samedi 27 mars 2010

Objectivité de l'intersubjectivité

On dit souvent que l'intersubjectivité est la voie de l'objectivité. C'est-à-dire que, pour savoir ce qui est vrai, il importe d'écouter autant d'opinions que possibles, et que c'est souvent là où convergent les perceptions de chacun qu'a le plus de chance de se trouver la vérité. On peut dire que la méthode scientifique est dans l'extension de ce principe, chacune des expériences réalisées constituant autant de «subjectivités» dont on se servira pour théoriser l'objectivité.

Cependant, ce principe d'objectivité de l'intersubjectivité ne peut être vrai que pour certaines variables car d'autres sont subjectives par nature. Si je dis «la maison de Marie est bleue» et qu'une autre personne me contredit en affirmant qu'elle est grise, la meilleure façon de savoir qui a raison (excepté d'aller examiner cette maison) sera d'interroger davantage de personnes qui ont vue la maison en question. On utilisera l'ensemble de nos perceptions pour établir ce qui a le plus de chance d'être vrai. Par contre si je dis «la maison de Marie est belle», c'est mon appréciation personnelle et un sondage ne la changera pas. Ainsi, je ne peux en aucun cas affirmer qu'une œuvre d'art par exemple est «objectivement belle» et ce même si tout les êtres de l'univers la trouvait belle, car ça ne demeure qu'une opinion. C'est encore un cas où l'usage du verbe être en français biaise notre perception en ne distinguant pas les attributs objectifs des appréciations subjectives. Je peux toutefois affirmer que cette œuvre possède objectivement les attributs que, subjectivement, je trouve beaux.

Un autre point à considérer, c'est que les différentes subjectivités n'ont pas la même valeur pour établir ce qui est vrai. Si le répondant n'a pas les données requises pour répondre, la question aura beau porter sur une donnée empirique que la réponse (sauf si abstention) n'en sera pas moins qu'une opinion (ou une intuition). Par exemple, si je demandais à des Cro-Magnon du Paléolithique s'ils croient au géocentrisme ou à l'héliocentrisme, quelle que soit leur réponse elle ne découlera que d'un sentiment viscéral et non d'une observation scientifique. Ainsi, une idée pourrait n'être défendue que par une seule personne et être tout de même plus objective qu'une idée contraire qui serait prise pour vraie par tous.

C'est la valeur que les êtres donnent aux choses qui font que ceux-ci peuvent être considérés comme bons, beaux ou utiles. Conséquemment, un même objet pourra avoir une valeur différente selon l'être qui l'évalue et les circonstances dans lesquelles il le fait. Si je trouve présentement qu'un lingot d'or vaut plus qu'une pomme, je penserais différemment en étant seul sur une île déserte à mourir de faim. Je ne dis pas que les variables subjectives «n'existent pas réellement» ou qu'elles sont «sans importance». Ce que je dis c'est que cette appréciation subjective des objets se situe à l'intérieur de l'esprit des êtres qui les entourent et n'est pas un attribut intrinsèque des objets en question. La beauté est dans l'œil de celui qui regarde.

10 commentaires:

  1. Juste une remarque : pourquoi ne pourrait-on pas appliquer la même chose sur la beauté ?

    Est-ce parce qu'on obtiendrait des réponses très différentes suivant les personnes qu'on peut déclarer "la beauté n'est pas un critère objectif", ou bien existe-t-il une raison plus profonde pour dire que dans ce cas c'est "mon opinion personnelle qu'un sondage ne changera pas", et que le fait qu'on obtienne des réponses différentes en est une conséquence de ceci ?

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  2. Les opinions sur la beauté d'une chose pourraient être toutes pareils, tout comme les opinions sur la distance Terre-Soleil pourraient être tous différentes que la première question n'en demeurera pas moins subjective et la seconde objective.

    En science, lorsque diverses opinions se confrontent, nous pouvons utiliser une démarche méthodologique pour établir ce qui est vrai. En beauté, on ne le peut. Il n'existe pas d'équivalent à la méthode scientifique pouvant établir ce qui est «objectivement beau».

    En fait, tout ce qui a trait à l'appréciation d'une chose est nécessairement relatif à un être (à son appréciation personnel) et, bien que cela puisse nous renseigner sur l'appréciation que d'autres êtres en auraient, on parle d'une donnée qui existe dans l'esprit de l'être et pas dans la nature de l'objet.

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  3. Si je comprend bien ce serait donc la méthode scientifique qui serait à même de définir ce qui est objectif : c'est ce qui entre dans son domaine d'application.

    Mais si la validité de la méthode scientifique tient à l'intersubjectivité, alors on a un raisonnement qui reboucle sur lui même ?

    Pour ce qui est de l'apréciation personnelle : en quelle mesure suis-je capable de dire que la couleur, contrairement à la beauté, n'est pas de l'ordre de l'apréciation ?

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  4. Ça dépend en fait de la définition même que l'on donne à la couleur. Si «être bleu» signifie «être perçu comme bleu par un être quelconque», alors ça devient aussi subjectif que «être beau». Mais si «être bleu» veut dire «réfléchir les ondes lumineuses se situant entre 446 et 520 nm» alors c'est quelque chose d'objectif; un attribut intrinsèque de l'objet plutôt qu'une perception subjective de celui-ci.

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  5. Une couleur se mesure par la longueur de l'onde électromagnétique qui la produit. C'est donc facile d'être objectif lorsqu'il y a une mesure concrète derrière la perception. La beauté par contre n'est pas une caractéristique de l'objet observé mais une émotion humaine, beaucoup plus difficile à mesurer.

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  6. En fait on pourrait remonter ainsi pour chaque chose (même la longueur d'onde mesurée) jusqu'à l'intersubjectivité.

    C'est d'ailleurs bien ce qui est dit en début d'article : l'intersubjectivité est la voie de l'objectivité.

    Il n'y a donc pas de raison de différencier dans l'absolu la mesure d'une longueur d'onde de la mesure de la beauté de quelque chose. S'il y a une différence, c'est une différence de niveau : nous avons infiniment plus confiance en l'objectivité d'une mesure de longueur (parce que l'intersubjectivité marche "à tous les coups") qu'en une mesure de beauté (parce que ça ne marche pas toujours), ce qui nous amène par déduction à affirmer que le sentiment de beauté est quelque chose qui dépend de facteurs individuels, contrairement à la longueur, qui dépend d'une réalité extérieure.

    Je suis donc d'accord avec le début de l'article, mais pas avec cette affirmation : "Les opinions sur la beauté d'une chose pourraient être toutes pareils, tout comme les opinions sur la distance Terre-Soleil pourraient être tous différentes que la première question n'en demeurera pas moins subjective et la seconde objective.".

    Si les opinions sur la beauté étaient toutes identiques, ont en déduirait que la mesure de la beauté dépend de quelque chose qui est indépendant des individus, donc objectif. On pourrait chercher à fabriquer un outil de mesure de la beauté et elle deviendrait un concept scientifique au même titre que la longueur.

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  7. Q : «Si les opinions sur la beauté étaient toutes identiques, ont en déduirait que la mesure de la beauté dépend de quelque chose qui est indépendant des individus, donc objectif.»

    Oui effectivement. En fait,ça reviendrait au même qu'avec la couleur: Il faudrait savoir si, en disant d'une chose qu'elle est belle, on veut dire qu'elle a les attributs considérés universellement comme beaux, ou si l'on veut plutôt dire qu'on la trouve personnellement belle (en sachant que tout le monde la trouvera belle également).

    Bref, dans les deux cas on peut soit parler des attributs intrinsèques de la chose ou de l'influx nerveux dans notre cerveau issu de la perception de cette chose. Quand il semble y avoir consensus entre nos perceptions, on peut parler directement aux niveaux des attributs tandis que quand il y a divergence, c'est plus hasardeux.

    Par exemple, si l'on vivait dans un monde où les yeux de chaque humain seraient conçus différemment, il faudrait dire «Je trouve que cette maison est bleue» plutôt que «Elle est bleue» et l'on définirait «être bleu» comme la perception subjective de la couleur plutôt que comme la longueur d'ondes reflétée. Mais, même dans ce monde, on pourrait objectivement dire «Cette maison réfléchit les ondes lumineuses se situant entre 446 et 520 nm»

    Mais bref, mon point est que la beauté (en tant qu'appréciation d'un agencement et non en tant que l'agencement lui-même) n'est pas une donnée empirique et n'est donc pas soumises au principe de l'objectivité de l'intersubjectivité.

    Si je trouve une femme belle et que tu la trouves laide, aucun de nous deux n'a tord même si nos avis sont contraires. Mais si je dis que la femme en question a 30 ans et que tu dis qu'elle en a 35, au moins l'un de nous est dans l'erreur.

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  8. Ce monde existe ! Il suffit de discuter avec un daltonien ;-)

    Je vois ce que tu veux dire, mais tu pars du présupposé que la distinction donnée empirique/donnée subjective est déjà définie, que ça va de soi. Au niveau le plus fondamental, tout est sensation (La longueur est aussi en quelque sorte l'appréciation d'un agencement). Alors comment établit-on cette distinction, sinon sur l'inter-subjectivité ?

    J'ai l'impression que tu pars du principe qu'il pré-existe une réalité en soi au sein de laquelle la notion de longueur d'onde a un sens (mais pas celle de beauté), alors que pour moi cette idée d'une réalité en soi ne peut être que déduite à partir de l'inter-subjectivité, la distinction objectif/subjectif étant sans doute apprise pendant l'enfance, et la notion de longueur est elle même une construction (même si elle correspond au final à quelque chose de réel, ce dont personne ne doute).

    Peut être que ça te semble sans importance, puisqu'au fond on arrive tous à la conclusion presque certaine qu'il existe une réalité objective, mais je pense qu'il est très important de ne pas perdre de vue qu'il s'agit avant tout d'une représentation construite de la réalité, non pas de la réalité elle-même, sinon on risque ensuite de faire des raccourcis (jusqu'à l'absurde : on pourrait prétendre que notre conscience n'existe pas parce que le monde objectif est uniquement fait de matière - pourtant on sait bien qu'on est conscient, et le monde objectif est une représentation au sein de cette conscience).

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  9. Je vois ce que tu veux dire et tu as raison. C'était ça justement le point au départ. Il existe une réalité objective mais nous n'avons accès qu'à une réalité subjective et l'on utilise l'intersubjectivité pour estimer l'écart probable entre la réalité empirique et notre représentation de cette dernière.

    Mon point est que l'appréciation que l'on a des choses (à savoir si elles sont belles, bonnes ou utiles) est quelque chose de subjectif par nature qui dépend beaucoup plus de celui qui perçoit que de l'objet perçu. C'est quelque chose qui, dans notre modélisation de la réalité, ne devrait pas occuper la même place que «2+2=4».

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  10. Bon je pense qu'on est d'accord la dessus...

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