lundi 21 septembre 2009

La phobie de l'eugénisme

Dans le cadre de mon travail, j'ai feuilleté un livre écrit par un prêtre qui parlait du fait que l'on avortait systématiquement les fœtus atteint de trisomie-21 et qui qualifiait de cette pratique de «génocide»! J'ai l'impression que notre culture a vraiment trop été traumatisée par la deuxième guerre mondiale, au point que l'on ne peut même plus dialoguer sur aucune forme d'eugénisme, aussi modérée et inoffensive soit-elle, sans que notre interlocuteur ne se mette à gagner des points Godwin. Ce qu'il y avait de monstrueux dans les actes d'Hitler, ce n'est pas qu'il voulait «purifier» l'espèce, c'est qu'il a fait tuer des millions de personnes.

Personnellement, je pense que prendre des mesures pour réduire la propagation d'une maladie, et éventuellement l'enrayer, n'est pas un crime; que cette maladie soit infectieuse ou génétique. C'est comme si l'on qualifiait de «génocide du peuple sidéen» le fait de vouloir éviter la propagation du sida.

Évidemment, je comprends la nuance : avorter systématiquement les futurs trisomiques est perçu comme le meurtre de personnes potentielles. Mais comme je l'ai dis dans ma réflexion sur l'avortement et dans celle sur nos devoirs envers les générations futures, je considère que l'on ne doit rien à un être qui n'existe pas et qui n'existera jamais. Par conséquent, si j'avorte une personne potentielle parce qu'elle aurait eu un handicap ou pour tout autre mobile, je ne commets pas de faute envers elle. Par ailleurs, si l'on étudie les deux alternatives suivantes :
  • A – J'engendre un enfant atteint d'une maladie génétique très grave et je l'appelle Pierre;
  • B – J'avorte mon embryon atteint d'une maladie génétique très grave et, pour le remplacer, j'en conçois un nouveau que j'appelle Jacques;
On se rend compte que si l'alternative B fait en sorte que Pierre n'existera jamais, l'alternative A empêche l'existence de Jacques. Donc pourquoi B serait-il un meurtre mais pas A?

Si nous n'avons pas pour devoir d'amener à l'existence ou non une personne donnée, je considère nous avons pour devoir de rendre son existence agréable. En conséquence, et même si ça peut sembler paradoxal, il est de notre devoir d'éviter de mener une grossesse à terme si l'embryon est trop susceptible d'avoir une maladie génétique quelconque qui l'empêcherait considérablement de jouir de la vie.

Il est évident que l'on ne peut toutefois pas agir ainsi avec toutes les maladies génétiques. Une qui serait trop bénigne ou trop répandue, comme la myopie par exemple, ne peut pas possiblement être enrayée sans que l'on se prive du même coup d'une bonne part de notre biodiversité. C'est d'ailleurs sur ce point que devrait porter le débat. On devrait méditer sur la question suivante :
«À quelle point une maladie génétique doit-elle être grave et/ou doit-elle avoir de chances de se manifester pour qu'il vaille la peine qu'on en fasse un décryptage prénatal systématique et qu'on avise les géniteurs de sa présence avant la date limite légale pour l'avortement?»

Mais bloquer notre raisonnement en amont à cause d'un tabou irrationnel envers tout ce qui pourrait se retrouver sous le label de «eugénisme» n'est pas une solution. De toute façon, il faudra nous poser cette question un jour ou l'autre.

2 commentaires:

  1. Bonjour;

    Juste ce post pour signaler que, contrairement à l'IVG qui n'est légale que jusqu'à 14 semaines d'amenorrhée, une interruption médicale de grossesse pour trisomie 21 ou mucoviscidose peut être pratiquée à tout moment au cours de la grossesse, jusqu'au terme; et dans ces conditions, il me semble difficile de ne parler que de personne potentielle: quelle différence entre un foetus de 7 mois et un prématuré né à 7 mois ? quelle différence entre un foetus de 9 mois et un nouveau-né à terme ? Aucune qui soit significative, à mes yeux en tout cas.

    Et puis personnellement, je ne laisserais personne décider à ma place de si mon existence vaut la peine d'être vécue ou pas. Tous les trisomiques sont ils malheureux? Je ne pense pas, non.

    Notez que mon intervention n'est pas guidée par une quelconque morale religieuse. Je ne crois pas en Dieu, et apprécie les textes que vous avez publiés sur une ethique fondée sur l'empathie. Mais je voulais préciser les choses, et signaler que l'empathie ne devrait pas nous amener à prendre des décisions à la place de l'autre, ou à justifier hypocritement nos choix. Car je pense sincèrement que c'est avant tout le fait d'éviter d'avoir à gérer le fardeau d'un enfant handicapé qui pousse les couples à demander l'IMG, bien plus qu'une quelconque empathie, même s'il est plus facile de prétendre le contraire.

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  2. Vous avez raison.

    C'est très certainement le fait de ne pas vouloir avoir un trisomique à charge qui motive le fait de vouloir avorter l'embryon. Mais le point est que le fait de s'abstenir d'avorter l'embryon n'est pas un acte altruiste envers lui s'il n'est pas encore un être. On ne peut pas parler de «choisir à la place de l'autre si son existence vaut la peine d'être vécu», puisque cet «autre» n'existe pas et que c'est justement notre choix qui déterminera s'il existera ou non.

    J'aborde un peu cette question dans cette réflexion:

    http://chezfeelozof.blogspot.com/2009/06/nos-devoirs-pour-les-gens-de-demain.html

    C'est sûr que des trisomiques sont heureux. Le point c'est que personne ne choisirait d'être trisomique plutôt que de ne pas l'être. Une fois que tu existes, tu t'accommodes des handicaps que la vie t'impose et il vaut très certainement la peine de continuer à vivre même en étant trisomique. Mais lorsque l'on choisit d'amener un être à l'existence, il importe de prendre toutes les mesures qui sont en notre pouvoir pour que cet être futur dispose des facultés nécessaires pour acquérir son autonomie et accéder au bonheur.

    Mais tu apportes un point important en soulignant que l'âge légal limite pour l'avortement d'un trisomique est beaucoup plus tardive que celle pour un avortement sans raison médicale. Ça mérite qu'on y réfléchisse davantage...

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