samedi 24 janvier 2009

L'esprit vu par l'esprit

Lorsque l'on fait la régression du doute systématique de Descartes qui nous ramène au «Je pense donc je suis», on réalise que tout autour de nous existe au moins en tant que perceptions, comme je l'ai expliqué plus tôt. Mais du lieu où se rencontrent ces perceptions – notre «nature profonde», le «noyau central de notre esprit» – que sait-on? J'appellerai conscience ce «programme» dans notre psyché chargé de reconstituer la réalité extérieure à l'intérieur de notre tête.

N'oublions pas que l'univers est un continuum. Si l'on prend pour acquise cette hypothèse, on peut également assumer que notre conscience siège dans le même univers que les sources de ses perceptions et qu'elle s'inscrit dans la continuité de ces dernières. Qu'il n'y a pas de rupture nette entre ce «moi profond» et son environnement. Ce n'est pourtant pas ce que l'on perçoit. On a l'illusion que l'esprit se distingue de la matière.

Cela n'est pas complètement faux. En fait, le monde dans lequel on croit évoluer n'est qu'une construction de notre esprit (construction purement mentale mais basée très vraisemblablement sur la réalité extérieure à nous-mêmes dans laquelle on évolue effectivement). Notre «programme de construction de la réalité» – la conscience – va nécessairement se percevoir lui-même comme une chose totalement distinct de l'environnement qu'il construit. Cela constitue donc une inclination naturelle à croire en une dualité matière/esprit.

Pour faire une analogie, prenons une caméra qui filme quelque chose. Il y aura une distinction entre la réalité filmée et l'enregistrement de cette réalité à l'intérieur de la caméra. Si je compare la caméra à la réalité, je constate qu'elles appartiennent toute deux à un même monde objectif où tout est éphémère et décomposable. Mais si elle se compare au film qu'elle contient, la caméra se verra comme quelque chose de distinct. Elle semblera plus tangible, éternelle et indivisible, extérieure à l'enregistrement qu'elle renferme. La caméra transcende les données qu'elle contient. C'est pareil pour notre esprit. Donc, pour résumer cette partie, on peut dire que le monde tel qu'on le perçoit existe dans notre conscience qui elle-même se trouve dans le monde tel qu'il est. Je poursuivrai ce point ultérieurement.

On pourrait se demander pourquoi certains de nos attributs sont vus comme appartenant au «corps matériel» et d'autres au «corps spirituel. J'élabore là-dessus plus loin.

Autre faiblesse de notre conscience c'est qu'elle ne peut se concevoir elle-même que comme un tout homogène et inaltérable. Nous ne pouvons concevoir ce que c'est que de ne pas être (c'est logique, c'est un paradoxe). Conséquemment, on a l'illusion d'être éternel (évidemment, l'éternité nous est tout aussi inconcevable quand on essaie de se l'imaginer tout entière mais, si on se l'imagine à plus court terme, il est plus facile de se dire à chaque jour «Je serai encore là demain!» plutôt que de concevoir notre propre annihilation).

On ne peut pas non plus s'imaginer, par exemple, ce que ce serait si une conscience se fusionnait avec une autre pour ne devenir qu'une. «Laquelle des deux serait-elle vraiment?» se demanderait-on. On ne peut pas s'imaginer une conscience qui se scinderait ou se dupliquerait de sorte qu'à partir d'une on en aurait deux. «L'une des deux serait nouvelle et l'autre la même qu'avant…» penserait-on intuitivement.

Mon point ici est simplement d'exprimer que la conscience étant le programme de perception du monde, elle échappe elle-même à sa propre loupe. Et, que les biais que j'associe à cet état de fait sont très certainement la cause des attributs que pratiquement toutes les cultures associent à l'âme. Cette croyance universelle que l'on retrouve dans toutes les traditions serait donc la conséquence d'une inclination inhérente au fonctionnement de notre conscience (en plus d'être un inhibiteur pratique contre notre quête de sens).



L'«âme» (ou l'esprit) c'est un mot qu'on utilise pour désigner l'ensemble des activités du cerveau. Mais ce n'est qu'un phénomène du corps au même titre que la respiration et la digestion. On pourrait faire la même chose avec un autre organe et inventer, par exemple, le mot «hépatessence» pour désigner l'ensemble des activités du foie… puis se mettre à croire que l'hépatessence est immatérielle, qu'elle survit à la mort du corps et va dans un paradis de bile pure. On ne peut pas extraire l'esprit du corps, pas plus qu'on ne peut extraire la vitesse d'un guépard, la petitesse d'une fourmi ou la beauté d'un coucher de soleil.
 

6 commentaires:

  1. J'approche plustôt ceci de par l'idée que la conscience le point ou le monde extérieur tel que perçu par notre corps rencontre les données accumulées dans notre mémoire.

    La conscience en elle même n'est une chose, elle ne peut donc pas etre observé ou analyser. C'est n'est qu'un point de rencontre entre les données venu de l'interne et les données venu de l'externe.

    En suivant cette idée, que la conscience ce sépare ou se fusione ne change rien pour l'individus lui même, seulement pour sont entourage.

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  2. je vous signale, ou rappelle, que le psyché dont vous faites mention plus haut n'est que la forme grecque du mot âme. On ne peut donc, logiquement, reconnaitre d'un coté ce que l'on nie plus loin, sans être en contradiction avec soi même!

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  3. Il n'y a contradiction que parce que vous vous attardez à une définition générique des mots sans les lire dans leur contexte. Relisez et dites-moi où vous voyez une contradiction.

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  4. Il y a effectivement une contradiction.

    Si l'univers est un continuum, alors qu'est-ce qui nous permet d'isoler un "programme de construction de la réalité" qui serait une entité distincte de son environnement, et de plus qui serait doué de perception et de représentation ? Qu'est-ce qui définit où ce programme s'arrête et où il commence ?

    Si vraiment l'univers est un continuum, il faut bien admettre qu'une telle entité n'existe que dans l'oeil d'un observateur qui déciderait de la concevoir comme telle. L'entité en question est une pure abstraction, une commodité conceptuelle, et elle ne peut pas penser, percevoir, se représenter "elle même" comme quelque chose, puisqu'elle n'est rien qu'un aggrégat que nous avons choisi d'isoler arbitrairement. Si par contre la distinction de l'environnement n'est pas arbitraire mais bien réelle, alors l'entité a entièrement raison quand elle se conçoit elle même comme distincte de son environnement.

    On ne peut pas dire qu'une entité "se trompe en croyant qu'elle existe (en tant qu'entité)" : si vraiment elle n'existe pas (en tant qu'entité), alors elle ne se trompe pas non plus...

    Donc effectivement tu nie l'existence d'une chose dans un paragraphe pour reconnaitre implicitement son existence dans le suivant, et il y a contradiction.

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  5. On peut exister et se tromper sur la nature de notre être. On peut exister sans être totalement distinct de notre environnement. On peut exister et être un agrégat de matière.

    L'entité ne se trompe pas en croyant qu'elle existe; elle se trompe en croyant qu'elle est autre chose qu'un ensemble d'interactions entre ses neurones. Elle se trompe en croyant qu'elle est «plus» que de la simple matière, qu'elle est «au-dessus» de ce monde dans lequel elle vît. Elle se trompe en se croyant éternelle et insécable.

    Et cette erreur vient, selon mon hypothèse, du fait qu'elle ne se compare pas au monde tel qu'il est, mais au monde tel qu'elle le perçoit. Comme si la caméra se comparait aux films qu'elle contient sur le monde plutôt qu'au monde lui-même. Comme si une toile se comparait à l'image qui est peinte sur elle plutôt qu'au modèle qui a inspiré l'image. C'est notre cerveau qui est le support de l'image que nous nous faisons du monde matériel, il est normal qu'il se perçoive intuitivement comme «extérieur» à cette modélisation du monde.

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  6. Effectivement, on peut exister et se tromper sur la nature de son être. Cependant je mettrait un bémol sur le côté "indistinct" ou "insécable". D'après moi le concept même d'exister suppose qu'on peut se distinguer de son environnement (ou alors je n'appelle pas ça exister), et qu'il existe quelque chose d'unique, donc insécable, à notre échelle, qui constitue notre expérience, intégrant différentes choses dans un tout unique (ou alors pourquoi serai-je conscient de ce tout, et non pas d'une de ses parties ?).

    Par contre je partage entièrement ton diagnostic sur le fait qu'on se trompe en croyant qu'il y a une "âme" de substance distincte de ce qui nous entoure, et qu'on ne serait pas issu de la matière.

    Si la matière est constitué de particules séparables, on peut voir une contradiction avec l'idée que l'existence implique un "tout insécable". Mais je pense qu'on peut s'en sortir si on admet que l'erreur fondamentale consiste à croire qu'on est une substance, dans un certain état, alors qu'en réalité on existe plutôt en tant que processus. C'est grosso-modo ce qu'affirme le neuroscientifique Gerald Edelman, notamment dans "Comment la matière devient consciente", et je crois que cette conception est assez générale en neuroscience. Il suffit d'observer que la conscience n'existe pas dans une partie précise et bien définie du cerveau, mais est plutôt répartie dynamiquement sur l'ensemble de celui-ci... Je pense donc que c'est ce processus qui, à chaque instant, est insécable et distinct de son environnement. Ce qui ne veut pas dire qu'il n'est pas naturel.

    L'image de la camera est intéressante, mais j'aimerai savoir où tu places la connaissance scientifique par rapport à ça ? Pour moi si on admet l'image, il faut considérer que la connaissance scientifique fait partie du film, dans le sens où elle en est issue. D'ailleurs on remarquera que le propre de la méthode scientifique est d'exclure le sujet de sa représentation du monde, de l'assimiler à un observateur indépendant, et c'est le prix à payer pour espérer atteindre l'objectivité. Mais c'est peut être aussi ce qui nous empêche d'avoir une vision scientifique claire de la subjectivité et de la conscience...

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