jeudi 23 avril 2009

Le propre de l'Homme à l'ère posthumaine

Dans beaucoup de traité de bioéthique, on se pose des questions sur « la nature humaine » ou la définition de l'humain. On accorde à cela une importance capitale dans tout débat de bioéthique. Lorsqu'ils tournent les yeux vers l'horizon du futur, les scientifiques anticipent au-delà l'existence d'êtres encore inexistants tels que des humains transgéniques, des robots à intelligence humaine, des cyborgs (mi-humains mi-robots), des mutants ou d'autres créatures posthumaines. Ils se questionnent donc à savoir si ce sont des humains ou non.

Les gens sont souvent intuitivement réticents à l'idée que l'on modifie sciemment le génome de l'humanité, même si c'est pour éradiquer des maladies génétiques ou améliorer le fonctionnement de l'organisme. Cette sacralisation découle de notre représentation d'une identité collective de l'humanité. À mes yeux, se demander «Un humain que l'on modifierait génétiquement serait-il encore un humain?» est du même niveau de futilité et de vacuité que de se demander si un Québécois qui se convertirait à l'islam demeurerait Québécois. Comme je l'ai déjà mentionné dans ma réflexion sur l'identité, se définir (collectivement ou individuellement) sur la base de telles critères constituent un frein inutile à notre progression. Cette aversion envers ce qui n'est «pas naturel» n'a aucune légitimité scientifique.

L'autre source de dédain envers les posthumains découle d'une certaine conception de l'éthique. J'en ai parlé dans ma réflexion sur l'avortement ainsi que dans celle sur le spécisme. La plupart des gens font de l'appartenance à l'espèce humaine le pilier du droit à la vie et à la dignité. Pourtant, l'humanité n'est qu'une espèce qui se définit, comme toutes les espèces, sur la base du critère de l'interfécondité. Une éthique ayant un pilier un peu moins arbitraire que notre «statut d'humain» (par exemple, l'éthique utilitariste) qui considérerait les individus selon leurs attributs individuels et non selon le groupe dans lequel on les classe serait moins discriminatoire et ne nécessiterait plus de tordre constamment la définition de l'humain - et des facultés soi-disant propres à l'humain - pour accommoder nos idéologies.

Cet humain transgénique n'est plus un humain? Pis après! Peut-il ressentir la douleur? Est-il conscient d'exister? Peut-il communiquer avec nous? Voilà des questions plus pertinentes pour évaluer le statut juridique d'un être et la considération qu'on doit éthiquement lui témoigner.

3 commentaires:

  1. Je discerne du nietzschéen en vous. Tout comme lui, vous fuyez tout ce qui pourrait vous associer à une identité collective allant jusqu'à mépriser la recherche d'une éthique dont le synonyme est d'ailleurs la "morale" si chère aux "croyants", donc forcément à fuir comme la peste.

    Vous savez, il y a des raisons très pragmatiques à tenir le progrès en laisse.

    D'abord le principe de réciprocité. Lorsque l'on parle des gens, c'est aussi de soi que l'on parle. Ce que l'on voudrait voir appliquer aux gens, il faut dès lors aussi accepter que l'on vous l'applique tout aussi arbitrairement. C'est-à-dire suivant des critères qui ne seront plus forcément les vôtres.

    On voit souvent ce type d'argument de dissociation dans certains domaines, comme, par exemple, dans le milieu hospitalier où le patient est assimilé à un sous-homme par le personnel soignant, certes compatissant, mais frappé par un complexe de supériorité qui est une autre sorte d'identité collective. On peut aussi parler du milieu pénitentiaire (prisonniers et gardiens), du milieu politique (gouvernés et gouvernants), du milieu scientifique (ignorants et savants).

    Et puis, il y a le principe de causalité qui affirme qu'à une cause donnée s'attache un enchaînement d'effets dont l'expérience de l'humanité à permis de comprendre que si certains sont désirables, d'autres, par contre, sont indésirables.

    Ainsi, si la révolution industrielle est la source du progrès du niveau de vie moyen de nos sociétés occidentales, et même du progrès scientifique, c'est aussi la source de nombreux problèmes dont les effets en cascades présentent aussi un risque, non négligeable, de sonner le glas de l'humanité (pour ne parler que d'elle), donc également de vous et moi.

    Vous comprendrez que c'est bien par pur égoïsme que je suis humaniste et que je me soucie d'éthique. Ce qui est bon pour moi, doit, dans une certaine mesure, être bon pour les autres, si je ne les exclus pas de mon univers.

    Dites-vous bien que ce que cette éthique utilitariste que vous appelez de vos vœux n'est rien d'autre que "la fin justifie les moyens" dont se sont revendiqué tous les dictateurs, du monde, se disant "éclairé".

    Vous êtes végétarien par conviction, je crois (je n'ai pas tout lu). Que diriez-vous si votre surhomme devenu enfin omniscient et immortel (science-fiction) considérait notre sous-humanité comme la majorité d'entre nous considère les poulets de batterie ? L'éthique n'est pas faite pour les chiens (à voir).

    Je ne suis pas convaincu que l'on pense mieux aujourd'hui qu'il y a trois mille ans. Je dirais même que l'on pense plus pauvrement tant nous sommes distrait par de sujets non essentiels.

    Si vous voyez dans mon commentaire une forme d'agression à votre article, vous vous trompez. Je vous trouve, au contraire, très intéressant, et cela me stimule.

    P.S.: pour votre information, j'ai regroupé l'ensemble de mes réponses dans un blog (http://abuzin.blogspot.com/) que je viens de créer. N'y voyez pas forcément une invitation à participer, je le considère d'ailleurs moi-même comme un bloc-note.

    RépondreEffacer
  2. Vous dites : « si la révolution industrielle est la source du progrès du niveau de vie moyen de nos sociétés occidentales, et même du progrès scientifique, c'est aussi la source de nombreux problèmes dont les effets en cascades présentent aussi un risque, non négligeable, de sonner le glas de l'humanité »

    Vous semblez mépriser ou craindre le progrès et idéaliser un lointain passé.

    Comprenez que la science et les technologies ne sont pas la cause de tous les maux qui nous frappent. La cause étant la façon dont on s'en sert et les idéologies motivent ces usages. Ces idéologies ne sont pas scientifiques; au contraire. Elles sont engendrées par l'égoïsme et l'obscurantisme.

    La progression de la science nous permet de développer un altruisme raisonné et de nous libérer de l'obscurantisme. C'est-à-dire que si « tout va mal dans le monde » ce n'est pas parce que l'on a « trop progressé » mais peut-être justement parce que toutes les sphères de nos vies n'ont pas progressées à la même vitesse. On a quitté l'équilibre de notre état primitif et l'on est dans une période transitoire de chaos jusqu'à ce que l'équilibre se rétablisse autrement. C'est, selon moi, l'aboutissement nécessaire et logique du progrès.

    Vous dites : « Que diriez-vous si votre surhomme devenu enfin omniscient et immortel (science-fiction) considérait notre sous-humanité comme la majorité d'entre nous considère les poulets de batterie ? »

    Je dirais que c'est un bien piètre surhomme s'il n'a même pas compris que l'éthique ne doit pas se fonder sur une fictive « hiérarchie naturelle » entre des groupes arbitrairement définis, mais sur les besoins réels des individus.

    RépondreEffacer
  3. Je n'idéalise pas le passé, mais je reconnais notre filiation avec lui. Je suis souvent épaté de constater que les penseurs anciens étaient bien plus rigoureux et pourtant plus tolérants, que bien des donneurs de leçon ou de "raisonneurs" d'aujourd'hui.

    Je suis également un passionné de l'actualité scientifique. Tout comme vous, je constate cet écart entre le savoir scientifique actuel et les préjugés de tout un chacun sur un grand nombre de domaines.

    J'ai effectivement "foi" dans la science, à défaut d'être un actuel Pic de la Mirandole. Je ne méprise pas mes contemporains, j'essaye de les comprendre. Le mépris serait contraire à mes convictions humanistes. Pour les mêmes raisons, je ne m'en dissocie pas non plus.

    Vous pensez que la progression de la Science permettrait de développer un altruisme raisonné qui nous délivrerait de l'obscurantisme. C'est oublier que rien ne peut s'imposer à autrui, sans acceptation de cet autrui. C'est le principal écueil à tout changement dans la société, surtout dans un monde où la rapidité de la communication met en présence des populations de niveau et de culture différents.

    Rappelons-nous qu'il y a 100 ans, chez nous aussi, les femmes n'avaient pas le droit de vote. Il faut laisser du temps au temps. Vouloir brusquer les choses, c'est donner des arguments à l'obscurantisme et à son radicalisme. Je préfère un travail "en douceur", parce que l'on attire pas les mouches avec du vinaigre.

    Dites-vous bien que si vous étiez né en terre "obscurantiste", votre raison serait plus que probablement utilisée à promouvoir des thèses obscurantistes. La libre-pensée veut d'abord que l'on s'impose, à soi-même et à ses propres thèses, un débat contradictoire sans compromission. Sans cela la lutte contre l'obscurantisme des autres est biaisée.

    Le besoin "réel" des individus est influencé, voire soumis par le plus grand consensus. C'est le contenu éducatif qui nous forme à l'accepter. Il est quasiment impossible de convaincre un esprit "formé" de la justesse de nos arguments, parce que ses arguments, tout comme les nôtres, sont issus d'une (dé)formation.

    Si on reçoit une éducation scientifique, on peut aborder les notions scientifiques. Mais si cette éducation scientifique nous manque ou est trop partielle, la "foi" dans la science est tout aussi dogmatique que la foi religieuse, puisque l'on est incapable de la justifier.

    RépondreEffacer