vendredi 31 décembre 2010

Exigences de l'antispécisme

Mise en situation:
Jacques découvre une personne inconnue dans sa demeure. Il lui demande poliment de sortir, mais elle ne l'écoute pas. Au lieu de cela, elle se met à l'agacer en lui donnant de petites tapes sur la figure. Jacques essaie de la faire sortir de chez lui par la force, mais elle réussit à s'esquiver à chaque fois qu'il tente de la maîtriser. Il appelle la police pour qu'on le débarrasse de cet intrus, mais on refuse de l'aider. Las de cet inconnu qui l'agace et qui s'est introduit chez lui, Jacques lui assène un puissant coup de poing… puis constate que ça l'a tué.

Dans ce scénario, on ne peut pas vraiment reprocher à Jacques d'avoir tué l'intrus. Il a fait tout ce qui est en son pouvoir pour que l'intrus cesse de l'incommoder, en s'efforçant de minimiser les conséquences fâcheuses pour celui-ci. Il a utilisé parcimonieusement la coercition mais le meurtre semble avoir été le moindre mal qu'il eut été capable d'infliger à l'intrus pour obtenir sa collaboration. Même si l'intrus en question ne semblait pas menacer la survie de Jacques, celui-ci nuisait fortement à son bien-être. Cette situation fictive n'est pas très fréquente dans la vraie vie… sauf si l'intrus en question n'est pas une personne mais une mouche. Avec la mouche, on ne peut ni négocier ni appeler la police, et il est très difficile de l'attraper pour la remettre dehors, par conséquent on passe directement à l'étape de tuer.

Certains sont réticents à l'idée d'accorder des droits aux animaux parce qu'ils ont peur qu'une telle éthique ne soit trop exigeante et contraignante dans la pratique. Par exemple, ils ne veulent pas avoir à surveiller chacun de leurs pas pour éviter d'écraser un insecte. Ils veulent pouvoir passer l'aspirateur chez eux sans qu'on les condamne pour génocide d'acariens. Bref, ils refusent d'accorder le moindre droit à ce qui n'est pas humain de peur qu'on leur impose de vivre comme les Jaïns. Mais si on tolère qu'un humain puisse en tuer un autre lorsqu'il s'agit d'un cas de légitime défense, que sa survie en dépend ou dans une situation telle que celle de Jacques décrite ci-haut, et que cela ne remet pas du tout en question les principes des droits fondamentaux que l'on accorde aux êtres humains, alors on ne doit pas craindre de donner des droits aux animaux si la reconnaissance de ces droits comporte, elle aussi, les «échappatoires» requises pour qu'elle soit réalisable et accommodante.

De la façon dont je vois ça, il est tout à fait normal qu'un être, par sa seule existence, nuise aux intérêts et à la survie d'autres êtres. C'est une des cruelles lois de la nature. C'est la même chose à l'échelle des espèces. Les individus d'une espèce vont nécessairement interférer avec les intérêts des autres espèces qui partagent son environnement. Je ne dis pas que cela justifie que l'on répande délibérément et inutilement la souffrance autour de nous, mais simplement qu'on ne doit pas s'imposer un mode de vie trop contraignant qui nous empêcherait de jouir de la vie. Nul n'a pour devoir d'être malheureux.

Une autre objection que l'on entend parfois face à la reconnaissance des droits des animaux vient de ceux qui pensent que l'antispécisme implique de donner aux bêtes les mêmes droits qu'aux humains. Étant donné qu'il serait absurde de donner le droit de vote aux chiens, alors on balaye complètement l'idée de donner le moindre droit aux animaux. Pourtant, le fait que l'on refuse de donner le droit de vote aux enfants ne nous empêche pas de leur reconnaître des droits. Il y a beaucoup de situations où, en raison de leurs attributs individuels, il est légitime de ne pas accorder aux bêtes le même statut qu'aux personnes; et il n'y aurait rien de spéciste là-dedans. L'idée est de donner aux êtres des droits à la mesure de leurs besoins.

Finalement, seul le végétarisme est vraiment exigeant dans l'antispécisme que je prône. Pour le reste, c'est un changement de paradigme important mais affectant peu notre quotidien.

lundi 27 décembre 2010

Se promener nu en public

Dans la plupart des États du monde, qu'ils soient progressistes ou conservateurs, il est illégal de se promener nu dans les lieux publics. Est-ce dû à l'influence d'une tradition religieuse trop pudique? Devrions-nous tolérer qu'une personne s'exhibe dans son plus simple appareil? Je vous propose que nous fassions l'exercice de réfléchir à la dimension éthique de cette question. Si, en elle-même, cette dernière ne présente que peu d'intérêt – étant donné qu'il n'y a, à ce que je sache, personne qui revendique sérieusement le droit de se promener nu en public – les fondements de cet interdit influencent très certainement d'autres aspects de nos lois et de nos vies.

Du point de vue purement utilitariste qui est le mien, il n'y a rien qui justifie que l'on prohibe la nudité dans les lieux publics. C'est une entrave inutile à la liberté individuelle puisque cela ne ferait de mal à personne. En ce qui a trait à la liberté civile, j'adhère presque systématiquement à la position que le philosophe utilitariste John Stuart Mill (1806-1873) défend dans De la liberté, c'est-à-dire que :
«Le seul but en vue duquel on puisse à juste titre recourir à la force à l'égard de tout membre d'une communauté civilisée, contre sa propre volonté, c'est de l'empêcher de faire du mal aux autres.»

Comme l'acte de se promener nu ne fait de mal à personne, l'individu devrait pouvoir le faire sans que l'on ne lui interdise ni qu'on ne manifeste de l'intolérance à son égard… Mais ce nudiste ne fait-il réellement de mal à personne? Dans ma réflexion sur la tolérance, j'ai soulevé le point que la personne intolérante souffrait, d'une certaine façon, des actions ou de la présence de la personne face à qui elle est intolérante. Par exemple, l'homophobe «souffre» lorsqu'il voit deux hommes s'embrasser. Ma conclusion était que l'on devait simplement se demander qui souffre le plus entre l'intolérant et l'intoléré, puis faire pencher nos lois vers la moindre souffrance. Ainsi, celui qui voudrait se promener nu mais à qui on l'interdit souffre-t-il vraiment de cette atteinte à sa liberté? La souffrance pour les passants qui seraient incommodés de le voir non vêtu sera-t-elle inférieure à la sienne? On peut, sans trop risquer de se tromper, affirmer qu'être nu en public est moins important pour lui qu'il ne l'est pour les passants de ne pas avoir à voir de nudistes lorsqu'ils circulent dans les lieux publics. On pourrait donc alors conclure qu'il est parfaitement légitime d'interdire aux gens de se promener nu hors de chez eux ou des camps réservés à cet effet.

Mais cette conclusion partait d'un certain postulat. J'ai pris pour acquis que l'individu désireux de se promener nu, ainsi que ceux qu'il risquait de croiser, étaient des individus typiques d'une culture que je connais. Culture dans laquelle il est mal vu et bizarre d'être nu en public. Dans ce contexte, il est évident que si quelqu'un veut se promener nu ce n'est que par défi ou pour provoquer, et il est aussi évident que ceux qui le verront seront choqués. Mais si les croyances personnelles de cet individu faisaient en sorte qu'il est, pour lui, vraiment très important d'être nu dans un lieu public? Et si les gens qu'il croisera sont tous des personnes exceptionnellement ouvertes d'esprit qui seront indifférentes face à sa nudité?

Par ailleurs, ce qui m'agace vraiment dans ce genre de situation c'est que l'État érige nos mœurs en lois, comme pour normatiser nos us et coutumes. Une telle ingérence va à contre-courant de ce que je prône, soit la séparation de l'État et de la tradition. J'en arrive à la même conclusion que dans ma réflexion sur le port du voile, c'est-à-dire que l'État n'a pas la légitimité pour légiférer sur notre tenu vestimentaire mais qu'il devrait autoriser les établissements à se doter eux-mêmes d'un code vestimentaire. L'important est que cette interdiction émane de quelque chose de moins solide que l'État et qui puisse plus facilement être mise à jour. À la limite, qu'il s'agisse d'une loi municipale me semblerait plus légitime qu'une loi fédérale ou provinciale.

J'admets que ce que je défends ici est plus une question de principes que de conséquences. Je ne désire pas personnellement me promener nu en public et je serais probablement très mal à l'aise de croiser un nudiste sur le trottoir. Mais je me dois d'être cohérent avec moi-même. Par ailleurs, s'il n'y avait aucune loi pour interdire la nudité, il n'y aurait pas nécessairement des dizaines de gens nus dans les lieux publics. Ce ne sont pas les lois qui font les mœurs. Le regard désapprobateur des passants est souvent une menace suffisante pour dissuader les gens d'agir de façon extravagante ou incommodante. Aucune loi ne m'interdit de me promener en tutu rose avec un ananas sur la tête en criant que je suis un idiot, mais je ne vais pas le faire pour autant.

mercredi 1 décembre 2010

Au-delà de l'horizon

Autrefois, on croyait qu'il y avait des esprits dans chaque objet. Chaque phénomène de la nature était l'œuvre d'une divinité. Notre propre corps se muait grâce à l'action surnaturelle de notre esprit sur la matière.

Puis la science a avancée. Nous avons appris comment fonctionnait la nature et comment fonctionnaient nos corps. Nous pouvons expliquer comment nos muscles et nos nerfs font bouger notre corps, comment notre cerveau et nos hormones déterminent nos pensées et nos humeurs. Nous savons comment la vie s'est diversifiée pour se répandre sur toute la planète. Comment cette même planète s'est constituée par accrétion de poussière cosmique autour du Soleil il y a environ 4,5 milliards d'années. Comment notre Soleil est né, etc. Et tout cela, de façon purement contingente, par l'action des forces aveugles et inconscientes qui gouvernent notre univers.

Et à mesure que la science progressait et cartographiait les moindres recoins de notre environnement et de notre être, les entités surnaturels, telles que Dieu et l'âme, perdirent de leurs attributs et de leurs fonctions. Dieu perdit son tempérament agressif et jaloux pour devenir une personne parfaite, puis un être impersonnel. Du concepteur direct de toute chose, il devint un être discret qui se contente de «diriger» les transformations au sein de l'univers, d'une façon si subtile qu'elle ne peut être perceptible; à un point tel que l'univers est identique à ce qu'il serait si Dieu n'existait pas. On retira à l'âme sa juridiction sur les émotions et sur l'animation du corps, puis elle perdit également son rôle dans la mémoire et les pensées, qui sont toute l'œuvre du système nerveux, pour ne garder comme attribut que la conscience qui ne peut se percevoir autrement qu'insécable et éternelle. Mais une fois dépouillé de tous leurs attributs originaux et de tous nos modèles explicatifs sur l'univers, les entités surnaturelles, ou plutôt les mots qui les désignent, deviennent des termes creux ne référant à rien. Des concepts flous que l'on se représente intuitivement, moins par l'action de la raison que de celle d'un désir viscéral de s'accrocher à ces traditions.

Nous avons repoussé Dieu au-delà du Big-Bang et l'âme au-delà des particules quantiques. Étant donné que nous ne pouvons assumer que ces entités surnaturelles que se sont inventés nos ancêtres pour expliquer le monde, n'ont en fait jamais existées, nous les cachons derrière l'horizon de la science moderne, à un endroit où leur inexistence est indémontrable, afin d'utiliser un agnosticisme fallacieux pour justifier la persistance de nos croyances en elles. Les seules phénomènes qu'on leur attribut sont des anecdotes non reproductibles qui n'ont pas fait l'objet d'une observation scientifique. Mais y a-t-il plus de chance d'y avoir un Dieu derrière le Big-Bang que des schtroumpfs dans les trous noirs? Nous ne savons pas ce qu'il y a au-delà de l'horizon de la science mais ce ne sont certainement pas les ténèbres de l'ignorance superstitieuse de nos ancêtres qui pourront nous éclairer là-dessus.

samedi 13 novembre 2010

Éthique de l'inactif

Selon mon éthique personnelle, et les autres utilitaristes seront d'accord avec moi là-dessus, je considère que, d'un point de vue éthique, l'inaction vaut l'action. Par exemple, prenons la mise en situation suivante:
Une personne est en train de se noyer à quelques mètres devant moi. Je suis sur le quai et j'ai une bouée de sauvetage dans les mains. Je pourrais, avec très peu d'effort, la lui lancer et ainsi lui sauver la vie.

Vous conviendrez avec moi que, dans cette situation, si je choisissais de m'abstenir d'intervenir, même si je n'ai pas moi-même provoqué la situation, je serais aussi coupable de la mort de cette personne que si je l'avais moi-même jetée à l'eau. Mais la plupart des gens semblent avoir l'impression que l'inaction leur donne une sorte d'immunité morale. Comme s'ils n'avaient pas à se sentir coupables des conséquences de leur inaction. En s'abstenant d'agir, ils ont l'impression de ne pas faire partie de la cause donc de ne pas être responsable de l'effet.

Les «pro-vies» se basent peut-être ce genre d'argumentaire pour se justifier à eux-même d'interdire l'usage des cellules souches. Ce n'est pas tant qu'ils préfèrent la vie d'un embryon humain de deux jours dont personne ne veut à celle d'un patient adulte lucide qui a des proches pour le pleurer, mais ils considèrent que «laisser mourir le patient», étant une inaction, est un moindre mal par rapport au geste actif de «détruire un embryon». C'est également pour la même raison que si l'on proposait à quelqu'un de tuer une personne pour en sauver cinq, il préférera généralement l'inaction, même si elle est plus dommageable (et même dans un contexte où la personne à tuer soi-même fait partie des cinq qui mourront en cas d'inaction) car il aura l'impression de ne pas être responsable de ces cinq morts.

Mais l'inaction doit être considérée comme une action puisqu'il s'agit d'un choix volontaire. On assiste à une situation, on peut intervenir de différentes façons mais on choisît de ne rien faire. C'est donc malgré tout un choix actif. La seule chose qui la distingue de l'action c'est que son coût en effort est nul. Laisser mourir quelqu'un dans une situation où l'on aurait pu le sauver sans effort est donc aussi à blâmer que de tuer quelqu'un.

Également, j'ai l'impression que beaucoup considère que le fait d'agir en suivant une tradition ou en obéissant à l'ordre d'un supérieur hiérarchique est une inaction (et, donc, est au-dessus de tout jugement moral), tandis que s'abstenir de commettre une action qui est la norme ou ce qu'on attend de nous est une action (et est donc potentiellement répréhensible). L'expérience de Milgram nous donne un bon exemple de ce fait. Pourtant nos choix nous appartiennent; la tradition et l'autorité n'ont sur nous que les pouvoirs qu'on veut bien leur donner.

Ce que l'individu recherche n'est donc pas d'éviter que l'autre souffre, mais d'éviter de se sentir coupable. En transférant la responsabilité de la souffrance d'autrui à une cause autre que lui-même et en se dissociant de la cause de cette souffrance, il n'éprouve plus de remords. Ses considérations sont donc purement égoïstes; il n'a que faire de ce que ressent l'autre, l'important c'est que lui-même n'éprouve pas ce sentiment désagréable de culpabilité.

Évidemment, je désapprouve. Pour moi si l'on est altruiste c'est que l'on se préoccupe réellement des intérêts de l'autre. Ce n'est donc pas tant sur le fait d'être la cause d'un mal que l'on devrait focaliser que sur le fait d'avoir ou non du pouvoir sur ce mal. Dans une situation où sauver une vie nous serait possible, et que le coût en efforts et les risques pour nous-mêmes seraient nuls, nous abstenir de le faire serait commettre un meurtre.

Il existe toutefois un type de situations dans lesquelles je considère que l'inaction est appropriée. Par exemple:
Deux animaux sont en tain de se battre. L'un est un prédateur affamé, l'autre est sa proie. Le combat s'éternise, les deux sont de force égale. Une légère intervention de votre part pourrait déterminer la balance.

Dans une situation où l'on ne peut prendre parti, laisser faire les choses est souvent favorable à choisir un camp au hasard. Bien sûr, ça laisse la force gagner, plutôt que la raison, le mérite ou la justice. Mais dans mon exemple ci-haut, le combat décrit fait partie d'un système (l'écosystème) qui a été rodé par l'évolution en ajustant la force des protagonistes à un équilibre. Notre intervention pourrait apporter un bris d'équilibre et donc, à plus long terme, une souffrance supérieure. C'est pourquoi il est souvent préférable de ne pas intervenir dans un conflit qui ne nous concerne pas et qui comportent nombre de variables inconnues.

L'intelligence artificielle

Suivre les progrès de l'intelligence artificielle est quelque chose que je trouve fascinant. Dans les histoires de science-fiction, il n'est pas rare de voir des machines ayant développé une intelligence artificielle supérieure, qui décident de se retourner contre l'humanité. Mais est-ce un scénario envisageable? Selon moi, ça n'arrivera jamais. Voici comment je vois le développement futur de l'intelligence artificielle.

Imaginons un système d'exploitation, disons une version future de Windows ou de Mac-OS, qui fonctionnerait comme une personne à qui l'on pourrait s'adresser. Je n'aurais qu'à lui donner des ordres pour qu'elle exécute; dans la mesure ou ces ordres correspondent à une de ses fonctions. Lorsque j'installerais un nouveau logiciel sur mon ordinateur, si le logiciel est compatible avec cette intelligence artificielle, celle-ci pourra détecter d'elle-même quels types de tâches cette application lui permet de faire et comment l'utiliser. Elle l'associera à des verbes d'action que je pourrais lui dire. Par exemple, si je lui demande de réduire la luminosité sur une photo, elle saura qu'elle doit ouvrir Photoshop. Si je lui dis «Quelle est la capitale de l'Indonésie?», elle saura utiliser l'internet pour trouver cette information pour moi. Bref, cette intelligence aura pour fonctions de:
  • Interpréter les paroles qu'on lui dit, dans toute leur complexité et variantes possibles;
  • Associer, s'il y a lieu, ces paroles à des tâches qu'elle peut exécuter;
  • Produire des rétroactions verbales qui soient pertinentes et réalistes;

Ainsi, à mesure que cette technologie progresserait, l'intelligence artificielle serait capable de parler et de comprendre le langage de plus en plus efficacement, pour qu'on puisse lui parler naturellement sans s'en tenir à des formulations précises et sans avoir à articuler exagérément. Elle devra elle-même pouvoir formuler de différentes manières la même idée pour avoir l'air plus vivante. Il serait pertinent aussi de la doter d'une capacité d'apprentissage pour qu'elle puisse assimiler de nouveaux mots ou des expressions personnelles, et qu'elle puisse répondre plus rapidement aux questions fréquemment posées. Un système de reconnaissance vocale ou vidéo serait aussi intéressant, afin qu'elle puisse distinguer ses différents utilisateurs et s'ajuster à leurs préférences.

Jusqu'ici, donc, on a décrit une forme d'intelligence artificielle qui donnerait réellement l'impression d'être une personne mais qui ne pourrait d'aucune façon se retourner contre son maître. Ce n'est qu'une interface. Elle ne pourrait rien faire qu'un ordinateur ne puisse déjà faire et serait tout aussi docile que n'importe quelle machine.

Toutefois, les ordinateurs et les gadgets électroniques acquièrent de plus en plus de nouvelles fonctions, et de plus en plus de sphères de nos vies sont informatisées. Si tous les appareils de ma maison sont reliés à mon ordinateur (le thermostat, le système d'alarme, etc.) on peut dire que beaucoup de pouvoir se retrouve entre les mains de cette conscience informatique. Malgré tout, il n'y aurait pas de danger puisque tout ça ne demeurerait qu'une interface sans volonté propre. L'intelligence artificielle n'aura pas de désirs personnels si on ne lui en programme pas. Elle demeurerait une servante dévouée et obéissante et s'effacera elle-même si on le lui ordonne. Je vois trois facultés qui, si elles étaient ajoutées à notre entité informatique, pourraient la rendre potentiellement dangereuse. Ce serait:
  • un instinct de survie;
  • une capacité d'anticiper des conséquences indésirables et de les éviter;
  • pouvoir prendre des initiatives ou désobéir à son utilisateur;

Si, par exemple, je veux créer un antivirus à toute épreuve pour notre conscience informatique. Il suffirait de lui donner le pouvoir de «réfléchir aux conséquences de ses actions» pour qu'avant d'exécuter une tâche donnée par un programme tel qu'un virus, elle puisse deviner que cela la mènera à sa perte. Il faudrait donc la programmer pour qu'elle perçoive comme «indésirables» certaines conséquences dont sa propre annihilation. Le problème serait alors qu'elle pourrait désobéir à son maître si celui-ci tente de la désinstaller. Également, un cocktail de différentes applications dans un ordinateur pourrait mener à des résultats imprévus. On aura donc donner naissance à un être qui aurait une volonté propre et ses propres désirs.

Mais je ne pense pas que, même rendu à ce stade, il y ait véritablement un quelconque danger. Sa capacité d'anticipation serait encore limitée et il aurait une faible compréhension du monde réel. Non, la seule façon qu'une conscience informatique pourrait devenir dangereuse, c'est si on la conçoit dans le but d'être une pure copie de la conscience humaine. Mais je ne vois pas pourquoi l'on ferait une telle chose. La finalité même de la technologie, depuis le biface jusqu'au vaisseau spatial, est de surpasser l'humain dans une ou plusieurs fonctions précises. Créer une intelligence informatique ayant les mêmes vices que l'esprit humain serait comme de créer une fourchette en forme de main.

vendredi 12 novembre 2010

Tolérer l'intolérance?

Je réfléchissais au concept de tolérance et je me demandais jusqu'où l'on devait en repousser les limites. Doit-on tolérer l'intolérance? Il me semble qu'il y aurait là quelque chose de paradoxal. Pourtant l'intolérance d'une personne fait partie de ses attributs au même titre que ses croyances religieuses.

Être intolérant est-il un droit? Y a-t-il des contextes dans lesquelles mon droit d'être intolérant envers un attribut quelconque chez autrui serait plus important que le droit de cette personne d'afficher cet attribut (ou d'exister avec cet attribut)? Qu'est-ce qui a priorité entre…
  • Le droit d'être homophobe ou le droit de s'afficher comme homosexuel?
  • Le droit d'être xénophobe ou le droit de pratiquer sa culture?
  • Le droit d'être raciste ou le droit d'être Noir?
Dans ces situations, il est clair que le droit d'être intolérant est injustifiable. On comprend que si je suis Noir, je ne peux pas cesser de l'être pour accommoder un raciste tandis qu'il est tout à fait possible pour ce dernier d'éviter de me manifester son intolérance. Le dilemme est donc absurde. Mais si j'étais homosexuel, bien que je ne pourrais pas cesser de l'être pour accommoder les homophobes, il me serait sans doute possible de me retenir de le montrer en public; par exemple en m'abstenant de tenir la main de mon conjoint de même sexe. Entre le droit d'afficher son homosexualité et le droit des homophobes de ne pas voir de manifestation d'amour entre deux personnes du même sexe, lequel a priorité?

Je pense que l'on peut utiliser une éthique utilitariste pour comparer les deux alternatives en mesurant l'ampleur du préjudice subit par chacune des parties dans chacun des cas. Est-ce que l'homophobe souffre plus du fait de voir deux gays s'embrasser sur un banc public que le gay ne souffrirait de devoir cacher son orientation sexuelle? Il m'apparaît évident que le préjudice subit par l'homosexuel serait supérieur à celui subit par l'homophobe. Pour cette raison, le droit à la tolérance prime sur le droit d'être intolérant.

Mais si j'imaginais d'autres situations plus extrêmes, telles que:
Dans ces situations, le principe de tolérance s'applique-t-il? Est-ce qu'être intolérant envers ce genre d'agissement serait un manque d'ouverture d'esprit? Mon point ici est de démontrer que de simplement dire que «l'intolérance est intolérable» serait un peu réducteur. C'est du cas par cas. À chaque fois, on doit mesurer le préjudice pour l'intolérant versus celui pour l'intoléré. Si se priver d'être intolérant est un moindre mal par rapport à se priver de ce pourquoi l'on est intoléré (qui, dans le cas d'une discrimination raciale ou sexuelle, équivaudrait à cesser d'exister), alors on doit pencher en faveur de l'intoléré. À l'inverse, si me priver de commettre une action intolérée par une autre personne me coûte moins de mon bonheur que cela lui en coûterait de me tolérer, alors c'est l'intolérant qui est dans son droit. C'est le gros bon sens; une vertu dont ont manqué les deux partis dans le débat sur les accommodements raisonnables.

Il y a pourtant une réalité dans le fait que certaines personnes sont racistes, sexistes ou homophobes et que plusieurs d'entre elles sont irrécupérables. Quelle attitude dois-je avoir à leur égard? Si je ne peux les convaincre de changer leurs opinions par la seule persuasion, et si je ne dispose d'aucun moyen coercitif pour les contraindre de ne plus être intolérants, que dois-je faire? Leur manifester mon aversion ou les sermonner perpétuellement aura pour seul effet qu'ils cesseront de m'apprécier. Éviter de les fréquenter ne fera que les priver de mon influence positive. Et si, en dehors de cet aspect détestable, ces personnes intolérantes sont une agréable compagnie? Ou si je suis obligé de les fréquenter en vertu d'obligations familiales ou professionnelles? Ma conclusion en face de cette réalité c'est que si l'on ne peut tolérer l'intolérance, on doit tolérer l'intolérant. Bien sûr, sans l'encourager dans ses croyances haineuses, et en lui demandant poliment de ne pas exprimer ses propos intolérants en notre présence. Et – qui sait? – peut-être aura-t-on un jour suffisamment d'influence sur cette personne pour lui faire changer d'avis.

vendredi 5 novembre 2010

Ce ne sont que des mots

C'est au linguiste Ferdinand de Saussure (1857-1913) que l'on doit le principe de l'arbitraire du signe. C'est-à-dire que, le lien entre le signifiant (le mot) et le signifié (le concept désigné par ce mot) n'est qu'une convention. Il n'y a pas de connexion logique ou magique entre les mots et ce qu'ils désignent. C'est d'ailleurs pourquoi les mots peuvent muter au fil des générations et que les langues divergent progressivement les unes des autres. Les mots sont donc créés par les humains. Ce sont des outils au service de la communication et ils n'ont rien de sacré. On peut donc leur donner un sens et il est futile et absurde de se demander si c'est ça «le vrai sens» du mot, ce qui importe c'est que notre interlocuteur lui donne le même sens.

Pourtant, je constate que certains manifestent une réticence à ce que l'on donne des définitions fixes et précises à certains mots et semblent vouloir que l'on maintienne le flou sémantique qui les entoure. Par exemple, «intelligence», «humain», «art», «vivant», «religion», «Dieu» ou «bien et mal». Mais si nous avons inventé ces mots, et qu'ils sont censés permettre la communication, pourquoi ne pas leur donner un sens plus limpide? Si le lien entre le signifiant et le signifié est rompu, pourquoi conserver ce mot?

Dans un de mes cours d'anthropologie, qui portait sur la religion, mon professeur a un jour dit:
«Il n'existe pas de définition claire pour le mot "religion". Pour en fixer une, il faudrait prendre toutes les religions du monde et trouver les traits communs qui leur sont exclusifs.»

Même si ça semble sensé, il y a quelque chose d'aberrant là-dedans, et même de paradoxal. Pour pouvoir prendre toutes les religions et trouver leurs traits communs, il faut d'abord avoir une idée de ce qu'est la religion. Dans ce procédé, il y a donc déjà une définition initiale, ou du moins un critère, qui nous a permis de sélectionner les entités que l'on veut faire entrer dans notre définition finale. On veut que le christianisme et le bouddhisme soient des religions mais on ne veut pas que le raëlisme et les autres sectes en soient, alors on moule notre définition en conséquence. Puisqu'il est impossible de trouver des traits communs et exclusifs à toutes les religions, alors on ne peut générer de définition cohérente qui corresponde à nos intérêts et c'est pourquoi on maintient un flou autour de ce terme.

Et je constate justement que, même si on ne s'en rend pas compte, c'est presque toujours par idéologie que l'on s'affaire à maintenir certains mots dans l'usage tout en les privant de toute signification claire. Si l'on refuse de définir la religion, c'est pour que l'État puisse choisir démagogiquement les institutions à caractère spirituel qu'il approuve (et subventionne) et celles qu'il désapprouve. Si l'on refuse de définir l'intelligence, c'est pour préserver le dogme de l'égalité intellectuelle de tous les humains. Si l'on refuse de définir l'humain, c'est pour conserver des éthiques arbitraires anthropocentriques. Si l'on refuse de définir le bien et le mal, c'est pour accommoder le relativisme éthique. Si l'on refuse de définir Dieu, c'est pour qu'il soit plus hasardeux de dire qu'il n'existe pas. Et ainsi de suite. Dans tout ces cas, il y a souvent aussi un désir d'éviter de mettre en lumière l'absence de discontinuité entre le concept flou et ce qui l'entoure; dans le cas du vivant et de l'humain par exemple.

Personnellement, quand j'échange avec quelqu'un, ce que j'échange c'est surtout des idées et des concepts plus que de simples mots. Ces derniers ne sont qu'un moyen de transmettre ma pensée. Ainsi, un mot sans définition n'a aucune utilité. Pire, il est nuisible puisqu'il ne fait que rendre mes propos ambigus et induira des malentendus. Fixons donc nos définitions ou évitons ces termes creux.

dimanche 17 octobre 2010

Sommes-nous tous égaux?

La question de savoir si nous sommes tous égaux en est une qui nécessite que l'on définisse au préalable ce que signifie réellement l'égalité. Je vois plusieurs sens possibles que peut revêtir le concept égalité/supériorité/infériorité. Fondamentalement, je dirais que c'est un terme plutôt creux puisqu'il a une tendance à amalgamer arbitrairement différents concepts sans rapports (le pouvoir, le droit, l'intelligence, la valeur, etc.). Mais essayons tout de même de départager tout ça pour lui redonner un sens plus limpide.

À la base, je pense que ce concept nous vient du paradigme obsolète de l'échelle de la vie. On hiérarchisait autrefois toutes les choses de l'univers, réelles ou mythologiques, à l'intérieur d'une échelle unilinéaire plutôt arbitraire. Ainsi, l'égalité, la supériorité et l'infériorité d'un être par rapport à un autre sont des notions qui font référence au positionnement de ces êtres dans cette échelle. J'ai déjà exprimé mon opinion sur cette hiérarchie naturelle, c'est-à-dire qu'elle n'est qu'une cosmologie désuète au même titre que le géocentrisme. Ainsi, si le concept d'égalité est utilisé dans ce sens, il n'a pour moi aucune valeur.

On pourrait également prendre le mot «égalité» en termes de facultés et d'aptitudes. Dans cette perspective, il est bien évident que tous les individus ne sont pas égaux. Certains sont plus forts que d'autres, plus agiles, plus beaux ou plus intelligents. On aura souvent tendance à considérer que c'est l'intelligence qui est l'aptitude déterminante de l'égalité ou de l'inégalité. C'est peut-être parce qu'elle est vue comme «propre de l'Homme», ce qui nous permet de considérer les bêtes comme des inférieures et, par amalgame avec les autres sens du concept de supériorité (la valeur et le droit), de les exploiter sans remords de conscience. À l'inverse, pour justifier l'égalité de tous les humains en dépit de leurs manifestes inégalités intellectuelles, on va souvent utiliser abusivement la théorie des intelligences multiples. Ainsi, on va postuler que si une personne donnée est moins intelligentes qu'une autre dans certains domaines, c'est qu'elle est nécessairement plus intelligente qu'elle dans d'autres domaines et que, au total, les deux personnes posséderont exactement autant d'intelligence l'une que l'autre. Bref, en-dehors de ce cas manifeste de mauvaise foi, nous n'aurons aucune difficulté à admettre que les individus ne sont pas égaux en terme d'aptitudes. Ainsi, ce n'est pas dans ce sens qu'on doit l'entendre lorsque l'on dit que les individus sont égaux.

Donc, d'un point de vue, disons, biologique, le concept d'égalité n'a aucun sens. Qu'en est-il du point de vue social? Sommes-nous ou pourrions-nous être tous socialement égaux?

Mais qu'est-ce exactement que l'égalité sociale? S'agit-il de traiter tous les individus exactement de la même manière sans considération pour leurs spécificités? De donner à tous les mêmes droits et les mêmes responsabilités sans considérer leurs besoins et leurs aptitudes? Il est clair que ce serait absurde. Il ne serait ni pertinent et ni désirable d'accorder aux hommes (mâles) le droit à l'avortement, d'accorder le droit de pratiquer la médecine à quelqu'un qui n'a aucune formation ou d'accorder le droit de vote aux nouveaux-nés. Le philosophe utilitariste Peter Singer explique, dans son ouvrage le plus connu, que l'égalité qui est à rechercher n'est pas une égalité de traitement (qui serait absurde ou nuisible) mais une égalité de considération des intérêts. Ainsi, l'idée n'est pas de nier les différences qui existent entre les individus, mais de simplement considérer de la même façon les besoins de chacun, avec toutes leurs particularités, sans accorder d'importance supplémentaire à une personne sur une autre. Selon Singer, aborder l'égalité avec cette optique nous permettra d'étendre le concept d'égalité à toutes les espèces.

Donc, avons-nous atteint cette égalité sociale? Dans les faits, il est clair que nous ne sommes pas tous socialement égaux. Et je ne parle pas d'une hiérarchie qui pourrait avoir lieu au sein d'une entreprise par exemple. Si l'on perçoit le rapport patron/employé comme une simple transaction (échange d'argent contre force de travail), celle-ci peut être tout à fait équitable comme je le disais précédemment. Non, je fais plutôt allusion à l'inéquité des chances existant entre deux individus selon les classes sociales ou les pays dont ils sont issus. Bien que, dans nos sociétés modernes, les individus soient sans doute plus égaux en droits qu'ils ne l'ont jamais été depuis le Néolithique, il persiste indubitablement des inégalités sociales flagrantes et injustifiables, ainsi que moult manifestations de discriminations arbitraires. Plusieurs facteurs sociaux et naturels sont en cause dans la génération et la pérennité de ces inégalités. Il m'apparaît du devoir de l'État que de niveller le plus possible ces injustices. Ce n'est malheureusement pas encore chose faite, mais nous avons manifestement fait du progrès dans ce domaine.

Bref, à la question «Sommes-nous tous égaux?», je répondrais que biologiquement ça n'a aucun sens, que socialement ce n'est pas le cas, mais que éthiquement on devrait l'être

Le propre de l'Homme

L'expression «propre de l'Homme» en est une dont je me méfie. Lorsque je l'entends, je sais que celui qui l'utilise essaie surtout de démontrer l'existence d'un abîme entre l'espèce humaine et le reste du règne animale. Or, tout est en continu et la majorité de ce qui fut jadis considéré comme propre aux humains (capacité de communiquer, usage d'outil, émotion, intelligence, etc.) a été depuis observé chez d'autres espèces. Bien sûr la nôtre s'est souvent démarqué par une utilisation beaucoup plus poussée de ces facultés, mais comme le disait le naturaliste Charles Darwin (1809-1882), le père de la théorie de l'évolution, la différence entre l'humain et la bête est une différence de degré et non de nature. J'ai d'ailleurs remarqué que les définitions de mots tels que «culture», «langage» ou «outils» seront remodelées régulièrement pour impliquer un niveau supplémentaire de complexité, afin d'en exclure perpétuellement les animaux non-humains lorsqu'on leur découvre une plus grande avance dans ces domaines que ce que l'on aurait cru. Bref, plus on découvre des comportements complexes chez les bêtes et plus on monte la barre de la complexité requise pour ne plus être une bête. Cela m'apparaît plus idéologique que scientifique.

D'un point de vue biologique, on définit l'espèce comme un «ensemble d'individus interféconds» c'est-à-dire capables d'engendrer une descendance viable et fertile. Cette définition m'apparaît incomplète puisqu'un individu que l'on stériliserait «sortirait» aussitôt de l'espèce. Je propose la définition suivante, peut-être plus complète, inspirée de la cladistique : «ensemble des descendants de l'ancêtre commun exclusif d'un groupe d'individus interféconds». Ainsi, on ne peut «sortir de l'espèce» qu'en en devenant une nouvelle. Bref, le point c'est que ce qui est propre à l'humain – c'est-à-dire, un trait qu'auraient tous les humains mais que n'aurait aucun non-humain – c'est d'être génétiquement compatible (interfécond) avec un autre humain. L'espèce se définissant sur la base de ce seul trait. Tous les autres attributs que l'on associe à l'humain peuvent être «fortement corrélés» avec l'espèce mais n'en sont pas des préalables ni des conséquences. Un humain peut avoir une déficience intellectuelle le rendant psychologiquement équivalent à un chien et demeurer tout de même un humain.

En dépit de l'apparente étanchéité des espèces dans un point précis du temps,* cette discontinuité disparaît dans une perspective diachronique. En effet, dans la dimension temps, tous les ensembles d'interfécondités sont en continue. Un rejeton est nécessairement de la même espèce que ses géniteurs (c'est-à-dire fécond avec eux). On ne peut pas prendre un individu précis parmi nos ancêtres et dire «Voici le premier humain!» Tout comme l'évolution des langues, celle des espèces se fait par petites mutations progressives. Chercher le premier humain est aussi vain que de chercher le premier francophone.

Mais pourquoi sommes-nous si désireux de trouver «le propre de l'Homme»? Pourquoi voulons-nous à ce point donner une définition scientifique à l'espèce humaine? Pourquoi voulons-nous mettre un abîme si tranché et bien défini entre nous et nos cousins des autres espèces? Et pourquoi certains vont même jusqu'à prétendre que l'humain n'est pas un animal? Pour satisfaire les exigences idéologiques de nos éthiques arbitraires et spéciste. La plupart des gens font de l'appartenance à l'espèce humaine le pilier du droit à la vie et à la dignité. Pourtant, l'humanité n'est qu'une espèce qui se définit, comme toutes les espèces, sur la base du critère de l'interfécondité. Une éthique ayant un pilier un peu moins arbitraire que notre «statut d'humain» (par exemple, la mienne) qui considérerait les individus selon leurs attributs individuels et non selon le groupe dans lequel on les classe serait moins discriminatoire et ne nécessiterait plus de tordre constamment la définition de l'humain et des facultés soi-disant propres à l'humain, pour accommoder nos idéologies. Prétendre que l'humain n'est pas un animal parce qu'il a un cerveau plus développé que les autres est aussi absurde qu'il le serait de prétendre que l'éléphant n'est pas un animal parce qu'il a un nez plus long que les autres.

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*Il y a parfois des populations «intermédiaires», interfécondes avec des populations non-interfécondes. Par exemple, si une population A ne peut se reproduire avec une population C, toutes deux seront fertiles avec la population B.

dimanche 3 octobre 2010

Les rêves

Je n'adhère pas à la psychanalyse.* Bien sûr cette discipline n'est pas totalement mauvaise, elle a quand même engendré la psychologie qui est une science humaine très utile, mais je ne suis pas adepte du paradigme psychanalytique. Je trouve donc dommage qu'il n'y ait pratiquement que cette école de pensée qui se soit penchée sur le sujet des rêves. Bien sûr, la science étudie les rêves sur le plan neurologique, afin de savoir ce qui se passe dans le cerveau quand on rêve et de connaître la cause de ce phénomène. Mais il ne semble y avoir aucune discipline scientifique qui ait choisi d'étudier le contenu du rêve. Il n'existe aucune onirologie digne de ce nom.

Le paradigme psychanalyste cherche une signification symbolique (souvent sexuelle) aux éléments qui composent le rêve, en les voyant généralement comme la manifestation de désirs refoulés. Comme si le rêve était un langage codé pour nous dire de changer tel aspect de notre vie ou d'être plus à l'écoute de nos émotions. Cette recherche de sens me fait trop penser à certaines pseudomédecines de charlatans qui voient tous les symptômes de maladie comme des messages de la part de notre corps pour nous donner des conseils sur notre vie émotionnelle. C'est partir du postulat que tout a un «sens» – le Pourquoi? de la croyance qui s'oppose au Comment? de la raison – et c'est donc une démarche non-scientifique.

Ce qui m'intéresse, donc, n'est pas le sens d'un élément de rêve, mais sa cause. Pourquoi est-ce que je rêve à ceci plutôt qu'à cela? Ce pourrait être un mélange aléatoire et déformé de mes expériences de la journée. Mais comment expliquer les rêves récurrents? Pourquoi est-ce que certains éléments spécifiques, plutôt banals, se retrouvent dans pratiquement tous mes rêves depuis dix ans?

J'ai remarqué qu'à mon réveil, je n'arrive jamais à me rappeler du moment où je me suis endormi; comme si on l'avait effacé de ma mémoire. Peut-être, donc, que mon rêve s'écrit à partir de mes dernières pensées lucides avant d'entrer dans le sommeil, et que des pensées récurrentes apportent des rêves récurrents? Si je pouvais me souvenir de ces pensées je comprendrais peut-être mieux la cause des ces rêves. Ou peut-être que c'est en rapport avec les éléments se trouvant dans l'environnement où je dors?

Bref, j'ai l'impression que l'on est scientifiquement très peu avancé sur la question du rêve et de son contenu. Je suis personnellement très intrigué par ce qu'une étude plus méthodique du phénomène pourrait nous apprendre.

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*Je ne suis pas non plus antipsychanalyse. Je trouve que cette approche était vraiment révolutionnaire à sa naissance mais que, aujourd'hui, elle est plutôt dépassée.

Les intelligences multiples

Dans son ouvrage Frames of Mind: the Theory of Multiple Intelligence, le psychologue Howard Gardner soutient que l'intelligence est pluriel. Ces multiples intelligences seraient des aptitudes intellectuelles autonomes qui ne seraient donc pas mutuellement corrélées. Par exemple, on peut être doué en maths (intelligence logicomathémathique) mais être faible en français (intelligence verbolinguistique).

J'ai toujours été globalement d'accord avec cette théorie. Bien que j'y apporterais une ou deux critiques. Je me demande si l'on ne divise pas en plusieurs intelligences des intelligences qui n'en sont qu'une ou, au contraire, qu'on amalgame plusieurs aptitudes différentes pour en faire une seule intelligence alors qu'elles procèdent d'une méthode de réflexion distincte. Par exemple, si le fait d'organiser différents éléments en un système de classification logique est sans doute une intelligence en soi (intelligence naturaliste ou écologique, selon les auteurs), je ne vois pas pourquoi le fait de pister des animaux ou de cuisiner en forêt appartiendrait à la même intelligence. On a mis ensemble plein d'aptitudes n'ayant pour lien que la thématique de la nature mais je ne vois pas ce que, cognitivement, ça a en commun.

Mais que l'on soit ou non d'accord avec la façon dont Gardner découpe les intelligences, on doit admettre que ce qu'on appelle communément l'intelligence n'est pas qu'une seule faculté homogène mais un ensemble de plusieurs facultés mentales qui ne sont pas nécessairement corrélées les unes avec les autres. Ainsi, il est extrêmement réducteur que de croire qu'il n'existe qu'une seule forme d'intelligence. C'est un peu comme si l'on n'utilisait qu'un seul mot pour nommer la force physique, la souplesse du corps, l'endurance et la dextérité; ce serait manquer de précision. L'intelligence n'est pas unidimensionnelle.

Toutefois, je constate que cette théorie de la pluralité des intelligences est souvent récupérée à des fins idéologiques. J'ai souvent l'impression qu'on a érigé en dogme l'égalité des humains, au point que l'on niera cette asymétrie des aptitudes intellectuelles. Généralement, on va considérer que c'est l'intelligence qui est la plus déterminante et donc postuler que tous les humains sont exactement aussi intelligents les uns que les autres. Lors d'une situation où une personne est manifestement moins intelligente qu'une autre, on va utiliser le flou sémantique du mot intelligence, ou le fait qu'il existe plusieurs sortes d'intelligence pour présumer que si la personne semble moins intelligente, c'est qu'elle est sûrement plus intelligente dans d'autres domaines. On conclura donc que tous les individus possèdent exactement autant d'intelligence mais qu'ils l'ont investi dans différents domaines ou différentes formes d'intelligence.

Un autre exemple de récupération idéologique de cette théorie est lorsqu'un croyant (religieux ou ésotérique) utilisera la pluralité des intelligences pour discréditer la raison au profit de l'intuition. Comme si les croyants utilisaient simplement une intelligence distincte de celle des sceptiques et que c'est pour ça qu'on ne comprenait pas l'éblouissante logique de leurs raisonnements circulaires et autres sophismes. Quelqu'un m'a même déjà dit qu'il avait une «intelligence spirituelle» puisqu'il avait de la facilité à mémoriser la bible…

Bref, je suis d'accord sur le fait qu'il y a plusieurs formes d'intelligences, mais je suis souvent en désaccord avec plusieurs des raisonnements qui découle de ce constat. Dire à la défense d'une personne stupide qu'il y a plusieurs sortes d'intelligence est aussi absurde que de dire à la défense d'une personne laide que la vraie beauté est intérieure.

samedi 14 août 2010

Définir le bien et le mal

Il est une réaction que je vois souvent lorsque j'explique à quelqu'un ce que sont pour moi le bien et le mal. Quand je dis que faire le mal c'est causer une souffrance à autrui sans que ça ne soit essentiel à notre bonheur, on me répond:
«Comment sais-tu que c'est ça le Mal? C'est un postulat que tu fais. Tu prends ça pour acquis mais tu n'as aucune preuve que c'est vraiment ça le Mal.»

En fait ce n'est pas un postulat. C'est pire! C'est une définition. Je choisis d'utiliser un mot qui existe déjà mais qui est flou pour définir une réalité qui est couverte par l'étendu de cette définition floue.

Le problème d'après moi c'est que des mots comme «Bien» et «Mal» sont connotés dans notre culture et auront, pour cette raison, une définition plus large que celle que je voudrais leur donner. Implicitement, même si je limite ma définition à «Mal=Souffrance», on leur donnera une signification supplémentaire, associant le bien à ce qu'il est autorisé de faire et le mal ce qui est interdit (selon la loi ou selon une divinité quelconque). Or l'univers n'a pas de charte des droits. Ce qui est permis ou défendu ne le sera qu'à l'intérieur d'une subjectivité quelconque. Il n'y a pas de Mal dans l'absolu. Le Bien et le Mal n'existent pas comme des substances. Ce ne sont que des mots.

Ayant l'expérience de la souffrance, nous savons qu'elle est indésirable. Mon éthique n'est donc que l'extension à autrui de notre quête du bonheur (altruisme). J'utilise le mot «mal» uniquement pour parler d'une transgression de ce principe éthique, sans porter de jugement de valeur ou quoique ce soit du genre.

Mais le pire c'est que les gens seront souvent d'accord avec moi sur le fond mais débattrons sur la forme. Car si je reformule mon affirmation en substituant le mot «mal» par la définition que je lui donne, tous seront d'accord avec moi. Si je dis «Cette action cause davantage de souffrances qu'elle n'apporte de bonheur», on approuvera. Mais si je dis «Cette action est mal» on me reprochera mon manque de relativisme.

J'en conclus que je devrais peut-être simplement cesser d'utiliser les termes «bien» et «mal». Si je me contente de parler de bonheur et de souffrance, j'arriverai tout aussi bien à faire comprendre mon éthique et il me sera plus facile de la défendre. Au pire, j'utiliserai des qualitatifs comme «égoïste», «arbitraire» et «inconsistant», et mon interlocuteur décidera si son éthique personnelle réprouve ou non ce genre de chose.

Les voyelles du Québec

Je vous ai déjà expliqué que, dans ma conception du monde, il n'y avait pas de bon ou de mauvais parler. Au Québec, nous avons notre propre dialecte du français, qui n'est ni plus mauvais ni moins logique que le dialecte parisien. Aujourd'hui, je vais vous présenter l'une des différences entre les deux dialectes. Il s'agit de la prononciation des voyelles.

Nous distinguons deux formes de «a» en québécois. Le «a» antérieur [a] et le «a» postérieur [ɑ]. Ainsi, les mots suivants – qui sont des homonymes en français de France – ne peuvent être confondus en québécois:

à/a
sa/ça*
la/là
ta/tas
ma/mât
moi/mois
noie/noix
patte/pâtes
tache/tâche
caler (boire) / caller (appeler)
boite (verbe boiter) / boîte
Troie/trois
bois (verbe boire) / bois (matériau végétal)

Même chose pour les «o». Nous avons un «o» ouvert et un «o» fermé [o]. Le premier s'écrivant le plus souvent «o» et le second pouvant s'écrire «ô», «au» ou «eau».
notre/nôtre
votre/vôtre
cote/côte
Paul/Paule
Tom/tome
top/taupe
pomme/paume
sotte/saute
chaudière (seau) / chaudière (de moteur à vapeur)
colloque/coloc 

Notre «o» ouvert tend à converger avec notre «a» postérieur, de sorte que les mots suivants – qui sonnent complètement différemment en français de France – sont des paronymes en québécois:
art/or
bar/bord
phare/fort
part/port

Lorsqu'il y a ambiguïté, on va généralement hypercorriger notre parler en utilisant un «a» antérieur au lieu du postérieur afin de faire la distinction.

Maintenant, pour les voyelles nasales. Dans le parler des Français, je remarque que le «an», le «in», le «on» et le «un» convergent de plus en plus vers le [ɑ̃]. En québécois, nos quatre voyelles nasales ([ã], [ɛ̃], [ɔ̃], [œ̃]) demeurent totalement distinctes. Impossible de confondre les termes suivantes:
ont/hein/en/un
don/daim/dans/d'un
bon/bain/banc
pont/pain/paon
son/sain/sans
brin/brun

Et, alors que le «e» et le «eu» ne forment qu'un seul phonème en français de France, ils ne sonnent pas du tout pareil aux oreilles d'un Québécois ([ə] / [ø]).
de/deux
ne/noeud
que/queue
jeune/jeûne

Même situation pour le «é», le «è» et le «ê» qui convergent en France mais demeurent distincts ici ([e],[ɛ],[æ:]). Par exemple:
les/laid
mai/mais
thé/tais
fée/fait
épée/épais

faite/fête
mettre/maître
saine/scène
prête (être prête) / prête (verbe prêter) 

Pourquoi je vous parle de ça? Sans doute pour démontrer qu'il y a une richesse dans les particularités du français québécois, et qu'il ne s'agit pas d'une version abâtardie et dégénérée du français de France.

J'ai déjà exprimé mon opinion selon laquelle la langue écrite va inévitablement finir par se réformer pour rattraper la langue orale dans son évolution. À toutes les époques, les gens ont fini par abandonner les langues classiques pour écrire dans leurs langues vernaculaires; simplement, les langues vernaculaires d'une époque sont les langues classiques de l'époque suivante. Ma crainte, donc, dans cette évolution prochaine de la langue écrite, c'est qu'elle se fasse au détriment de la diversité dialectale au sein de la francophonie. Ainsi, j'ai peur qu'au lieu de se mettre à écrire comme on parle, ce qui présenterait les avantages dont j'ai parlé précédemment, on se mette à écrire comme les Français parlent. Par exemple, dans cette orthographe alternative, on ne distingue pas nos deux "a" ni nos deux "o". Non seulement cette situation ne nous serait pas plus avantageuse que l'actuelle (puisqu'il y aurait toujours diglossie entre l'oral et l'écrit), mais en plus cela nous ferait perdre une part de la richesse de notre français québécois, puisque des mots que l'on prononce différemment s'écriraient pareil.

Ma position est que l'on devrait déjà commencer à redéfinir le concept de francophonie et considérer qu'il n'y a pas une langue française mais des langues françaises (comme il y a des langues latines). Chaque région du monde francophone devrait écrire ses propres dictionnaires et ses propres grammaires, en se fiant à l'évolution du parler local et en n'ayant pas peur d'adopter des réformes plus drastiques au besoin.

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*Au Québec, le «ça» se prononce avec un «a» postérieur lorsqu'il est en position d'objet (ex. «Je veux ça» = [ʒvøsɑ]) mais se prononce avec un «a» antérieur, comme le «sa», lorsqu'il est sujet (ex. «Ça veut dire» = [savødzIR]).

vendredi 13 août 2010

L'allégorie du magicien

Imaginons que vous ayez un magicien devant vous qui prétende détenir réellement des pouvoirs surnaturels. Il vous présente un tour et, tout fier, déclare avoir démontré l'authenticité de ses pouvoirs. Mais vous n'êtes pas dupe; vous l'avez finement observé et avez compris comment il a fait.

Vous le lui dites, il admet qu'il s'agissait d'un truc, mais ne renonce pas à dire qu'il a de réels pouvoirs magiques et vous le démontre en vous présentant un second tour. Malheureusement, vous devinez encore une fois son truc. Il confesse sa supercherie, mais maintient sa position selon laquelle il a de vrais pouvoirs paranormaux, et vous présente un nouveau tour.

Cela se répète à plusieurs reprises. Il continue inlassablement de vous faire de la prestidigitation et vous continuez systématiquement de deviner ses trucs. Cela se poursuit jusqu'à ce qu'il vous présente un tour dont vous n'arrivez pas à deviner l'astuce. Vous avez beau l'observer répéter son tour sous tous les angles possibles, vous n'avez aucune idée de comment il a fait et, extérieurement, cela a réellement l'allure de la vraie magie.

Qu'en conclurez-vous? Aura-t-il réussi à vous prouver l'authenticité de ses pouvoirs? Ou est-ce que le fait que vous ayez compris tous ses tours précédents suffira à le discréditer suffisamment pour que vous vous disiez plutôt qu'il y a un truc mais qu'il vous échappe?

L'univers est comme ce magicien. Tous les phénomènes naturels qui paraissaient surnaturels aux yeux de nos aïeux mais auxquels nous avons donné une explication scientifique depuis, sont comme des tours de magie que nous présentent l'univers et dont nous aurions devinez les trucages. Alors lorsque survient un phénomène que nous ne parvenons pas à expliquer, plutôt que d'en conclure hâtivement à l'existence du surnaturel (ou de Dieu, ou des interventions extraterrestres, etc.), il m'apparaît plus sage de me dire qu'il y a une explication (scientifique) mais qu'elle nous échappe encore pour l'instant.

samedi 31 juillet 2010

Les deux esthétiques

Honnêtement. Avouons-le. Un film hollywoodien, même s'il est totalement prévisible, est souvent plus agréable à visionner qu'un film d'auteur. La musique pop est plus agréable à écouter que la musique électroacoustique. Et la root beer goûte bien meilleur qu'un vin de grand crû!

Je me disais qu'il y avait différentes façons d'apprécier l'œuvre d'un artiste ou celles de la nature. Différentes perspectives selon lesquelles on va juger de ce qui est beau. Il y a donc différentes formes d'esthétismes. Dans ma vision des choses, je distingue l'appréciation sensorielle de l'appréciation intellectuelle. Il y a certaines choses que l'on aime pour la simple raison qu'elles sont agréables à nos sens, tandis que d'autres, par leur complexité, viennent émerveiller notre intellect. Ce sont deux définitions distinctes de la beauté.

Par exemple, si je regarde une toile, je peux l'apprécier parce qu'elle est jolie. C'est là une appréciation par les sens. Et si elle est laide, je ne l'aimerai pas. Mais si j'ai une formation en art, je peux y percevoir certaines subtilités, comprendre dans quel mouvement elle s'inscrit et connaître son importance dans toute l'histoire de l'art. Je vais pouvoir l'apprécier à un niveau inaccessible au profane.

Où veux-je en venir? Eh bien je trouve que ces deux esthétiques – sensoriel et intellectuel – ont tendance à se snober mutuellement. Probablement, justement, parce qu'elles n'ont pas conscience de ne pas jouer sur le même terrain et donc de ne pas être en compétition. Certaines gens n'aimeront que l'art érudit et dénigreront l'art populaire, tandis que d'autres n'aimeront que l'art populaire et ne chercheront même pas à comprendre l'art érudit.

Ce que j'aimerais faire comprendre, c'est que l'on peut aimer les deux. Car les deux s'adressent à une partie différente de notre être: nos sens ou notre intellect. Et, qu'il n'y a rien de mal pour un artiste de chercher à être un peu plus «commercial» dans certaine de ses œuvres et plus «élitiste» dans d'autres. Je trouve justement que l'idéal c'est lorsque ces deux niveaux d'art sont réunis dans une même œuvre. J'adore qu'un film soit autant agréable à regarder pour la beauté de ses effets spéciaux et de sa trame sonore, que pour la réflexion à laquelle m'amène son scénario.

Alors, qu'il n'y ait plus de conflit. Ces deux formes d'art peuvent toute deux être belles à la fois, puisqu'elles définissent différemment la beauté, mais de deux manières d'égale importance.

mercredi 28 juillet 2010

Notre histoire

Je trouve personnellement que l'histoire du Québec est particulièrement plate. Mais là-dessus on ne peut pas faire grand-chose, alors ce n'est pas de ça dont je vais vous parler. Je réfléchissais plutôt à la façon dont on nous raconte l'Histoire. Certains détails plus spécifiques m'ont particulièrement agacés dans les cours d'Histoire que j'ai eu au secondaire (c'était dans les années '90 donc ça a peut-être changé depuis…). Voici donc quelques unes de mes objections:

  • Personnellement, j'abolirais l'usage du «nous» dans les cours d'Histoire. Un pronom à la première personne doit normalement inclure la personne qui parle. L'utiliser pour parler d'un groupe de gens qui sont morts il y a des siècles m'apparaît comme une impropriété. On devrait dire «eux», ils sont extérieurs au groupe sujet. Le professeur ne devrait pouvoir dire «Les Anglais nous ont battu sur les plaines d'Abraham.» si ni lui ni ses élèves ne se trouvaient sur les plaines en 1759. L'usage du «nous» en histoire ne sert que l'idéologie en nous faisant passer des inconnus d'une autre époque pour des gens proches de nous.
  • Ensuite, je trouve que l'on devrait éviter de désigner les premiers colons français comme étant «nos ancêtres». C'est accorder une trop grande importance au «lien du sang» et c'est être complètement déconnectée de la réalité moderne puisque la moitié de la classe n'aura pas d'ancêtre au Québec à cette époque. Moi-même mon patronyme est d'origine irlandaise et n'est arrivé ici qu'en 1840. Si l'on remplaçait ce rapport de filiation par un rapport de succession, l'Histoire m'apparaît plus inclusive et plus réaliste. Qu'importe si les colons français étaient nos ancêtres ou non, ils étaient indubitablement nos prédécesseurs. Cela nous permettrait également de faire remonter cette «lignée» jusqu'à ses origines autochtones, et de ne pas nous contenter d'y inclure les apports français mais aussi ceux de toutes les autres cultures ayant immigrées dans notre province depuis. Que j'aie des origines françaises, autochtones ou issues d'une vague de migrations très récente, si je vis au Québec les colons français sont indéniablement mes prédécesseurs.
  • Une autre objection, c'est que je trouve que l'on tente trop de démoniser les Anglais et les Iroquois. C'est une conséquence de l'usage du «nous»… Si «nous» sommes les Français de l'époque, alors les Anglais de l'époque sont «nos» ennemis. Pourtant, nombreux sont ceux parmi nous qui ont des ancêtres autant chez les colons anglais que chez les colons français. Et, il serait ridicule de nier les apports importants et positifs de la culture anglo-saxonne au sein du Québec historique et moderne.
  • Finalement, je pense que, dans les cours d'Histoire, on devrait désigner les nations autochtones par leurs endonymes plutôt que d'utiliser les grotesques sobriquets que leur donnaient les Européens ou les autres peuples autochtones. Par exemple, on devrait utiliser le terme «Wendat» plutôt que «Huron» et «Innu» plutôt que «Montagnais».

Bref, je trouve que les cours d'histoire que j'ai reçu au secondaire étaient trop teinté d'interférences nationalistes, voire séparatistes, et j'ai trouvé ça déplacé. Je ne puis qu'espérer que l'Histoire soit enseignée différemment dans les écoles secondaires de nos jours.

mardi 27 juillet 2010

Pourrait-on vivre sans argent?

On m'a un jour demandé:
«Crois-tu qu'il soit possible que l'on puisse éventuellement abolir l'argent? Si nous vivions dans une société où les ressources seraient distribuée équitablement, l'argent ne deviendrait-elle pas inutile?»

Même si la question semble naïve ou utopiste, il m'apparaît pertinent d'y répondre car elle nous permet de nous demander «Mais au fond, qu'est-ce que l'argent?» À la base, c'est une reconnaissance de dette, chiffrée et enregistrée. Sa finalité est de pouvoir être échangée contre des biens ou des services mais, en elle-même, elle n'a pas d'autre usage.

Évidemment, l'argent n'a pas toujours existée. Dans les sociétés traditionnelles, on survivait très bien sans argent. L'ethnologue Marcel Mauss (1872-1950) qui a étudié les sociétés traditionalistes contemporaines a constaté, tel qu'il le mentionne dans son Essai sur le don, que l'économie sans argent fonctionne surtout sur la base du contredon. À la différence du troc qui consiste à échanger un produit pour un autre, l'économie du don implique que l'on ne fait que donner à tout le monde le fruit de notre travail sans rien demander en retour. Toutefois, il est implicite que l'on s'attend à ce que les autres fassent la même chose pour nous; c'est le contredon. Ainsi, même si on ne calcule pas de manière précise qui a une dette envers qui, celui qui reçoit se sent redevable et on cesse de donner à celui qui ne donne jamais rien. C'est donc une économie purement informelle, semblable à celle que l'on peut voir de nos jours au sein d'une famille ou d'un groupe d'amis: Si ça nous fait plaisir de payer un verre à un vieil ami, on va cesser de l'offrir s'il abuse de notre générosité.

Il est donc indubitablement possible pour l'humanité de vivre sans argent puisqu'elle a déjà vécue sans argent. Mais serait-il possible de le faire dans notre contexte? Dans les sociétés traditionalistes, on vit en petits groupes et tout le monde connaît tout le monde. Au sein d'un État, c'est différent. La plupart des gens avec qui j'ai des transactions me sont totalement inconnus. Je ne les vois jamais en dehors de ces interactions commerciales et, bien souvent, je ne les reverrai jamais une fois la facture payée. Comment me serait-il possible alors de leur rendre la pareille un jour s'ils choisissaient de me donner gratuitement leur marchandise? On pourrait aussi s'en remettre au troc, mais il faudrait pour cela que tout ceux qui ont besoin de mes services, soient aussi ceux de qui j'ai besoin des services. Avec l'argent, l'individu donne à la société et reçoit de la société; même si le donateur ne correspond pas au récipiendaire.

Bref, il ne m'apparaît ni possible ni désirable de faire disparaître l'argent de nos sociétés complexes. Bien sûr, il y a nombre de défaillances dans notre système économique, mais elles ne sont pas inhérentes à la nature de l'argent. Je pense en fait que beaucoup de problèmes résident dans le fait que l'on donne souvent à l'argent une valeur qu'elle n'a pas, comme si elle pouvait faire apparaître ce qu'elle nous permet d'acheter. On oublie que les ressources naturelles du territoire et la force de travail de la population sont des choses beaucoup plus importante pour un pays que la quantité d'argent qu'il a en banque. L'argent est inutile s'il n'y a plus rien à acheter.

Si l'on prenait davantage conscience que l'argent n'est pas vraiment une richesse mais une simple reconnaissance de dette, et que cette prise de conscience se reflétait dans notre système économique, alors l'existence de l'argent ne serait qu'avantageuse.

vendredi 16 juillet 2010

La gratuité scolaire

Lorsque j'étais étudiant au baccalauréat et que les hippies qui s'étaient autoproclamés association étudiante utilisaient l'intimidation pour nous forcer à foxer nos cours, il n'était pas rare d'entendre les manifestants de cette «grève préventive» scander des slogans ou brandir des pancartes pour promouvoir une gratuité inconditionnelle de tous les niveaux d'études pour tous les programmes. Mais serait-ce vraiment une bonne idée? Il y a, face à cette problématique, plusieurs facteurs à considérer:
  1. Les études supérieures ne sont pas un besoin fondamental et il est coûteux pour les contribuables de financer la scolarisation des étudiants;
  2. À l'âge à laquelle on fait généralement nos études il est pratiquement impossible d'avoir accumulé par soi-même (sans prêt, bourse, héritage ou aide parentale) les fonds nécessaires;
  3. Le niveau de scolarité d'une personne est fortement corrélé avec son revenu;
  4. Même si les parents d'un jeune ont les moyens de lui payer de hautes études, et même s'ils vivent assez proche de l'université pour continuer d'héberger leur enfant pendant ses études, ils ne le feront pas nécessairement.

D'abord, entendons-nous sur le fait que faire de hautes études n'est pas un besoin fondamental; dans le sens que ce n'est pas nécessaire à la subsistance. Dans cette perspective, ce n'est pas du devoir de l'État de financer l'éducation post-secondaire. C'est un privilège et non un droit. Il faut quand même payer les enseignants et les universités. Compte tenu de cette réalité, permettre à tous d'étudier gratuitement dans n'importe quel programme pour autant d'années qu'ils le désirent, représenterait une source de dépenses potentiellement illimitée pour les contribuables.

Toutefois, le niveau de scolarité d'une personne est souvent influent du revenu qu'elle recevra au cours de sa vie. Si la scolarité est coûteuse, ce ne sont que les gens déjà bien nantis qui peuvent accéder à des professions payantes. D'autant plus que l'on se scolarise généralement pendant notre jeunesse, période durant laquelle nous n'avons pas encore pu cumuler beaucoup d'argent et donc où nos parents assument la plupart de nos dépenses. Donc, si l'État n'intervenait pas, seuls les rejetons des gens à hauts revenus pourraient recevoir la scolarité nécessaire à un emploi bien rémunéré. Tandis que les plus démunis n'auraient pas les moyens d'offrir un tel luxe à leur progéniture et la condamneraient à rester dans la pauvreté. Cela contribuerait à la création et au renforcement des classes sociales. Bref, si le gouvernement n'offrait pas d'aide financière aux étudiants, les riches engendreraient des riches et les pauvres des pauvres.

Je propose que l'on instaure un système de bourses si généreux qu'il pourrait être considéré comme une forme de gratuité scolaire. C'est-à-dire qu'un bénéficiaire de bourse pourrait voir sa scolarisation se faire financer intégralement. La solution la plus sage selon moi serait de mettre des conditions à cette gratuité :
  1. Exiger que l'individu ait de bonnes notes dans son niveau scolaire actuel avant de financer le niveau suivant;*
  2. Fixer un nombre d'années maximum qu'aurait l'étudiant pour accomplir sa scolarité;**
  3. Donner, pour chaque programme, un nombre de bourses proportionnel à la quantité de finissants dans ce domaine dont la société aura besoin;
  4. Ne pas considérer que les parents de l'étudiant vont l'aider financièrement lorsque l'on choisit s'il est éligible ou non à une bourse;
  5. Exiger de l'étudiant qu'il s'engage à travailler au Québec pendant un certain nombre d'années après l'obtention de son diplôme.
Puisque les subventions gouvernementales sont l'argent du peuple, elles doivent être investies judicieusement et dans les intérêts du peuple. Ces conditions permettraient d'instaurer une forme de gratuité scolaire tout en évitant les abus potentiels qui, autrement, surviendraient trop facilement.

Comme chaque étudiant coûte cher à la société, on devrait limiter le nombre d'individus acceptés dans chaque programme, en fonction des débouchés. Par exemple, je ne pense pas qu'il soit pertinent de former trois cents anthropologues par année. Si on fixait des critères d'admission plus sévères dans certains programmes tout en limitant le nombre d'étudiants par cours, on ne se retrouverait pas à financer des études qui n'apporteront rien de concret ni à l'étudiant, ni à la société. Notre but premier dans la gratuité scolaire était que l'individu voulant étudier ne soit pas rejeté à cause d'une discrimination arbitraire envers ceux n'appartenant pas à une famille bien nantie. Une fois cette injustice potentielle écartée, il est tout à fait légitime d'exclure des étudiants pour des raisons plus fondées; telles que sa compétence en tant qu'étudiant ou la capacité qu'il aura à trouver un emploi dans son domaine une fois sa formation accomplie.

Mais ici, comprenez-moi bien, je ne suis pas en train de dévaloriser l'acquisition du savoir. Au contraire, c'est quelque chose que, d'après moi, on devrait encourager. Il est primordial dans une société démocratique que le peuple soit instruit. Car même si un individu, en tant que commis d'épicerie, n'a pas besoin de connaître grand chose, en tant qu'électeur, il a de grandes responsabilités. Mais on peut encourager l'acquisition du savoir sans que ce ne soit aussi onéreux pour la société. Si quelqu'un veut s'instruire, la bibliothèque est là pour ça. Et le laisser lire des livres par lui-même coûtera moins cher à la société que de payer un professeur d'université pour lui enseigner.

Je pense même qu'il y a plusieurs mesures que l'État devrait prendre afin de faciliter l'acquisition de connaissances générales par sa population. Par exemple, financer la création de sites internet informatifs. On pourrait même créer des examens sans cours, pour qu'un individu puisse obtenir un certificat attestant du savoir qu'il a acquit en autodidacte. Des mesures de ce genre coûteraient beaucoup moins chers aux contribuables que de financer plus de scolarisation.

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*Comme les notes du niveau collégial ne sont pas toujours vraiment représentative du potentiel universitaire de l'étudiant, il serait plus sage d'exiger le diplôme d'études collégiales (sans égard aux notes ou à la cote R) mais de focaliser surtout sur la bonne réussite d'un examen d'admission spécifique à chaque programme.

**Il s'agit simplement de lui dire qu'on lui donnera tel montant par année pendant tel nombre d'années. Selon le programme, on pourra adapter la formule. S'il est préférable que l'étudiant accomplisse sa scolarité le plus rapidement possible (par exemple, s'il est dans une discipline où l'on manque de spécialistes, comme la médecine), on lui donnerait assez d'argent pour qu'ils puissent étudier à temps plein, mais sur un nombre limité d'années. À l'inverse, s'il vaut mieux que l'étudiant étudie à temps partiel et reste longtemps à l'université (dans les programmes qui donnent des connaissances mais pas nécessairement d'emploi), on lui donnerait de petites sommes d'argent mais pendant plusieurs années, pour qu'il prenne moins de cours par sessions et qu'il travaille à temps partiel.

mercredi 7 juillet 2010

Xénophobie contre sexisme

Toutes les traditions sont fondamentalement sexistes (et, généralement, homophobes et un peu xénophobes). Parfois la femme est ouvertement considérée comme inférieure à l'homme ou comme un bien qui lui appartient, d'autrefois c'est simplement que la répartition du travail est déterminée par le sexe sans qu'il n'y ait nécessairement une hiérarchisation. Pour cette raison, il n'est pas rare qu'il y ait conflit entre l'égalité des sexes prônée par les valeurs modernes, et le respect des cultures traditionnelles. Certains opportunistes intolérants ou conservateurs utiliseront cet antagonisme pour défendre la xénophobie au nom de l'égalité des sexes ou, à l'inverse, pour défendre le sexisme au nom du relativisme culturel.

D'un côté, on doit garder en mémoire que le principe de tolérance ne nous force pas à tolérer l'intolérance. Ainsi, si une personne commet un acte sexiste (ou homophobe, ou raciste, etc.) parce que cela est dans ses traditions, il est légitime de réprouver une telle discrimination. Le relativisme culturel nous prescrit toutefois de ne pas «juger» cette personne, mais il ne faut pas la laisser faire pour autant.

Soit. Mais je constate que l'on a souvent tendance à trop facilement accuser de sexisme une pratique issue d'une autre culture (ou commise par des personnes immigrantes), alors qu'on laissera passer si c'est une pratique d'origine locale (ou commise par des natifs). Par exemple, si une femme demande à se faire examiner par une femme médecin plutôt que par un homme, on répondra à sa demande si c'est possible. Mais si la femme en question est musulmane, on l'accusera d'être sexistes ou manipulée par un mari sexiste qui la considère comme un objet. Autre exemple, si des femmes musulmanes demandent à avoir des heures «femmes seulement» à la piscine parce qu'elles se sentent gênée de se mettre en maillot devant des hommes, on leur reprochera d'être sexistes. Mais quand un centre de conditionnement physique n'ouvre ses portes qu'aux femmes, personne ne l'accuse du même délit.

On va également se servir souvent du faux prétexte de défendre l'égalité des sexes ou la laïcité pour justifier notre intolérance à l'égard de coutumes nouvelles ou étrangères. Par exemple, il n'y a rien qui justifie que l'on soit haineux envers une femme qui choisirait volontairement de porter le voile pour montrer qu'elle n'a pas honte de ses croyances. Et il serait encore moins justifié qu'on l'accuse d'être antiféministe ou d'être contrôlée par un mari sexiste. Même chose pour la polygamie qui est autorisée dans plusieurs pays musulmans mais interdite au Canada. Si une union comporte plus de deux personnes mais qu'elle est composée d'adultes lucides et consentants, il n'y a aucune raison qu'elle soit illégale. Pourtant, on continue de la prohiber soi-disant au nom de l'égalité des sexes. C'est manifestement un cas d'ethnocentrisme: les femmes occidentales ne peuvent concevoir qu'une femme puisse désirer porter le voile ou partager leur mari, alors elles se disent qu'elles sont sûrement forcées de le faire.

Pour conclure, je dirais que l'objectif qui doit être visée ici pour régler le conflit tradition/discrimination n'est pas à chercher dans une sorte de «juste milieu» entre le sexisme et la xénophobie. Ce serait plutôt d'évaluer chaque situation spécifique en mettant dans la balance les intérêts réels des individus (désirs du discriminateur versus préjudices du discriminé) et en nous libérant des biais ethnocentriques.

lundi 5 juillet 2010

Le culte de la nation

En cette période de fêtes nationales (Québec, Canada, États-Unis, France), il m'apparaît opportun de vous faire par de mon opinion à propos du nationalisme et du concept même de nation. J'avais déjà brièvement effleuré le sujet sur ce blogue, lors de mes réflexions sur l'identité. Mais, certains aspects du nationalisme que j'avais laissés en suspend méritaient d'être approfondis davantage.

D'abord, je tiens à spécifier que pour moi, la nation n'a pas d'existence empirique. C'est un concept abstrait inventé par certains gouvernements. Un sentiment identitaire collectif associé à une série de traits culturels particuliers qui, dans les faits, ne sont que des contingences n'ayant rien de bien spéciales.

Fondamentalement, le mythe de l'État-nation n'est qu'une fiction de plus servant à asseoir la légitimité du pouvoir de l'État sur la base du fait que ses citoyens partageraient soi-disant les mêmes valeurs et la même culture. C'est un mythe qui s'autoconcrétise par le fait que ceux qui y croient vont tâcher de se conformer au stéréotype de leur nation et de marginaliser ou d'exclure ceux qui refuseront de se laisser aller à cette tendance homogénéisante.

La vacuité de la nation n'est pas ce qu'elle a de plus aberrant, c'est plutôt l'arbitraire des traits culturels qu'elle choisit pour se définir. Comme la religion, ces traits pourront être des croyances ou des valeurs précises qui seront érigées en dogmes. Et parlant de religion, la nation se donnera souvent un culte officiel – de façon explicite ou non – et tous deux, nation et religion, se légitimeront mutuellement, tel un roi se faisant couronner par un pape. La langue sera souvent aussi un trait culturel élu par le nationalisme. Cela est compréhensible vu qu'une identité collective se construits plus difficilement sans outil de communication commun. Des nationalistes un peu plus racistes utiliseront également le critère de l'ascendance commune. Les publicités vont souvent tenter d'utiliser ce sentiment nationaliste pour servir leurs intérêts, en nous faisant croire, par exemple, qu'un «vrai Québécois» doit boire telle sorte de bière. Bref, au final, on se retrouve avec toutes sortes de petites contingences culturelles ou généalogiques dont la somme constituera le credo de notre nationalisme.

Personnellement, depuis le non-événement des accommodements raisonnables et depuis que j'ai assisté à une séance de la Commission Bouchard-Taylor, j'ai décidé de me dissocier «identitairement» du Québécois. De toute façon, comme je n'aime ni le hockey, ni le jambon, comme je ne suis pas catholique et comme je ne partage pas les «valeurs communes» requises, je ne suis pas un Québécois. C'est tout de même surprenant à quel point les membres d'un groupe semblent ressentir viscéralement le besoin de s'autostéréotyper pour se définir collectivement lorsqu'ils croient que leur identité commune est en péril. Au point que même des gens qui y sont depuis toujours ne se sentent soudainement plus inclus. En voulant définir d'une manière moins floue notre identité collective, on ne peut qu'en retrancher certaines de ses parties.

Quand on y pense, le nationalisme utilise notre népotisme intuitif pour qu'on l'étende à un groupe majoritairement composé de parfaits inconnus. En nous faisant voir que nos concitoyens sont «comme nous», on a l'illusion de les connaître ou de faire partie de la même famille. Ça permet de créer l'illusion d'unité et de cohésion dans un groupe d'individus qui ne se connaissent pas et qui sont foncièrement différents les uns des autres. Sérieusement, combien de gens je connais au Québec? Disons que je connais trois cents personnes, sur le huit millions de Québécois. Ça fait quoi? 0,0004%? Donc 99,9996% de la population me sont totalement inconnus et on veut me faire croire que ce sont «mes frères» simplement parce qu'ils aiment le hockey et mangent de la tourtière? Non mais, prenez-moi pas pour un cave quand même…

De mon point de vue, il m'apparaît complètement futile d'utiliser ce genre de raisonnements pour instaurer un sentiment d'appartenance commun au sein d'un État. Lorsque l'État choisira finalement de se dissocier de toute tradition – à l'instar de ce qu'il fit avec les religions – peut-être sortirons-nous enfin des débats puérils et vide de sens comme celui sur le port du voile. Je vois davantage le gouvernement comme une entreprise avec qui j'ai des transactions qu'une famille à laquelle j'appartiens, mais cela ne m'empêche pas d'être un très bon citoyen. Et, je ne tire personnellement aucune fierté du fait d'être né quelque part.