vendredi 16 octobre 2009

L'équipe des gentils

Dans les histoires fictives, principalement dans le style fantastique, il y a souvent une dichotomie simpliste entre le bien et le mal. On a les gentils d'un côté et leurs adversaires sont les méchants.* Ce genre d'éthiques non-utilitaristes me semble trop dominer notre littérature et notre cinéma. Je reproche plusieurs choses à cette vision manichéenne du bien et du mal.

D'abord, on s'attarde trop à la «valeur» de l'agent (éthique «vertualiste») plutôt qu'à ses actions (éthiques déontologiques) ou aux conséquences de ses actions (éthiques conséquentialistes telles que l'utilitarisme que je défends ici). Dans la triade sujet/action/objet, il me semble que l'éthique doit rechercher avant tout des conséquences positives pour l'objet (celui qui subit l'action); en considérant bien sûr qu'il y a des objets collatéraux, que le sujet est également objet, que son pouvoir se limite à l'action et non à l'objet lui-même, etc. Mais bref, les éthiques de la vertu, telle que celle-ci, me semble trop centrée sur l'agent au point qu'elles m'apparaissent égoïstes : le but n'est plus d'éviter de causer de la souffrance mais d'éviter de se souiller soi-même.

Autre reproche, c'est que le bien et le mal deviennent pratiquement comme des patries ou des attributs intrinsèques à l'être. Si je suis un démon, un soldat nazi, ou disciple de Voldemort, je suis un méchant par nature. Tandis que si je suis du côté des gentils, je demeure un gentil quoique je fasse. Ça rejoint un peu ce que je disais précédemment à propos de notre tendance à diaboliser les criminels, comme si on essayait de se convaincre qu'ils n'avaient pas la même nature que nous. Et ça me rappelle ce que m'avaient répondu deux fondamentalistes chrétiens différents (un pentecôtiste et une baptiste) lorsque je leur avais demandé : «Qui mérite le plus d'entrer au Paradis entre un athée qui serait juste et charitable envers tous et un tueur en série qui vénère Jésus-Christ?» Les deux répondants (d'accord, mon échantillon est petit...) avaient été catégoriques sur le fait que le croyant allait au Paradis quelque soit ses actes (puisque Dieu lui pardonne) tandis que l'athée allait systématiquement en Enfer (puisque nier l'existence de Dieu est le pire de tous les crimes). Le but n'est ni d'éviter de faire souffrir, ni de faire son devoir, mais d'être dans la bonne équipe!

La conséquence de tout ça, d'après mon impression, c'est que lorsque l'on se croit être dans «le camp des gentils», on devient davantage enclin à commettre les gestes les plus abominables, surtout envers ceux que l’on croit être dans «le camp des méchants». Tout le mal que l'on peut faire au méchant, il le mérite, puisqu'il est méchant. Tout le plaisir que l'on peut obtenir à ses dépens, on le mérite puisque l'on est gentil. Ainsi, les pires atrocités ont souvent été commises au nom des meilleurs idéaux.

Diffuser une éthique de cette sorte est peut-être utile au sein d'un corps militaire – si l'on veut que nos soldats tuent leurs adversaires sans remords – mais me semble dommageable dans une société civile. C'est encourager l'intolérance envers la différence et ça nous empêche de remettre en question la valeur de nos actes.

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*Parfois les histoires fantastiques adopte une variante à peine plus complexe que je trouve pourtant très intéressante: Ils divisent les méchants en deux factions rivales, l'une prônant l'ordre et l'autre prônant le chaos. Alors que le bien et le mal sont des patries auxquelles les personnages ne choisissent pas d'appartenir, les méchants choisissent entre l'ordre et le chaos. Le pattern général, c'est d'abord un équilibre initial entre le bien et le mal qui sont en conflit depuis toujours, ensuite une petite faction du mal devient le chaos et se retourne contre le reste des méchants. Les chaotiques prennent la place des méchants ordonnés ou alors ces derniers s'allient avec les gentils pour rétablir l'ordre initial en ouvrant la porte vers une paix relative entre les deux peuples.

2 commentaires:

  1. Je ne peux pas vraiment argumenter contre ce texte. C'est convaincant, mais ce n'est qu'une part de l'éthique de la vertu qui est attaquée. Son versant « communautariste », mais pas l'idée qu'il y a des vertus au sens de « mode de vie » à encourager...

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  2. Tout à fait d'accord. Il y a certainement des pratiques qu'il faut encourager et d'autres qu'il faut réprouver. Le point de mon «anti-vertu» est que l'objectif ultime d'une éthique devrait être le bonheur général et non de «rester pur» de «ne pas se souiller» ni même d'«être une bonne personne».

    Si notre but se limite à «être du côté des gentils» plus rien ne modulera nos actions tant qu'elles ne nous empêcheront pas de nous définir comme membre de ce groupe. Si mon but est de «rester pur» ou «d'être vertueux», je puis causer bien des souffrances, tant que j'en garde les mains propres. Voyez cette autre réflexion où je développe sur ce dernier point dans la première mise en situation :

    http://chezfeelozof.blogspot.com/2009/11/dilemmes-moraux-sur-lhomicide.html

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