samedi 21 mars 2009

L'avortement

Aux États-Unis et dans le Canada anglophone, les obscurantistes religieux continuent de s'opposer farouchement à l'avortement qu'ils perçoivent comme «le meurtre d'un bébé», et font des campagnes de propagandes et d'intimidations en se donnant le nom de «pro-vie» (bien que ces mêmes gens soient très souvent en faveur de la peine de mort). Étant un humaniste éclairé, je n'ai bien sûr aucune opposition face à l'avortement. Cette pratique est pour moi une forme de contraception tardive et fait donc partie des acquis de la révolution sexuelle.

La question «Est-ce un humain?» ne me semble ni scientifique, ni pertinente pour se demander si un embryon «a des droits». L'humanité n'est, finalement, qu'une catégorie arbitraire. On devrait plutôt se demander s'il peut souffrir, s'il désire survivre et s'il a une conscience d'être. Le moment de la grossesse où il acquiert ces facultés - que l'on pourrait appeler «la naissance cérébrale» ou l'individuation* - me semble le seul qui ne soit pas arbitraire pour définir à partir de quand l'embryon passe du statut de chose à celui d'être; donc le point où l'on devrait fixer la date limite légale pour l'avortement. Avant cela, il n'est qu'un amas de cellules sans conscience. La naissance, quant à elle, me semble arbitraire comme stade du développement considérant que le foetus à la veille de l'accouchement n'est pas bien différent de ce qu'il est une fois né.

Certains sont pour l'avortement mais «avec modération». Comme si cet acte était un mal mais un mal minuscule, et donc que le cumul de plusieurs avortements constituait un mal suffisant pour être répréhensible. Pour ma part, je ne vois strictement rien de mal dans le fait d'interrompre une grossesse à un stade où l'embryon n'a pas plus d'activité cérébrale qu'une fougère (c'est-à-dire, aucune). Pour qu'il y ait du mal, il doit y avoir de la souffrance, et pour qu'il y ait de la souffrance ça prend un système nerveux actif ce que ce proto-humain ne possède pas. Peu importe ce que l'embryon aurait pu devenir, présentement il n'est qu'un amas de cellules dépourvu de conscience et doit être traité comme tel.

Et c'est encore plus vrai si je l'avorte, car cela veut dire que l'état embryonnaire dans lequel il se trouve constituera l'intégral de son existence et donc qu'aucune conscience n'habitera jamais ce morceau de viande. Si je choisissais, par exemple, de mutiler un embryon, on pourrait toujours me dire que ce n'est pas mal pour lui (puiqu'il n'a pas encore de conscience) mais que c'est porter préjudice à la personne qu'il deviendra (puisqu'elle souffrira des conséquences de mon action). Mais si j'élimine un embryon acéphal, je ne porte préjudice à aucune conscience présente (puisqu'il n'en n'a pas encore) ni future (puisqu'il n'en aura jamais). Nous n'avons aucun devoir envers celui qui n'existera jamais. C'est pourquoi, je considère que l'avortement n'est pas plus mal que la contraception ou l'abstinence sexuelle; c'est simplement une interruption du processus de création d'humains, à un stade différent, mais précédent l'émergence de la conscience. J'entends souvent des arguments terriblement fallacieux tels que : «Imagine si tes parents avaient choisi de t'avorter, tu n'aurais jamais existé!» Et s'ils avaient choisi de ne pas copuler le soir de ma conception, je n'aurais jamais existé non plus... mais personne ne dira pour autant que l'abstinence sexuelle est un meurtre.

La seule objection que je verrais c'est que ça finirait par coûter cher à la société si l'avortement est toujours financé par l'assurance-maladie. Pour cette raison, responsabiliser les gens par rapport à ça, afin d'éviter qu'il ne soit utiliser comme un substitut à la contraception, serait pertinent. Par exemple, si l'État n'offrait gratuitement que les avortements d'embryons issus d'un viol ou portés par une mineure, et que les autres avortements seraient aux frais de la génitrice (ou, disons, que l'on accorderait un avortement gratuit par personne), je ne vois pas où serait le mal.

Bien sûr, si je violente une femme enceinte dans le but de détruire le fœtus qu'elle porte, je commets un geste répréhensible. Toutefois, pour moi ce geste ne porte préjudice qu'à la femme et non à l'embryon puisqu'il n'est pas encore un être. On pourrait considérer ça comme un crime traumatisant au même titre qu'un viol, mais ce n'est en aucun cas un meurtre.



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* Je trouve important d'introduire un nom court pour désigner ce stade. C'est plus pratique que de dire à chaque fois quelque chose comme «date limite légale pour l'avortement» et ça permettrait à ce moment clé de prendre de l'importance dans l'imaginaire collectif et d'y rivaliser avec la naissance et la conception.
 

44 commentaires:

  1. 1/2 Bonjour.

    Personnellement, je suis contre l'avortement, mais pour le DROIT à l'avortement, et je pense que ce n'est pas du tout la même chose...

    Car, contrairement à ce que vous laissez entendre, il n'y a pas que le coût que cela représente pour l'assurance-maladie qui doit inciter à ne pas banaliser l'acte d'avorter (d'ailleurs, en France, la pillule oestroprogestative, type Cycléane, est remboursée intégralement depuis peu, et malgré le coût occasionné personne ne s'en plaint);

    L'avortement représente à la fois une souffrance physique et souvent psychologique pour la personne qui le subit; j'ai travaillé dans un bloc de gynécologie pendant quelques temps, dans le cadre de ma formation, et certaines femmes que j'ai croisées étaient en larmes avant l'intervention (et ce malgré les 3 consultations préalables obligatoires). L'intervention avait d'ailleurs tendance à être pratiquée "à la chaîne" par l'interne qui s'y collait, ou en vitesse entre deux chirurgies plus lourdes. Ce n'est sans doute pas partout pareil, mais de toute façon, je doute qu'il soit très agréable de devoir écarter les jambes devant un quasi-inconnu, de sentir l'aspirateur passer dans son vagin puis son col, et arracher le contenu de l'utérus.

    Le fait d'entendre par des religieux bien-pensants que l'avortement est un meurtre ne les aide sans doute pas à surmonter cette épreuve, mais même sans celà je pense que l'impact psychologique que représente un avortement n'est pas négligeable: beaucoup de femmes n'avortent qu'en raison de contraintes socio-économiques, ou pour terminer leurs études, de sorte que leur choix n'est pas libre, mais forcé par les circonstances, et qu'il peut donc être douloureux. Je pense d'ailleurs que beaucoup d'entre elles ressentent une certaine culpabilité envers leur "bébé", parfois favorisée par l'entourage, même si objectivement elle n'est pas justifiée. Un meilleur suivi me semble en tout cas nécessaire après le geste.

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  2. 2/2 Tout celà pour dire qu'un avortement, c'est sans doute cher payé pour la personne qui le vit, quand on sait qu'il existe d'autres moyens de ne pas avoir d'enfants; certes, les accidents de préservatifs ou les oublis de pillule peuvent arriver, mais je pense tout de même qu'une meilleure éducation des jeunes filles (et des garçons aussi d'ailleurs)en matière de sexualité et de contraception permettrait de réduire le nombre d'avortements, et que ce ne serait pas un mal (alors que les banaliser de façon excessive,si). Environ 220 000 IVG sont pratiquées en France tous les ans pour 730 000 naissances, dont environ 6% sur des mineures, et on estime qu'une femme sur deux en âge de procréer subira un avortement dans sa vie. Il reste donc du chemin à faire en matière de prévention, d'autant que l'IVG empêche la formation de bébés, mais pas le fait de contracter des maladies sexuellement transmissibles, contrairement au préservatif (quoiqu'en disent les "experts" du Vatican...)

    J'espère que vous aurez compris qu'à aucun moment la vie d'un embryon inconscient n'entre en jeu dans ma réflexion; mais je voulais réagir à cette affirmation un peu trop lapidaire : "C'est pourquoi, je considère que l'avortement n'est pas plus mal que la contraception ou l'abstinence sexuelle", même si j'ai bien compris que c'est à l'idée de "meurtre de bébés" que vous vous opposiez ici, de façon légitime.

    Je voudrais néanmoins signaler que je ne sais pas si le délai de 14 semaines d'aménorrhée qui est en vigueur en France pour avorter tient compte de la "naissance cérébrale" que vous évoquez à juste titre comme seule critère à prendre en compte pour décider de quand l'embryon humain devient un être humain. J'espère que oui, mais malgré mes recherches sur le sujet, je ne suis pas parvenu à la réponse certaine que j'attendais. Peut-être auriez vous des références à me proposer ?

    Cordialement.

    Lunamel

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  3. Bonjour Lunamel,

    D'abord, je ne pense pas que l'on puisse dire que vous êtes contre l'avortement.

    Ensuite, dans ma phrase «je considère que l'avortement n'est pas plus mal que la contraception ou l'abstinence sexuelle» je donnais au mot «mal» le même sens que dans l'ensemble de mon blog. Voyez cette réflexion:

    http://chezfeelozof.blogspot.com/2009/01/du-mal-et-du-mauvais.html

    En gros, je fais une distinction entre une action «mal» et une «mauvaise». Ainsi, indépendamment de toute les souffrances qu'implique un avortement pour la femme qui le subit, on ne peut le qualifier de «mal» si la femme en question est consentante et lucide. Si elle est pleinement consciente des conséquences et qu'elle les accepte, c'est donc que d'une façon cette alternative est la moindre souffrance pour elle dans cette situation.

    Par ailleurs, comme vous le soulignez vous-mêmes, une partie de la souffrance qu'engendre l'avortement découle de la culpabilité que peut ressentir la femme à cause des pressions sociales ou de la perception qu'elle a de cette action. Si on lui appose le qualificatif de «mal», l'avortement n'en sera que plus douloureux psychologiquement.

    Pour votre dernière question, je ne pense pas non plus que la date limite légale de l'avortement soit synchrone avec le début de l'activité cérébrale de l'embryon; c'est plus tardif que ça. On peut cependant considérer qu'à chaque fois que l'on écrase un moustique, on détruit un être ayant une conscience certainement plus développée qu'un embryon humain aussi jeune.

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  4. D’un point de vue biologique, un fœtus est un être humain doté d’un code génétique unique au même titre que toutes les personnes humaines. Son développement biologique est inférieur à celui d’un adulte mais son organisme n’est pas moins complet pour autant. L’adulte que nous sommes aujourd’hui est le même organisme biologique que le zygote que nous étions au sein de notre mère; seul le degré de développement varie.

    Si un être biologiquement humain n’est pas forcément une personne humaine, c’est que la personnalité humaine est conditionnée par des critères autres que l’existence biologique. Mais quels sont ces critères? L’autonomie corporelle? La conscience mentale? Ces critères, s’ils semblent appropriés pour exclure les fœtus de l’humanité, sont intenables lorsque nous évoquons leurs conséquences logiques. Si la valeur personnelle d’un être humain dépend de son autonomie corporelle et de sa conscience mentale, cette valeur devient quantitative plutôt que qualitative. On est toujours plus ou moins autonome corporellement; on est toujours plus ou moins conscient mentalement. Les athlètes auraient ainsi une valeur supérieure aux handicapés? Les adultes lucides auraient une valeur supérieure aux nourrissons dont la conscience commence à s’éveiller? Si la personnalité humaine est conditionnée par des critères se situant sur un continuum, la valeur d’une personne humaine se situe forcément sur ce même continuum. Si toutes les personnes humaines ont une valeur égale, c’est que le critère de la personnalité humaine n’est pas un continuum.

    Les plus grandes injustices de l’humanité – le racisme, le sexisme, le nazisme, etc. – ont toutes partagé cette caractéristique : elles conditionnent les droits humains à certains critères physiques ou mentaux. Si un être humain peut ne pas être une personne humaine à cause de certaines lacunes physiques ou mentales, on s’engage dans la voie des pires injustices. Si un être humain est forcément une personne humaine peu importe ses caractéristiques physiques ou mentales, on se positionne contre les pires injustices. Dans la mesure où nos connaissances scientifiques sont suffisantes pour reconnaître l’humanité biologique des fœtus, on se doit de reconnaître leur personnalité humaine.

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  5. Je ne pense pas qu'il soit pertinent de faire intervenir un concept aussi flou que «la valeur» dans ce débat. Pour moi, on ne peut pas mettre de valeur sur la vie ou sur les êtres, de toute façon ce concept ne veut rien dire. Par ailleurs, je n'utilise pas non plus le critère de l'autonomie. Seule m'importe la conscience.

    Je me doute que vous êtes bien conscient qu'un ovule fraîchement fécondé n'a pas une conscience propre. Qu'une femme retire un ovule de son utérus ou qu'elle s'arrache un cheveux, dans les deux cas elle ne tue que des cellules humaines mais pas une personne. Conséquemment, ce que vous me dites, si je comprends bien, c'est que puisque la frontière zygote/personne est un long continuum sans démarcation nette, alors l'emplacement de cette frontière serait forcément arbitraire et il est donc moins compliqué de tout simplement interdire l'avortement. C'est bien ça?

    Vous dites craindre que ma définition du concept de personne n'amène des injustices pour un être qui n'y répondrait pas ou qui y répondrait moins... c'est réciproque! Voyons les implications de ma conception des choses:
    - les embryons, les cadavres ou les individus en état de mort cérébrale ne sont pas des personnes ni même des êtres et n'ont par conséquent aucun "droit";
    - les enfants et les handicapés mentaux sont des êtres mais à qui l'on doit accorder moins de libertés et de responsabilités qu'aux adultes lucides;
    - une personne ayant une lucidité supérieure sur un sujet donné (par exemple, un médecin) mérite davantage de responsabilités qu'une autre dans la discipline en question (donc, un médecin peut pratiquer la médecine mais pas un avocat).
    Vous voyez? Je tiens tout à fait compte de ce continuum de degré de conscience, sans qu'aucune abomination n'en sorte.

    Mais, avec votre définition basée sur l'ADN, j'aurais de nombreuses inquiétudes. Qu'en serait-il d'un individu lucide mais porteur de nombreuses mutations génétiques? Quels sont les gènes qu'il faut avoir exactement pour être membre de l'espèce humaine et mériter des droits? En quoi ce critère génétique est-il moins arbitraire que la pigmentation de la peau ou l'anatomie génitale pour considérer quels droits doit avoir un individu? Et si le niveau de conscience mentale n'a aucune importance pour déterminer les droits d'un individu, pourquoi les enfants n'ont pas le droit de voter comme les adultes?

    Moi ma logique c'est: «ce qui peut souffrir mérite d'être préservé de la souffrance, et ce qui veut vivre mérite de vivre». Ça m'apparaît beaucoup plus solide. Donc tant qu'un embryon n'a pas un système nerveux suffisamment développé pour ressentir du bonheur de la souffrance, il n'y a aucune raison de lui imaginer des droits.

    Question: Deux jumeaux identiques, issus du même ovule, se partagent-ils la même âme?

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  6. Je prends bonne note que l’autonomie corporelle ne fait pas partie de tes critères. D’autres positions pro-choix l’invoquent; c’est pourquoi je la mentionnais.

    Je mentionnais l’ADN dans le seul but d’exposer que l’organisme du fœtus est biologiquement distinct de l’organisme de la mère même si sa survie en dépend. Un ADN unique n’est pas une condition afin de reconnaître une personne humaine. Si on clonait un individu mille fois, on aurait mille personnes humaines car on aurait mille organismes humains distincts.

    Il est vrai que le mot « valeur » peut avoir plusieurs significations mais c’est dans ce sens précis que je l’ai utilisé : la valeur d’une chose ou d’une personne est proportionnelle à notre volonté de la protéger. Ce qui a de la valeur mérite d’être protégé; ce qui n’a pas de valeur ne mérite pas d’être protégé. Je vais quand même cesser de l’utiliser.

    Tes exemples réfèrent aux droits en termes de liberté et de responsabilité, pas en termes de protection. La notion de « droit » peut être aussi polysémique que la notion de « valeur ». Dans le cadre du débat au sujet de l’avortement, le mot « droit » doit être compris dans le sens de la protection. Les militants pro-vies parlent uniquement du « droit à la vie » des fœtus et d’aucun autre droit. Aucun militant pro-vie ne demande que l’on accorde des libertés ou des responsabilités aux fœtus.

    On protège les enfants et les handicapés mentaux autant que l’on protège les adultes lucides. En fait, on protège les enfants et les handicapés mentaux plus encore que les adultes lucides puisqu’ils sont plus vulnérables; leur dignité nécessite plus de protection. Peu importe le degré de conscience d’une personne humaine, elle mérite également d’être protégée. Moins une personne humaine est consciente, plus elle a besoin d’être protégée. Le continuum de la conscience n’est aucunement corrélé au droit à la protection de la vie d’un être humain.

    Il est vrai qu’un ovule fraîchement fécondé et un cheveu sont tous les deux des amas de cellules sans conscience propre. La différence est que l’un est un organisme humain complet – le même organisme que celui d’un adulte à un niveau de développement antérieur – alors que l’autre est une partie dispensable d’un organisme humain.

    Ta propre éthique utilitariste n’est pas conforme au principe selon lequel l’importance de protéger la vie dépendrait de la souffrance vécue. Tu affirmes que le malheur n’inclut pas seulement la souffrance vécue; il inclut aussi la privation du bonheur à vivre. C’est pourquoi il est injuste de tuer une personne même si on ne lui inflige aucune forme de souffrance, par exemple en l’abattant par surprise. Même si la personne tuée ne vit aucune souffrance, il est injuste de la priver du bonheur qu’elle pourrait vivre autrement.

    Tu distingues la mort d’un être humain qui a déjà vécu du bonheur de la mort d’un être humain qui n’a jamais vécu de bonheur. Cette distinction est insensée. En quoi le bonheur passé d’un être humain justifie-t-il une protection accrue? Dans une logique rigoureusement utilitariste, c’est le contraire qui serait sensé. Plus l’être humain est jeune, plus on le prive d’un grand potentiel de bonheur en mettant fin à sa vie. Nos estimations quant au bonheur futur sont également incertaines que l’on parle d’un fœtus ou d’un adulte. Si l’on peut mettre fin à la vie d’un être humain parce que l’on estime que son futur sera surtout malheureux, cela vaut pour l’adulte autant que pour le fœtus.

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  7. Je crains effectivement que la normalisation de l’avortement mène à une série d’autres injustices aussi graves. Néanmoins, cette crainte n’est pas le fondement de mon opposition à l’avortement. L’avortement est une injustice en lui-même car il appartient à la même catégorie que le racisme, le sexisme et le nazisme : il nie que tous les êtres humains ont droit à une protection égale peu importe leur condition. Il justifie le mal que l’on inflige aux êtres humains les plus vulnérables; il légitimisme le pouvoir qu’ont les plus forts sur les plus faibles. Même si aucune autre injustice ne résulte de la normalisation de l’avortement, elle demeurera une immense tragédie humaine.

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  8. «Un ADN unique n’est pas une condition afin de reconnaître une personne humaine.»

    Ok donc on est d'accord là-dessus. Ce n'est pas l'ADN qui détermine si on devrait éthiquement accorder des droits à un être.

    «Aucun militant pro-vie ne demande que l’on accorde des libertés ou des responsabilités aux fœtus.

    On protège les enfants et les handicapés mentaux autant que l’on protège les adultes lucides.
    »

    D'accord... donc pourquoi devrait-on accorder le droit à la vie à un embryon dépourvu de conscience mais pas à un chat ou à une vache par exemple? Si on a exclu le critère de l'ADN, pourquoi un être pourvu de sensations et d'un instinct de survie mériterait moins de vivre qu'un proto-humain végétatif?

    «La différence est que l’un est un organisme humain complet – le même organisme que celui d’un adulte à un niveau de développement antérieur – alors que l’autre est une partie dispensable d’un organisme humain.»

    Chacune de mes cellules a le potentiel d'engendrer un humain complet grâce au clonage. Donc m'arracher un bout de peau pour le jeter plutôt que de m'en faire un clone, est aussi pire que d'avorter.

    «Tu distingues la mort d’un être humain qui a déjà vécu du bonheur de la mort d’un être humain qui n’a jamais vécu de bonheur.»

    Ce n'est pas tout à fait ça. Je distingue «tuer un être qui existe déjà» et «m'abstenir de créer un être potentiel spécifique». Avorter, pour moi, ça entre dans cette seconde catégorie. C'est pas plus mal que la contraception ou l'abstinence sexuelle.

    «L’avortement est une injustice en lui-même car il appartient à la même catégorie que le racisme, le sexisme et le nazisme : il nie que tous les êtres humains ont droit à une protection égale peu importe leur condition»

    Pas tout à fait. Pire que ça, en fait. Il nie que les embryons sont des personnes. Il nie que tuer un embryon constitue un mal envers lui. Il nie que les embryons souffrent et désirent survivre. Jusqu'à présent, la science lui donne raison. Rien de tragique. À chaque fois que j'écrase un moustique, je détruis un être avec une complexité cérébrale beaucoup plus développée.

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  9. La science ne donne raison à personne. Elle démontre que les embryons n’ont pas de conscience : les pro-vies ne prétendent pas le contraire. Elle démontre que les embryons sont des êtres humains : les pro-choix ne prétendent pas le contraire. Il s’agit d’un débat philosophique visant à discerner si le droit à la vie dépend de l’humanité d’un être vivant ou de la conscience d’un être vivant.

    Donc, pourquoi accorder le droit à la vie à un embryon dépourvu de conscience plutôt qu’à un chat ou à une vache? Parce que le droit à la vie ne dépend pas de la conscience mais bien de l’humanité.

    Si le droit à la vie dépend de la conscience, on devrait accorder plus de protection aux adultes lucides qu’aux nourrissons et qu’aux déficients mentaux. Pourtant, c’est l’inverse que l’on fait. Le degré de conscience varie d’un individu à l’autre et d’un moment à l’autre au sein d’un même individu. Pourtant, tous les individus ont également droit à la vie à tous les moments de leur vie. La logique est claire : si le droit à la vie dépend de la conscience, le droit à la vie varie d’un individu à l’autre et d’un moment à l’autre. Si le droit à la vie dépend de l’humanité, le droit la vie est égal pour tous les individus humains à tout moment.

    Chaque cellule a le potentiel d’engendrer un organisme humain complet par le clonage, mais un embryon EST un organisme humaine complet. Je me répète mais ça semble nécessaire : un adulte est le même organisme biologique qu’un zygote. Il s’agit de différents stades du développement d’un même organisme humain. Si le droit à la vie dépend de l’humanité plutôt que de la conscience, un adulte n’a pas un droit à la vie supérieur à celui d’un zygote. Si l’on doit absolument faire mourir l’un des deux, on va comparer leurs caractéristiques afin de déterminer quelle vie promet le plus grand bonheur (toujours la mère, si l’on parle d’un avortement thérapeutique) mais il s’agit d’un dilemme moral opposant deux personnes humaines.

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  10. En quoi faire dépendre les droits sur l'appartenance à l'espèce humaine est-il moins arbitraire que de le faire sur l'appartenance à la race blanche ou au sexe masculin?

    Et tu me comprends mal. Je ne fais pas dépendre le droit à la vie sur «l'intensité» de la conscience. Je pense que tout ce que contient l'univers a éthiquement droit à une égale considérations de ses intérêts individuels. Toutefois, il faut avoir une conscience perceptive et appréciative pour avoir des intérêts. Un enfant, un adulte et une vache désirent tous trois ne pas souffrir et survivre. Mais une roche, une plante ou un zygote n'ont pas les structures cérébrales requises pour souffrir ou désirer continuer d'exister. Ils n'ont donc, par conséquent, pas d'«intérêts» que l'on pourrait considérer.

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  11. Il me semble que remplacer la conscience plus ou moins « intense » par la conscience plus ou moins « perceptive et appréciative » n’a aucun impact sur notre débat.

    Je tente de suivre ta logique :
    1 – Le droit à la vie dépend d’un intérêt au bonheur
    2 – L’intérêt au bonheur est proportionnel à la perceptivité de la conscience
    3 – La perceptivité de la conscience varie d’une personne humaine à l’autre
    4 – ???
    5 – Toutes les personnes humaines ont également droit à la vie

    Comme tu le fais valoir, les humains et les animaux se situent sur le même continuum de la conscience. Si c’est notre position sur ce continuum qui conditionne notre droit à la vie, les nourrissons et les déficients mentaux ont un droit à la vie inférieur à celui des adultes lucides. Si c’est notre présence sur ce continuum qui conditionne notre droit à la vie, les moustiques ont un droit à la vie égal à celui des personnes humaines. La première option est injuste, la seconde est insensée.

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  12. Ce qu'il faut comprendre dans ma logique, c'est que le droit à la vie arrive à partir d'un seuil de conscience très faible, c'est-à-dire juste assez pour avoir un désir de vivre. Pour le reste, le niveau de conscience d'un être détermine ce qui est nécessaire à son bonheur donc ses «droits» d'un point de vue éthique. Par exemple, un poulet n'a pas le droit à l'éducation gratuite ou de voter principalement parce qu'il n'a aucun intérêt à le faire. Par contre, il est suffisamment conscient pour avoir le droit d'être préservé de la souffrance et de la mort, puisqu'il désire éviter la souffrance et la mort. En revanche, une plante, qui ne peut ressentir la souffrance (puisque dépourvue de système nerveux) ni la crainte de la mort (pour la même raison) ne subit aucun préjudice selon son propre point de vue (puisqu'elle n'en a pas) si on la mutile ou qu'on la tue. L'embryon se rapproche davantage de la plante que du poulet en terme de degré de conscience. C'est un vivant végétatif.

    Pour ce qui est des droits des moustiques, je me pose des questions là-dessus dans cet autre billet.

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  13. Tu conditionnes donc le droit par le désir. Le problème est que le désir n’est pas une dichotomie. Le désir n’est pas strictement existant ou inexistant, il est un continuum. Le droit est une dichotomie. Le droit existe ou il n’existe pas. La notion qu’un droit existe plus ou moins est le prétexte des pires injustices.

    Le désir de vivre d’un nourrisson ou d’un déficient mental est inférieur à celui d’un adulte lucide de la même façon que le désir de vivre d’un moustique est inférieur à celui d’un poulet. L’écart n’est pas exactement le même mais c’est un écart du même type. Si on peut situer le droit à la vie entre le moustique et le poulet à cause d’un écart du désir de vivre, on peut tout aussi bien situer le droit à la vie entre le nourrisson ou le déficient mental et l’adulte lucide.

    Comment transformes-tu le continuum du désir de vivre en la dichotomie entre le droit et l’absence de droit?

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  14. Par ailleurs, selon ta logique, un poulet aurait le même droit à la vie qu’une personne humaine. Estimes-tu que la loi devrait traiter le meurtre d’un poulet au même titre que le meurtre d’une personne humaine? Sinon, pourquoi?

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  15. Si deux êtres ont un désir de survivre d'une intensité différente, ils ont tout de même tout deux le droit de vivre. C'est si l'on doit absolument choisir d'en tuer un des deux qu'il est pertinent de nous demander ce genre de question. Il est évident que je tuerais un moustique, un déficient ou un nourrisson avant un adulte lucide si j'étais obligé de choisir.

    Éthiquement, tuer un poulet ou une personne se vaut s'il n'y aucune conséquences externes différentes (donc si l'humain a une famille pour le pleurer, ou qu'il s'apprêtait à découvrir le remède au cancer, ce n'est plus symétrique). Mais la loi n'est pas un copié-collé de l'éthique... Oui je pense que tuer ou faire souffrir une bête devrait éventuellement être illégal sauf dans certaines situations spéciales. Mais, comme je disais dans notre autre discussion, la "sanction" encourue pour un crime devrait simplement être une thérapie psychologique pour que le criminel ne recommence plus. Quelqu'un qui a tué un poulet me semble avoir besoin d'une thérapie beaucoup plus courte et légère que celui qui a tué un humain.

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  16. Si la personne humaine et le poulet sont tous les deux titulaires du droit à la vie malgré que l’intensité de leur désir de survivre soit différente, tu dois aussi accorder le droit à la vie au moustique. À moins que tu sois certain que l’écart entre la personne humaine et le poulet soit d’une catégorie différente que l’écart entre le poulet et le moustique? À moins que tu sois certain que le moustique n’a absolument aucun désir de survire? Pourtant, quand je tente de tuer un moustique, il semble avoir un désir de survire…

    Tu affirmes que les droits existent plus ou moins. Le poulet et la personne humaine sont tous les deux titulaires du droit à la vie, mais leur droit à la vie n’est pas équivalent à cause de conséquences externes différentes. En termes strictement logiques, cela implique que la valeur relative du droit à la vie dépend des conséquences externes de la mort de son titulaire.

    Ne vois-tu pas en quoi ce principe légitime les pires injustes? Tuer une personne stupide et isolée constituerait ainsi une violation du droit à la vie moins grave que de tuer une personne intelligente et populaire. Es-tu d’accord avec cette affirmation ou y a-t-il un autre critère au droit à la vie que tu veux ajouter?

    Je suis d’accord que le premier meurtre cause moins de conséquences externes que le second. Mais là n’est pas l’objet de notre discussion; nous discutons du droit à la vie. Tu peux affirmer que la mort d’un fœtus cause moins de conséquences externes que la mort d’un adulte lucide et je serai d’accord d’emblée. Ma position est seulement à l’effet que, si les fœtus ne sont pas également titulaires du droit à la vie que les adultes lucides, les pires injustes sont logiquement légitimées. La négation du droit à la vie des fœtus est donc une injustice grave en elle-même.

    Pour ma part, il ne m’est pas évident que je choisirais de tuer un nourrisson plutôt qu’un adulte lucide si j’étais obligé de choisir. Je serais curieux de savoir ce que ton frère pense de ce dilemme…

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  17. «À moins que tu sois certain que l’écart entre la personne humaine et le poulet soit d’une catégorie différente que l’écart entre le poulet et le moustique?»

    J'en suis certain. C'est scientifique. L'écart entre un humain et un poulet est moindre que leur commun écart avec le moustique.

    «Tuer une personne stupide et isolée constituerait ainsi une violation du droit à la vie moins grave que de tuer une personne intelligente et populaire»

    Non. Les deux sont une égale violation du droit à la vie. Sauf que l'une des deux causes en plus des souffrances collatérales, et l'autre non.

    «La négation du droit à la vie des fœtus est donc une injustice grave en elle-même.»

    Le foetus n'est pas un être. C'est un objet vivant. Comme une plante. C'est faire de l'anthropomorphisme que de lui attribuer un désir de survivre et donc un droit à la vie.

    « il ne m’est pas évident que je choisirais de tuer un nourrisson plutôt qu’un adulte lucide si j’étais obligé de choisir »

    Si je suis obligé de choisir de tuer un être entre deux qu'on me présente, je vais évidemment utiliser des critères pour faire mon choix. Grossièrement, mon critère est le bonheur dans les conséquences. Plus spécifiquement, je me base sur:
    - l'intensité du désir de survivre des victimes potentielles,
    - la qualité de la vie restante potentielle (en termes de bonheur et de souffrance) des victimes potentielles,
    - les conséquences sur le bonheur et la souffrance d'autrui que causera la mort de chaque victime potentielle.

    Donc, évidemment, ce n'est pas systématiquement l'adulte lucide qui est privilégié, mais c'est la tendance selon ces critères.

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  18. Je comprends que l’écart entre le poulet et le moustique puisse être plus grand que l’écart entre la personne humaine et le poulet. Ma question à savoir si les deux écarts sont d’une catégorie différente, à savoir si les deux écarts sont sur des continuums différents. Rien n’indique cela. Le désir de vivre de tous les êtres sensibles varie par degrés infimes d’une espèce à l’autre et d’un individu à l’autre. Au sein de ce continuum du désir de vivre, selon quel critère places-tu la frontière dichotomique entre le droit à la vie et l’absence de droit à la vie? Si le moindre indice du désir de vivre suffit pour accorder le droit à la vie, les moustiques doivent certainement en être titulaires.

    Si le meurtre d’une personne stupide et isolée doit être traité également par la loi que le meurtre d’une personne intelligente et populaire, c’est que les dommages externes ne sont pas des critères de l’application du droit à la vie. Pourtant, dans ton commentaire précédent, tu affirmais que le meurtre d’un poulet et le meurtre d’une personne humaine doivent être traité inégalement par la loi à cause des dommages externes.

    Tu te retrouves dans une position contradictoire. Soit le meurtre d’une personne humaine et le meurtre d’un poulet doivent être traités également par la loi, soit le meurtre d’une personne stupide et isolée et le meurtre d’une personne intelligente et populaire doivent être traités inégalement par la loi. Selon ta logique, tu ne peux pas rejeter ces deux conclusions à la fois.

    Je comprends ton point pour le dilemme du nourrisson et de l’adulte lucide, et je suis d’accord. Lorsque l’on est obligé de choisir entre deux droits égaux, on est obligé d’invoquer des calculs plus ou moins externes afin de choisir. Néanmoins, les droits ne sont pas moins égaux pour autant. Le droit à la liberté d’une personne ne peut pas prendre le dessus sur le droit à la vie d’une autre personne.

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  19. «tu affirmais que le meurtre d’un poulet et le meurtre d’une personne humaine doivent être traité inégalement par la loi à cause des dommages externes»

    Non. J'ai dit inégalement par l'éthique, pas par la loi. Et j'ai dit que, si la loi et la justice suivaient mon paradigme, les deux seraient forcément illégal (indépendamment des conséquences externes) mais que leur "sanction" (c'est-à-dire, leur thérapie) serait différente, puisque le trouble mental amenant le premier me semble moins grave que le second.

    «Au sein de ce continuum du désir de vivre, selon quel critère places-tu la frontière dichotomique entre le droit à la vie et l’absence de droit à la vie?»

    C'est un continuum. Pas de frontière nette possible. Les invertébrés sont sans quelques part entre l'être et l'objet.

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  20. Ok, je comprends que tu distinctes l’illégalité de sa sanction. Dans mon approche, une faute dont la sanction est moindre est moins illégale. J’affirmerais donc qu’il est moins illégal d’uriner sur un lieu public que d’assassiner une personne humain. Cependant, d’un point de vue rigoureusement technique, il est vrai que l’un et l’autre sont également illégaux malgré que leurs sanctions soient très inégales. Je vais donc adopter ton vocabulaire.

    Si la sanction est proportionnelle aux dommages externes – puisque le trouble mental devant être traité serait proportionnel aux dommages externes que l’on cause volontairement – la sanction (ou traitement thérapeutique) pour le meurtre d’une personne stupide et isolée doit être moindre que la sanction pour le meurtre d’une personne intelligente et populaire. Puisqu’il serait éthiquement moins grave de tuer une personne stupide et isolée, puisqu’il serait moins répréhensible éthiquement de tuer une personne stupide et isolée, le trouble mental serait moindre et la sanction requise par la loi serait moindre. Cette position n’est pas incohérente mais elle n’accorde aucune dignité inhérente à la personne humaine… Si c’est bien ce que tu prônes, notre désaccord au sujet de l’avortement relève des mêmes questions que notre désaccord au sujet des punitions.

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  21. Non. La "sanction" n'est pas nécessairement proportionnelle aux dommages externes causés volontairement. Elle se contente d'être la souffrance inhérente au traitement psychologique requis pour que la personne ne recommence pas et aux mesures prises pour l'empêcher de nuire durant le traitement. Je ne pense pas qu'un tueur d'inconnus soit moins fous qu'un tueur de célébrités; même si l'action du second cause plus de dommages que celle du premier. De la même façon, comme je le disais plutôt, même si un tueur de poulet cause autant de dommages qu'un tueur d'inconnu, je pense que la folie du premier est plus facilement guérissable que celle du second.

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  22. Pourquoi un tueur d’inconnus n’est-il pas moins fou qu’un tueur de célébrités – même pas un peu – alors qu’un tueur de poulets est moins fou qu’un tueur de personnes humaines? Quelle est la caractéristique que possèdent également les inconnus et les célébrités mais que les poulets possèdent peu ou pas?

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  23. Considérant qu'un psychopathe est par définition quelqu'un dépourvu d'empathie, je pense qu'il faut ordinairement un niveau d'empathie supérieure pour être affecté par les signaux de douleur d'un poulet que ceux d'un humain (puisque ceux du poulets diffèrent des nôtres). Donc si même un humain qui dit «lâche-moi, j'ai mal!» en pleurant, ne t'affectes pas assez pour que tu t'arrêtes avant de le tuer, c'est que tu as une psychose supérieure à celui qui tue un poulet dont les signaux sont interprétables mais desquels on peut plus facilement se détacher.

    De la même façon, tuer à mains nues requiert une plus grande psychose que de tuer avec un fusil en appuyant sur la détente. L'acte est plus rapide et détaché.

    Je reprécise que le niveau de démence requis pour s'adonner à un acte criminel donné n'est pas nécessairement inversement proportionnel à son éthique.

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  24. Je constate que j’avais sous-estimé la cohérence de ton éthique sur cet aspect. Tu affirmes donc que la coercition légale visant à imposer un traitement thérapeutique aux criminels doit être réellement indépendante des caractéristiques des victimes et uniquement dépendante de celles des criminels. J’estime que ce principe est contraire à la dignité des criminels (c’est notre discussion sur les punitions) mais je reconnais qu’il n’est pas contraire à la dignité des victimes.

    Cependant, je vois encore une incohérence à cette approche éthique. Si les animaux ont un droit au bonheur égal à celui des personnes humaines – bien que leurs désirs et donc leurs intérêts aient des objets nettement plus limités – ton éthique est cohérente avec le traitement actif des animaux par les végétariens mais elle n’est pas cohérente avec le traitement passif des animaux par qui que ce soit.

    Les animaux souffrent dans toutes sortes de contextes qui n’ont rien à voir avec l’humanité. Ils souffrent de la famine, de la prédation et de la maladie dans la nature. Les désirs et les intérêts d’un bébé humain sont comparables à ceux d’une gazelle. Pourtant, si des bébés humains sont affamés, dévorés ou malades, il y a un impératif éthique à leur venir en aide qui n’existe pas face aux gazelles. Comme nous aurions dû intervenir pour stopper le génocide des Tutsis par les Hutus, il faudrait intervenir pour stopper le génocide des gazelles par les lions. Il faudrait investir nos ressources pour nourrir les animaux qui peinent à trouver de la nourriture dans la nature, il faudrait envoyer des vétérinaires dans la jungle pour guérir les maladies animales.

    Ton éthique est cohérente dans la mesure où elle s’abstrait de la réalité complète afin de se concentrer sur notre traitement actif des animaux. Cependant, dans la mesure où l’on tient compte de toute la réalité du règne animale, elle n’est pas cohérente avec notre traitement passif des animaux.

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  25. «Tu affirmes donc que la coercition légale visant à imposer un traitement thérapeutique aux criminels doit être réellement indépendante des caractéristiques des victimes et uniquement dépendante de celles des criminels.»

    Voilà. Donc ça serait toujours du cas par cas et l'on n'enlèverait jamais au criminel plus de liberté ou de bonheur que nécessaire.

    «Ton éthique est cohérente dans la mesure où elle s’abstrait de la réalité complète afin de se concentrer sur notre traitement actif des animaux. Cependant, dans la mesure où l’on tient compte de toute la réalité du règne animale, elle n’est pas cohérente avec notre traitement passif des animaux.»

    Tu présumes que je suis d'accord avec le fait de ne pas intervenir d'aucune façon dans la vie des animaux sauvages, mais je n'ai rien dit de tel. Cependant, il convient de souligner que:
    1. Contrairement aux bébés humains, les animaux sauvages, bien que non-doués de raison, sont capable d'autonomie.
    2. Contrairement aux humains, les animaux prédateurs doivent se nourrir de proie pour survivre. Donc c'est un cas d'égoïsme légitime. Il leur faut également chasser pour se sentir heureux, sinon leurs instincts sont frustrés.
    3. Contrairement aux humains, les animaux prédateurs laissent leurs proies vivre en liberté.
    4. Briser l'équilibre de l'écosystème risquerait d'amener davantage de souffrance que de laisser les choses telles qu'elles sont.

    Mais dans un hypothétique lointain futur technologique où l'humain pourrait pratiquement tout contrôler dans la nature, il sera éthiquement requis d'abolir la prédation. Ce sera comme quelqu'un qui empêche son chat de manger sa perruche, mais à une échelle globale. Cela pourra être accomplis en nourrissant les prédateurs avec de la viande de synthèse, en leur donnant des jouets pour qu'ils canalisent leurs instincts de chasseurs, et en réduisant la fécondité des proies pour ne pas qu'elles se reproduisent en surnombre. Mais au niveau technologique oû nous sommes maintenant, toute tentative d'intervention de ce genre à cette échelle risque de causer pas mal plus de mal que de bienfaits.

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  26. En quoi le fait que les animaux sauvages sont capables d’autonomie affecte-t-il le devoir éthique de protéger leurs intérêts? Une personne autonome ne souffre pas moins de la maladie qu’une personne dépendante.

    J’écarte l’idée de stopper le génocide des gazelles par les lions puisque, comme tu le fais valoir, les facteurs à considérer sont nombreux.

    Néanmoins, d’innombrables animaux sauvages subissent des souffrances (non-liées à la prédation) tout-à-fait comparables à celles des bébés humains en termes de conscience sensible. Selon ton éthique, nous devrions être également soucieux de protéger les intérêts des bébés humains que ceux de ces animaux. Défendrais-tu une telle position?

    Si tu invoques les dommages externes, tu soulèves un nouveau problème. Il faudrait alors que les programmes sociaux priorisent les personnes intelligentes et populaires sur les personnes stupides et isolées. Sinon, pourquoi le devoir éthique d’aider les personnes intelligentes et populaires est-il égal au devoir éthique d’aider les personnes stupides et isolées alors que le devoir éthique de protéger les bébés humains prime sur le devoir éthique de protéger les animaux sauvages?

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  27. «En quoi le fait que les animaux sauvages sont capables d’autonomie affecte-t-il le devoir éthique de protéger leurs intérêts?»

    Non non. On a le même devoir de protéger leurs intérêts. C'est juste que, contrairement aux bébés, on peut les laisser libres et ils vont par eux-mêmes combler leurs besoins et atteindre le bonheur.

    «Selon ton éthique, nous devrions être également soucieux de protéger les intérêts des bébés humains que ceux de ces animaux. Défendrais-tu une telle position?»

    Oui. Toutefois, comme je l'ai dit dans ma réflexion sur l'égoïsme légitime, pour un besoin d'égal importance nous avons le droit de faire passer nos intérêts et ceux de nos proches avant ceux d'inconnus. C'est pourquoi il est légitime, par exemple, de nourrir nos enfants et nos animaux de compagnie avant les enfants du Tiers-Monde et les animaux sauvages. C'est juste si le besoin d'autrui est supérieur à celui des nôtres que ça n'est plus légitime.

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  28. Donc, le devoir éthique de guérir une gazelle malade dans la jungle est égal à l’impératif éthique de guérir un bébé malade au Tiers-Monde?

    Je réitère le nouveau problème soulevé par la notion de dommages externes dans mon commentaire précédent.

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  29. Dans le cas de deux étrangers, oui, ce sont les conséquences collatérales qui vont déterminer qui je choisirai de sauver. Je prépare un prochain billet intitulé «éthique du prédateur» dans lequel j'explique que si l'on est absolument obligé de tuer - ou, dans ce cas-ci, de laisser mourir - vu que le droit de vivre des candidats est égal, on doit justement faire le choix qui causera le moins de souffrance et le plus de bonheur pour les autres. Donc, idéalement, tuer quelqu'un de nuisible ou sauver la personne qui donne le plus de bonheur aux autres.

    Les programmes sociaux ne sont pas censés laisser du monde mourir. Si, faute de moyen, c'était inévitable, alors c'est effectivement ce raisonnement que l'on devrait suivre : sacrifier les moins utiles (Je pense d'ailleurs que c'est ce que l'on fait un peu, il me semble qu'une mère monoparentale recevra plus d'aide pour elle-même qu'une personne vivant seule). Mais puisque l'on a le pouvoir de tous les faire vivre, on doit suivre la logique que j'expliquais dans ma réflexion avec les jauges et favoriser le résultat qui permettra de répartir le mieux le bonheur.

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  30. Les programmes sociaux accordent plus d’argent aux mères monoparentales qu’aux personnes seules… parce que les mères monoparentales sont responsables d’un foyer composé de plus d’une personne! En proportion du nombre de personnes dans le foyer, les mères monoparentales reçoivent moins d’argent que les personnes vivant seules puisque l’on estime que le coût de la vie est moins élevé lorsque plusieurs personnes partagent un même foyer. Chaque personne a une valeur égale en théorie.

    Selon ta réflexion avec les jauges (avec laquelle je suis en accord), et si l’on inclut les animaux parmi les personnes (ce que je conteste), on devrait investir autant de ressources pour guérir les maladies des animaux sauvages du Québec que pour guérir les maladies des bébés du Québec. Si les animaux sont des personnes au même titre que les humains, nous devrions investir nos ressources de façon à augmenter le bonheur de tous les animaux sauvages jusqu’au seuil de contentement avant d’investir de façon à augmenter le bonheur d’une seule personne humaine au-dessus du seuil de contentement. On devrait donc envoyer des vétérinaires dans toutes les forêts du Québec avant de financer un seul musée.

    Même si le meurtre d’un animal est moins grave (au sens qu’il implique une moins grande psychopathie) que le meurtre d’un humain, nous devrions investir autant de ressources pour prévenir le meurtre des animaux que pour prévenir le meurtre des humains. Si le droit à la vie d’un animal est égal à celui d’un humain, nous vivons au sein d’un immense génocide perpétuel (sauf que les génocidaires sont moins psychopathes puisqu’ils voient peu les signes de douleurs de leurs victimes). Dans un tel contexte, il me semble que le militantisme le plus radical serait justifié pour faire cesser le génocide contre les animaux.

    Je précise que je suis opposé à l’horreur que l’industrie agricole moderne fait souffrir aux animaux dans le seul but de nous procurer de la viande bon marché. Je crois que tout être sensible doit être traité avec compassion; la viande que j’achète provient d’un éleveur local qui traite son bétail avec décence. Seulement, je soutiens que les droits inconditionnels – tel que le droit à la vie – ne concernent que les humains.

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  31. «Les programmes sociaux accordent plus d’argent aux mères monoparentales qu’aux personnes seules… parce que les mères monoparentales sont responsables d’un foyer composé de plus d’une personne!»

    Ok. Je croyais que les programmes sociaux priorisaient les personnes ayant des enfants à charge.

    «on devrait investir autant de ressources pour guérir les maladies des animaux sauvages du Québec que pour guérir les maladies des bébés du Québec.»

    J'ai déjà dit que de faire égoïstement passer les intérêts de nos proches avant ceux d'inconnus était légitime. Donc puisqu'un État démocratique est ses électeurs, il est légitime que nos bébés et nos animaux de compagnie, en tant que nos proches, passent avant les animaux sauvages.

    «Si le droit à la vie d’un animal est égal à celui d’un humain, nous vivons au sein d’un immense génocide perpétuel»

    Oui.

    «On devrait donc envoyer des vétérinaires dans toutes les forêts du Québec avant de financer un seul musée.»

    Si on suit rigoureusement cette logique, on devrait aussi financer l'aide aux pauvres et l'aide internationale jusqu'à ce qu'il n'existe plus aucune souffrance, avant d'investir dans l'art ou le divertissement. Mais je ne suis pas d'accord. D'abord parce que nous n'arriverons pas à enrayer toute la souffrance et ensuite parce que nous serions malheureux. Donc financer un musée est un égoïsme légitime même s'il reste des pauvres qui ont faim.

    «Dans un tel contexte, il me semble que le militantisme le plus radical serait justifié pour faire cesser le génocide contre les animaux.»

    Honnêtement, quand je vois un militantisme animaliste trop radical, je désapprouve souvent mais pas parce que je trouve l'action démesurée (au contraire, c'est souvent juste du petit vandalisme versus des milliers de bêtes mortes), mais plus parce que je sais que cette action va ternir l'image de la cause dans la mentalité populaire et, conséquemment, que cela va nuire à la cause.

    «Seulement, je soutiens que les droits inconditionnels – tel que le droit à la vie – ne concernent que les humains.»

    Pour moi cela n'aura de sens que dans une perspective créationniste ou à moins d'imaginer que nous avons une différence qualitative avec le reste du règne animale. Scientifiquement parlant, nous sommes des animaux. Puisque les droits que nous accordons aux humains découlent de certains de nos attributs, et puisque nous partageons certains de ces attributs avec certaines bêtes, alors il est logique que nous partagions avec les bêtes certains droits. Autrement, ça serait aussi arbitraire que de dire «les femmes ne peuvent pas voter puisqu'elles n'ont pas de pénis».

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  32. Il est clair que ton végétarisme procure une cohérence – et donc une légitimité – à ton éthique pro-choix; une personne qui défend une éthique pro-choix tout en justifiant la mise à mort d’animaux sensibles afin de se nourrir de leur chair alors que ce n’est pas nécessaire à sa survie serait rapidement démontée par les thèmes que j’ai abordés plus tôt. En effet, ma position humaniste (au sens que les droits inconditionnellement égaux sont exclusifs aux êtres humains) nécessite une prémisse théiste, et donc dualiste, afin d’être défendable. Un tel humanisme, s’il est moniste, est forcément une sorte de racisme ayant un préjugé favorable pour la race humaine. Je précisais ma position seulement dans le but d’affirmer que je ne suis pas insensible à la souffrance des animaux.

    L’égoïsme légitime, tel que tu l’invoques ici, permet la légitimation éthique de la plupart des injustices que tu dénonces ailleurs. L’ensemble des êtres humains et des animaux de compagnie du Québec ne sont pas les proches de chaque électeur québécois. Un État démocratique n’est pas la somme de ses électeurs, pas plus qu’une somme de bonheur n’est une personne. Si les électeurs humains d’un État démocratique sont éthiquement légitimes de prioriser le bonheur de l’ensemble des humains puisque cela correspond à leur intérêt égoïste, les électeurs mâles d’un État démocratique sont éthiquement légitimes de prioriser le bonheur de l’ensemble des humains mâles puisque cela correspond à leur intérêt égoïste. Cette logique est contraire à toute l’éthique que tu défends par ailleurs. Si les animaux sauvages du Québec sont titulaires d’un droit à la vie éthiquement égal à celui des humains, l’égoïsme légitime des humains québécois ne peut pas légitimer une négation officielle de ce droit pour l’ensemble des animaux sauvages québécois.

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  33. «Il est clair que ton végétarisme procure une cohérence – et donc une légitimité – à ton éthique pro-choix;»

    En effet. Mais je dirais que les pro-choix non-végétariens (c'est-à-dire, la majorité des gens), peuvent justifier leur position par une combinaison de nos deux critères: il faudrait à la fois être humain et sentient pour avoir des droits.

    «L’égoïsme légitime, tel que tu l’invoques ici, permet la légitimation éthique de la plupart des injustices que tu dénonces ailleurs. »

    Je comprends. En fait pour comprendre mon point ici il faut comprendre ma conception de l'État. Dans un de mes futurs billets j'éclairerais les choses sur ça, mais je suis encore en réflexion à ce propos. Mais, grossièrement, je divise les choses en deux sortes de "fonctions" que j'appelle "égoïste" (les droits des "signataires" du contrat social, c'est-à-dire les électeurs) et altruistes (droits de ceux qui n'ont aucun pouvoir politique: animaux, enfants, déficients, étrangers). À partir de là, il faut définir non-arbitrairement qui entre dans l'ego de l'État et qui entre dans son autrui (par exemple il est arbitraire d'exclure les femmes de l'ego; il est absurde d'inclure les animaux dans l'ego mais arbitraire de les exclure aussi de l'autrui). Bref, les animaux et les enfants sont dans le autrui et, par conséquent, lorsque l'on ne peut sauver tout le monde, on peut se permettre de sélectionner égoïstement qui va le plus bénéficier de notre altruisme. Donc il est légitime que l'ego de l'État et ses proches dans son autrui aient une sorte de statut privilégié faisant en sorte que leur bonheur jusqu'au seuil de contentement passe avant le bonheur des autres dans l'autrui.

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  34. Selon ce principe, il faudrait que les non-électeurs soient toujours relégués au dernier rang des files d’attente à l’hôpital. Il faudrait offrir une meilleure éducation aux enfants des électeurs avant d’offrir quelque éducation que ce soit aux enfants des non-électeurs. Il faudrait que la loi exige que les employeurs puissent embaucher des non-électeurs seulement lorsqu’ils n’ont aucun candidat électeur. Vraiment, la notion d’un égoïsme collectif des électeurs de l’État ne me semble pas compatible avec un respect minimaliste des droits de la personne.

    La collectivisation étatique des intérêts et des devoirs éthiques n’est pas compatible avec ton analogie des jauges. Pourquoi est-il éthiquement justifiable pour une personne de voter en faveur de lois qui favorisent non seulement son égoïsme personnel mais aussi l’égoïsme de toutes les personnes ayant le droit de vote? C’est comme un cartel éthique : ceux qui possèdent le droit de vote s’entraident de façon exclusive aux dépens de ceux qui n’ont pas le droit de vote.

    L’État n’a pas d’ego; l’État n’est pas plus une personne que la somme des personnes. En fait, l’État n’est rien d’autre qu’une somme de personnes, tout autant que la société au sens large. En quoi une structure étatique justifie-t-elle un égoïsme collectif qu’une structure sociale ne justifierait pas?

    La seule nuance légitime que je vois distingue les résidents de l’État et les résidents des autres États. Chaque État est responsable des personnes qui habitent son territoire. Pour qu’un État ait une responsabilité mondiale, il faut qu’il soit un État mondial. Un État mondial est peut-être souhaitable mais, en l’absence d’un tel État mondial, chaque État est responsable des personnes qui habitent son territoire. Parmi ces personnes, je ne vois aucun égoïsme collectif légitime.

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  35. «Selon ce principe, il faudrait que les non-électeurs soient toujours relégués au dernier rang des files d’attente à l’hôpital. Il faudrait offrir une meilleure éducation aux enfants des électeurs avant d’offrir quelque éducation que ce soit aux enfants des non-électeurs. Il faudrait que la loi exige que les employeurs puissent embaucher des non-électeurs seulement lorsqu’ils n’ont aucun candidat électeur.»

    Pas systématiquement mais un peu. Je mets les électeurs et leurs proches non-électeurs à égalité dans l'ordre de priorité, mais les non-électeurs sans proches électeurs après eux. Ainsi, l'État investi dans ses écoles et ses hôpitaux avant d'investir dans ceux des autres pays. On engage un citoyen avant un travailleur saisonnier mexicain.

    «Pourquoi est-il éthiquement justifiable pour une personne de voter en faveur de lois qui favorisent non seulement son égoïsme personnel mais aussi l’égoïsme de toutes les personnes ayant le droit de vote?»

    Parce que:

    «Chaque État est responsable des personnes qui habitent son territoire. Pour qu’un État ait une responsabilité mondiale, il faut qu’il soit un État mondial.»

    C'est juste que moi je rajoute une distinction, parmi les individus (humains ou animaux) sur le territoire de l'État entre ceux qui «font partie de l'État» (les citoyens) et ceux qui sont seulement «protégés par l'État» (enfants, animaux, touristes). Alors que donner des droits aux premiers me semble purement égoïstes (ce sont les électeurs qui exigent des droits), donner des droits aux seconds est un acte altruiste (puisque ceux là n'ont pas le pouvoir de prendre des droits) et suit donc ma logique de priorisation des altruismes.

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  36. Donc, un bébé orphelin situé sur le territoire du Québec qui n’est le proche d’aucun électeur bénéficiera des soins de santé publics au même rang de priorité qu’un orignal situé sur le territoire du Québec? Dans la mesure où les soins de l’un et de l’autre sont également coûteux, le bébé orphelin ne bénéficiera d’aucune priorité face à l’orignal?

    Je réitère ma question à savoir pourquoi est-il éthiquement justifiable pour une personne de voter en faveur de lois qui favorisent non seulement son égoïsme personnel mais aussi l’égoïsme de toutes les personnes ayant le droit de vote. S’il est éthiquement justifiable que les personnes qui détiennent le droit de vote se favorisent entre elles à travers un cartel politique, pourquoi ne serait-il pas éthiquement justifiable que les personnes qui détiennent la propriété des grandes corporations se favorisent entre elles à travers un cartel économique? Si la possession du droit de vote permet d’unifier l’égoïsme légitime de toutes les personnes qui possèdent le droit de vote, pourquoi la possession d’une grande corporation ne permet-elle pas d’unifier l’égoïsme légitime de toutes les personnes qui possèdent une grande corporation? Qu’y a-t-il de si spécial avec l’État pour justifier un égoïsme collectif excluant certaines personnes à l’intérieur de son territoire?

    J’estime que ta définition de l’égoïsme légitime est excellente. Cependant, je pense qu’elle est complètement déformée si elle est appliquée à des collectivités.

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  37. «est-il éthiquement justifiable pour une personne de voter en faveur de lois qui favorisent non seulement son égoïsme personnel mais aussi l’égoïsme de toutes les personnes ayant le droit de vote»

    Seulement si l'égoïsme en question répond aux critères pour que je le qualifie de légitime, c'est-à-dire nécessaire à un niveau de bonheur minimal. (voir ce réseau de concepts). Faire passer les caprices des électeurs avant les besoins vitaux d'étrangers ou d'animaux sauvages, n'est pas éthique.

    «pourquoi ne serait-il pas éthiquement justifiable que les personnes qui détiennent la propriété des grandes corporations se favorisent entre elles à travers un cartel économique»

    Encore une fois, l'égoïsme n'est légitime que s'il comble un besoin chez celui qui agit qui est supérieur au préjudice subit par autrui. Donc si je fonde une entreprise, il est logique que ses revenus nourrissent ma famille avant d'aller vers des causes humanitaires. Mais si j'opprime les travailleurs du Tiers-Monde pour me payer une sixième voiture, ce n'est plus légitime.

    Mais je comprends le point que tu soulèves. Je pense que tu veux parler du favoritisme et du népotisme. En fait, pour une entreprise, de favoriser les autres entreprises possédés par des amis ou de la famille, plutôt que d'y aller au mérite, n'a rien de "mal" dans sa logique. L'État, par contre, est supposé avoir chaque citoyen comme "ego" et pas seulement ses dirigeants. Ainsi, quand un ministre donne des contrats à la compagnie de sa femme plutôt que de faire un appel d'offre équitable, il utilise son égoïsme personnel alors qu'il aurait dû utiliser celui des citoyens. Aussi, il est légitime et nécessaire que l'État empêche les entreprises de faire du favoritisme même s'il est légitime pour les entreprises d'en faire.

    «Qu’y a-t-il de si spécial avec l’État pour justifier un égoïsme collectif excluant certaines personnes à l’intérieur de son territoire?»

    Non seulement l'État n'a rien de spécial, mais son territoire non plus. L'État devrait considérer les intérêts de tous les êtres de l'univers. Ce qui se passe de l'autre côté de la frontière n'est pas moins important, c'est juste qu'on peut prendre pour acquis qu'un autre État tout aussi éthique va se charger de la situation (et on n'interviendra que lorsque l'État en question aura démontré qu'il n'est pas éthique).

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    1. «un bébé orphelin situé sur le territoire du Québec qui n’est le proche d’aucun électeur bénéficiera des soins de santé publics au même rang de priorité qu’un orignal situé sur le territoire du Québec?»

      La réponse courte: oui.

      La réponse longue: D'abord, c'est un faux dilemme puisque les vétérinaires ne soignent pas de bébés humains. Tous deux ne seront jamais dans la même file d'attente et l'on n'a donc pas à nous demander lequel devrait passer en premier. Ensuite, je me focalise sur l'individu et ses besoins. L'orignal est capable de se débrouiller tout seul dans la vie, tout ce qu'il a besoin est d'un environnement spécifique. Le bébé a besoin d'avoir un ou plusieurs parents humains pour l'élever et s'occuper de lui. Donc supposons que tous deux ont des blessures équivalentes, ils auront tous deux droits à des soins et le bébé aura en plus le droit d'être adopté (par l'État en attendant de l'être par des parents), ce qui l'élève spontanément au rang de «proche» le faisant passer avant l'orignal qui demeure au rang d'«étranger». Mais bon, c'est un peu une contorsion. Dans les faits, on n'a très rarement à choisir entre la vie d'un bébé inconnu et celle d'un animal sauvage et, si oui, on peut se permettre d'avoir le critère que l'on veut puisque les options sont éthiquement équivalentes.

      P.S. - Je pense avoir suffisamment approfondi ma réflexion pour être en mesure de mettre en ligne prochainement un billet intitulé «l'altruisme de l'État» qui clarifiera les choses là-dessus.

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  38. Mais il y a des animaux qui souffrent de maladies dans les bois alors que l’État finance des musées. Si l’égoïsme est seulement légitime dans la mesure où l’on priorise ce qui est nécessaire à notre bonheur avant de contribuer au bonheur d’autrui, l’égoïsme de l’État n’est pas légitime. Il faudrait s’assurer que tous les besoins de tous les animaux sauvages soient comblés avant que l’État ne puisse légitimement financer quoi que ce soit de non-essentiel pour les humains. C’est cela?

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    1. Non.

      Si un État va laisser souffrir les animaux sauvages et les enfants du tiers-monde pour financer l'art et la culture, c'est parce le peuple serait malheureux sans ça. C'est donc nécessaire à notre bonheur. Comme de m'acheter un dessert plutôt que de donner de l'argent à un itinérant. On n'est pas tenu d'être malheureux.

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  39. Encore une fois, je dois admettre que ton éthique est plus cohérente que je ne m’y attendais. Il y a quelque chose d’intuitivement surréel dans l’idée que l’on accorderait autant d’importance éthique aux animaux sauvages qu’aux bébés orphelins mais ce n’est pas incohérent. Je me désengage donc de cette critique d’incohérence en te concédant cet aspect de la question. :)

    Je reviens à une critique plus fondamentale à savoir si les animaux ont réellement un intérêt à vivre. Il est clair que les animaux ont un intérêt à ne pas souffrir. La mort causée par les dents et les griffes des prédateurs impliquent une grande souffrance, c’est pourquoi les animaux fuient les prédateurs. Néanmoins, lorsque les animaux évitent une mort souffrante, avons-nous un indice à l’effet qu’ils évitent la mort elle-même plutôt que la souffrance afférente? Avons-nous un indice à l’effet qu’un animal pourrait ressentir du désespoir ou quelque forme de souffrance que ce soit à l’idée que sa vie prendra fin de façon prématurée? Dans la mesure où elle est sans douleur, avons-nous un indice à l’effet qu’un animal craint la mort?

    En d’autres mots, est-ce que la psyché animale nous révèle des indices d’une projection dans le futur? Un humain condamné à mort dans un an vit clairement un grand désespoir durant toute cette année, même si son exécution sera une injection létale sans douleur. Avons-nous des raisons pour attribuer un désespoir comparable aux animaux? Si l’animal ne peut pas imaginer la vie future, il ne souffre pas que celle-ci soit tronquée par le mort. Les animaux connaissent la souffrance physique et certaines formes de souffrance affective mais connaissent-ils la souffrance spirituelle suscitée par un désespoir face à la mort elle-même?

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  40. On pourrait se demander la même chose pour les bébés, les personnes fortement atteinte par l'Alzheimer ou présentant une déficience mentale sévère. Je ne pense pas non plus qu'ils soient conscients de la mort elle-même. Pas du moins, d'une façon aussi consciente qu'un être rationnel (qui, lui-même, n'est pas totalement conscient de la mort, à la fois parce qu'il ne l'a jamais connue et qu'elle lui est inconcevable mais aussi parce que la plupart des gens croient en l'immortalité de l'âme donc ne savent pas qu'ils vont mourir), mais, plus, d'une façon intuitive... comme tu dis, il lutte plus contre la souffrance anticipée que contre l'annihilation de sa conscience.

    Je discute de cette question dans réflexion sur le meurtre.

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  41. Ta réflexion sur le meurtre me laisse perplexe. Tu écris :

    « Si nous étions tous virtuellement immortels et que seul un accident ou un meurtre pouvait mettre fin à nos jours, alors l'acte de tuer aurait une portée différente. En assassinant quelqu'un, je serais responsable de sa mortalité et je lui enlèverais les innombrables potentialités qui lui restaient à vivre dans son existence sans fin. Dans notre monde où la mort est obligatoire, tuer ne fait que rapprocher l'inévitable. Le meurtrier n'est pas responsable du fait que sa victime soit mortelle; même s'il est la cause de sa mort, sans son intervention, elle serait tout de même morte un jour où l'autre. »

    Pourtant, tuer une personne mortelle lui enlève un bien de la même façon que l’on enlève un bien d’une personne immortelle en la tuant. La différence est seulement que la vie que l’on enlève à la personne mortelle est limitée dans le temps; c’est n’est pas un bien moins réel pour autant. Les potentialités qu’on lui enlève ne sont pas infinies mais elles ne sont pas moins réelles pour autant.

    J’ai toujours pensé que, d’un point de vue utilitariste, le mal n’est pas seulement de causer de la souffrance mais aussi d’enlever un plaisir. Même si une personne ignore qu’on lui enlève un bien, et qu’elle ne souffre donc pas de la frustration de ce bien, on lui enlève un bien réel. Toi-même, dans ton billet sur les difficultés de l’utilitarisme, tu écris que «retirer un bonheur» équivaut à «donner une souffrance» et inversement. En ce sens, le mal du meurtre me semble évident.

    Pour revenir à la question de base, il me semble que ton approche résulterait dans une légalité circonstancielle du meurtre. Ce ne sont pas seulement les bébés et les déficients mentaux qui n’ont pas conscience d’être tués : une personne endormie est également inconsciente de sa mort si elle est assassinée durant son sommeil. Dans la mesure où personne ne regrettera la mort de la personne endormie, dirais-tu que son meurtre n’est pas un mal en soi? Sinon, pourquoi?

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    1. Si j'ai parlé du meurtre dans un contexte d'immortalité, c'était entre autre pour préparer ma réflexion sur l'euthanasie. En tuant un immortel, je lui enlève un plus grand bien qu'en tuant un mortel. De la même façon, tuer un mourant c'est lui enlever moins de futurs bonheurs potentiels que si je tuais un bien-portant.

      Je disais dans ma réflexion sur les difficultés de l'utilitarisme que, justement, quand on prend le fait de tuer ou de donner la vie, c'est plus difficile de «calculer» sa valeur éthique que si on s'en tient au bonheur et à la souffrance. Donc, même si tuer peut être contraire à l'éthique si l'on considère qu'on lui enlève tous les bonheurs qui lui reste à vivre, je me questionnais s'il était nécessaire ou non que la victime puisse être consciente à un moment donné de son existence qu'elle subit cette perte. Donc la tuer spontanément et sans souffrance l'empêcherait de réaliser ce qu'elle perd.

      Mais bon, puisque tu crois en l'immortalité de la conscience, je ne pense pas que l'on puisse discuter ensemble de ce sujet. Pour moi la mort c'est l'annihilation de la conscience. Pour toi, tuer quelqu'un, j'imagine que ce n'est pas plus pire que de le forcer à déménager dans un autre pays... Un pays de bonheur éternel oû tous ses proches iront le rejoindre un jour... ouais finalement, aux yeux d'un chrétien, c'est l'fun se faire tuer.

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