toute doute raisonnable qu'une personne est ressuscité, je serai heureux de t'expliquer pourquoi je trouve ça aussi absurde que de croire au Père Noël.

      En ce moment, ma conception de la logique des croyants modérés est la suivante:
      RÈGLE #1 : L'univers a été créé par un dieu infiniment gentil qui va m'envoyer au paradis après ma mort.
      RÈGLE #2 : La science a raison sauf lorsqu'elle contredit la première règle.
      RÈGLE #3 : Le clergé a raison sauf lorsqu'il contredit l'une des deux premières règles.
      RÈGLE #4 : La bible a raison sauf lorsqu'elle contredit l'une des trois premières règles.

      Si je me trompe et qu'il y a une logique plus complexe que ça en arrière, je serai heureux qu'on me l'explique.

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    20. @Simon
      Tu as raison. Je pense qu’on se laisse emporter… Ton frère a un côté plus polémiste que toi, hehe! Je ne le critique pas car je suis comme lui. Seulement, c’est un peu plus difficile de rester serein.

      La doctrine catholique affirme que, dans l’absolu, le Beau, le Bien et le Vrai sont tous la même réalité : Dieu. Tous les cas où il semble y avoir un écart entre le Bien et Dieu sont des erreurs par rapport à ce qu’est le Bien ou par rapport à ce qu’est Dieu.

      Plus concrètement, on doit toujours obéir à notre conscience, avant même les lois humaines et les lois divines. La fonction de la doctrine catholique est de conformer notre conscience aux lois divines mais il est préférable d’agir selon notre conscience même si cela est contraire aux lois divines plutôt que d’agir selon les lois divines alors que c’est contraire à notre conscience.
      http://www.vatican.va/archive/FRA0013/__P5W.HTM

      Donc, dans la mesure où vous êtes des incroyants dont la conscience ne concorde pas avec la doctrine catholique, le catholicisme vous prescrit d’obéir à votre propre conscience plutôt qu’aux préceptes catholiques.

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    21. @Philippe
      Je n’ai pas affirmé que ton éthique est incohérente. J’ai affirmé que j’estime qu’elle est incohérente. Ma formulation reconnaissais d’emblée que je suis peut-être dans l’erreur.

      Tu as raison à l’effet que mes croyances sont différentes de celles de nombreux chrétiens. Malgré ce que tu peux supposer, je suis ton allié et l’adversaire de nombreux chrétiens au sujet de plusieurs questions éthiques et intellectuelles.

      Cependant, ma croyance n’est pas une croyance personnelle ni une croyance marginale, c’est la foi catholique. Celle-ci est exposée en détail dans le Catéchisme. Je ne connais pas et je ne peux pas défendre en détail chacune des affirmations qu’il contient, mais je connais et je peux défendre les affirmations les plus fondamentales. De nombreux intellectuels de grand renom défendent la validité rationnelle de la foi catholique; les plus célèbres étant G.K. Chesterton et C.S. Lewis (ce dernier étant anglican, mais c’est pratiquement identique).

      Tes quatre règles ne sont pas complètement étrangères à la doctrine catholique, mais la logique est plus complexe que ça.

      La règle 1 est fondée sur l’expérience de l’humanité théiste (qui rassemble la très vaste majorité de l’humanité historique et contemporaine). Ça correspond à ma discussion avec Simon dans les commentaires de ce billet-ci, sauf que le théisme est plus universel que le catholicisme.

      La règle 2 n’est pas supérieure mais distincte des règles 3 et 4. La croyance se conforme à la science pour les questions empiriques et elle se conforme à la doctrine catholique pour les questions métaphysiques. La doctrine catholique est la science métaphysique.

      Les règles 3 et 4 sont une seule et même règle : La Bible n’est pas vraie littéralement, elle est vraie théologiquement. Le clergé est l’ordre professionnel chargé d’interpréter la Bible de façon à discerner en quel sens chaque doctrine biblique est vraie.

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    22. «Celle-ci est exposée en détail dans le Catéchisme. Je ne connais pas et je ne peux pas défendre en détail chacune des affirmations qu’il contient, mais je connais et je peux défendre les affirmations les plus fondamentales.»

      On ne peut pas croire en quelque chose qu'on ne connait pas. Tu crois aux parties du catéchisme que tu connais. Pour le reste, tu as foi en la validité du document, mais pas en son contenu comme tel. Beaucoup de chrétiens prétendent croire en la bible jusqu'à ce qu'ils la lisent...

      «ce dernier étant anglican, mais c’est pratiquement identique»

      Sauf sur un point fondamental qui est que les catholiques croient que le Pape est le porte-parole officiel du créateur de l'univers entier, alors que les anglicans pensent que c'est la reine je crois. Aussi, les catholiques croient que les prêtres doivent être des hommes célibataires hétéro et chastes, tandis que je crois que les anglicans sont plus permissifs là-dessus.

      «La Bible n’est pas vraie littéralement, elle est vraie théologiquement. Le clergé est l’ordre professionnel chargé d’interpréter la Bible de façon à discerner en quel sens chaque doctrine biblique est vraie.»

      C'est la partie la plus fallacieuse de la foi, je trouve. De prendre un vieux document quelconque et de lui faire dire tout ce que l'on veut en «interprétant» les passages qui ne font pas notre affaire pour qu'ils s'accordent avec nos désirs. En procédant de la sorte, n'importe quel texte pourrait être la parole divine.

      «La doctrine catholique affirme que, dans l’absolu, le Beau, le Bien et le Vrai sont tous la même réalité : Dieu.»

      Ça c'est la doctrine de Platon. Je pense que c'est Thomas d'Aquin qui l'a fusionné au christianisme?

      «on doit toujours obéir à notre conscience, avant même les lois humaines et les lois divines»

      Je ne suis pas d'accord. Plusieurs personnes démentes ont commises des crimes parce que leur "conscience" (des voix dans leur tête) leur disait de tuer.

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    23. Dans un sens, la distinction que tu fais est valide. Je ne peux pas vraiment croire aux parties du Catéchisme que je n’ai pas lues. Néanmoins, je ne suis pas vraiment agnostique face aux parties du Catéchisme que je n’ai pas lues; je présume qu’elles sont vraies. C’est la même chose avec la science. Si on était des agnostiques conséquents par rapport à toutes les théories scientifiques au sujet desquelles on n’est pas érudit, la vie pratique serait impossible. Quand on embarque dans un manège de la Ronde, on ne comprend pas grand-chose aux mécanismes qui le constituent mais on fait suffisamment confiance aux ingénieurs pour croire que leur science est vraie et que notre vie est en sécurité. C’est mon attitude par rapport aux parties du Catéchisme que je ne connais pas.

      Le célibat des prêtres n’est ni un dogme ni une règle absolue du catholicisme. C’est seulement une règle pratique; elle a une origine dans l’histoire et elle peut avoir une fin dans l’histoire. Un prêtre catholique peut être marié s’il se convertit au catholicisme après avoir été ordonné dans une autre confession alors qu’il était marié.

      Tu identifies la différence principale entre le catholicisme et l’anglicanisme : le porte-parole de l’Église. Néanmoins, malgré cette différence importante, la théologie anglicane est pratiquement identique à la théologie catholique, de même que la théologie orthodoxe. Des porte-paroles différents reconnaissent des vérités pratiquement identiques. De fait, ces trois dénominations sont les seules qui se réclament de la succession apostolique. Ainsi, les différences entre ces trois dénominations sont, d’une certaine façon, plus sociopolitiques que théologiques. L’œcuménisme du dernier siècle a beaucoup rapproché ces trois dénominations. Des analystes estiment qu’il est tout-à-fait possible que, d’ici un siècle ou deux, ces trois dénominations soient réconciliées en une seule Église.

      N’importe quel texte pourrait être la parole divine… lorsqu’une immense masse de témoignages personnels le confirme. La validité de la Bible n’est pas le fruit d’une déduction logique, c’est le fruit d’une masse de témoignages cohérents. Ici aussi, ça réfère à ma discussion avec Simon dans ce même billet.

      Les catholiques estiment que Platon et Aristote furent des païens qui eurent une perception extraordinaire de la vérité. Le but du catholicisme n’est pas de dire que tout ce qui n’est pas catholique est faux. Le but du catholicisme est de recenser tout ce qui est vrai et de le compléter.

      La conscience n’est pas une voix dans notre tête. La conscience est le fruit de notre réflexion rationnelle au sujet de l’éthique. Dans ce sens, tu es certainement d’accord avec le fait que l’on doit toujours obéir à notre conscience.

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    24. Quand je te lis parler de science, je réalise que tu ne fais pas la distinction entre connaissance et croyance. Attention, c'est une pente glissante vers l'intégrisme. Comprends que ce que la science affirme est le produit d'une méthodologie rigoureuse et est donc d'un niveau de probabilité comparable à nos expériences de la vie quotidienne. Que la Terre tourne autour du Soleil ou que mes chats vont me demander à manger lorsque je rentrerai de travailler, ce sont des prédictions et des modèles du monde basés sur des expériences répétées et des observations à long terme. À l'inverse, les quelques témoignages anecdotiques à propos des soi-disant miracles sur lesquels se fondent les théologiens de toutes les religions pour décréter leurs "vérités", ne représentent rien d'aussi solide. Conséquemment, on sait que le Soleil se lèvera demain matin (même si on pourrait se tromper!) mais on croit aux anges, aux djinns et aux avatars.

      «La validité de la Bible n’est pas le fruit d’une déduction logique, c’est le fruit d’une masse de témoignages cohérents.»

      Non, c'est le fruit d'une malhonnêté intellectuelle qui consiste à choisir, parmi l'infini vastitude de témoignages de phénomènes inexpliqués qui existent depuis le début de l'humanité, les quelques-uns qui s'adonnent à s'accorder avec notre conception du monde pour les déclarer "vrais" et déclarer "faux" tous les autres. Si le clergé catholique reconnait la réalité du soleil dansant de Fatima, mais pas celle des ovnis, ce n'est pas parce qu'il a plus de preuves du premier, c'est juste parce que c'est le seul qui fitte avec sa conception du monde. Bref, au lieu de faire comme la science et d’échafauder des conclusions à partir des expériences, on part de conclusions préfabriqués et on essaie de trouver des "faits" qui pourraient (en les interprétant très très librement) valider nos "conclusions".

      «La conscience n’est pas une voix dans notre tête. La conscience est le fruit de notre réflexion rationnelle au sujet de l’éthique.»

      Ok. Je donnais à ce mot plus le sens de "intuition" que de "raisonnement".

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    25. Je suis d’accord qu’il y a une différence entre la connaissance de la science et la croyance de la foi. Je pense que nous discutons assez rationnellement pour que tu puisses supposer que mes croyances ne sont pas fondamentalistes. Entre autre, je ne prétends pas que la Bible est le fruit de tous les témoignages du monde; je prétends qu’elle est le fruit d’une masse de témoignages cohérents dont la plausibilité historique est extraordinaire par rapport à celle des autres religions. C’est la teneur de ma discussion avec Simon dans les commentaires de ce billet-ci.

      Cependant, l’épistémologie exacte de la foi est plus complexe. Il serait indûment long et pénible de s’engager dans un exposé épistémologique expliquant l’ensemble de la démarche rationnelle à l’appui des croyances chrétiennes. Je ne m’attends pas à te faire accepter ce que j’affirme, seulement à t’en faire deviner la rationalité. Dans mon commentaire suivant, je te retranscris partiellement un passage d’un essai apologétique sur lequel je travaille. Selon cette distinction épistémologique, les connaissances scientifiques correspondent aux croyances certaines et peut-être aux croyances probables alors que les croyances chrétiennes correspondent aux croyances plausibles ou aux croyances possibles, dépendamment de notre connaissance et de notre évaluation des raisons à son appui.

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    26. La croyance de chaque personne au sujet de chaque réalité à laquelle elle est capable de penser se situe à l’un des cinq degrés suivants : impossible, possible, plausible, probable ou certaine.

      Une réalité impossible est intrinsèquement contradictoire. Il s’agit des contradictions logiques qui ne peuvent être conçues que par le résultat d’erreurs intellectuelles.

      Une réalité possible est cohérente en elle-même mais appuyée par aucune bonne raison pour croire. Il s’agit des hypothèses que l’on ne peut pas infirmer de façon absolue mais qu’il n’est pas nécessaire de considérer.

      Une réalité plausible est appuyée par des bonnes raisons pour croire malgré les raisons comparables pour douter. Il s’agit des croyances les plus polémiques, incluant les croyances chrétiennes.

      Une réalité probable est appuyée par de bonnes raisons pour croire qui ne sont contrées que par de moins bonnes raisons pour douter. Il s’agit des incertitudes que l’on doit considérer dans la réflexion mais qui ne justifient pas l’inaction.

      Une réalité certaine est appuyée par de si bonnes raisons pour croire qu’elle ne laisse place à aucun doute rationnel. Les doutes strictement spéculatifs ne sont pas contraires à la certitude.

      Il est également rationnel de croire en une réalité certaine que de croire en une réalité possible puisque le degré de la croyance tient compte de l’incertitude relative. En fait, la rationalité d’une croyance se mesure par la rigueur de l’évaluation des raisons à son appui. Une croyance certaine peut donc être irrationnelle alors qu’une croyance possible peut être rationnelle.

      La foi n’est pas seulement une croyance. La foi est la symbiose d’une croyance et d’une expérience. La croyance de la foi est donc aussi certaine que son expérience correspondante. Ainsi, on peut croire une réalité certaine sans en faire l’expérience mais on doit en faire l’expérience afin d’avoir foi en cette réalité. On peut être certain que Tokyo existe sans l’avoir visitée mais c’est seulement en visitant Tokyo que l’on peut avoir foi en l’existence de Tokyo. Aussi, on peut douter d’une réalité possible jusqu’au moment où l’on est forcé d’y croire puisque l’on en fait l’expérience. On peut douter de l’existence des extraterrestres jusqu’au moment où l’on est forcé d’y croire puisque l’on est visité par des extraterrestres. Il importe de noter que l’on peut également avoir foi en l’expérience d’une autre personne digne de confiance par l’entremise de son témoignage.

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    27. Selon ta classification, je range les croyances chrétiennes (et les croyances juives, musulmanes, la mythologie grecque et les contes des frères Grimm) pour certaines dans les réalités possibles et d'autres dans les impossibles.

      Beaucoup des impossibles sont contradictoires avec elles-mêmes (par exemple, que Dieu soit tout-puissant et infiniment bon même si le mal existe, ou que Dieu soit à la fois trois et un) tandis que d'autres sont contradictoires avec la science (par exemple, le modèle de l'évolution des espèces ne laisse aucune place pour un concepteur intelligent, le Soleil dansant de Fatima n'est pas compatible avec l'astronomie moderne, l'hypothèse de l'âme immortelle entre en contradictoire avec la neurologie, etc.).

      Dans les "possibles" (c'est-à-dire indémontrées, indémontrables mais pas contradictoires avec les faits ou avec elles-mêmes), je mets l'hypothèse qu'un Dieu ait créé l'univers mais l'est laissé évoluer par lui-même ensuite sans y intervenir ni y avoir programmé une finalité perceptible à notre échelle. Mais, malheureusement, ce genre de croyances que je classe dans ton "possible" sont parfaitement inutiles autant pour la science que pour la spiritualité.

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    28. «Entre autre, je ne prétends pas que la Bible est le fruit de tous les témoignages du monde; je prétends qu’elle est le fruit d’une masse de témoignages cohérents dont la plausibilité historique est extraordinaire par rapport à celle des autres religions.»

      Eh bien tu as tord.

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    29. Tu es incroyablement rigide intellectuellement. Je ne suis plus motivé à te relancer sur tout ce que tu affirmes. Je te relance sur le problème du mal seulement pour que tu voies en quoi tes préjugés intellectuels peuvent être erronés. Un Dieu bon et tout-puissant, contrairement à ta réflexion superficielle, n’est pas intrinsèquement contradictoire avec le l’existence du mal.

      « Si Dieu est capable de causer un bonheur parfait chez toutes les personnes, pourquoi ne le fait-il pas? Pourquoi y a-t-il tant de personnes malheureuses? Bien que les implications soient tragiques et qu’aucun cas particulier ne soit justifiable, la réponse est simple. Le bonheur nécessite l’amour ; l’amour nécessite la liberté ; la liberté nécessite la possibilité du mal. Un bonheur sans amour serait faux ; un amour sans liberté serait faux ; une liberté sans possibilité du mal serait fausse. Ainsi, on constate que le vrai bonheur nécessite la possibilité du mal. Dieu ne cause aucun mal. Dieu crée des personnes capables de causer le mal. Le mal est causé par des personnes qui abusent de leur liberté de façon orgueilleuse. »

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    30. Je ne suis d'accord avec aucune de ces affirmations.
      «Le bonheur nécessite l’amour [...] Un bonheur sans amour serait faux»
      Oui et non. Il existe aussi d'autres sources de bonheur.
      «l’amour nécessite la liberté [...] un amour sans liberté serait faux»
      Au contraire. On n'est pas libre d'aimer ou pas. Ça s'impose à nous contre notre volonté. Sinon, les peines d'amour n'existerait pas.
      «la liberté nécessite la possibilité du mal»
      La liberté a toujours des limites (nous ne sommes pas tout-puissants) et si nous avons inventé des lois, c'est justement parce que nous reconnaissons qu'il est désirable que la limite de la liberté d'un individu soit placée à l'endroit requis pour l'empêcher de faire du mal à autrui. Si Dieu n'a pas compris ça, il est moins sage que nous.
      «Dieu ne cause aucun mal. Dieu crée des personnes capables de causer le mal»
      Si je fabrique un robot capable de tuer des gens et que je le programme pour qu'il y ait des chances pour qu'il tue effectivement des gens, serait-ce seulement la faute du robot s'il tue des gens?
      «Le mal est causé par des personnes qui abusent de leur liberté de façon orgueilleuse.»
      Ces gens n'ont pas choisi d'être orgueilleux. Dieu a choisi de les créer orgueilleux. Donc à qui est-ce la faute s'ils agissent orgueilleusement?
      «Tu es incroyablement rigide intellectuellement.»
      Écoute, tu me dis quelque chose d'absurdement faux sans me donner d'exemples ou de preuves. Alors je me réserve le droit de juste répondre «Non». Si je t'avais dit «la mythologie grecque est plus cohérente et historiquement plus valide que n'importe quel autre religion», sans m'expliquer davantage, tu m'aurais répondu quoi? Ce que je déteste de vous les croyants de toute sorte, c'est que vous vous donnez le droit d'affirmer sans preuve des choses incroyables ou absurdes, et qu'ensuite vous nous traiter d'être fermé d'esprit si on ne vous croit pas sur parole.

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    31. Je ne m’attends pas à ce que tu me crois sur parole quand j’affirme ma croyance. Pourquoi présumes-tu que j’aurais une telle attente?

      Face à une affirmation dont on ne voit pas les raisons, il y a un écart entre « Je ne vois pas les raisons de cette affirmation » et « Tu as tort ». Ça présume que tu connais déjà toutes les raisons imaginables que je pourrais invoquer. C’est cela qui est rigide, et prétentieux. Et après, tu détestes les croyants…

      Le bonheur n’est pas exclusivement constitué d’amour mais un bonheur sans amour est faux. On ne peut pas être vraiment heureux si personne ne nous aime et si on n’aime personne.

      La liberté de l’amour n’est pas totale mais il faut une certaine liberté pour que l’amour signifie quelque chose. Si tu as un moyen pour obliger une femme à t’aimer, est-ce qu’elle t’aime vraiment? Serais-tu vraiment heureux d’être aimé par une femme absolument obligée de t’aimer?

      De même, la possibilité de faire le mal n’est pas totale. Mais pour que la liberté soit vraie, il faut la possibilité de choisir une option ou une autre. Si toutes les options sont équivalentes, on n’est pas vraiment libre. La vraie liberté nécessite la possibilité de choisir une mauvaise option.

      Dieu ne crée personne avec de l’orgueil, il crée des personnes avec de la liberté. L’orgueil est l’usage déréglé de la liberté.

      Les humains ne sont pas robots programmés par Dieu. Ils sont des personnes libres.

      Tu peux croire que tout cela est faux. Mais tu as tort d’affirmer que c’est intrinsèquement contradictoire.

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    32. L’orgueil est vraiment quelque chose qu’une personne peut choisir librement, même s’il la rend malheureuse.

      Vaut mieux être un gros poisson dans un étang qu’un petit poisson dans l’océan.
      Vaut mieux être moyen parmi les petits que grand parmi les géants.
      Vaut mieux régner en Enfer que de servir au Paradis.

      Aucune de ces affirmations n’est objectivement vraie ou faux. C’est une question de désir. On peut préférer être aussi heureux que possible ou on peut préférer être plus heureux que les autres. Quand on fait des sondages sur cette question, une majorité de gens répondent qu’ils préfèrent gagner 50 K$ par année dans une société où la moyenne est 25 K$ par année que de gagner 100 K$ par année dans une société où la moyenne est de 200 K$, même si le pouvoir d’achat est strictement proportionnel aux dollars. Là est la cause de tout le mal causé par les personnes libres.

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    33. «Je ne m’attends pas à ce que tu me crois sur parole quand j’affirme ma croyance. Pourquoi présumes-tu que j’aurais une telle attente?»

      Parce que, jusqu'à présent, en dépit de la longueur de la conversation, tu n'as toujours pas présenté tes arguments prouvant l'existence d'un Dieu et la résurrection de Jésus.

      «Ça présume que tu connais déjà toutes les raisons imaginables que je pourrais invoquer.»

      J'ai suffisamment de connaissances en histoire et en religions pour savoir que l'affirmation «[la Bible] est le fruit d’une masse de témoignages cohérents dont la plausibilité historique est extraordinaire par rapport à celle des autres religions.» est fausse. Donc oui, tu as tord.

      «tu détestes les croyants»

      Je hais la croyance, pas le croyant. Le croyant est une victime de la croyance. Et ce que je disais ici, c'est que je détestais l'attitude des croyants et pas les croyants eux-mêmes.

      «On ne peut pas être vraiment heureux si personne ne nous aime et si on n’aime personne.»

      Tout comme on ne peut pas être heureux sans nourriture et sans toit. Dieu devrait apprendre la pyramide de Maslow...

      Mais bref, ta séquence de phrases «L'amour nécessite la liberté, etc.» est plus de la poésie que de l'argumentation. Chacune des phrases qui la composent est un maillon plutôt faible dans cette chaîne d'arguments.

      «Si tu as un moyen pour obliger une femme à t’aimer, est-ce qu’elle t’aime vraiment? »

      Oui. L'amour est une émotion. Si elle la ressent, elle la ressent. Que sa cause soit naturelle ou provoqué par un philtre d'amour que j'aurais mis dans son thé, si elle m'aime elle m'aime.

      «Dieu ne crée personne avec de l’orgueil, il crée des personnes avec de la liberté.»

      Vraiment? Donc je peux m'envoler comme un oiseau ou pitcher des lasers avec mes yeux... ah non, attends, je peux pas. Pourquoi? Parce qu'on a tous un degré de liberté limitée par des contraintes, et jamais une «liberté» absolue et surnaturelle. Donc, non, Dieu ne nous a pas donné LA Liberté avec un grand L (comme s'il s'agissait d'une substance magique), puisque ça n'existe pas. Il a choisi de nous laisser libres de faire certaines choses et de nous empêcher d'en faire d'autres. Comme j'ai dit plus haut, si nous avons inventé des lois, c'est justement parce que nous reconnaissons qu'il est désirable que la limite de la liberté d'un individu soit placée à l'endroit requis pour l'empêcher de faire du mal à autrui. Et si Dieu n'a pas compris ça, il est nécessairement moins sage que nous.

      «La vraie liberté nécessite la possibilité de choisir une mauvaise option.»

      La liberté est lorsque l'on peut faire une chose que l'on désire même si c'est un mauvais choix pour nous. Dieu aurait pu nous laisser le pouvoir de faire des choses "mauvaises" mais ne pas nous en donner le désir. On aurait alors été libre et jamais maléfique.

      «L’orgueil est vraiment quelque chose qu’une personne peut choisir librement, même s’il la rend malheureuse.»

      L'orgueil, l'amour, la tristesse... pour moi on ne choisit jamais d'avoir les émotions que l'on a. On les ressent.



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    34. C’est vrai : jusqu'à maintenant, j’ai affirmé ma croyance en ne partagent que très peu de raisons qui l’appuient. Je me limite à contrer les critiques les plus erronées contre ma croyance. Pour ce qui est de mes raisons pour croire, je les partagerai lorsque j’aurai terminé de les formuler adéquatement. Face à des intellectuels comme vous, je pense qu’il serait nuisible de les partager de façon fragmentaire.

      J’ai déjà discuté avec de nombreux intellectuels athées, et bien peu osent affirmer que leurs conclusions intellectuelles sont certaines hors de tout doute significatif. Tes connaissances en histoire et en religion doivent donc être extraordinaires afin de justifier la certitude que tu affirmes. Comment expliques-tu le fait que tes connaissances soient aussi extraordinaires? Tu es doté d’une intelligence et d’une érudition supérieure à l’ensemble des intellectuels qui n’osent pas se prononcer ainsi? Cela est nécessaire afin d’exclure que toute raison imaginable que ce soit puisse affecter tes conclusions intellectuelles de façon significative.

      Tant mieux si tu détestes la croyance et pas le croyant; ça revient à détester le péché mais pas le pécheur (encore un accord éthique avec le christianisme!). Si nous sommes tous les deux de bonne foi à tenter de corriger l’erreur dont l’autre est affligé à son propre malheur, il devrait y avoir un moment (très éloigné, sûrement) où nous serons d’accord.

      Les besoins les plus nécessaires à la survie sont les besoins les moins essentiels au bonheur. La raison pour laquelle on souhaite vivre n’est pas de se nourrir et de se loger : c’est d’aimer. On se nourrit et on se loge pour pouvoir vivre pour pouvoir aimer. Personne ne sacrifie l’amour pour se nourrir et se loger; tous ceux qui sont réellement amoureux sont prêts à sacrifier leur vie pour l’amour. C’est bien dommage si tu vois cette vérité fondamentale comme de la poésie et un argument faible; ça donne l’impression que le bonheur t’est étranger…

      De même pour la liberté en amour. L’amour n’est pas seulement un sentiment. L’amour suscite et peut être suscité par de beaux sentiments tels que l’attirance et l’attachement mais, en tant que tel, l’amour est volontaire. Si je me fâche contre ma copine et que je perds mes sentiments pour elle, je peux décider que je ne l’aime plus et que c’est fini. Je peux aussi décider de me réconcilier avec elle pour ressusciter mes sentiments pour elle. Le vrai amour n’est pas seulement un sentiment; le vrai amour est une liberté qui gouverne les sentiments.

      Nous ne sommes pas absolument libres; c’est normal puisque nous ne sommes pas tout-puissants. Notre liberté est proportionnée à notre condition de créatures finies. Pourquoi la seule liberté digne d’être reconnue serait une liberté infinie qui te permettrait de t’envoler ou de pitcher des lasers avec tes yeux?

      Le désir fait partie de la liberté. Une option que l’on est incapable de désirer n’est pas une vraie option. Pour que la liberté signifie quelque chose, il faut réellement pouvoir choisir des options dont les implications sont réellement différentes.

      On ne ressent pas l’orgueil, on le décide. Si tu as le choix entre un revenu de 50 K$ dans une société où le revenu moyen est de 25 K$ ou un revenu de 100 K$ dans une société où le revenu moyen est de 200 K$, c’est toi qui décide s’il est plus important d’avoir un meilleur niveau de vie ou d’avoir un meilleur niveau de vie que les autres. L’orgueil peut être intellectuel plutôt qu’économique mais le principe est le même.

      N’oublions pas que je n’ai pas à démontrer que ces notions ne sont certaines, probables ou même plausibles. J’ai seulement à démontrer qu’elles ne sont pas intrinsèquement contradictoires. Tu as affirmé, avec une certitude catégorique, que la croyance en un Dieu bon et tout-puissant est intrinsèquement contradictoire vu l’existence du mal. Es-tu capable d’être assez humble pour reconnaître que tu as eu tort d’affirmer une telle chose?

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    35. «Pour ce qui est de mes raisons pour croire, je les partagerai lorsque j’aurai terminé de les formuler adéquatement. Face à des intellectuels comme vous, je pense qu’il serait nuisible de les partager de façon fragmentaire.»

      Moi j'ai souvent remarqué que lorsque je partageais mes idées et que j'essayais de les défendre de bonne foi, j'arrivais mieux à les structurer qu'en les gardant dans ma tête. Pour moi, débattre de mes idées revient au même que de réfléchir mais avec plusieurs cerveaux.

      «Tes connaissances en histoire et en religion doivent donc être extraordinaires afin de justifier la certitude que tu affirmes»

      Non. Il n'y a pas besoin d'avoir un niveau de connaissances très élevés dans ce domaine pour réaliser que la bible est bourrée de contradictions avec elles-mêmes et avec les données historiques. C'est surtout parce que le croyant a plus de difficultés à être honnête avec lui-même qu'il ne s'en rend pas compte. Il faut aussi un minimum de connaissances sur les traditions des autres religions.

      «Les besoins les plus nécessaires à la survie sont les besoins les moins essentiels au bonheur. La raison pour laquelle on souhaite vivre n’est pas de se nourrir et de se loger : c’est d’aimer.»

      Je ne suis pas d'accord. Pour moi le bonheur est l'ultime bien et la seule fin suffisante. Et, pour moi, les besoins primaires (manger, dormir, etc.) sont plus essentiels au bonheur que les besoins secondaires (aimer, s'accomplir, etc.).

      «L’amour n’est pas seulement un sentiment. (...) On ne ressent pas l’orgueil, on le décide. »

      Je ne suis pas d'accord. Ce n'est pas ma définition de l'amour ni ma définition de l'orgueil. Dans les deux cas, ce que tu décris ressemble plus à la maturité émotionnelle, c'est-à-dire la capacité à contrôler ses émotions et à les exprimer sainement.

      «Pourquoi la seule liberté digne d’être reconnue serait une liberté infinie qui te permettrait de t’envoler ou de pitcher des lasers avec tes yeux?»

      Ce n'est pas ce que j'ai dit. Je dis que nous avons un certain degré de liberté qui a certaines limites, et qu'il aurait été plus désirable pour tout le monde si un concepteur intelligent avait placé ces limites de façon à nous empêcher de nous nuire mutuellement, mais permettant une divine omnipotence pour le reste.

      «Pour que la liberté signifie quelque chose, il faut réellement pouvoir choisir des options dont les implications sont réellement différentes.»

      Peut-être. Mais je ne vois pas pourquoi ça serait important qu'il y ait des gens qui désirent violer des enfants ou tuer leur famille. Et si c'est si important que ça que ce choix demeure, alors la prison et tout le système de justice est une aberration et un crime contre Dieu, puisqu'il enlève aux gens la liberté de continuer à faire le mal.

      «Tu as affirmé, avec une certitude catégorique, que la croyance en un Dieu bon et tout-puissant est intrinsèquement contradictoire vu l’existence du mal. Es-tu capable d’être assez humble pour reconnaître que tu as eu tort d’affirmer une telle chose?»

      C'est pas une question d'humilité. Tes arguments ne m'ont pas convaincu. Un Dieu tout-puissant, créateur de tout, et infiniment bon ne tolérerait pas l'existence du mal. Il se serait tout simplement abstenu de créer toutes les causes qui font que le mal existe. Sinon, soit il n'est pas vraiment omnipotent et omniscient, ou alors il n'est pas si gentil que ça. Même si on ne considère que la liberté seulement, c'est contradictoire. Donner au tueur la liberté de tuer c'est enlever à sa victime la liberté de rester en vie. Et supprimer le désir de tuer qu'a le tueur ça serait lui rendre sa liberté de ne pas avoir à choisir entre deux alternatives indésirables, soit la frustration de ne pas tuer et les conséquences d'avoir tué. Honnêtement, peu importe sous quel angle je prends ça, c'est contradictoire.

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    36. Ce que tu dis au sujet des débats est vrai en général. Sauf que, sur la question de la religion, les enjeux sont tellement vastes que je ne pense pas qu’il soit praticable de faire le débat de fond à coups de petits commentaires. Puisqu’il faut éclaircir la question moniste/dualiste avant d’éclaircir la question matérialiste/théiste, et qu’il faut éclaircir cette seconde question avant d’éclaircir la question d’une religion théiste, je pense qu’il est préférable de partager une synthèse complète plutôt que de s’empêtrer dans des malentendus successifs.

      Tu exposes en quoi tes connaissances sont suffisantes pour nier le fondamentalisme chrétien qui interprète la Bible littéralement, et tu as raison. C’est la même chose que Richard Dawkins et Bill Maher. Ils dénoncent le fondamentalisme chrétien mais ils ne réalisent pas que ces chrétiens sont minoritaires. En dehors des États-Unis, les créationnistes sont très rares. Même dans son film Religulous, où Bill Maker passe la plus grande partie de son temps à se moquer des créationnistes américains, il rencontre l’astronome en chef du Vatican qui lui explique qu’il est absurde de lire la Genèse en termes scientifiques. La Bible doit être lue en termes théologiques. Elle relate des vérités au sujet de la relation entre Dieu et l’humanité; ces vérités peuvent être exprimées sous une grande variété de genres littéraires.

      « supprimer le désir de tuer qu'a le tueur ça serait lui rendre sa liberté de ne pas avoir à choisir entre deux alternatives indésirables »

      C’est ici que tout notre désaccord se situe. La « liberté de ne pas avoir à choisir » est une contradictoire intrinsèque. La liberté est la possibilité de choisir. Si les humains n’ont pas la possibilité de se causer du mal, leur possibilité de se causer du bien est insignifiante. Si je ne peux pas ne pas aimer une personne, mon amour pour cette personne n’est rien d’autre que le résultat d’une obligation quasi-mécanique. Le vrai bonheur est seulement possible dans la mesure où les choix que les humains font les uns envers les autres impliquent une réelle différence dans leurs vies. Autrement, nous ne sommes que les pantins du déterminisme cosmique et le bonheur n’est qu’une illusion. Je comprends que tu ne vois pas un tel bonheur comme une illusion, mais cela correspond à la philosophie théiste à savoir que le bonheur des matérialistes est limité puisqu’ils ne jouissent pas pleinement de leur liberté spirituelle.

      Je ne dis pas que l’existence – et peut-être surtout l’ampleur – du mal n’est pas scandaleuse d’un point de vue théiste. Tous les chrétiens sont troublés par le mal qui nous entoure; « le scandale du mal » est souvent le titre des chapitres qui abordent le problème du mal. C’est précisément la thèse théologique du livre de Job. La position théiste est que, bien que les intuitions humaines soient scandalisées par l’existence du mal, celle-ci est nécessaire à l’existence du vrai bonheur.

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    37. Ok, tu continues de refuser de dévoiler tes arguments. Très bien. Mais puis-je au moins savoir en quoi tu crois? Quelle est ton interprétation de la bible?

      La « liberté de ne pas avoir à choisir » est une contradictoire intrinsèque.

      J'ai clairement dit: «liberté de ne pas avoir à choisir entre deux alternatives indésirables» Si je te demande de choisir entre la mort de ta femme et celle de ton fils, tu es moins libre que si je ne tue personne. Si, disons par un pouvoir hypnotique quelconque, j'implante en toi un fort désir sexuel envers les enfants, je ne te rends pas «plus libre» de violer des enfants ou non que tu ne l'es maintenant.

      «nous ne sommes que les pantins du déterminisme cosmique»

      C'est ce que je pense. J'en parle ici. Mais, pour moi, cela ne rend pas pour autant "illusoire" le bonheur ni même la liberté. Ça implique seulement qu'ils sont subjectifs.

      «La position théiste est que, bien que les intuitions humaines soient scandalisées par l’existence du mal, celle-ci est nécessaire à l’existence du vrai bonheur.»

      Ok. Donc cessons de mettre les criminels en prison ou d'essayer de les réhabiliter ou de réduire les causes sociales source de criminalité. Au contraire, puisque leur présence est nécessaire à notre bonheur.

      «Si les humains n’ont pas la possibilité de se causer du mal, leur possibilité de se causer du bien est insignifiante.»

      Ok... donc Dieu nous a programmé maléfique pour avoir le plaisir de nous juger après?

      Je vais reprendre mon analogie du robot. Si je programme une machine pour qu'elle tue, je suis coupable et elle aussi. Évidemment que, à nos yeux, la machine n'a aucun libre-arbitre, puisque nous avons accès au script de son programme et pouvons donc anticiper ses actions. Mais, aux yeux d'un être omnivoyant qui nous a créé en plus, nous sommes tout aussi prédictibles et il nous a créé en étant parfaitement conscient de tous les choix que nous allions faire, comme un programmeur avec un robot.



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    38. Je te dis ce que j’ai dis à Simon : je suis désolé de t’exaspérer en affirmant que j’ai des raisons de croire tout en ne les partageant pas. Moi-même, je m’irrite un peu en affirmant cela. Je t’assure que mon souci est de m’assurer d’une clarté minimale de la formulation que je souhaite vous présenter. Je vais prendre quelques heures pour la préciser au courant des prochaines semaines, et je vous relance sur le dualisme, qui semble être le fondement de l’écart épistémologique à l’origine de l’ensemble de nos désaccords intellectuels. En attendant, je tiens une position purement défensive contre les affirmations qui me semblent les plus évidemment erronées.

      Ma croyance est la foi catholique. Je crois que l’Église catholique, malgré ses graves fautes humaines, est l’entité terrestre apte à évaluer la crédibilité des témoignages métaphysiques avec la rigueur la plus complète. Ainsi, si tu veux réfuter ma croyance, tu ne dois pas réfuter une interprétation littérale de la Bible, tu dois réfuter le Catéchisme de l’Église catholique (qui résulte d’une interprétation des genres variés de la Bible). Notons, par ailleurs, que la foi catholique est la croyance de la majorité des chrétiens du monde.

      Je comprends bien que le déterminisme cosmique n’a rien de contraire au bonheur pour toi. Encore une fois, je n’aspire pas à infirmer la cohérence de ta position. Je vise à faire valoir la cohérence de la mienne. Même si tu ne crois pas au libre-arbitre, je pense que tu es capable de comprendre la cohérence des notions qui l’impliquent.

      J’ai commis une erreur dans la formulation de mon dernier commentaire. Ce n’est pas l’existence du mal qui est nécessaire au vrai bonheur, c’est la possibilité du mal. La nécessité est indissociable d’une conception du bonheur impliquant le libre-arbitre alors que l’existence du mal est la conséquence historique de la possibilité du mal. Le libre-arbitre bienveillant doit être exercé afin de lutter contre les conséquences du libre-arbitre malveillant.

      La liberté de l’être humain n’est pas un script divin : c’est une image de Dieu. Si Dieu est tout-puissant, il est capable de créer des créatures réellement libres de choisir quel sera le sens de leur vie. Les humains sont incapables de créer des robots libres; ce n’est pas une preuve que toute puissance créatrice que ce soit est incapable de donner naissance à une créature réellement libre face à son créateur et face aux autres créatures.

      Dans la mesure où la possibilité d’un libre-arbitre réel est admise, la possibilité que les créatures soient malveillantes est nécessaire à ce que la bienveillance des créatures soit significative. Une bienveillance obligatoire est insensée; ce serait comme de qualifier le Soleil de bienveillant puisqu’il permet la croissance des moissons. Une bienveillance sensée nécessite une intention réellement libre. Une intention réellement libre nécessite la possibilité de commettre un mal réel.

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    39. «Je vais prendre quelques heures pour la préciser au courant des prochaines semaines»

      Tant mieux parce que, en entendant, c'est plutôt stérile. À chaque fois que je mets un argument contre une croyance catholique, tu as toujours la possibilité de répondre «oui mais ça c'est pas le vrai catholicisme!».

      «Je crois que l’Église catholique, malgré ses graves fautes humaines, est l’entité terrestre apte à évaluer la crédibilité des témoignages métaphysiques avec la rigueur la plus complète.»

      Pourquoi?

      «Notons, par ailleurs, que la foi catholique est la croyance de la majorité des chrétiens du monde.»

      La majorité des chrétiens du monde se disent catholiques mais leur croyance n'est pas identique à celle que tu considères comme le vrai catholicisme. Par ailleurs, le nombre ne prouve absolument rien.

      «La liberté de l’être humain n’est pas un script divin : c’est une image de Dieu. (...) Les humains sont incapables de créer des robots libres»

      En fait, pour créer un robot ayant du libre-arbitre, il suffit que son sa programmation soit suffisamment complexe pour que même son programmeur ne puisse anticiper ses réactions. À l'inverse, Dieu lui peut tout voir et tout anticiper.

      «Si Dieu est tout-puissant, il est capable de créer des créatures réellement libres de choisir quel sera le sens de leur vie»

      C'est une des démonstrations de l'absurdité même de l'idée de toute-puissance. Si Dieu peut créer un esprit assez libre pour ne plus avoir de contrôler sur lui, alors sa puissance est limité. C'est comme l'argument que Dieu ne peut pas créer un roche si lourde qu'il ne pourrait la soulever. La toute-puissance est une contradiction logique au même titre que la trinité.

      «Dans la mesure où la possibilité d’un libre-arbitre réel est admise»

      Je crois encore moins à la possibilité d’un libre-arbitre réel qu'à la possibilité d'un Dieu. C'est pour moi absurde. Le hasard et le libre-arbitre, moi j'appelle ça «des variables inconnues».

      «Une bienveillance obligatoire est insensée; ce serait comme de qualifier le Soleil de bienveillant puisqu’il permet la croissance des moissons»

      Tu confonds bienfaisance et bienveillance. Le soleil n'a pas d'intention. Un être qui a des intentions ne les pige pas au hasard dans le néant. Son vécu et ses gènes ont forgé cet être pour qu'il soit comme il est, avec ses désirs et ses aspirations.

      Personnellement, je n'ai aucun mérite de ne pas violer d'enfants puisqu'ils ne m'attirent pas. J'ai donc, oui, une "bienveillance obligatoire" envers eux. Donc pourquoi Dieu ne pourrait-il pas imposer cette bienveillance obligatoire de base à chacun... peut-être parce qu'il n'est pas tout-puissant? Et pourquoi, une fois qu'il s'est amusé à juger la personne méchante (même si c'est lui qui a choisi de la créer méchante) ne peut-il pas intervenir pour l'empêcher d'agir juste avant qu'elle ne blesse sa victime? Pour moi, quand tu t'abstiens d'aider quelqu'un que tu aurais pu aider sans efforts, c'est l'équivalent d'être la cause de sa souffrance.

      «Une intention réellement libre nécessite la possibilité de commettre un mal réel.»

      Parfait, donc cessons de sanctionner les crimes. Cela réduit notre liberté d'intention et notre possibilité de faire le mal.

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    40. Le nombre ne prouve rien en lui-même, je suis tout-à-fait d’accord. Je mentionnais que la majorité des chrétiens est catholique seulement pour faire valoir que tes critiques du littéralisme biblique ne s’appliquent qu’à une minorité de chrétiens.

      Ce qui distingue un catholique d’un chrétien non-catholique est précisément la confiance dans les enseignements du Magistère, dirigé par le pape, dont le Catéchisme est la synthèse. D’un point de vue définitionnel, si un chrétien affirme que le Catéchisme est faux, on peut dire qu’il n’est pas catholique. Certains catholiques ne connaissent pas ou ne respectent pas le Catéchisme mais, par définition, tous les catholiques ont confiance dans les enseignements qu’il contient.

      Pourquoi l’Église catholique? Pour des raisons historiques. Ça me ferait plaisir d’en jaser pendant des heures si nous étions autour d’une bière mais, puisque nous avons à tout rédiger au long et à préciser tous les malentendus, je pense qu’il est préférable de ne pas déborder la question du théisme, ou même du dualisme, dans l’immédiat.

      Si un libre-arbitre réel est encore moins possible pour toi que l’existence de Dieu, je comprends que mes explications relatives au problème du mal te soient absurdes. Je ne réalisais pas à quel point tu es un moniste radical. Dans un tel contexte, je peux accepter que tu qualifies ma croyance d’absurde puisque tous ceux qui croient au libre-arbitre ont aussi une croyance absurde à tes yeux.

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    41. «Pourquoi l’Église catholique? Pour des raisons historiques.»

      Moi aussi c'est ce que je pense, mais sans doute pas dans le même sens.

      «je pense qu’il est préférable de ne pas déborder la question du théisme, ou même du dualisme, dans l’immédiat.»

      Je ne vois vraiment pas pourquoi. Surtout que c'est mon principal contre-argument au pari de Pascal duquel est partie cette discussion. Et relis la quantité de textes que tu as postés sur mon blog... je doute que ce ne soit plus long. En un bref paragraphe, qu'est-ce que le pape a de plus que le dalaï-lama ou que Raël?

      «Si un libre-arbitre réel est encore moins possible pour toi que l’existence de Dieu»

      Disons que Dieu est contraire aux faits, et qu'il n'est absurde en lui-même que selon les attributs qu'on lui donne (donc s'il est tout-puissant, infiniment bon, etc. il est intrinsèquement absurde), tandis que le libre-arbitre est absurde en lui-même mais pas nécessairement contraire aux faits.

      Je reproche au libre-arbitre la même chose qu'à Dieu: le manque de parcimonie. Lorsque survient quelque chose d'imprédictible, il est plus parcimonieux de l'attribuer à des causes qui nous avaient échappées plutôt qu'à une abstraction hypothétique qui échappe aux lois causales, comme Dieu, le libre-arbitre ou le hasard pur.

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    42. Le texte sur lequel je travaille fait plus d’une dizaine de pages (excluant la partie sur le dualisme) et je le reformule régulièrement. Mon souci n’est pas seulement d’éviter d’écrire de longs commentaires, c’est d’éviter de nous engager dans une série de malentendus dus au fait que je n’aurais pas précisé l’ensemble des distinctions pertinentes.

      En un paragraphe, le pape est spécial parce qu’il est le successeur du fondateur de la seule religion dont la naissance correspond exactement au pari de Pascal. Alors qu’ils ont été persécutés pendant les trois premiers siècles de leur existence, les témoins de la vérité chrétienne ont accepté de subir le plus grand mal fini (la mort) afin de répandre un bien infini (la foi chrétienne). Ces témoignages furent si persuasifs qu’une petite secte sémitique s’est répandue dans l’ensemble d’une vaste civilisation cosmopolite malgré la persécution dont elle était victime au point où elle fut éventuellement reconnue à titre de religion d’État. On pourrait ensuite invoquer des fruits ultérieurs, mais ces associations sont plus complexes. Je suis certain que tu pourrais débattre de ces brèves affirmations mais je préfère attendre d’avoir terminé un texte faisant la synthèse des distinctions pertinentes de façon à éviter les malentendus successifs. J’écris ce paragraphe seulement parce que tu le demande.

      Les attributs que l’on donne à Dieu sont absurdes seulement si le libre-arbitre n’existe pas. Ainsi, l’absurdité de Dieu dépend de l’absurdité du libre-arbitre. C’est pourquoi, dans le contexte où le libre-arbitre serait absurde, je peux accepter ton jugement selon lequel Dieu est absurde.

      La croyance au libre-arbitre est fondée sur l’expérience transcendante de la conscience telle qu’identifiée par la phénoménologie ontologique de Husserl. En bref, la conscience est une réalité irréductible. Ainsi, il est logique qu’elle soit indéterminée, c’est-à-dire libre. L’irréductibilité de la conscience est une notion philosophique fascinante; j’en avais eu connaissance à travers divers auteurs mais il semble que Husserl est celui qui l’a exposée le plus rigoureusement.

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    43. «J’écris ce paragraphe seulement parce que tu le demande.»

      Oui, mais c'est déjà pour moi très éclairant pour comprendre ce en quoi tu crois et ce que tu connais de l'histoire des religions.

      «Les attributs que l’on donne à Dieu sont absurdes seulement si le libre-arbitre n’existe pas.»

      Pas seulement le libre-arbitre. La toute-puissance et l'infini bonté, sont non seulement mutuellement contradictoire mais sont individuellement absurdes et contredisent les faits. Aussi, si l'on dit que Dieu est trois et un à la fois, c'est une autre contradiction logique. Le polythéisme me semble moins absurde justement parce qu'il a l'intelligence de voir l'univers comme un équilibre entre des forces qui se combattent, plutôt que comme l’œuvre d'une seule volonté.

      «la conscience est une réalité irréductible. Ainsi, il est logique qu’elle soit indéterminée, c’est-à-dire libre»

      Je ne vois vraiment pas pourquoi il serait "logique" qu'une chose "irréductible" soit "indéterminée" (qui pour moi n'est pas du tout un synonyme de "libre"). Par ailleurs, je ne pense pas être d'accord avec le fait que la conscience soit irréductible. Explique-moi donc un peu plus ce que tu entends par là.

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    44. Le christianisme ne prétend pas que l’univers est l’œuvre d’une seule volonté; il admet que l’univers est le champ de bataille de forces qui se combattent. Les chrétiens et les polythéistes sont d’accord jusqu’ici. Là où il y désaccord, c’est à savoir si toutes les forces qui se combattent sont également primordiales ou si certaines sont plus en harmonie avec la source bienveillante de l’univers. Cette deuxième hypothèse est la révélation chrétienne, c’est pourquoi elle est une Bonne Nouvelle annoncée aux polythéistes : les bonnes forces sont destinées au triomphe ultime.

      Par la liberté, la causalité ne relève plus exclusivement d’une suite mécanique ininterrompue puisque que chaque volonté personnelle devient une cause première au sein de toutes les causes mécaniques. Ainsi, la liberté permet à une volonté toute-puissante de créer des volontés qui peuvent lui résister et se combattre entre elles. Un parent peut élever ses enfants en dictateur, en les obligeant à toujours faire ce qu’il juge bon, ou il peut les élever en pédagogue, en leur apprenant la sagesse et le discernement dans leurs pensées et dans leurs actes. Les enfants du dictateur agiront peut-être mieux mais leur personnalité sera fade et faible; ils ne seront pas réellement bons puisqu’ils ne seront pas responsables. Les enfants du pédagogue agiront parfois mal mais ils auront une personnalité riche et forte puisqu’ils auront appris la responsabilité.

      Dieu, comme un parent pédagogue, exerce sa volonté de façon à forger des volontés capables de lui résister afin que l’amour qui résulte de cette volonté soit riche et fort plutôt que fade et faible. La toute-puissance permet de faire tout ce qui est possible mais pas ce qui est auto-contradictoire. Dieu peut créer des carrés de façon infinie mais il ne peut pas créer des carrés dont la forme est circulaire. De même, Dieu ne peut pas créer des êtres non-libres dont l’amour est doté de la richesse et de la force d’une liberté réelle. D’une certaine façon, Dieu est utilitariste : le bien rendu possible par la liberté est plus grand que le mal qu’elle permet. Dans la mesure où une liberté réelle est admise, il n’y a rien d’absurde dans l’idée d’un Dieu tout-puissant qui gouverne un univers où il y a du mal.

      Je suis d’accord que la liberté et l’indétermination sont deux choses différentes. Cependant, lorsque l’indétermination est consciente, elle est libre. La qualité définie par la liberté est précisément « une conscience indéterminée ». Si une réalité est irréductible, il est logique qu’elle soit indéterminée puisqu’elle ne peut être réduite à aucune cause ni à aucun effet. Pour prendre un exemple matérialiste, les lois naturelles sont indéterminées (elles sont déterminantes) puisqu’elles sont irréductibles. C’est-à-dire que les lois naturelles ne sont pas l’effet déterminé d’une cause déterminée; elles sont les causes non-causées des habitudes de la matière. Elles ne sont pas libres puisqu’elles ne sont pas conscientes mais elles sont indéterminées.

      La conscience est irréductible puisqu’elle dépasse tout ce qui la compose. Ce qui est qualifié par un « je » conscient ne peut être réduit à rien d’autre que ce qu’il est. Aucune description de la conscience ne peut comprendre la conscience puisque celle-ci est la source transcendante de toute description. C’est une notion à la fois simple et contre-intuitive que Husserl, le fondateur de la phénoménologie, a exposée dans « L’idée de la phénoménologie » sous le titre de réduction transcendantale.

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    45. "Dieu peut créer des carrés de façon infinie mais il ne peut pas créer des carrés dont la forme est circulaire."

      Tu joues avec les mots, c'est la phrase qui n'a aucun sens, pas le concept.

      "D’une certaine façon, Dieu est utilitariste : le bien rendu possible par la liberté est plus grand que le mal qu’elle permet."

      C'est dans ce cas le problème du bien et du mal: qu'est-ce qui détermine ce qu'est chacun? Est-ce Dieu ou quelque chose qui lui est extérieur (ce que tu sembles supposer ici)?

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    46. Un carré de forme circulaire est un concept qui a du sens? Je ne comprends pas la distinction que tu fais entre la phrase et le concept.

      Je ne joue pas avec les mots : mon point est que, lorsque l’on affirme que la toute-puissance est incapable de faire quelque chose, cette chose est un concept auto-contradictoire plutôt qu’une réalité possible. Un carré circulaire est aussi auto-contradictoire qu’un amour obligé. Penser que la circularité n’est pas contraire à la réalité du carré est une erreur intellectuelle au même titre que de penser que l’obligation n’est pas contraire à la réalité de l’amour.

      Le bien est ce qui procure du bonheur. D’un point de vue théologique, Dieu est la source ultime de tout le bonheur, c’est pourquoi Dieu est le Bien. Des personnes libres d’aimer mais qui souffrent à cause de la liberté sont plus heureuses que des personnes qui ne souffrent pas mais qui sont incapables d’aimer. Puisque l’amour et la liberté sont indissociables, le plus grand bonheur nécessite des êtres libres et donc capables de causer de la souffrance.

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    47. «Le christianisme ne prétend pas que l’univers est l’œuvre d’une seule volonté»

      Blasphème! Pour les chrétiens, toute chose est l'oeuvre d'un être qui peut tout contrôler et tout voir à l'avance. Il n'y a pas de bataille, ce serait un non-sens. Les démons sont des créatures de Dieu qui se sont "détournées" de lui mais seulement dans la limite de jeu que leurs esprits (programmés par Dieu) le leur permettait et, puisqu'il voit tout d'avance, il savait et voulait que ça finisse comme ça.

      «Par la liberté, la causalité ne relève plus exclusivement d’une suite mécanique ininterrompue puisque que chaque volonté personnelle devient une cause première au sein de toutes les causes mécaniques. (...) Un parent peut élever ses enfants en dictateur, en les obligeant à toujours faire ce qu’il juge bon, ou il peut les élever en pédagogue, en leur apprenant la sagesse et le discernement dans leurs pensées et dans leurs actes. (...) »

      Moi je vois ça de l'autre façon. Si notre éducation peut influencer nos choix de vie c'est la preuve justement qu'un choix n'est pas extérieure aux lois causales. Ainsi, si les choix de personnes élevées de façon rigides et simplistes sont plus prédictibles que ceux des personnes instruites, c'est uniquement parce qu'il y a plus de données qui se brassent dans l'esprit des secondes, plus de variables inconnues pour l'observateur.

      «La toute-puissance permet de faire tout ce qui est possible mais pas ce qui est auto-contradictoire.»

      D'accord. Mais, en admettant ça, c'est déjà reconnaître que cette puissante a des limites et n'est donc pas «toute-puissante».

      «Dieu peut créer des carrés de façon infinie mais il ne peut pas créer des carrés dont la forme est circulaire. De même, Dieu ne peut pas créer des êtres non-libres dont l’amour est doté de la richesse et de la force d’une liberté réelle.»

      Je ne suis évidemment pas d'accord. L'exemple est mauvais, ça n'a même rien de comparable. Et, comme j'ai déjà dit, c'est ridicule de penser qu'on est libre d'aimer qui on veut, comme si on choisissait d'éprouver les émotions qu'on veut quand on veut.

      «le bien rendu possible par la liberté est plus grand que le mal qu’elle permet. Dans la mesure où une liberté réelle est admise, il n’y a rien d’absurde dans l’idée d’un Dieu tout-puissant qui gouverne un univers où il y a du mal.»

      Bien sur que c'est complètement absurde. Si Dieu autorise un humain à avoir un autre humain comme esclave, ce second humain part avec un degré de liberté inférieur à celui qu'il aurait si Dieu intervenait pour empêcher l'esclavage. Comme j'ai déjà dit, l'existence même de gouvernements humains est la preuve que nous reconnaissons au fond de nous que Dieu est un piètre gouvernement pour l'Univers.

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    48. «La qualité définie par la liberté est précisément « une conscience indéterminée ».»

      Au contraire, je la définirais plutôt comme «un déterminisme inconscient». On est libre quand on ne se sent pas déterminé; qu'on le soit ou non.

      «les lois naturelles ne sont pas l’effet déterminé d’une cause déterminée; elles sont les causes non-causées des habitudes de la matière.»

      Les lois naturelles ne sont pas des causes, elles ne sont rien de plus que la façon dont la science modélise les causalités qu'elle a répertoriées. Donc, mauvais exemple (d'une chose inexistante).

      «Aucune description de la conscience ne peut comprendre la conscience»

      C'est juste parce que c'est dur à définir. Comme le verbe être, c'est un concept simple mais l'expliquer avec des mots c'est pas évident.

      «Dieu est la source ultime de tout le bonheur, c’est pourquoi Dieu est le Bien.»

      Pour un bébé, ses parents qui le nourrissent sont la source de toute nourriture. C'est bien. Mais s'ils ne le nourrissent pas assez? Si Dieu permet qu'une personne ait une vie malheureuse, même s'il est la source de tous les bonheurs dans sa vie, il ne lui en donne pas assez et est donc aussi méchant que des parents qui sous-alimentent leur enfant.

      «Puisque l’amour et la liberté sont indissociables»

      Ridicule. Je m'excuse, mais je ne le dirai jamais assez.

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    49. Tu as énormément de contradictions Sylvain. Tu ne peux pas dire d'un côté que le bien, c'est le bonheur, mais croire qu'il est mieux, par exemple, d'être abstinent (ou n'importe quoi d'autre) pour un "plus grand bien" si ça ne procure pas de bonheur à quelqu'un. Il reste au fond que si tu échappes la question en disant que le bien c'est le bonheur, tu ne définis pas encore le bonheur (puisque tu sembles en réfuter une définition utilitariste).

      C'était ta phrase d'un "carré circulaire" qui n'avait pas de sens, je n'ai pas affirmé que c'était conceptuellement fiable. C'est juste une phrase qui ne veut rien dire. Alors que "amour obligé", aussi implausible que tu puisses le trouver, veut dire quelque chose même pour toi (la phrase a un sens grammaticalement et conceptuellement). Si tu impliques que l'amour ne vaut rien s'il est obligé par des contraintes (ex: se laisser succomber au premier coup de foudre), c'est autre chose que de dire que ce n'est pas du tout de l'amour. Ça reste quelque chose qui se conçoit, contrairement à ton carré circulaire.

      Ah, oui, je trouve aussi que dire que l'amour et la liberté sont indissociables, c'est ridicule. Ce sont des concepts complètement différents qui n'ont a priori aucun point commun, sauf peut-être dans une idéologie profondément aveuglante. Même si ce que tu voulais dire était "l'amour et la liberté sont pour moi deux concepts qui devraient toujours aller de l'avant pour que l'amour ait un sens", tu dois reconnaître que ce sont des concepts dissociables et qu'il faut un raisonnement complexe et complet pour les associer. Tu es la première personne que je connaisse qui ait affirmé une chose pareille, j'imagine que tu peux admettre que ce n'est pas une idée acceptable d'emblée. Sinon, arrêtons tout de suite, la discussion fonce vers l'absurde.

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    50. @Philippe
      Tous les chrétiens affirment que l’univers est un champ de bataille entre des bonnes forces et des mauvaises forces. Si tu vois un blasphème chrétien dans cette notion, c’est qu’il te reste à découvrir certains aspects de la théologie chrétienne.

      Tu estimes que l’incapacité de faire des choses auto-contradictoires est une limite incompatible avec la toute-puissance? La toute-puissance nécessite donc la capacité de faire des choses intrinsèquement impossibles? Cela revient à définir la toute-puissance comme étant intrinsèquement impossible… Si la toute-puissance peut signifier quelque chose, elle doit exclure les choses intrinsèquement impossibles.

      À moins qu’elle ne soit limitée jusqu’au point de lui retirer toute portée éthique, la liberté est incompatible avec l’égalité. Tout exercice de la liberté affecte notre rapport aux autres; plusieurs de ces rapports sont dominateurs. La coopération égalitaire est l’une des nombreuses formes que les rapports humains peuvent prendre; si elle était le seul rapport humain possible, la liberté serait niée. Si Dieu devait préserver l’égalité empirique de toutes les personnes, il nierait la liberté de toutes les personnes. La souffrance est souvent la conséquence de l’inégalité produite par l’exercice abusif de la liberté.

      Les lois naturelles ne sont pas des objets observables, la conscience non plus. La comparaison n’est pas parfaite, j’en conviens, mais aucune réalité n’est parfaitement comparable à la conscience. La comparaison est pertinente dans la mesure où les lois naturelles et la conscience sont impossibles à localiser de façon empirique; elles sont des conceptions mentales qui ne peuvent pas être observées. La différence est que la conscience se révèle par l’expérience alors que les lois naturelles se discernent par l’analyse. On peut dire que les lois naturelles n’existent pas vraiment puisqu’elles ne seraient que des conceptions mentales mais il est absurde d’affirmer la même chose au sujet de la conscience.

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    51. @Simon
      Ma position est que, ultimement, rien d’autre que le bonheur n’est bon. L’abstinence sexuelle hors mariage ne doit pas être respectée aux dépens du bonheur; elle procure du bonheur. Cela est terriblement contre-intuitif à notre époque dont la psyché est accrochée au sexe mais c’est ce que je vis présentement. J’ai été sexuellement actif durant des années et je suis maintenant plus heureux en respectant l’abstinence du célibat. Je suis tout-à-fait conscient que ça ne semble pas plausible à première vue mais c’est le témoignage de l’ensemble des chrétiens (et de nombreux autres groupes à travers l’histoire). Bien sûr, l’abstinence involontaire est généralement malheureuse, et même l’abstinence volontaire implique une phase de sentiments désagréables, mais l’abstinence volontaire est ultimement heureuse. Si une chose cause ultimement du malheur, elle est mauvaise par définition. Je ne crois pas avoir dit quoi que ce soit de contradictoire à cet effet.

      Je n’ai donc aucune critique contre la conception utilitariste du bonheur; je suis seulement en désaccord avec l’évaluation des moyens que les utilitaristes proposent afin d’êtres heureux. J’estime que l’utilitarisme commet des erreurs d’évaluation éthique mais sa conception de l’éthique comme étant la maximisation du bonheur est inattaquable. Tu ne trouveras aucun penseur chrétien qui affirme que le bien et le bonheur sont ultimement dissociables. En aucun cas, on dira qu’il vaut mieux être bon qu’être heureux, sinon de façon superficielle ou circonstancielle.

      Dans la mesure où l’on ne limite pas le plaisir aux gratifications physiques et la souffrance aux douleurs physiques – je devine que plusieurs utilitaristes sont d’accord avec les chrétiens sur ce point – on pourrait dire que le christianisme est hédoniste. Si tu lis l’éthique aristotélicienne (intégrée par la philosophie catholique), tu verras que la vertu est décrite comme « ce qui rend heureux ». La vertu n’est pas la norme à laquelle on doit se conformer aux dépens du bonheur; elle est la pratique qui rend heureux. On peut avoir une conception erronée de la vertu mais, ainsi comprise, la vertu ne peut pas être contraire au bonheur. Quand on respecte une vertu de façon contradictoire aux calculs utilitaristes, c’est parce que l’on estime que, ultimement, le respect de la vertu procure un plus grand bonheur que les calculs utilitaristes : on fait plus confiance à l’expérience qui a constitué la vertu qu’à nos calculs personnels et circonstanciels.

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    52. @Simon (suite)
      Si j’ai donné l’impression que l’indissociation entre l’amour et la liberté devait être acceptée d’emblée, je me suis mal exprimé. Quand j’affirme cette indissociation, je ne signifie pas « voici ma démonstration » mais plutôt « voici ma conclusion ». Je redécouvre l’importance de préciser cette distinction lorsque je vous affirme des choses; nous avons eu le même malentendu plus tôt au sujet de la foi catholique. Je pense qu’il est utile à la discussion d’affirmer clairement notre conclusion avant de s’engager dans le débat visant à démontrer cette conclusion. Je serai plus prudent de préciser cet objectif lorsque je vous affirmerai mes conclusions par le futur.

      Par ailleurs, il ne m’était pas évident que Philippe serait motivé à débattre de cette question. J’aurais peut-être dû le supposer! :) Je présentais cette conception de l’amour en réponse à la contradiction apparente du problème du mal. Même si je ne vous convaincs pas que l’amour et la liberté sont indissociables, je peux vous faire valoir que, dans l’hypothèse où cette indissociation est admise, il n’y a pas de contradiction entre une toute-puissance absolument bonne et l’existence du mal. C’est dans cet objectif que j’affirmais ma conclusion sans la démontrer.

      Le point que je défends est que, si l’amour n’est pas conçu comme un acte libre, il perd sa signification. L’amour et l’obligation sont des concepts contradictoires. En effet, cette contradiction n’est pas sémantique comme la contradiction entre « carré » et « cercle » mais, d’un point de vue conceptuel, la contradiction est aussi complète. Par exemple, le vol et la propriété sont des concepts indissociables. Si on nie l’existence de la propriété, le vol perd sa signification. Aux yeux des catholiques, ceux qui parlent d’amour en niant la liberté ont un concept erroné de l’amour de la même façon que ceux qui parlent de vol en niant la propriété ont un concept erroné du vol.

      Petite notice théologique : la question de la liberté est centrale à l’opposition entre le catholicisme et le calvinisme, qui est l’une des principales théologies protestantes. Pour les calvinistes, la liberté humaine n’existe pas vraiment : le mal est l’œuvre du diable et tous les incroyants souffrent éternellement même s’ils ne sont pas libres de croire. À mes yeux, cette théologie est monstrueuse. La théologie catholique affirme que, malgré des limites importantes, la liberté humaine existe vraiment et que, si elle est exercée de bonne foi, elle permet de vivre le bonheur éternel même si la foi chrétienne n’est pas formellement acceptée.

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    53. J’élabore sur l’indissociation entre l’amour et la liberté

      L’amour est normalement accompagné de beaux sentiments tels que l’attirance et l’attachement mais l’amour n’est pas ces sentiments amoureux. L’amour est un acte de volonté. L’amour est la volonté de se donner à l’autre, c’est-à-dire de rendre l’autre heureux. L’amour choisit de trouver son bonheur dans le bonheur de l’autre. Les sentiments que nous inspire une personne sont l’un des facteurs qui nous amènent à aimer cette personne mais ils ne sont pas le seul facteur : on considère aussi les valeurs communes et les projets d’avenir et une multitude d’autres questions qui ne dépendent pas des sentiments affectifs.

      On peut avoir un coup de foudre pour une personne que l’on choisit finalement de ne pas aimer. On peut finir par aimer une personne qui, avant de l’aimer, ne nous était ni attirante ni attachante. L’amour peut être écarté ou créé par la volonté. En anglais, on dit que « you can love a person even when you don’t like that person ». On peut aimer une personne malgré nos variations sentimentales pour cette personne.

      Si l’amour n’est qu’un sentiment, il disparaît dès que les sentiments s’estompent. Pourtant, l’amour est une force volontaire qui fait renaître les sentiments amoureux à répétition. Tous les vieux couples heureux le disent : leur relation a connu une série de hauts et de bas. Les sentiments ont beaucoup changé mais l’amour s’est maintenu. Les sentiments sont aussi contingents que la digestion; l’amour est aussi libre que la volonté.

      L’amour obligé peut être sensé si l’on estime que l’amour est polysémique. C’est-à-dire que, si l’on définit un coup de foudre comme de l’amour, on peut être obligé d’aimer en ce sens. Mais ce n’est pas le sens du mot « amour » qu’utilisent les catholiques. D’un point de vue philosophique, ce sens est peu pertinent; si l’amour n’est qu’un sentiment comme les autres, il n’a rien de spécial. Quand on dit que Dieu est amour, ce n’est pas dans le sens d’un sentiment normal. Quand on voit l’importance extraordinaire de l’amour, c’est le sens volontaire qui explique cette importance. Au niveau de l’expérience concrète, on constate que l’amour peut se maintenir malgré les variations sentimentales et même affecter ces variations sentimentales.

      Bref, si l’amour sentimental et obligé peut avoir un sens, ce n’est pas le sens ayant une portée philosophique. Quand on parle de l’amour de Dieu, on parle du sens philosophique de l’amour, c’est-à-dire la volonté de rendre l’autre heureux en se donnant à lui. Les sentiments influencent la volonté comme les vagues influencent la direction d’un navire mais ils sont distincts. La liberté est comme le gouvernail d’un navire; la volonté est l’exercice de la liberté en réponse à toutes les influences sentimentales. Selon cette analogie, la négation de la liberté est la prétention que la volonté est comme un navire sans gouvernail. Pourtant, on constate que la volonté transcende les sentiments. Sans invoquer quelque nécessité métaphysique que ce soit, on constate que la volonté est une force liée aux sentiments mais distincte de ceux-ci. Les vagues ne sont donc pas les seules forces qui dirigent le navire.

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    54. Quelques remarques. Je ne tiens pas à avoir raison mais à comprendre ta pensée.

      Tu ne définis toujours pas le bien ni le bonheur. Du moins, la manière dont tu sembles le définir est en contradiction avec certaines de tes affirmations d'avant. Par exemple, l'idée que le bonheur libre est (nécessairement) un plus grand bonheur qu'un bonheur non-libre. Serais-tu d'accord pour dire que ton dieu serait ultimement bienveillant, mais pas constamment bienveillant? Autrement dit, le fait qu'il agisse sur le monde pour faire du mal (imaginons une catastrophe naturelle qui tue des êtres humains) peut mener éventuellement à un plus grand bien (si on a la foi j'imagine qu'on se dit ça) mais dans les faits, l'acte même est mal, non?

      Sinon, je trouve ton concept d'amour fascinant mais pragmatiquement, il ne tient pas la route dans son état actuel. Parce que, dans les faits, il n'y a pas de différence entre son existence et son inexistence sur l'expérience. Qu'est-ce que ça veut dire, par exemple, "l'amour s'est maintenu" malgré les sentiments qui s'atténuent? À moins que "amour" veuille simplement dire "choisir d'aimer", dans lequel cas c'est une définition tautologique (car le terme même est impliqué dans sa propre définition). Bref, c'est très romantique mais peu rigoureux comme description :)

      Ah oui, je ne suis pas d'accord non plus avec tes définitions de liberté et d'égalité. Mais bon, on en a déjà parlé ailleurs, je ne m'étalerai pas: pour moi, égalité veut dire égalité en droit, jamais égalité "ontologique" (ex: être tous pareils). Cette seconde notion n'a à peu près aucun sens sauf en mathématique.

      P.S. J'ai lu la description du pragmatisme de James sur Wikipédia (section "Pragmatisme et vérité : l'utilité de la connaissance", http://fr.wikipedia.org/wiki/William_James) et ça résume plutôt bien là où je me considère pragmatiste! Je ne l'ai pas autant lu que je le voudrais (un ou deux articles), mais je vais peut-être mieux l'aimer que Peirce.

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    55. «Tous les chrétiens affirment que l’univers est un champ de bataille entre des bonnes forces et des mauvaises forces.»

      Oui mais contrairement aux Zoroastriens et aux Manichéens, par exemple, les chrétiens ne voient pas ces deux factions comme étant égales. Le chef des gentils (Dieu) a créé les méchants, en sachant que s'il les créait ainsi ils seraient méchants, et il pourrait les détruire sans effort s'il le voulait (puisqu'il est tout-puissant). Donc tu comprendras que je trouve ça absurde.

      «Cela revient à définir la toute-puissance comme étant intrinsèquement impossible…»

      Voilà.

      «la liberté est incompatible avec l’égalité. (...) Si Dieu devait préserver l’égalité empirique de toutes les personnes, il nierait la liberté de toutes les personnes. La souffrance est souvent la conséquence de l’inégalité produite par l’exercice abusif de la liberté.»

      Je ne suis évidemment pas d'accord. De mon point de vue, la liberté sans l'égalité ou l'égalité sans la liberté, ça ne vaut pas grand chose; c'est même presque un non-sens. C'est à cause des inégalités que certains individus ne sont pas libres (ou le sont moins que d'autres). Mais je comprends mieux maintenant pourquoi les esclavagistes étaient des gens très chrétiens.

      «les lois naturelles et la conscience sont impossibles à localiser de façon empirique;»

      Ma conscience est localisée dans mon cerveau. Et si je serais bien incapable de la situer de façon plus précise, il en va de même de cette conversation. Je sais qu'elle se situe sur un réseau d'ordinateurs qui nous sert à communiquer, mais où exactement? Ça ne prouve pas qu'elle soit surnaturelle.

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    56. @Simon
      Désolé du délai de ma réponse. Ces échanges avec vous sont toujours stimulants et j’ai toujours hâte d’y revenir mais je vis présentement une transition professionnelle qui capte la quasi-totalité de mes efforts intellectuels. Je prends donc mon samedi matin pour y revenir! :)

      Il est difficile de donner une définition compréhensive du bonheur puisqu’elles sont toutes plus ou moins tautologiques. Quelle est la définition du bonheur selon l’utilitarisme? Ce qui est plaisant à vivre, ce qui est agréable à vivre? Le bonheur est ce qui est désiré pour lui-même; tous les autres désirs portent sur les moyens qui procurent du bonheur. Je pense que la différence entre l’utilitarisme et l’éthique de la vertu est moins fondamentale qu’elle ne le paraît. Les utilitaristes estiment que les moyens du bonheur doivent être calculés au cas par cas alors que les éthiciens de la vertu estiment que les vertus sont les moyens universaux du bonheur. L’estimation de l’éthique de la vertu peut être erronée mais elle ne déroge pas au principe fondamental selon lequel le bien est ce qui rend heureux.

      Dieu n’est la cause d’aucun mal : il permet le mal. Tu te souviens de l’introduction du Silmarillion : Ainulindalë? Je l’avais postée sur Facebook il y a quelques années et tu l’avais commentée. Dans ce récit, Tolkien expose de façon grandiose cette conception d’un Dieu bon et tout-puissant qui laisse ses créatures agir librement et qui récupère finalement le mal causé par l’orgueil de certaines d’entre elles afin de créer un plus grand bien. Ce récit est bien sûr fictif dans, dans la mesure où nos prémisses sont métaphysiques, il est analogue à la réalité.

      Je crois effectivement que « choisir d’aimer » est une tautologie. Néanmoins, il s’agit d’une tautologie utile dans le contexte où l’on croit en l’existence d’un amour non-choisi. Je vois une différence sur l’expérience à concevoir l’amour comme étant une symbiose entre les sentiments et la volonté plutôt que seulement un sentiment. Cette différence est foncièrement pragmatique puisque je la vois dans mon expérience personnelle et dans le témoignage des gens qui me paraissent les plus heureux en amour. Les arguments abstraits ne peuvent pas exposer la mécanique exacte de l’amour romantique mais il n’est pas moins réel pour autant. Je fais seulement valoir que la conception de l’amour comme étant une fatalité non-choisie n’est pas la seule alternative et que plusieurs personnes qui vivent l’amour autrement témoignent d’un plus grand bonheur.

      Je n’ai pas parlé d’égalité ontologique moi non plus (bien que je crois en l’égalité ontologique mais c’est un autre débat); je parlais d’égalité empirique au même titre que l’égalité des droits. Dans la mesure où l’on tolère une certaine marge de liberté permettant à certaines personnes de dominer certaines autres personnes malgré leur égalité en droit, on fait la même chose que Dieu. Dès qu’une personne a de l’influence sur d’autres personnes qui n’ont pas d’influence sur d’autres personnes, nous avons une inégalité empirique. Seul le totalitarisme le plus absolu pourrait éviter cette inégalité de fait. Dans la mesure où Dieu respecte une certaine marge de liberté humaine, il tolère les inégalités qui en résultent.

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    57. @Philippe
      Oui, je comprends mieux l’absurdité que tu vois dans la toute-puissance. Je pense que c’est dû à une conception exclusivement mécaniste de la réalité, comme si l’historicité n’avait pas de valeur en soi. Un Dieu tout-puissant qui permet temporairement au mal d’exister est absurde si l’on conçoit la réalité strictement en termes de moyens et d’objectifs mécaniques. Cependant, si les moyens et les objectifs impliquent des consciences réellement libres (au sens qui te paraît plus absurde encore que l’existence de Dieu), l’historicité du mal est une nécessité existentielle afin de permettre à ces consciences de forger leur propre existence. Bref, il n’est pas très utile d’élaborer davantage à cet égard puisque, dans la mesure où une réelle liberté ontologique te paraît au moins aussi absurde que l’existence de Dieu, je ne prétends pas que je peux répondre à l’absurdité que tu vois dans une toute-puissance divine.

      Tu es sûrement d’accord avec le fait qu’il faut restreindre la liberté des uns afin de garantir la liberté des autres; en ce sens, tu as raison de dire que la liberté et l’égalité sont indissociables. Si on laissait les gens absolument libres d’agir comme ils le souhaitent, certaines personnes seraient asservies par d’autres personnes. Une liberté égale pour tous exige que l’on restreigne la liberté des plus forts afin de protéger la liberté des plus vulnérables.

      Mon point est que, plus nous voulons garantir une grande égalité, plus il faut limiter la liberté. Quand on pense aux abus les plus graves tels que l’esclavage, il nous est évident qu’il est juste de restreindre la liberté des esclavagistes afin de garantir la liberté des esclaves. Cependant, si l’on devait prévenir les abus les plus subtils tels que la manipulation affective, il faudrait restreindre la liberté de façon radicale. Plus les abus doivent être réprimés, plus la liberté doit être restreinte. Plus la liberté des uns doit être protégée, plus la liberté des autres doit être limitée. Pour qu’il n’y ait pas de distinction entre les uns et les autres (les vulnérables et les forts), il faudrait qu’il n’y ait aucune liberté puisque la moindre miette de liberté suscite cette distinction.

      Pour ce qui est de la conscience, on pourrait tourner en rond longtemps puisqu’il s’agit d’une notion extraordinairement vaste. Je réponds seulement à ton analogie avec la conversation. La conversation, en tant qu’échange d’information, est localisable dans la matière. Cependant, en tant que contact entre deux consciences, la conversation n’est pas plus localisable que la conscience elle-même. Je précise que cette notion n’est pas théiste ni même dualiste en elle-même; elle fut exposée par Edmund Husserl, fondateur de la phénoménologie, qui n’avait rien d’un théiste ou d’un dualiste. Si tu es suffisamment curieux pour creuser cette notion davantage, je te recommande de lire ses cinq leçons de phénoménologie. Sinon, je ne pense pas que je pourrais exposer cette notion à coups de commentaires de blog.

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  5. "S’il y a une possibilité réelle que le christianisme soit vrai, le pari vaut la chandelle."

    Mais c'est là justement où le bât blesse: il y a une possibilité réelle que le Christianisme soit vrai, comme le Judaïsme, l'Islam, et en fait toutes les religions.

    Mais c'est peut-être une question de formule: voulais-tu dire que c'est si, pour ce croyant potentiel, il y a une possibilité réelle plus grande que les possibilités des autres religions, ce pari en vaudrait le coup?

    Parce que ce sont quand même des sacrifices intenses que ce que le Christianisme peut imposer. Remarque, ça dépend de quelle version du Christianisme on parle, si on juge par exemple que les "add-ons" du Vatican sont canoniques ou si on s'en tient à une lecture littérale de la Bible (même si l'idée même d'une lecture littérale de quoi que ce soit est fortement réfutée pour les études littéraires contemporaines).

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    1. Oui, ta formulation est meilleure. Je ne suis pas certain que l’islam est faux mais je ne suis pas musulman puisque j’estime qu’il est plus probable que le christianisme soit vrai. Au fond, le parti de Pascal n’est pas du tout utile pour comparer les religions; il concerne seulement les agnostiques qui hésitent entre l’incrédulité et la croyance.

      Je crois que la doctrine catholique est canonique. À mes yeux, le catholicisme est rigoureusement rationnel. Saint Augustin, au 4e siècle après Jésus-Christ, faisait déjà une lecture allégorique de la Genèse; il s’opposait déjà au créationnisme des fondamentalistes d’aujourd’hui. En fait, plusieurs églises réformées dénoncent la doctrine catholique comme étant une philosophie rationaliste plutôt qu’une philosophie chrétienne. Le catholicisme n’est pas une doctrine rationaliste en ce sens qu’elle ne fonde pas sa recherche de la vérité uniquement sur la raison mais il est une doctrine rationnelle en ce sens qu’il n’accepte aucune vérité contraire à la raison. Je suis certain que cette dernière affirmation vous semble fausse; il me fera plaisir d’en discuter longuement au cas par cas mais je pose simplement la prétention générale.

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    2. Qu'en est-il des hérésies, de la primauté du pape, de la "magie" des reliques, de la virginité de Marie?

      Par ailleurs, ce n'est pas rationnel de créer des dogmes qui ne soient déjà prouvés par la raison. Accepter les réponses de la raison, SAUF en ce qui a trait à tout le reste des dogmes pour lesquels on assassina volontiers, ça me semble peu digne de respect comme institution.

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    3. Aucune de ces choses n’est irrationnelle. Elles sont incompréhensibles pour une rationalité incapable d’imaginer la métaphysique. Il y a cinq ou six ans, mon opinion du catholicisme était exactement la même que la tienne. Comme je disais, il me fera plaisir d’en discuter au cas par cas.

      Il est rationnel de créer des dogmes qui ne sont pas déjà prouvés par la raison. L’existence de Tokyo n’est pas prouvée par la raison : elle est prouvée par l’expérience de ceux qui l’ont visitée. On pourrait dire que l’existence de Tokyo est un dogme que l’on ne peut pas prouver par déduction logique et que ceux qui nient l’existence de Tokyo sont des hérétiques qui refusent une vérité révélée par l’expérience. Tous les dogmes catholiques sont de cet ordre : ils ne sont pas le fruit de déductions logiques, ils sont le fruit de vérités expérimentées par les mystiques et les saints. On ne peut pas reproduire une expérience mystique dans un laboratoire; on ne peut pas reproduire une visite de Tokyo dans un laboratoire. On peut seulement choisir si l’on croit ceux qui témoignent avoir vécu quelque chose que l’on n’a pas vécu. La racine étymologique du mot « hérésie » est le mot grec pour « choix ».

      Pour ce qui est des injustices que l’Église a commises au nom de la religion, je les admets d’emblée. En même temps, les États ont commis des injustices au nom de l’égalité et de la liberté. Est-ce que l’on aboli les États pour autant? Est-ce que l’on condamne l’égalité et la liberté pour autant?

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    4. On peut assez facilement reproduire une visite de Tokyo. Il suffit d'acheter un billet d'avion et d'y aller. C'est donc «scientifique» comme expérience. Par opposition, les expériences mystiques sont non seulement non-reproductibles et indémontrables, mais elles entre en plus en contradiction avec la modélisation du monde que l'on a obtenu grâce à la somme de toutes les expériences scientifiques. Plus une affirmation est extraordinaire, et plus elle requiert une preuve extraordinaire.

      On peut commettre les pires atrocités au nom des meilleurs idéaux; cela n’entache pas ces idéaux pour autant. Toutefois, si l'«idéal» en question est un livre qui nous commande explicitement d'asservir les femmes, de brûler les païens, d'acheter des esclaves, de mettre à mort les homosexuels ou ceux qui déshonorent leurs parents... alors, oui, on peut dire qu'il y a une connexion réel entre cet «idéal» et les atrocités commises, et qu'on doit le dénoncer.

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    5. Je disais que la visite de Tokyo n’est pas reproductible « dans un laboratoire ». Elle est effectivement reproductible si on suit la carte des explorateurs qui l’on visitée avant nous. C’est la même chose avec les expériences mystiques. Si on suit la carte tracée par les mystiques, on vit ces expériences mystiques nous aussi. Mais il faut être suffisamment motivé et faire suffisamment confiance en ceux qui ont tracé la carte. Presque tout le monde fait confiance en ceux qui ont tracé la carte de Tokyo ; beaucoup de gens ne font pas confiance en ceux qui ont tracé la carte du catholicisme. C’est pourquoi ce n’est pas une question de validité scientifique, c’est une question de confiance aux explorateurs. C’est aussi une question d’ouverture ou de scepticisme à l’idée que la mécanique physique n’englobe pas la totalité de la réalité, à l’idée que certains explorateurs aient pu visiter des lieux différents du monde matériel.

      L’Église catholique, tout comme le monde scientifique, n’accepte pas un témoignage comme véridique s’il est unique et isolé. Il faut que les témoignages soient nombreux et cohérents afin que l’Église en inclut l’objet dans ses dogmes. C’est pourquoi la vaste majorité des révélations alléguées par des croyants sont infirmées par l’Église. S’il n’y avait que deux ou trois personnes qui avaient visité Tokyo et que celles-ci en rapportaient des témoignages complètement différents, on douterait fort que Tokyo existe vraiment.

      Les idéaux du catholicisme ne sont pas une lecture littérale de l’Ancien Testament. Aucune des choses que tu mentionnes ne fait partie des enseignements catholiques. Au contraire, l’Église enseigne que nous devons aimer tous les êtres humains, même nos ennemis, peu importe leurs caractéristiques et peu importe leurs fautes. Si on compare l’éthique de l’Occident avant le christianisme et après le christianisme, on observe un progrès extraordinaire d’un point de vue historique.

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    6. Une chose: il y a un dogme catholique canonique, il n'y a pas un dogme scientifique canonique. Bien sûr, il y a l'acceptation de choses comme vraies, mais jamais de manière dogmatique. Sauf peut-être pour des cas particulièrement avérés, dont l'existence de Tokyo.

      Sérieusement, tu doutes vraiment de l'existence de Tokyo? L'un de mes philosophes favoris, Peirce, commence son article "Grounds of Validity of the Laws of Logic" avec un appel général à la raison, en disant que c'est pure hypocrisie de se mettre sincèrement à douter de tout, car autrement, on ne bougerait plus du tout littéralement. Que quelqu'un admette un doute sur l'existence de Dieu, c'est plus que légitime; un doute sur l'existence de Tokyo, c'est presque un reductio ad absurdum.

      Je crois que l'existence de Tokyo comme de Dieu concerne la croyance, au sens de William James (qu'il développe je crois dans La volonté de croire), c'est-à-dire qu'on ne démontrera pas tout avant d'accomplir un acte. Je crois d'emblée que je ne mourrai pas si je sors dehors, même si de tout ce que je fais par croyance, je n'ai pas la certitude. La question de Dieu est différente (sauf, j'imagine, pour un croyant). La phrase "On n'a aucune preuve que Dieu existe" est par contre légitime là où la phrase "On n'a aucune preuve que la gravité ne cessera pas de fonctionner demain matin" est de l'ordre de l'absurdité, simple question de "doute raisonnable" et de sincère scepticisme.

      Peut-être qu'on pourrait mieux te comprendre s'il y avait quelque chose d'avancé par un certain nombre de scientifiques crédibles qui te faisaient sincèrement douter. Parce qu'on peut ajouter exemples anecdotiques et mauvaise foi, on ne fera que tourner en rond ici. Le point est que si, oui, il y a des chances que les dogmes catholiques soient vrais, on ne peut (à mon sens évidemment) sincèrement admettre philosophiquement que le pari de Pascal tienne la route à l'époque où de la documentation sur toutes les religions existe et où la différence, disons, entre Catholicisme et les différentes formes du Christianisme ne tient que sur des prétextes qui nous apparaissent comme des casus belli passés plus que d'autre chose.

      Rappelons le point de départ: aucune remise en question de la croyance possible en le Dieu du pape. Remise en question de la pertinence de croire en lui parce qu'il est le plus probable parmi tout ce qui existe comme possibilités métaphysiques. Si c'est pour toi le plus probable aux yeux d'autres gens que les "réels" croyants, c'est là où l'exercice argumentatif devrait commencer. Parce que c'est là où, selon Feel, le bât blesse. Dans le contexte de Pascal, aucun problème; dans le nôtre, problème majeur.

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    7. Je ne doute pas de l’existence de Tokyo; cette analogie n’a pas une application illimitée. L’analogie visait seulement à expliquer que l’existence de Dieu se prouve de manière analogue à l’existence de Tokyo. J’ai des doutes quant à l’existence de Dieu; on peut accepter un dogme et en douter. Dans ses mémoires, Mère Theresa exprime avoir vécu des doutes importants quant à l’existence de Dieu et aucun catholique ne s’en est scandalisé.

      Un dogme n’est pas une vérité dont il est interdit de douter. Un dogme est une vérité dont il est inutile de débattre. On peut vouloir s’informer davantage quant aux fondements d’un dogme et tous les théologiens catholiques seront heureux de nous partager l’immense masse de témoignages personnels et de réflexions intellectuelles qui soutiennent ce dogme. Cependant, l’Église se permet de passer à une autre étape de son développement théologique lorsque tous les arguments d’un débat ont été mille fois ressassés. Lorsque tous les témoignages et toutes les réflexions pertinentes ont été abordés sous tous les angles par l’ensemble des penseurs de l’Église, il est déraisonnable de monopoliser l’attention des théologiens afin de tout recommencer une fois de plus.

      Il y a des dogmes scientifiques, même s’ils ne portent pas ce nom. Si un scientifique tente d’entraîner la communauté scientifique dans un débat sur l’inexistence de la gravité en invoquant des arguments déjà invoqués maintes fois par le passé alors que tous les scientifiques font l’expérience quotidienne de la gravité, il sera ignoré par la communauté scientifique. S’il demande que ses arguments soient inclus dans les programmes éducatifs afin que l’ensemble de la population puisse se questionner à ce sujet, on refuse. S’il publie des livres prétendant prouver que la gravité n’existe pas, la communauté scientifique le dénonce. L’inexistence de la gravité est une hérésie scientifique.

      C’est la même chose pour les dogmes catholiques. Si un catholique tente d’entraîner la communauté catholique dans un débat sur l’inexistence de Dieu en invoquant des arguments déjà invoqués maintes fois par le passé alors que tous les catholiques font l’expérience quotidienne de Dieu, il sera ignoré par la communauté catholique. S’il demande que ses arguments soient inclus dans les programmes pastoraux afin que l’ensemble de la chrétienté puisse se questionner à ce sujet, on refuse. S’il publie des livres prétendant prouver que Dieu n’existe pas, la communauté catholique le dénonce. L’inexistence de Dieu est une hérésie catholique.

      Vraiment, les dogmes catholiques ont la même structure et les mêmes fonctions que les dogmes scientifiques. En même temps, il est évident qu’ils ont une différence fondamentale. Les dogmes catholiques s’adressent seulement à ceux qui font l’expérience de la foi puisque celle-ci est nécessaire afin que les témoignages mystiques, qui sont les fondements des dogmes catholiques, soient crédibles. Je ne prétends donc pas que les incroyants devraient accepter les dogmes catholiques mais je prétends que tous les chrétiens devraient accepter les dogmes catholiques. C’est le type de débats théologiques que j’ai avec les protestants.

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    8. Malheureusement, je ne pourrai pas te partager les fondements du dogme de la primauté papale. Tout comme je crois les conclusions scientifiques sur des questions au sujet desquelles je ne comprends pas grand-chose, je crois les conclusions catholiques sur des questions au sujet desquelles je ne comprends pas grand-chose. Le fondement de ces deux confiances est le même : Toutes les questions que j’ai explorées plus profondément m’en confirment la validité. À chaque fois que j’ai comparé les arguments scientifiques et les arguments anti-scientifiques, ce sont les arguments scientifiques qui gagnent. À chaque fois que j’ai comparé les arguments catholiques et les arguments anti-catholiques, ce sont les arguments catholiques qui gagnent. C’est pourquoi, pour les questions empiriques au sujet desquelles je ne comprends pas grand-chose, je présume que les conclusions scientifiques sont vraies alors que, pour les questions métaphysiques au sujet desquelles je ne comprends pas grand-chose, je présume que les conclusions catholiques sont vraies.

      Je peux seulement te dire ceci : Tu sembles avoir l’impression que la primauté papale prétend être quelque chose de « magique ». Les dogmes que le pape confirme seraient vrais parce que le pape les confirme. Le peu de textes que j’ai lus à ce sujet ne vont pas dans ce sens. C’est plutôt une question structurelle : c’est comme ça que l’Église fonctionne. Le fait que la primauté du pape soit le fruit de querelles avec d’autres évêques fait partie des fondements du dogme que la primauté papale. Ça ressemble à un sophisme naturaliste (au sens de « c’est vrai parce que c’est comme ça ») mais c’est plus subtil. Malheureusement, je ne m’y connais pas assez pour approfondir cette question précise.

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    9. C'est dommage. Il y a plusieurs problèmes à ce que tu suggères, notamment de croire que des théories scientifiques prouvées équivalent à des dogmes, mais je crois que ça entre dans des considérations beaucoup trop longues à énumérer, notamment la question de la vérité et la question de la validité. De ce que je sais de la physique actuelle, justement, la gravité n'est pas un acquis. Je fais confiance en la structure des communautés scientifiques plus que je fais confiance en une seule structure unifiée, hiérarchisée et sans aucune transparence dans sa démarche sur la quête de vérité.

      Tu sembles voir les "arguments scientifiques" comme une somme unifiée. Je n'infère pas que les arguments scientifiques sont vrais parce que lorsque je les ai examinés, les scientifiques ont eu raison; je les infère vrais parce que le système dans lequel ils s'inscrivent a des mécanismes qui finira un jour ou l'autre par déceler d'éventuelles fraudes (qui arrivent, évidemment). Donc, lorsque j'ai besoin de prendre une décision liée à quelque chose où la science peut me répondre, je m'informe à savoir si la communauté scientifique semble s'entendre sur une chose ou non. C'est de la confiance parce que je sais qu'il y a un système qui fonctionne assez efficacement dont je comprends les rouages.

      Le problème des "arguments catholiques", c'est que leur démarche n'est pas transparente. Du moins, tu sembles fonder ta foi sans savoir sur quelle "Pierre" elle est construite. Tu fais ce que tu veux évidemment, mais sans argument pour nous convaincre d'une démarche épistémologique fiable, comment croire en cette institution?

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    10. Je pense que l’écart de nos regards repose entièrement sur nos présupposés au sujet de la matière. Les dogmes catholiques appartiennent à un registre beaucoup plus empirique que tu ne sembles le comprendre.

      L’explication scientifique actuelle de la gravité n’est pas un acquis, mais l’existence de la gravité est un acquis. On va peut-être comprendre que le fonctionnement de la gravité est très différent de celui que l’on théorise présentement, mais on ne va pas soudainement commencer à flotter dans les airs parce que la gravité n’existerait pas.

      Les dogmes catholiques sont du même ordre. Leur constat est immuable mais leurs ramifications varient et se complexifient sans cesse. Encore une fois, plusieurs dénominations protestantes accusent le catholicisme d’être « à la solde du monde » pour cette raison. C’est le sort de la rationalité théiste prise entre le rationalisme matérialiste et l’irrationalité théiste.

      La structure du catholicisme est effectivement unifiée et hiérarchisée. La structure de la science aussi est unifiée et hiérarchisée, bien que le degré ne soit pas exactement le même. Tu ne vois aucune transparence à la structure catholique parce que tu es dépassé par ses objets métaphysiques. Pour ma part, j’estime que la structure catholique est pleinement transparente. Le pape est l’arbitre des débats mais la participation aux débats n’est aucunement exclusive. De nos jours, les théologiens laïques participent aux débats de façon au moins aussi active que les théologiens cléricaux.

      Un excellent exemple de la non-étanchéité des structures catholiques est le principe du sensus fidelium. Selon ce principe, si l’ensemble de la chrétienté constate une réalité, le clergé doit l’intégrer à ses dogmes même si elle confronte ses structures. La vénération de Marie est le fruit du sensus fidelium. Le clergé catholique n’avait aucune sympathie à l’idée de vénérer une femme, d’autant plus que la subtilité d’un monothéisme tripersonnel serait d’autant plus complexe à concilier avec une « Mère de Dieu ». Néanmoins, face au consensus des fidèles, le clergé s’est plié.

      Mais bon, je suis pleinement conscient que, face à des présupposés matérialistes, toutes ces considérations sont complètement insensées. Il faudra terminer notre discussion au sujet du matérialisme avant de pouvoir s’engager dans de telles discussions.

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    11. Ce n'est pas parce que je suis matérialiste qu'elles sont insensées, c'est parce que je suis chercheur! Par transparence, j'entends que la structure rationnelle pour arriver à un résultat (qu'elle soit démarche scientifique "pure" ou raisonnement argumentatif logique) est affichée clairement; pourquoi citons-nous nos sources, avec pages et tout, en sciences humaines? Parce qu'on souhaite que le raisonnement qu'on propose soit reproductible par le lecteur, pour qu'il arrive lui-même aux conclusions qu'on lance plutôt que de se les faire imposer. C'est là l'idéal de transparence académique.

      Aucun rapport avec l'intégration d'une figure mythique par volonté du peuple.

      Je n'ai aucun présupposé matérialiste, j'ai un présupposé pragmatiste, ce qui n'est pas la même chose.

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    12. Tu es un pragmatiste matérialiste. Les catholiques ont autant de raisons de croire en la réalité immatérielle de Marie que tout le monde a des raisons de croire en la réalité matérielle de Tokyo. Ni l’une ni l’autre ne se démontre par déduction logique; l’une et l’autre se démontre par un grand nombre de témoignages cohérents. L’une comme l’autre peut être vécue personnellement par le chercheur s’il suit les traces des explorateurs qui l’ont précédé. La principale différence entre les deux est la matérialité et l’immatérialité.

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    13. Je ne suis pas matérialiste: je ne crois pas qu'il y ait de différence entre le matérial et l'immatériel. De ton point de vue, oui, j'ai l'air matérialisme, mais c'est que tu y vois une distinction alors que de mon côté, il appartiennent au même monde. Il ne peut pas y avoir autre chose que l'expérience; je ne parle pas de matériel/immatériel, pour moi, cette distinction n'a aucun sens car il n'existe qu'un seul monde, celui de notre expérience.

      Encore une fois, le noeud du problème est la croyance. C'est de mauvaise foi de dire que "[l]es catholiques ont autant de raisons de croire en la réalité immatérielle de Marie que tout le monde a des raisons de croire en la réalité matérielle de Tokyo", je doute que tu sois sincères ici. Là où je suis d'accord, c'est que la différence entre les deux n'est pas de nature, mais de degré: là-dessus, encore une fois, je suis pragmatiste.

      Je ne "crois" pas aux expériences des "explorateurs" catholiques car elles me semblent faibles (en degré), et à moins que toute l'éducation catholique à laquelle j'ai été exposé durant mon enfance ait été fort déficiente (ce que je concède qu'il soit très possible!), aucun de ces explorateurs n'a été capable de me rendre une expérience répétable chez moi.

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    14. Je te pose la question : est-ce que, selon toi, l’hypothèse d’une suspension exceptionnelle des lois naturelles est intrinsèquement possible ou impossible? Si une personne te témoigne avoir fait l’expérience d’une réalité surnaturelle, est-il théoriquement possible qu’elle te persuade de la véracité de son témoignage ou est-ce que tu concluras forcément que son témoignage est le fruit d’une illusion ou d’un mensonge?

      Les catholiques peuvent faire l’expérience de l’immatérialité des dogmes catholiques avec la même clarté que n’importe qui peut faire l’expérience de la matérialité de Tokyo. L’expérience est plus difficile à décrire verbalement mais elle n’est pas moins claire à la conscience. Si une personne vit dans une communauté où tout le monde affirme que Tokyo est réelle et qu’elle fait l’expérience de la réalité Tokyo par elle-même, sa croyance que Tokyo est réelle sera près de la certitude complète. Il n’est pas impossible que son expérience et celle des autres membres de sa communauté soit celle de la visite d’une autre ville qui, par une série d’erreurs répétées par tous, fut méprise pour Tokyo ou qu’il s’agissait d’une illusion, mais cela n’est pas plausible.

      En effet, quand je dis « autant de raisons de croire », je ne veux pas dire « exactement autant de raisons de croire ». J’ai déjà admis que l’analogie est limitée et que la croyance n’est pas égale. Cependant, le fait qu’un catholique doute de la réalité des dogmes catholiques alors qu’il ne doute pas de la réalité de Tokyo est largement dû au fait que, à l’extérieur de sa communauté, plusieurs personnes affirment être incapables de faire l’expérience des dogmes catholiques. Le scepticisme des incroyants s’infiltre dans les catholiques.

      Ainsi, quand je parle de « autant de raisons de croire », je fais abstraction du doute suscité par l’incapacité des incroyants à partager cette expérience. Les raisons de croire en la réalité des dogmes catholiques seraient égales à celles de croire en la réalité de Tokyo s’il y avait une communauté capable de faire l’expérience de Tokyo en visitant le Japon mais que de nombreuses autres personnes affirmaient que, même en essayant sincèrement et rigoureusement, elles sont incapables de faire l’expérience de Tokyo en visitant le Japon. C’est donc dans ce contexte hypothétique qu’il serait plus juste de dire que l’on aurait autant de raisons de croire que les dogmes catholiques sont réels que de raisons de croire que Tokyo est réelle.

      Par ailleurs, deux raisons mitigent le doute suscité par le fait que l’expérience des dogmes catholiques n’est pas universelle. D’un côté, on doute souvent de la sincérité et de la rigueur avec laquelle les incroyants tentent de faire l’expérience des dogmes catholiques. Si un incroyant est sincère mais pas rigoureux, ou rigoureux mais pas sincère, il est normal qu’il soit incapable de faire l’expérience des dogmes catholiques. D’un autre côté, de nombreux non-catholiques à travers le monde font l’expérience de réalités analogues aux dogmes catholiques. Ils ne reconnaissent pas leur expérience dans les dogmes catholiques mais, selon la doctrine catholique, il peut s’agir de la même expérience. Ainsi, face à ces non-catholiques qui font des expériences surnaturelles, il ne s’agit plus d’une question de témoignage comme c’est le cas face aux sceptiques, il s’agit plutôt d’une question de discussion intellectuelle visant à discerner si leur expérience correspond aux dogmes catholiques.

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    15. Dans ton cas précis, je suspecte que la tentative – dont je ne doute pas de la sincérité – n’était pas rigoureuse puisque l’éducation catholique à laquelle la plupart des Québécois furent exposés est sévèrement défaillante. Ma copine est Française et elle est horrifiée de constater à quel point les Québécois sont ignorants de la doctrine catholique. Il est parfaitement légitime d’être sceptique et de ne pas croire mais, avant de dénoncer et de condamner la doctrine catholique avec légitimité, il serait nécessaire d’avoir lu les plus grands penseurs catholiques.

      De nombreux incroyants peuvent tenter de faire l’expérience des dogmes catholiques avec rigueur mais sans sincérité puisque l’idée d’une personne qui leur est infiniment supérieure rebute leur orgueil au plus haut point. La doctrine catholique affirme que l’orgueil est un plus grand obstacle à la foi que l’ignorance; c’est pourquoi la foi est plus présente chez les gens humbles mais peu instruits que chez les érudits orgueilleux. Je ne t’attribue pas cet orgueil puisque je n’ai aucune raison de croire que tu es plus orgueilleux que moi mais je t’invite à prendre compte de l’impact épistémique de l’orgueil sur les questions spirituelles.

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    16. Dans la mesure où la réalité métaphysique n’est pas exclue à titre de notion intrinsèquement impossible, et dans la mesure où une immense masse de croyants témoignent avoir fait l’expérience d’un Dieu éternel, beaucoup de choses deviennent compréhensibles.

      L’une des plus extraordinaires est que les chrétiens préfèrent la mort à l’apostasie. La mort est un grand mal, mais c’est un mal fini. L’apostasie peut influencer d’autres personnes à rejeter la foi, et ainsi causer un mal infini. C’est pourquoi une apostasie implique la présence de témoins; son influence sur les témoins lui est essentielle. L’infini étant incomparable au fini, la moindre possibilité de causer un mal infini est plus grave que la certitude de souffrir le plus grand mal fini.

      C’est ce qui explique pourquoi les martyrs chrétiens préféraient se faire dévorer par les lions dans les cirques romains plutôt que de renoncer publiquement à leur foi. Nietzsche disait que la force d’une croyance ne démontre pas sa vérité, seulement sa force. C’est vrai mais, en même temps, une croyance aussi extraordinairement forte ne peut pas être suscitée par de simples arguments intellectuels. Elle est suscitée par des expériences extraordinaires. C’est ainsi qu’une obscure secte judaïque est devenue la plus grande religion du monde.

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    17. Je crois qu'on est dans une impasse: j'essaie de te montrer qu'il y a un doute raisonnable dans le Christianisme qui devrait te tendre vers l'agnosticisme, mais tu affirmes qu'il est intrinsèque à ta foi chrétienne; tu essaies de me montrer que le Christianisme est possible et que, pour cette raison, je devrais admettre sa possibilité et croire en Dieu par humilité. Bref, nos prémisses d'argumentation sont trop compatibles, et donc, on ne débat pas de la même chose car on a les mêmes conclusions.

      Cela dit, quelques précisions (quand même, on y prend goût).

      L'idée d'une "suspension exceptionnelle des lois naturelles" n'a pas de sens pour moi, car, il n'existe pas de "lois" naturelles, uniquement des habitudes de la nature.

      Ce n'est pas par orgueil que je n'imagine pas un être immensément supérieur; je ne crois aucunement en une notion intrinsèque de supériorité et d'infériorité. L'insecte ou la bactérie ne sont pour moi pas inférieurs à l'humain, ni les Vikings ou les Huns inférieurs aux Romains et aux Grecs.

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    18. Je n’ai pas réussi à me faire comprendre. Je ne dis pas que le christianisme est plausible et que tu devrais donc croire par humilité. Je dis que, parce que le christianisme est plausible, tu devrais être motivé à tenter d’en faire l’expérience de façon sincère et rigoureuse. « Venez, et vous verrez. »

      Selon ce que tu affirmes, tes prémisses n’ont effectivement rien de matérialiste. Conséquemment, à la question « Si une personne te témoigne avoir fait l’expérience d’une réalité surnaturelle, est-il théoriquement possible qu’elle te persuade de la véracité de son témoignage? », tu réponds « oui ». Tu es disposé à croire que les habitudes de la nature peuvent connaître des exceptions. C’est bien le cas?

      J’ai insisté pour dire que je ne présume pas que l’orgueil est la cause de ton incroyance; je suis étonné que tu sentes le besoin de te justifier à cet égard. Je suis certain que ton orgueil ne se glorifie pas en te comparant aux bactéries ou aux Vikings, mais tu ne me feras pas croire que tu es absolument indifférent à l’idée que tu es plus intelligent que la plupart des gens. Tu ne me feras pas croire que tu ne ressens pas un petit velours intérieur lorsque tu reçois des compliments au sujet de tes accomplissements intellectuels. Peux-tu admettre que, aussi subjectif et circonstanciel que ce soit, tu trouves un plaisir à être glorifié? Moi, je te l’admets d’emblée.

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    19. J'ai tenté le plus sincèrement du monde d'être chrétien; pour témoin, je voulais devenir prêtre aux alentours de 8-10 ans. Je me disais que si Dieu existait, ça n'avait pas de sens de ne pas s'intéresser à comprendre tout ce qu'il implique dans ses détails. Très progressivement (en fait, très récemment), je suis passé officiellement jusqu'à l'athéisme en passant évidemment par le christianisme non-pratiquant et par l'agnosticisme. C'est sans doute mon pragmatisme qui m'a mené à ça: j'ai vu que Dieu était complètement absent dans toute ma vie et force a été de constater que son inexistence ou son existence n'était pas plus une question pertinente que de savoir si j'avais une licorne imperceptible dans mon garde-robe (je vole l'exemple à mon frère qui l'a peut-être pris ailleurs).

      Pour la "réalité surnaturelle", encore une fois, il faut préciser car cette phrase n'a pour moi aucun sens. Limite, c'est un oxymore. Si quelqu'un a expérimenté quelque chose, c'est une réalité et c'est "naturel". Les habitudes de la nature ne sont en effet pas figées, je ne suis pas a priori contre l'expérience des "miracles". Cela dit, si ce n'est pas répétable comme expérience, ça n'aura sans doute aucun impact sur mon expérience de vie; pragmatiquement, reconnaître la différence entre un miracle ou une hallucination n'aura pas d'impact immédiat sur ma vie. Si j'étais physicien et que je voulais tester scientifiquement un certain nombre d'expériences aberrantes (au sens statistique du terme), ça aurait sans doute une différence pragmatique.

      Pour l'orgueil, oui, bien sûr. Mais en quoi est-ce que ça a un lien avec l'expérience de Dieu? J'ai beau être plus intelligent que plusieurs personnes, ça ne fait pas de moi quelqu'un de plus heureux, quelqu'un qui ne fait l'expérience d'être rongé par le doute, ni quelqu'un de plus fort ou qui sache mieux exprimer ses sentiments, par exemple. Je ne me sens pas "supérieur" à qui que ce soit, même si j'ai des qualités qu'ils n'ont pas, car les qualités ne sont pas quantifiables (elles sont qualifiables!).

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    20. Ok, c’est donc une question de définition. Je dis « surnaturel » à titre de synonyme de « extérieur aux habitudes de la nature ». Tu n’es donc vraiment pas matérialiste au sens où je l’entends puisque tu n’as rien a priori contre la possibilité des miracles; j’ai commis une erreur en t’attribuant ce présupposé. Cependant, je pense que tu sous-estimes les implications potentielles d’un miracle. Si Dieu existe et qu’il s’est adressé à l’humanité spécialement à travers quelques miracles particuliers, ceux-ci deviennent éminemment significatifs. C’est la doctrine catholique : Dieu se révèle normalement par la nature et par la conscience et il se révèle spécialement par les miracles.

      J’ignorais cet aspect de ton passé. Ça confirme mon impression à l’effet que ce n’est pas par orgueil que tu es incroyant. Encore une fois, j’insiste pour dire que je n’ai jamais présumé une telle chose. Je dis seulement que l’existence de Dieu limite grandement notre gloire et que les gens chez qui le désir de gloire est puissant ont une puissante objection inconsciente contre l’existence de Dieu. Je n’essaie aucunement de t’attribuer un tel orgueil; ma mention de l’orgueil était un aparté visant à expliquer pourquoi je ne suis pas troublé par le fait que la foi est rare parmi les savants orgueilleux.

      Je ne doute donc aucunement que ta tentative de vivre l’expérience de la foi fut sincère. En fait, elle semble avoir été plus sincère que la mienne. Seulement, je pense qu’elle était déficiente en termes rationnels puisque l’éducation catholique à laquelle tu as été exposé était déficiente. L’échange que nous avons présentement dévoile à quel point les doctrines rationnelles du catholicisme te sont étrangères. L’orgueil est un plus grand obstacle à la foi que l’ignorance mais l’ignorance est un obstacle réel. Je crois que si tu combinais la rigueur rationnelle dont tu es capable de te doter aujourd’hui avec la sincérité de ta démarche passée, tu vivrais sûrement l’expérience de la foi.

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    21. Je me remémore que tout notre échange a lieu dans les commentaires d’un billet au sujet du pari de Pascal. C’est précisément à ce point-ci de la démarche que le pari de Pascal devient pertinent. Le martyr des chrétiens est le fondement de la plausibilité du christianisme. Le fait que des milliers de chrétiens aient préféré la mort à l’apostasie laisse croire qu’ils ont vécu une expérience extraordinaire à l’effet que la foi est liée à un bien infini. Les autres religions n’ont pas de tels témoins. Les païens peuvent être sincèrement dévots mais ils ne préfèrent pas la mort à l’apostasie. L’apostasie n’a pas de sens pour les païens puisque leurs religions ne sont pas mutuellement exclusives; il n’y a rien d’incohérent dans le fait qu’un hindouiste soit un peu shintoïste en même temps.

      La seule religion comparable au christianisme en termes de témoignages est l’islam, mais la comparaison est très limitée. Les musulmans sont prêts à mourir pour leur foi, mais la naissance de leur foi est indissociable de sa puissance politique. Mahomet fut un général ayant conquis un empire au même titre que César et Napoléon, à la différence qu’il a doublé ses conquêtes militaires par des doctrines théologiques inspirées du christianisme. Par un contraste frappant, la naissance de la foi chrétienne s’est réalisée à l’encontre de la puissance politique. Là où le fondateur de l’islam est un prince conquérant ayant répandu sa religion parmi ses peuples conquis, le fondateur du christianisme est un pauvre charpentier ayant fondé une obscure secte judaïque avant de se faire crucifier après seulement trois ans de prêche, et pourtant sa religion s’est répandue dans l’ensemble d’un vaste empire multiculturel au sein duquel elle était persécutée. Ici, il y a quelque chose de véritablement extraordinaire dans le fait que des témoins aient préféré la mort à l’apostasie.

      Il n’y a « malheureusement » (j’insiste sur les guillemets) plus de martyrs chrétiens dans les sociétés occidentales pour faire des témoignages aussi extraordinaires mais les témoignages passés ne sont pas moins réels ni moins significatifs. Les martyrs ont témoigné avec leur vie que la moindre possibilité d’un mal infini est plus grave que la certitude du plus grand mal fini. Si tu estimes qu’il est plausible que la foi chrétienne procure un bien infini, il est déraisonnable que tu n’y croies pas, peu importe l’ampleur de ton incertitude. Une telle croyance ne serait pas la foi, elle serait plutôt la détermination la plus complète et la plus tenace (même après des décennies) à tenter de façon sincère et rigoureuse de faire l’expérience de la foi.

      Je te partage un passage d’un texte inspiré des témoignages chrétiens. L’éternité n’est pas une infinité de moments, c’est un moment infini. La vie éternelle n’est pas une succession interminable de moments répétés, c’est un moment sublime sans début et sans fin. À l’occasion, durant la vie terrestre, il est possible de vivre de tels moments. La beauté de la nature, de la musique ou de l’amour est généralement la cause de ces moments. Cette beauté est un reflet de Dieu ; ces moments sont des reflets du Paradis. L’expérience de la foi est la prise de conscience que ces moments sont intimement liés à Dieu. Les miracles furent des expériences extraordinaires de la foi.

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    22. Je comprends mieux ton point et le problème que ça sous-tend. J'ai tendance malheureusement à le résumer à "Il n'y a pas de hasard". C'est simpliste, j'en conviens, mais ça reste l'un des dogmes les plus forts à ce que j'appelerais les religions païennes postchrétiennes (je viens d'inventer l'expression, mais ça me semble refléter plusieurs spiritualités de mon entourage!). La mort "volontaire" de quelques individus ne me convaincra pas à me convertir, tout comme le suicide de gens qui ne croient plus à la vie ne devrait me convaincre que le monde va suffisamment mal pour m'en retirer. Le passé militaire de Mahomet n'est pas étranger pour moi à la conversion de Clovis qui aurait permis sa victoire et qui a ainsi permis de répandre le Christianisme dans les empires et royaumes qui s'en réclameront. C'est d'autant plus perfide que la situation modeste de Jésus semble être centrale dans le respect que tu lui portes: quelle stratégie que celle des dirigeants qui ont adopté cette doctrine, s'appropriant le soutien de bien des gens qui honniraient une glorification de la guerre.

      C'est aussi une logique à double détermination: tu te convertis à la vision de la grandeur de la propagation du message du Christ, alors que cette conversion contribue elle-même à sa propagation. T'y serais-tu convertis si tu l'avais rencontrée alors qu'elle était petite? J'imagine que ton humilité te pousse à dire non et c'est tout à ton honneur devant ce que je connais de Dieu, mais reste que ça ne peut pas devenir un argument en faveur de son existence.

      Je ne crois pas qu'il soit plausible que la foi chrétienne procure un bien infini, je crois qu'il en est possible. Par contre, si ça peut te rassurer, le précédent endoctrinement auquel j'ai été soumis (ou l'éducation chrétienne si tu préfères) reste présent et j'imagine que mes actions ne sont pas antichrétiennes, sauf peut-être ma sympathie envers la rébellion de Lucifer. Mais, puisque toute action ne sert à rien sans la foi (dixit l'une des lettres de Paul), j'imagine que ce n'est pas suffisant pour me sauver. Tant pis, l'éternité sera longue.

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    23. T'est-il possible de croire plausible que quelqu'un à un moment donné a récupéré l'imaginaire des martyrs à des fins politiques et que ce quelqu'un aurait en partie forgé le dogme catholique?

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    24. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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    25. La situation de Clovis n’a rien à voir avec celle de Mahomet. Je parlais de la naissance de la foi, de la façon par laquelle elle est entrée dans le monde. Clovis n’a pas fondé le christianisme; il s’est converti au christianisme alors que le chrétiens étaient devenus tellement nombreux que l’empire romain a reconnu le christianisme à titre de religion officielle. On pourrait discuter longuement de tout cela mais ce n’est pas mon argument. Mon argument concerne spécifiquement la naissance de la foi; la raison qui explique pourquoi des milliers de personnes ont témoigné d’une expérience extraordinaire fondée sur un même bien infini.

      Quand tu compares le martyr à une mort volontaire ou à un suicide, tu n’apprécies pas la portée de son témoignage. La racine étymologique du mot « martyr » est le mot grec pour « témoin »; le témoignage est le propre du martyr. Le martyr n’est pas une mort volontaire et encore moins un suicide. Le martyr ne souhaite pas mourir : il veut vivre. Seulement, il préfère mourir que de nier son témoignage. Il préfère souffrir le plus grand mal fini plutôt que de causer la moindre possibilité de causer un mal infini, ce que serait une apostasie. Le fait que les martyrs chrétiens soient uniques et nombreux dans l’histoire est le fondement de la plausibilité du bien infini procuré par le christianisme.

      Je peux croire que l’imaginaire des premiers martyrs ait été récupéré par des dirigeants ultérieurs de l’Église, mais mon argument sur la plausibilité du christianisme est indépendant de ce qui est ultérieur aux premiers martyrs. À l’époque où les chrétiens étaient persécutés, les opportunistes qui souhaitaient se donner de l’influence ne se convertissaient certainement pas au christianisme. Aucune hypothèse sociologique ne suffit pour réduire la plausibilité du témoignage des martyrs au point de le rendre quasi-certainement faux. Cette plausibilité est très loin de la certitude; la « croyance » au sens du pari de Pascal est une croyance prudentielle plus qu’une croyance intellectuelle. La vraie croyance n’arrive qu’avec l’expérience de la foi.

      C’est drôle que tu laisses entendre que je ne me serais pas converti dans les premiers temps du christianisme puisque c’est généralement l’argument inverse que l’on fait. La croyance des chrétiens d’aujourd’hui a l’avantage du nombre des martyrs qui les ont précédés, celle des premiers chrétiens avait l’avantage de la proximité d’avec la réalité témoignée qu’est le Christ. Il y a beaucoup de martyrs auxquels je peux penser mais il n’y en a aucun que je peux voir. Je ne sais pas du tout s’il aurait été plus ou moins probable que je me convertisse si j’avais vécu à l’époque des premiers chrétiens.

      Pour ce qui est de Lucifer et des œuvres sans la foi, je te relance ailleurs.

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    26. Je viens de terminer Miracles de Lewis. Je dois t'avouer que j'en suis particulièrement déçu: je m'attendais à avoir un défi intellectuel alors que j'ai l'impression d'avoir été face à une tentative de conversion assez grossière. J'ai rarement vu quelqu'un faire avec autant de sincérité violence aux faits et à la démonstration, en commençant par son appropriation de la pensée naturaliste qu'il "dénature" en la réduisant à l'absurde d'une part, puis en se la réappropriant comme étant ce qu'il définit comme son propre concept de "nature" par opposition à celui de "surnaturel". Ironiquement, je le sens vraiment de mauvaise foi; où, et c'est là où tout ceci est rendu plus triste, je sens que sa raison est altérée par quelque chose peut-être comme un lavage de cerveau. J'en ressens une profonde empathie et j'aimerais pouvoir montrer ce qui ne fonctionne pas dans sa pensée et où le bât blesse, et je vais essayer de le faire dans la mesure du possible, mais il y a de profondes évidences de base qui doivent être soulignées et qui, s'ils ne réfutent pas l'existence de ce qu'il dit, devraient au moins montrer que de croire sur ces bases est d'une gymnastique intellectuelle fort impressionnante.

      Si ce livre est la base de ta pensée catholique, je suis fin prêt à tenter d'ébranler les colonnes du temple. Les détails de leurs frises importent peu.

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    27. Je suis heureux que tu aies lu ce livre. Il n’y a pas que Lewis qui affirme que la raison est une faculté métaphysique, il s’agit d’une thèse généralisée chez les philosophes théistes depuis Augustin d’Hippone. Cette position correspond aux idées de Platon et aux formes d’Aristote. Elle correspond aussi à la thèse défendue par l’éminent philosophe athée Thomas Nagel dans son livre Mind and Cosmos. En fait, la sévérité de ton jugement me donne plutôt l’impression que tu n’as pas compris l’argument. Cette sévérité implique que tous ces grands penseurs, incluant des non-chrétiens, se seraient fait laver le cerveau par on ne sait quoi. Lewis lui-même fut un athée convaincu avant de se convertir au théisme à l’âge de 30 ans.

      Mais bon, je ne veux pas disqualifier tes objections avoir d’en avoir pris connaissance. Au moins, je pense que nous avons maintenant des bases plus claires pour débattre de la plausibilité d’un théisme religieux fondé sur un miracle, ce qu’est le christianisme. J’attends ta tentative d’ébranler les colonnes du temple avec grand intérêt. Crois-moi, le souci de vérité ne m’est pas moins crucial aujourd’hui qu’avant ma conversion.

      Par ailleurs, tes propos me laissent deviner que tu voulais dire : Ironiquement, je le sens vraiment « pas » de mauvaise foi. Ce serait plus cohérent avec l’empathie que tu exprimes ensuite…

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    28. Hmmm... j'avoue ne plus trop savoir ce que je voulais dire. Je ne suis pas contre ses idées, mais qu'il soit dit qu'elles sont des dogmes, aucunement des arguments rationnels (de là le lavage de cerveau, aucun rapport avec la pensée "dualiste" (qu'il affirme pourtant ne pas en être une)). Je ne sais pas tout à fait par où commencer tant ça me semble évident. Mais confirme-moi: ce qui est dans ce livre correspond-il plus ou moins à ta pensée où as-tu d'emblée des réserves sur ce qui y est exposé?

      Ma première objection concerne son interlocuteur naturaliste, chez qui il affirme que la nature est entièrement déterminée et que tout y est inclut. Il affirme que la nature puisse avoir son lot d'incertitude à un niveau de l'infiniment petit (il réfère notamment à Schrödinger pour ça, mais tout ce qui est théorie de la relativité si je ne m'abuse) et que, vraisemblablement, le naturaliste y verrait une éventuelle cohérence déterministe. Il affirme ensuite que l'esprit est certainement connecté à la matière différemment et que la Raison doit exister en elle-même (p. 42); et que c'est pour cette raison que la naturaliste doit reconnaître son tort! L'idée n'est en soi pas ridicule, mais croire qu'il a démontré quoique ce soit à son interlocuteur, c'est être extrêmement malhabile en logique: le déterministe naturaliste a très certainement considéré que son esprit faisait partie du reste du monde. Le tour de force ici est prodigieusement fallacieux.

      Par ailleurs, en affirmant que l'infiniment petit pouvait éventuellement réfuter le déterminisme naturaliste au départ, il affirme lui-même éventuellement (notamment dans le dernier annexe) que la nature elle-même est déterminée, mais déterminée dans les buts de Dieu. Il affirmait pourtant plus tôt que notre libre-arbitre ainsi que la perfectibilité constante de l'univers était à la base de sa création; ça contredit l'idée comme quoi Dieu serait intemporel et connaîtrait l'ensemble de l'univers.

      Tout son raisonnement sur l'existence de la Raison est un dérivé de la pensée naturaliste. Il affirme que, pour le naturaliste, tout est né d'une cause et qu'il serait illogique que le Raison qui existe en elle-même ne naisse d'aucune cause (p. 42). Au fond, il n'y a aucun libre-arbitre ou il n'y a pas de déterministe, pas l'un des deux au gré de l'argument adverse.

      Il a aussi une grosse lacune pour tout ce qui concerne l'histoire; on aurait dit qu'il cherchait à penser à son travail historiographique, or, il affirme un peu n'importe quoi comme quoi l'existence attestée d'une chose passée est liée à sa plausibilité d'abord, alors qu'il n'en est en fait rien (comment, sinon, faire l'histoire des religions?). Certains présupposés machistes sont aussi problématiques.

      J'aurais aimé, je crois, qu'il mentionne des théories sérieuses pour les contrer. Son adversaire construit est boiteux.

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    29. Je commence par répondre à ta réponse à Philippe (afin de ne pas multiplier nos fils de discussions dans les commentaires d’un même billet). Je suis d’accord que, en elle-même, la question du dualisme est purement spéculative. Là où elle devient pertinente est lorsque vient le moment d’évaluer la plausibilité de témoignages d’événements miraculeux, c’est-à-dire des suspensions des habitudes de la nature qui correspondent à une fin téléologique. C’est précisément afin d’établir les présupposés de telles évaluations que la philosophie métaphysique est importante.

      Ensuite, je dois dire que je partage ton malaise face aux derniers chapitres où Lewis s’engage dans des exemples de miracles particuliers. Je pense qu’il est cohérent avec sa prémisse : il ne vise pas à faire valoir que ces miracles sont historiquement plausibles, il vise à faire valoir qu’ils sont intrinsèquement cohérents avec la métaphysique qu’il démontre. Mais maintenant que tu en parles, je me souviens avoir moi aussi trouvé qu’il attribuait de la cohérence un peu trop facilement entre la métaphysique et des hypothèses miraculeuses particulières. Je ne pense pas qu’il aurait dû aborder ces hypothèses; les derniers chapitres sont de trop. Je serai plus prudent avant de recommander ce livre par le futur.

      Néanmoins, tes objections me confirment que tu n’as pas compris son argument. Il ne critique aucunement le déterminisme ; un naturalisme non-déterministe correspond tout-à-fait à l’incohérence épistémologique qu’il critique. De même, il n’a rien contre un dualisme déterministe; c’est l’objet de sa dernière annexe que tu évoques. Son argument est à l’effet qu’une cause matérielle et une cause rationnelle sont mutuellement exclusives d’un point de vue logique, et donc que le système causal de la matière et le système causal de la raison sont deux systèmes causaux indépendants. Je pense qu’il te serait bénéfique de relire le livre – en t’arrêtant au point où il aborde les hypothèses miraculeuses particulières – en ayant cette distinction présente à l’esprit. C’est peut-être une tâche lourde mais, comme tu le faisais valoir dans l’un de tes commentaires précédents, il s’agit des colonnes du temple. Les détails de leurs frises importent peu.

      J’ai rédigé une synthèse de cet argument qui, je pense (malgré la prétention que ça implique), est plus dense et plus précise que celle de Lewis. Je te l’enverrai lorsqu’elle sera terminée. Si tu es disposé à t’éclairer davantage sur la question d’ici là, je t’invite à lire une critique qui correspond largement à la tienne et la réfutation qu’elle a reçue sur le site infidels.com :
      http://www.infidels.org/library/modern/nicholas_tattersall/miracles.html
      http://www.infidels.org/kiosk/article89.html

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    30. Je l'ai lu hier, c'est je crois assez frais en ma mémoire pour que je puisse la comprendre de façon plus détaillée.

      Je n'ai effectivement pas compris tout à fait son raisonnement; en fait, plus que ça, je n'y ai pas vu tout à fait un raisonnement. Je ne dis pas qu'il critique le déterminisme: je dis qu'il critique les naturalistes parce qu'ils ne sont pas capable de voir un monde dans lequel tout ne serait pas prédéterminé. Il affirme que Dieu peut faire des miracles (tous nos esprits en étant par définition), suspendant ainsi le déterminisme naturel. Par contre, il affirme plus loin qu'au contraire, tout est déterminé, même nos esprits (qui étaient, plus tôt, des miracles).

      Cela dit, son argument comme quoi "une cause matérielle et une cause rationnelle sont mutuellement exclusives d’un point de vue logique" n'est pas prouvé, il est une prémisse qu'on devrait pour lui admettre. Il n'affirme jamais que "le système causal de la matière et le système causal de la raison sont deux systèmes causaux indépendants".

      Je te trouve très créatif dans ton interprétation de ce livre! Il affirme peut-être ce que tu dis ailleurs. Je ne peux pas attester d'autre chose que de mon honnêteté intellectuelle et de mes compétences de lecteur, mais ce que j'ai lu dans le texte que j'avais entre les mains contient les contradictions que j'ai évoqué et je ne vois pas dans ta réponse que tu contredis mon observation.

      Je crois que nous n'avons pas les mêmes objectifs. Je ne cherche pas à comprendre une théorie cohérente en fait. Je cherche à voir où le bât blesse dans sa conception; sans dire qu'il y aurait contradiction (je ne crois pas intuitivement qu'il y en ait dans une conception chrétienne), je dis qu'il n'y a rien qui me prouve raisonnablement que ce en quoi les chrétiens croient soit plus vrai que quoique ce soit d'autre. Les arguments de Lewis à cet effet ne sont pas logiques, ils reposent sur des prémisses qui doivent être acceptées aveuglément (ex: "la Raison est surnaturelle, donc, le surnaturel existe").

      Le plus gros problème que j'ai est en fait uniquement dans sa page 42! (Bon, je passe sur ses commentaires misogynes...)

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    31. J’ai assez d’estime pour ton intelligence pour ne pas supposer que tu es incapable de voir quelque chose qui m’est évident. En effet, il est possible que mon interprétation de ce livre nécessite d’autres notions que j’ai lues ailleurs.

      Cependant, à mon souvenir, "le système causal de la matière et le système causal de la raison sont deux systèmes causaux indépendants" est précisément la thèse qu’il défend même s’il ne la formule pas ainsi. Si tu ne cherches pas à comprendre une théorie cohérente, tu ne peux pas comprendre l’argument. La raison consiste non seulement à être cohérent, mais à être cohérent avec le plus d’éléments possibles. Un paranoïaque peut être parfaitement cohérent – et donc rationnel en ce sens – en se disant que rien ne prouve sa paranoïa puisque, si les raisons de sa paranoïa sont réelles, toutes les preuves de sa paranoïa sont cachées! À une autre échelle, le matérialisme peut avoir une cohérence interne mais ne pas inclure un élément épistémologique essentiel qu’inclut le théisme, à savoir le pouvoir d’abstraction de la raison.

      Mais bon, je pense que la synthèse sur laquelle je travaille sera plus efficace afin de poursuivre notre discussion. Je te relance donc lorsqu’elle est terminée. En attendant, je te recommande quand même de lire les articles sur infidels.com

      Qu’y a-t-il dans la page 42, outre des commentaires misogynes? Je n’ai pas le livre chez moi.

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    32. Je suspecte que tu estimes (avec raison) que la crédibilité intellectuelle d’un penseur moderne est réduite s’il tient des propos misogynes. À moins que je ne me trompe, les propos misogynes de Lewis auxquels tu réfères sont à l’effet que, dans un monde parfait, le gouvernement serait une monarchie patriarcale. Pourtant, même si ça paraît incohérent à première vue, Lewis croit que la valeur des femmes est exactement égale à celle des hommes; il fait des plaidoyers pour inciter les hommes à avoir plus d’estime envers les femmes. Je ne peux pas te partager toute les implications ici mais je tente d’en faire une ébauche dans l’espoir de procurer une certaine rédemption intellectuelle à Lewis dans ton esprit.

      Tout d’abord, selon la logique même d’une monarchie patriarcale, Lewis ne s’estimerait pas plus supérieur aux femmes qu’il ne s’estimerait inférieur au roi. D’emblée, ça relativise le sens qu’il accorde à la notion de supériorité.

      L’inégalité est une mauvaise chose puisqu’elle est l’opportunité de tous les abus. Les plus forts abusent des plus vulnérables. Je précise que c’est uniquement en ce sens que je parle d’inégalité : en termes de force et de vulnérabilité. Dans la mesure où nous parlons de personnes humaines, les notions de supériorité et d’infériorité intrinsèques n’ont aucun fondement dans la doctrine chrétienne (et la notion que les être métaphysiques sont supérieurs aux êtres physiques dépend du dualisme à l’origine de notre échange). Les plus forts abusent donc de leur force en agissant de façon abusive envers les plus vulnérables. Les parents abusent de leurs enfants, les riches abusent des pauvres, les hommes abusent des femmes, etc. Dans une telle condition, la justice nécessite d’égaliser la force de tous les individus et de prendre d’autres moyens afin de prévenir les abus.

      Cependant, l’inégalité est aussi une bonne chose puisqu’elle est l’opportunité de toute générosité et de toute gratitude. Dans un monde totalement égalitaire, la générosité et la gratitude ne pourraient pas exister. Un bonheur parfait doit inclure la générosité et la gratitude puisqu’elles sont des sources de grandes joies. Un bonheur parfait doit donc inclure l’inégalité. C’est dans ce sens que, si le monde était parfait, si personne n’abusait de sa force, le gouvernement serait une monarchie patriarcale. Il faut bien comprendre qu’il s’agit d’une notion totalement abstraite de la réalité telle que nous la connaissons. Lewis ne fait aucunement la promotion de la monarchie patriarcale, il fait la promotion de la démocratie égalitaire.

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    33. Ainsi, dans un monde parfait spéculé, le roi serait supérieur à ses sujets non pas parce qu’il serait plus vertueux ou parce qu’il aurait une plus grande valeur intrinsèque, ce n’est pas le cas. Il serait supérieur simplement parce qu’il possède une plus grande force sociale. De même, les hommes seraient supérieurs aux femmes non pas parce qu’ils seraient plus vertueux ou parce qu’ils auraient une plus grande valeur intrinsèque, ce n’est pas le cas. Ils seraient supérieurs simplement parce qu’ils possèdent une plus grande force musculaire. Peu importe que ce soit vrai dans tous les cas, l’objectif n’est pas d’hiérarchiser les gens en fonction de leur valeur; l’objectif est de permettre le bonheur de la générosité et de la gratitude. L’archétype quotidien de ce bonheur est celui d’un homme qui ouvre une porte trop lourde pour une femme. Le bonheur ne pourrait pas être parfait si une telle galanterie était impossible. Peu importe que l’inégalité soit arbitraire, l’objectif est qu’elle soit heureuse.

      Pour qu’elle ait du sens, il faut aussi que cette notion soit doublée d’une totale absence d’orgueil; ça correspond à mon échange plus haut avec Philippe à l’effet que tout le mal causé par des humains est fondé sur l’orgueil. Il faut qu’il soit absolument clair que le roi n’est pas plus important que ses sujets malgré sa supériorité sociale. De même, il faut qu’il soit absolument clair que les hommes ne sont pas plus importants que les femmes malgré leur supériorité musculaire. Au sein d’un tel monde parfait, le seul motif pour s’opposer à l’inégalité serait l’orgueil. Dans la mesure où aucun abus ne pourrait résulter de l’inégalité, le seul motif pour s’y opposer est l’orgueil. Le désir de ne pas être inférieur est, tout autant que le désir d’être supérieur, fondé sur l’orgueil. C’est pourquoi les personnes les plus orgueilleuses ont une puissante objection inconsciente à l’existence de Dieu : elles ne veulent pas être infiniment inférieures à une autre personne.

      Afin d’exposer un aspect de la profondeur du respect de Lewis pour les femmes, je te retranscris un petit passage où il dénonce la luxure (lust) de son livre The Four Loves :

      « We use a most unfortunate idiom when we say, of a lustful man prowling the streets, that he “wants a woman.” Strictly speaking, a woman is just what he does not want.
      "He wants a pleasure for which a woman happens to be the necessary piece of apparatus. How much he cares about the woman as such may be gauged by his attitude to her five minutes after fruition (one does not keep the carton after one has smoked the cigarettes).
      "Now Eros makes a man really want, not a woman, but one particular woman. In some mysterious but quite indisputable fashion the lover desires the Beloved herself, not the pleasure she can give. »
      J’insiste à l’effet que la notion d’une monarchie patriarcale parfaite est totalement abstraite de la réalité telle que nous la connaissons. Il s’agit d’une notion radicalement contre-intuitive dans notre monde; j’estime que Lewis fait une grande erreur en la mentionnant sans explication dans un livre apologétique tel que Miracles (raison de plus pour que je sois prudent avant de recommander ce livre par le futur). Tu peux être en désaccord avec cette notion spéculative mais je pense qu’elle ne devrait pas susciter le discrédit intellectuel que susciteraient des réels propos misogynes.

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    34. Lewis ne parle pas de ça dans Miracles! Intéressant exposé que tu fais avec lequel je suis profondément en désaccord mais qui n'est pas la source de la misogynie que je vois chez lui ici.

      Sa misogynie n'y est pas appuyée, mais elle m'a sauté aux yeux d'une manière violente. Il est davantage pris dans l'air du temps qu'il ne le prétend (puisqu'il affirmait ailleurs - p. 96-97 - qu'il pouvait s'extraire lui-même de la nature pour l'observer en croyant au surnaturel).

      En page 47, il affirme que la conception dualiste est plus virile [manlier] et plus raisonnable que le matérialisme, parce qu'elle s'assume plus pour lui j'imagine. C'est très peu clair ce qui est "homme" là-dedans.

      En page 98, il affirme que "[s]i la Nature amène des miracles, c'est sans aucun doute aussi 'naturel' pour elle de le faire lorsqu'elle est imprégnée par la force masculine au-delà d'elle [Dieu] comme ce l'est pour une femme d'amener [to bear] un enfant jusqu'à être un homme" (ma traduction). Mais je suppose que tous les chrétiens associent Dieu à un homme en mettant d'innombrables et insupportables Him ou He avec des "H" majuscules dans tous leurs textes.

      Ça ne me le rend effectivement pas très sympathique. Mais la seule crédibilité intellectuelle que j'associe à un individu est liée à mon intérêt à le lire, pas à mon estime du contenu. Il faut que le texte parle et démontre par lui-même pour que je lui associe une valeur.

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    35. Je ne sais pas si je suis en accord avec cette notion spéculative moi non plus. Je te l’ai exposée telle que Lewis lui-même la propose dans d’autres écrits. Je doute que les joies de la générosité et de la gratitude soient assez essentielles au bonheur pour justifier une inégalité souhaitable. Mon but était seulement de te faire valoir que cette notion n’est pas misogyne; elle ne concerne pas les femmes en particulier mais tous les écarts entre des personnes plus fortes et des personnes plus vulnérables.

      Je crois que Lewis n’est pas misogyne du tout. Les relents de misogynie que tu lui voies et que tu associes à l’air de son temps ne sont, je pense, rien d’autre qu’une absence du souci s’asexualisation terminologique qui t’importe beaucoup. Les deux exemples que tu donnes sont, à mon avis, strictement terminologiques.

      Le mot « viril » était souvent employé dans un contexte asexuel. Les principales définitions de la virilité réfèrent aux hommes en tant qu’hommes, mais une autre réfère à des caractéristiques qui ne sont que culturellement rattachées à l’image de l’homme : « Qui a les caractéristiques culturellement attribuées à l'homme adulte (rigueur, force, énergie morale, intellectuelle et physique). »
      http://www.cnrtl.fr/definition/virile
      Je ne pense pas qu’il y ait un autre mot avec exactement la même connotation, même en excluant la connotation sexiste…

      De même pour le mot « man » qui réfère à « humain ». Il faut se rappeler que, en anglais, le mot « humanité » se traduit par « mankind » plutôt que par « humanity » (qui réfère plutôt à la compassion ou à l’éthique).

      Je pense que, malgré la meilleure rigueur intellectuelle, notre interprétation d’un auteur est toujours un peu influencée par la sympathie qu’il nous inspire…

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    36. Tu manques le point principal, qui est que Dieu serait masculin et la nature, féminine. Bien que je crois que le choix des mots soit fondamental: il aurait pu employé "rigueur" au lieu de "viril"... imaginons cette phrase employée dans n'importe quel autre contexte et elle serait inacceptable pour la très grande majorité des gens.

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    37. (Et je n'avais aucun présupposé sur lui a priori!)

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    38. « Virilité » implique des caractéristiques additionnelles à la rigueur. Vraiment, je ne vois pas d’autre mot qui puisse signifier la même chose à l’exclusion de la connotation sexiste…

      Je pense que si l’on peut dire que Lewis était un homme de son temps, c’est à l’effet qu’il n’était pas soucieux d’éviter les termes à connotation sexiste. Sans être misogyne, il pouvait ne pas être conscient de tout le mal du sexisme. C’est différent.

      Dieu est masculin et la nature est féminine dans un sens philosophique assez précis : Dieu insémine la nature avec les esprits humains. Dans l’hypothèse où le théisme est vrai et où chaque esprit humain est donc – dans la mesure où il est rationnel – une réalité indépendante de son corps, Dieu est l’inséminateur immatériel du monde matériel. De façon analogique, chaque esprit humain est un spermatozoïde divin qui féconde un ovule naturel : le corps animal de l’être humain. Selon cette même analogie, la philosophie théiste affirme que les animaux sont des ovules non-fécondables et que les anges sont des spermatozoïdes non-fécondateurs.

      Je n’induisais pas que tu avais présupposé quelque chose à propos de Lewis. Je faisais valoir que l’interprétation que l’on se fait d’un livre – qui se constitue progressivement pendant la lecture – n’est pas complètement dissociable de la sympathie de l’auteur nous inspire. Mais bon, je ne veux pas insister là-dessus…

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    39. C'est dommage, car je ne vois pas quel est le lien entre la virilité et le concept qu'il semble vouloir désigner, autre qu'un lien culturellement connoté. Je lui pardonne ce qui me semble un écart de langage - même si 1947 est assez tardif il me semble pour ce genre de problème dans un texte sérieux -, mais ça n'enlève pas que l'écart de langage est assez immense.

      Tu devrais dire "métaphorique" plus que "philosophique". Tu vois, je le disais, prodigieux jeux d'esprit! J'imagine que l'emploi des "Him" et "He" sont dans le même esprit?

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    40. Je ne me souviens plus dans quel contexte il utilise ce terme, mais il me semble indûment sévère d’affirmer que c’est un immense écart de langage. En passant, je ne pense pas qu’il est souhaitable de bannir le terme « viril » de notre vocabulaire de façon définitive. Il est souvent utilisé dans un contexte sexiste mais il n’est pas sexiste en lui-même. Comme nous en discutions dans un statut Facebook récent, s’ils ne sont pas imposés par la pression sociale et que des alternatives sont également accessibles, les rôles sexuels sont des constructions sociales auxquelles plusieurs personnes trouvent un bonheur à se conformer. Toute référence à un rôle social n’est donc pas mauvaise en elle-même. J’admets que la prévalence du sexisme est toujours assez importante pour justifier une plus grande prudence que celle de Lewis dans l’usage de ce terme mais il me semblerait regrettable d’abandonner définitivement un terme qui n’a pas d’équivalent non-connoté. Pour moi, l’objectif serait de réhabiliter le terme en lui retirant sa connotation sexiste. Un peu comme « galant » réfère à un rôle social masculin sans dévaluer les femmes pour autant.

      Là où la métaphore est une comparaison entre deux réalités dont les aspects sont plutôt similaires dans leur ensemble, l’analogie est une comparaison entre deux réalités dont certains aspects sont très similaires alors que les autres aspects sont incomparables. La comparaison entre Dieu et les êtres incarnés de sexe masculin est donc clairement analogique plutôt que métaphorique. L’expression analogique étant une forme d’expression philosophique, il ne me semble pas essentiel d’en faire la distinction terminologique systématique. Mais d’accord, si tu veux : Dieu est masculin dans un sens analogique assez précis. Je ne comprends pas pourquoi tu affirmes que c’est un prodigieux jeu d’esprit.

      Je ne suis pas certain de comprendre ta question relative au « Him/He ». Tu demandes si ça correspond à la masculinité analogique de Dieu? Oui, c’est ainsi que tous les théologiens le présentent. Ou est-ce la lettre majuscule qui te dérange? Il s’agit simplement d’une forme de révérence que, comme tu le vois, je n’utilise pas dans mes propos apologétiques.

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    41. Le prodigieux jeu d'esprit n'est pas lié au masculin/féminin. C'est celui de vouloir réfuter le matérialisme en invoquant l'esprit, comme si les matérialistes n'y avaient pas pensé.

      Le terme "viril" fait référence au "membre viril", à la fédondité, etc.. Son emploi n'a aucun lien avec le terme original. C'est comme l'emploi du terme "fif" pour qualifier quelque chose de désagréable ou de peu "viril", justement... es-tu d'accord avec moi pour dire que c'est un affront aux homosexuels?

      Pour la métaphore, oui, c'est à peu près synonyme d'analogie. Faut juste pas trop la prendre littéralement, justement.

      Et à la fois les majuscules et le masculin me dérangent. Surtout le masculin en fait. En fait, immensément plus le masculin.

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  6. Je pense que notre point de divergence premier est en amont de la question monothéisme/athéisme et part de la croyance au monde des idées et à l'échelle de la vie. Dieu n'est, finalement, qu'une conclusion qui semble logique à l'intérieur de cette vision de monde obsolète.

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    1. Au-delà d'être obsolète ou non, il est faux de croire qu'elle est plus plausible que le matérialisme. Plus que ça même, sa plausibilité ou non n'est pas pertinente: d'un point de vue pragmatiste, il n'y a aucune différence entre ma vie avec ou sans l'existence du monde des idées. Dans cette perspective, c'est une question esthétique à savoir quel monde semble le plus agréable à accepter. La question n'est pas du tout fondamentale, sauf lorsqu'on base le reste de sa logique sur cette prémisse.

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    2. Il y a au moins un éminent philosophe athée qui estime qu’il est intellectuellement erroné d’affirmer que la vision dualiste est « obsolète ».
      http://en.wikipedia.org/wiki/Mind_and_Cosmos
      Vraiment, Philippe, tu devrais cesser de discréditer les théories opposées à tes propres conclusions intellectuelles de façon aussi cavalière. Ça indique que tu ne fais pas beaucoup d’efforts pour les comprendre avant de les rejeter.

      Par ailleurs, tes billets qui invalideraient le dualisme ne répondent aucunement aux arguments du dualisme. Tu ne fais que dénoncer certains abus éthiques qui invoquèrent le la métaphysique, ce qui est un sophisme. Les nazis ont invoqué la science pour justifier leur racisme, ça ne discrédite pas la science pour autant. D’autres racistes ont invoqué la métaphysique pour justifier leur racisme, ça ne discrédite pas la métaphysique pour autant. Le seul point où tu abordes la validité rationnelle du dualisme est par de vagues allusions selon lesquelles la science tendrait à démontrer que le matérialisme est vrai. Ce n’est tout simplement pas le cas. La science démontre que la nature a des habitudes et elle construit des théories pour décrire ces habitudes. La science ne se prononce aucunement à savoir si ces habitudes peuvent être exceptionnellement suspendues ni à savoir si de telles suspensions peuvent être causées par des systèmes parallèles à la nature.

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    3. «Il y a au moins un éminent philosophe athée qui estime qu’il est intellectuellement erroné d’affirmer que la vision dualiste est « obsolète ».»

      C'est pour ça que je dis que la divergence monisme/dualisme est en amont de la divergence athéisme/monothéisme. Puisqu'il existe des athées dualistes (dont le point de vue m'apparaît tout aussi erroné et farfelu que celui des théistes). Je les dis obsolètes puisqu'ils entrent en contradiction avec toute forme de science.

      «tes billets qui invalideraient le dualisme ne répondent aucunement aux arguments du dualisme»

      Bien oui. J'ai expliqué ce qu'était le dualisme, pourquoi ça n'avait aucun sens, et les conséquences de cette croyance fausse sur la science et l'éthique.

      «Les nazis ont invoqué la science pour justifier leur racisme, ça ne discrédite pas la science pour autant»

      Point Godwin. Et la "science" des nazis était une fausse science puisqu'elle ne reposait sur rien de scientifique. Tandis que les exemples que j'ai donné reposaient belle et bien sur des prémisses dualistes.

      «Le seul point où tu abordes la validité rationnelle du dualisme est par de vagues allusions selon lesquelles la science tendrait à démontrer que le matérialisme est vrai.»

      La science est matérialiste/moniste et pas dualiste. Point. La principalement distinction entre la pensée scientifique et la pensée mythologique est que la seconde divise l'univers en plein de dualités (ciel/terre, bien/mal, ordre/chaos, matière/esprit, vivant/inerte, naturel/surnaturel, etc.) tandis que, depuis le début de son histoire, la "philosophie" de la science semble découler de l'intuition que tout n'est au fond qu'une seule chose. Jamais la science ne dira d'un nouveau phénomène qu'il est «hors de la nature» ou qu'il «transgresse les lois de l'univers». Un phénomène inexpliqué dont on reconnaît la réalité sera toujours attribué au fait que notre modèle de la nature est incomplet, et non à l'existence d'un monde hors de la nature.

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    4. Un éminent philosophe athée défend une thèse, et tu t’estimes qualifié pour la juger farfelue sans l’avoir lue? Vraiment, tu as une opinion extraordinairement élevée de ton propre intellect. C’est une chose d’être en désaccord, c’en est une autre de juger farfelu. Pourquoi ne lirais-tu pas son livre afin de te faire une opinion éclairée de sa thèse?

      On a un point Godwin quand on offre un point Godwin en exemple de sophisme? Ah bon. Je soutiens que la métaphysique à l’appui du racisme est tout aussi fausse que la science à l’appui du racisme.

      Tu n’expliques aucunement en quoi le dualisme n’a aucun sens. Tu affirmes simplement que la science est matérialiste, ce qui est vrai dans le sens où l’objet de la science est la matière. Cependant, la science n’affirme pas que la matière est la seule réalité qui soit. Il n’y a pas de preuve scientifique à l’effet que la science matérialiste est le seul moyen pour connaître la réalité. Tu affirmes que le matérialisme est vrai puisque la science matérialiste ne concerne que la matière. Difficile de trouver une logique plus circulaire…

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    5. Mais pour vrai, quelles sciences sont dualistes? J'ai même jamais vu ça, honnêtement.

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    6. C’est fou comme tu débordes d’orgueil en parlant de Thomas Nagel. Tu n’es pas obligé de lire tout les livres qu’on te recommande mais tu devrais avoir une certaine réserve en qualifiant les livres que tu n’as pas lus. Vraiment, cet homme qui enseigne la philosophie à l’université et qui a publié des ouvrages philosophiques encensés par la critique, il peut défendre une thèse que tu qualifies de farfelue sans même l’avoir lue? J’abandonne…

      Une preuve scientifique ne peut pas prouver que la science est le seul moyen pour connaître la réalité. Seule une preuve philosophique peut prouver une telle chose. L’objet de la science matérialiste est la connaissance de la matière, l’objet de la philosophie est la connaissance de la réalité. La valeur relative d’un type de preuve afin de connaître la réalité est une question philosophique, pas une question scientifique. Si tu affirmes que les preuves scientifiques sont le seul moyen de connaître la réalité sans appuyer cette affirmation par une preuve philosophique, ton scientisme est irréfléchi.

      Comment peux-tu avoir une preuve scientifique d’une occurrence exceptionnelle? Prétends-tu que la rationalité exige l’incrédulité face à toute occurrence exceptionnelle que ce soit? Et si tu la vis toi-même? Et si elle est vécue par une autre personne en qui tu as totalement confiance?

      Je ne crois pas Dieu à cause de la Bible ni la Bible à cause de Dieu. Je les crois parce que j’ai de bonnes raisons pour croire que les expériences humaines à l’appui de ces croyances sont vraies. Je ne présume pas avoir exposé toutes ces raisons mais il me semble évident que tu ne les connais pas. De même pour la métaphysique en général.

      La théologie et la métaphysique sont des sciences dualistes. Mais puisque ta définition de la science inclut un présupposé matérialiste, tu les exclues de la science par définition.

      J’ai oublié de te le dire, mais tu as raison sur un point : l’opposition moniste/dualiste précède l’opposition athéiste/théiste.

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    7. Tu emploies deux définitions de la science ici et ça nous confond. À moins que la philosophie ne soit pas une science mais que la théologie et la métaphysique en soient?

      Cela dit, Sylvain, on te croit que tu crois en Dieu puisque tu as des raisons valables de croire que les témoignages de ses miracles sont vrais. Par contre, tu ne peux pas espérer qu'on te suive là-dessus sans que tu l'expliques. Le principe "je ne connais les choses que par ce par quoi je connais les choses" est suffisant comme principe tautologique pour fonctionner. L'inférence causale ou la notion d'habitude de la nature a aussi l'expérience pour la corroborer.

      Mais, oui, il se pourrait que dans de rares cas (Lewis ne parle que des miracles entourant les trois années de la vie de Jésus), un comportement habituel ne se répète pas. La possibilité et la plausibilité d'une chose n'ont aucune pertinence ici: l'intérêt historique du christianisme n'est pas son éthique ou ses miracles, mais son influence politique/sociale/morale/psychologique sur le monde. C'est à peu près strictement pour ça qu'on l'étudie à l'université de nos jours (sauf en théologie) et l'existence ou l'inexistence d'une suspension des "lois de la physique" n'intéresse pas beaucoup de gens car récolter des preuves historiques d'épiphénomènes n'est pas vraiment possible. Et, de toute façon, même si c'était vrai, ça ne nous indiquerait pas comment mieux vivre en accord avec le "surnaturel". Pragmatiquement (dans tous les sens du terme), c'est inutile. Maintenant, oui, si tu es croyant, ça t'es sans doute très pertinent, mais tu dois reconnaître que tu n'as aucune preuve rationnelle de son existence ni de sa probabilité (ou, si tu en as, je t'en prie, énonce-les!).

      Depuis la science expérimentale, le pragmatisme, la philosophie des sciences, la philosophie analytique, les sciences humaines et la postmodernité, la métaphysique nous semble battre de l'aile. On s'intéresse en science aux questions épistémologiques uniquement car c'est par la manière dont on connaît le savoir que tout savoir émerge. Mais la métaphysique est considérée une science ou même une discipline? Tu m'en vois étonné, je n'ai jamais rien vu de pareil dans aucune université.

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    8. Je devinais que mon commentaire causerait une confusion par rapport à toi. Je pense que ta définition de la science est plus large que celle de Philippe. Si tu relis les propos de Philippe qui précèdent mon commentaire, tu y verras qu’il insiste à l’effet que la science est strictement matérialiste. C’est pourquoi je distingue « science matérialiste », qui est le sens commun auquel réfère Philippe, et « science » au sens large qui est le tien. En ce sens large, la philosophie et la théologie sont des sciences (toutes deux enseignées à l’université). Mais c’est vrai que cette distinction n’était pas clairement formulée.

      Comme je le disais à Philippe, je ne m’attends certainement pas à ce que vous partagiez ma croyance simplement parce que je l’exprime. Là où j’ai un souhait de persuasion, c’est en réponse aux accusations de Philippe selon lesquelles ma croyance est complètement irrationnelle, ou « absurdement fausse » selon ses termes. Bien sûr, je ne m’attribue aucune autorité intellectuelle qui devrait vous convertir par la force. De même que, d’un point de vue éthique, je souhaite que vous agissiez selon votre conscience même si c’est contraire à mes propres croyances éthiques que, d’un point de vue intellectuel, je souhaite que vous croyiez vos propres conclusions intellectuelles même si elles sont contraires aux miennes.

      Je suis désolé de t’exaspérer en te disant que j’ai des raisons de croire sans partager ces raisons. Le problème est qu’elles sont vastes ; je ne suis pas capable d’en faire une synthèse assez courte pour l’intégrer dans les commentaires d’un blog. Lewis disait que la croyance en Dieu est analogique à la croyance au Soleil : on y croit pas tant parce qu’on le voit que parce qu’il éclaire tout le reste. Dieu et le Soleil sont aveuglants à contempler directement. Dans le contexte de cet échange, je visais seulement défendre la rationalité de la foi chrétienne. Ensuite, pour ce qui est de sa validité, je travaille sur un essai apologétique qu’il me fera plaisir de te partager lorsque je l’aurai terminé.

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    9. C'est bon. Je ne nie pas la rationalité chrétienne en elle-même, mais elle repose sur des prémisses (dont l'existence de Dieu) qui sont discutables pour la plupart des contemporains dont le travail principal est l'exercice de leur raison.

      Fais attention quand même à ton emploi des termes, ça rend le tout confus aux lecteurs externes :)

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    10. Je suis conscient d’appartenir à une minorité intellectuelle, et donc que le bénéfice du doute est contre ma croyance.

      Tu as raison au sujet de la précision des termes. Je dois te remercier puisque mes discussions avec toi m’aident beaucoup à cet égard! :)

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    11. Merci!

      Ce n'est pas parce que tu appartiens à une minorité intellectuelle que tu n'as pas le bénéfice du doute, c'est parce que tu affirmes l'existence d'une chose. Je doute sincèrement de Dieu alors que ni Lewis ni toi ne doutez sincèrement de l'habitude de la nature. Aller plus loin, ça demande un effort intellectuel si ça veut être pris pour un travail intellectuel. Mais comme croyance, libre à toi, c'est un exercice sans doute intéressant pour toi de faire de l'apologétique mais j'ai bien peur que tu ne frappes un mur :)

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    12. «Tu n’es pas obligé de lire tout les livres qu’on te recommande mais tu devrais avoir une certaine réserve en qualifiant les livres que tu n’as pas lus.»

      Écoute, il dit que la sélection naturelle est insuffisante pour expliquer l'évolution (donc, concepteur intelligent?) et que les réactions biochimiques dans le cerveau sont insuffisantes pour expliquer l'esprit (donc, âme?), et que l'univers est téléologique (donc, n'existe que pour que l'humain y apparaisse?), tout en niant croire en Dieu ou à l'Intelligent Design. Et, pour dire tout ça, est-il physicien? Neurologue? Biologiste? Non, il est spécialiste en histoire de la philosophie.

      Mais je comprends que tu trouves mon jugement hâtif. À cause de mon travail, je me suis habitué de savoir rapidement à quel livre j'ai affaire.

      «Prétends-tu que la rationalité exige l’incrédulité face à toute occurrence exceptionnelle que ce soit? Et si tu la vis toi-même? Et si elle est vécue par une autre personne en qui tu as totalement confiance?»

      Lorsque survient un phénomène inexpliqué qu'on ne peut plus reproduire, la rationalité exige soit qu'on essaye de l'expliquer avec parcimonie, soit qu'on accepte ce phénomène tel qu'il est : inexpliqué! Une explication impliquant les anges, les extraterrestres ou les lutins n'est pas parcimonieuse et est donc contraire à la science et à la raison.

      «Je suis désolé de t’exaspérer en te disant que j’ai des raisons de croire sans partager ces raisons. Le problème est qu’elles sont vastes ; je ne suis pas capable d’en faire une synthèse assez courte pour l’intégrer dans les commentaires d’un blog.»

      Je pense que la somme de tout ce que tu as écris et que tu écriras ici à propos du fait de ne pas dire tes raisons ou pour remplacer tes raisons, va finir par être plus long que de simplement dire tes raisons.


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    13. "Lorsque survient un phénomène inexpliqué qu'on ne peut plus reproduire, la rationalité exige soit qu'on essaye de l'expliquer avec parcimonie, soit qu'on accepte ce phénomène tel qu'il est : inexpliqué!"

      Ça synthétise tellement ma pensée sur tout ce qu'on vient de dire.

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    14. Ok, je comprends mieux ton rejet du livre de Thomas Nagel avant même de l’avoir lu. Dans le contexte où tu le situes, je suis d’accord que l’on n’a pas forcément besoin de lire un livre pour s’en faire une opinion.

      Je suis d’accord aussi avec le principe de l’explication parcimonieuse. Dans un esprit moniste, une explication dualiste de quelque phénomène que ce soit est l’antithèse de la parcimonie. Quand tu affirmes que les explications théologiques sont contraires à la raison, c’est parce que tu es certain que le monisme est vrai.

      Bref, tout dépend de l’opposition monisme/dualisme.

      Honnêtement, je suis un peu soulagé par ces derniers commentaires que tu écris. Je me remémore que, en me replaçant dans l’esprit moniste (qui a déjà été ma croyance), les explications théologiques d’événements matériels sont effectivement déraisonnables au plus haut point. Tu n’es donc pas aussi arrogant que j’en avais l’impression. C’est plutôt le ton que tu utilises qui est, je dois dire, assez agressif.

      Seulement, même s’il est légitime que tu sois certain que le monisme est vrai, je ne pense pas que tu devrais mépriser les croyances dualistes. Dans ton billet opposant Démocrite à Platon, tu t’identifies clairement comme un disciple du monisme de Démocrite mais tu ne méprises pas le dualisme de Platon. Dis-toi que je suis un disciple du dualisme platonicien et que, avec une telle prémisse dualiste, les explications théologiques ne me sont pas du tout aussi déraisonnables qu’elles le sont pour toi.

      En fait, je suis plutôt un disciple du dualisme aristotélicien. Bien que la tradition philosophique d’Aristote soit nettement plus empirique que celle de Platon, elle est également dualiste. Je ne suis pas d’accord avec Platon à l’effet que le corps est la prison de l’âme. Je crois comme Aristote que l’être humain est indissociablement constitué d’un corps et d’une âme mais que ceux-ci appartiennent à des systèmes causaux indépendants. Mais bon, ces distinctions ne devraient pas t’importer puisqu’il s’agit d’oppositions entre dualistes alors que tu es moniste.

      À cet égard, je pense que le livre de Thomas Nagel est beaucoup plus pertinent que les livres pseudo-scientifiques auxquels tu l’associes. Il ne prétend pas être scientifique, il prétend être philosophe. À partir de réflexions philosophiques concernent les conclusions scientifiques actuelles, il conclut que le monisme à la base du matérialisme moderne est erroné. Il conclut que l’esprit humain possède des caractéristiques telles que son existence nécessite une explication dualiste. Il n’est pas un athée en train de se convertir au théisme, il est un moniste en train de se convertir au dualisme.

      Je travaille sur une synthèse apologétique qui, si elle sera plus courte qu’un livre, sera beaucoup plus longue que les quelques paragraphes que j’ai écris pour préciser que les raisons que j’expose ici ne sont pas vraiment démonstratives puisqu’elles sont principalement défensives.

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    15. Je pense que, sur le spectre épistémologique (j’avais fait une petite image toute mignonne, mais ça semble trop compliqué de l’intégrer dans les commentaires), on pourrait identifier quatre catégories générales : Monisme certain, monisme relatif, dualisme relatif et dualisme certain.

      Démocrite est un moniste certain. Platon est un dualiste certain. Aristote est un dualiste relatif puisque, bien qu’il reconnaisse l’existence de deux systèmes causaux indépendants, son épistémologie est fondée sur l’expérience empirique.

      Philippe est un moniste certain comme Démocrite. Je suis un dualiste relatif comme Aristote. Sur ce spectre, je pense que Simon est un moniste relatif puisqu’il ne disqualifie pas les hypothèses métaphysiques mais qu’il estime n’avoir aucune bonne raison pour en croire une seule.

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    16. Difficile à dire, je trouve l'opposition moniste/dualiste un peu trop simpliste :)

      Dans les faits, je ne crois pas qu'il y ait deux "systèmes de réalité" ou "systèmes causaux" (ou peu importe comment on les appelle; il faudrait trouver un nom, car ça semble important pour les dualistes). Mais ça ne veut pas dire que je crois en une réalité unifiée qui n'ait qu'une manière de fonctionner. L'idée, c'est que je ne vois pas pourquoi on diviserait la réalité en systèmes causaux. Parce qu'au fond, même du point de vue du dualiste, il pourrait y en avoir plus que deux j'imagine?

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    17. Tout-à-fait, les dualistes admettent qu’il pourrait y avoir plus de deux systèmes causaux. De même que, pour un moniste comme toi, il peut y avoir plus d’un système causal. Seulement, on ne tient pas compte des systèmes causaux que l’on ne connait pas. La thèse dualiste est qu’il y a deux systèmes causaux connus. Le dualisme affirme que la réalité est divisée en deux types des causes et effets connaissables.

      Pourquoi diviser la réalité en système causaux? Simplement parce que c’est ce que l’expérience et la logique révèlent. Ce n’est pas une division absolutiste; d’un point de vue absolu, la réalité est unifiée par définition. Mais d’un point de vue analytique, on connaît deux types de causes et d’effets. C’est la thèse dualiste, ni plus ni moins. Je vous relance avant longtemps avec quelque chose de plus substantif sur cette question précise.

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  7. Réponses
    1. Haha, c’est très à-propos, en effet. J’adore ce site web!

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  8. «Je suis d’accord aussi avec le principe de l’explication parcimonieuse. Dans un esprit moniste, une explication dualiste de quelque phénomène que ce soit est l’antithèse de la parcimonie.»

    Exactement. L'idée même de dualisme est contraire au principe de parcimonie (une des bases de la pensée scientifique) puisqu'il implique l'existence d'un «deuxième monde» avec ses lois propres, qui n'est en rien nécessaire à l'explication d'un phénomène. Tsé, il n'y a pas si longtemps, les étoiles appartenaient aussi à ce deuxième monde, et quelques siècles avant les éclairs aussi.

    «Seulement, même s’il est légitime que tu sois certain que le monisme est vrai»

    Ce n'est pas une question de vrai ou de faux. Je pense que le mot clé ici c'est "parcimonie". Comme je le disais ici, il est plus sage d'expliquer le monde en spéculant le moins possible. Peut-être qu'il y a de la vie sur d'autres planètes, mais tant qu'on n'en a pas trouvé, il n'est pas sage d'affirmer un oui catégorique. Peut-être aussi que les fées existent mais qu'elles se cachent. La science n'est pas "la vérité" c'est simplement la conception de la vérité la mieux vérifiée.

    «C’est plutôt le ton que tu utilises qui est, je dois dire, assez agressif.»

    Me faire traiter d'orgueilleux par un croyant est, je dois dire, assez insultant. Ça serait comme se faire traiter de raciste par un nazi (un point Godwin pour moi).

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