dimanche 17 octobre 2010

Sommes-nous tous égaux?

La question de savoir si nous sommes tous égaux en est une qui nécessite que l'on définisse au préalable ce que signifie réellement l'égalité. Je vois plusieurs sens possibles que peut revêtir le concept égalité/supériorité/infériorité. Fondamentalement, je dirais que c'est un terme plutôt creux puisqu'il a une tendance à amalgamer arbitrairement différents concepts sans rapports (le pouvoir, le droit, l'intelligence, la valeur, etc.). Mais essayons tout de même de départager tout ça pour lui redonner un sens plus limpide.

À la base, je pense que ce concept nous vient du paradigme obsolète de l'échelle de la vie. On hiérarchisait autrefois toutes les choses de l'univers, réelles ou mythologiques, à l'intérieur d'une échelle unilinéaire plutôt arbitraire. Ainsi, l'égalité, la supériorité et l'infériorité d'un être par rapport à un autre sont des notions qui font référence au positionnement de ces êtres dans cette échelle. J'ai déjà exprimé mon opinion sur cette hiérarchie naturelle, c'est-à-dire qu'elle n'est qu'une cosmologie désuète au même titre que le géocentrisme. Ainsi, si le concept d'égalité est utilisé dans ce sens, il n'a pour moi aucune valeur.

On pourrait également prendre le mot «égalité» en termes de facultés et d'aptitudes. Dans cette perspective, il est bien évident que tous les individus ne sont pas égaux. Certains sont plus forts que d'autres, plus agiles, plus beaux ou plus intelligents. On aura souvent tendance à considérer que c'est l'intelligence qui est l'aptitude déterminante de l'égalité ou de l'inégalité. C'est peut-être parce qu'elle est vue comme «propre de l'Homme», ce qui nous permet de considérer les bêtes comme des inférieures et, par amalgame avec les autres sens du concept de supériorité (la valeur et le droit), de les exploiter sans remords de conscience. À l'inverse, pour justifier l'égalité de tous les humains en dépit de leurs manifestes inégalités intellectuelles, on va souvent utiliser abusivement la théorie des intelligences multiples. Ainsi, on va postuler que si une personne donnée est moins intelligentes qu'une autre dans certains domaines, c'est qu'elle est nécessairement plus intelligente qu'elle dans d'autres domaines et que, au total, les deux personnes posséderont exactement autant d'intelligence l'une que l'autre. Bref, en-dehors de ce cas manifeste de mauvaise foi, nous n'aurons aucune difficulté à admettre que les individus ne sont pas égaux en terme d'aptitudes. Ainsi, ce n'est pas dans ce sens qu'on doit l'entendre lorsque l'on dit que les individus sont égaux.

Donc, d'un point de vue, disons, biologique, le concept d'égalité n'a aucun sens. Qu'en est-il du point de vue social? Sommes-nous ou pourrions-nous être tous socialement égaux?

Mais qu'est-ce exactement que l'égalité sociale? S'agit-il de traiter tous les individus exactement de la même manière sans considération pour leurs spécificités? De donner à tous les mêmes droits et les mêmes responsabilités sans considérer leurs besoins et leurs aptitudes? Il est clair que ce serait absurde. Il ne serait ni pertinent et ni désirable d'accorder aux hommes (mâles) le droit à l'avortement, d'accorder le droit de pratiquer la médecine à quelqu'un qui n'a aucune formation ou d'accorder le droit de vote aux nouveaux-nés. Le philosophe utilitariste Peter Singer explique, dans son ouvrage le plus connu, que l'égalité qui est à rechercher n'est pas une égalité de traitement (qui serait absurde ou nuisible) mais une égalité de considération des intérêts. Ainsi, l'idée n'est pas de nier les différences qui existent entre les individus, mais de simplement considérer de la même façon les besoins de chacun, avec toutes leurs particularités, sans accorder d'importance supplémentaire à une personne sur une autre. Selon Singer, aborder l'égalité avec cette optique nous permettra d'étendre le concept d'égalité à toutes les espèces.

Donc, avons-nous atteint cette égalité sociale? Dans les faits, il est clair que nous ne sommes pas tous socialement égaux. Et je ne parle pas d'une hiérarchie qui pourrait avoir lieu au sein d'une entreprise par exemple. Si l'on perçoit le rapport patron/employé comme une simple transaction (échange d'argent contre force de travail), celle-ci peut être tout à fait équitable comme je le disais précédemment. Non, je fais plutôt allusion à l'inéquité des chances existant entre deux individus selon les classes sociales ou les pays dont ils sont issus. Bien que, dans nos sociétés modernes, les individus soient sans doute plus égaux en droits qu'ils ne l'ont jamais été depuis le Néolithique, il persiste indubitablement des inégalités sociales flagrantes et injustifiables, ainsi que moult manifestations de discriminations arbitraires. Plusieurs facteurs sociaux et naturels sont en cause dans la génération et la pérennité de ces inégalités. Il m'apparaît du devoir de l'État que de niveller le plus possible ces injustices. Ce n'est malheureusement pas encore chose faite, mais nous avons manifestement fait du progrès dans ce domaine.

Bref, à la question «Sommes-nous tous égaux?», je répondrais que biologiquement ça n'a aucun sens, que socialement ce n'est pas le cas, mais que éthiquement on devrait l'être

Le propre de l'Homme

L'expression «propre de l'Homme» en est une dont je me méfie. Lorsque je l'entends, je sais que celui qui l'utilise essaie surtout de démontrer l'existence d'un abîme entre l'espèce humaine et le reste du règne animale. Or, tout est en continu et la majorité de ce qui fut jadis considéré comme propre aux humains (capacité de communiquer, usage d'outil, émotion, intelligence, etc.) a été depuis observé chez d'autres espèces. Bien sûr la nôtre s'est souvent démarqué par une utilisation beaucoup plus poussée de ces facultés, mais comme le disait le naturaliste Charles Darwin (1809-1882), le père de la théorie de l'évolution, la différence entre l'humain et la bête est une différence de degré et non de nature. J'ai d'ailleurs remarqué que les définitions de mots tels que «culture», «langage» ou «outils» seront remodelées régulièrement pour impliquer un niveau supplémentaire de complexité, afin d'en exclure perpétuellement les animaux non-humains lorsqu'on leur découvre une plus grande avance dans ces domaines que ce que l'on aurait cru. Bref, plus on découvre des comportements complexes chez les bêtes et plus on monte la barre de la complexité requise pour ne plus être une bête. Cela m'apparaît plus idéologique que scientifique.

D'un point de vue biologique, on définit l'espèce comme un «ensemble d'individus interféconds» c'est-à-dire capables d'engendrer une descendance viable et fertile. Cette définition m'apparaît incomplète puisqu'un individu que l'on stériliserait «sortirait» aussitôt de l'espèce. Je propose la définition suivante, peut-être plus complète, inspirée de la cladistique : «ensemble des descendants de l'ancêtre commun exclusif d'un groupe d'individus interféconds». Ainsi, on ne peut «sortir de l'espèce» qu'en en devenant une nouvelle. Bref, le point c'est que ce qui est propre à l'humain – c'est-à-dire, un trait qu'auraient tous les humains mais que n'aurait aucun non-humain – c'est d'être génétiquement compatible (interfécond) avec un autre humain. L'espèce se définissant sur la base de ce seul trait. Tous les autres attributs que l'on associe à l'humain peuvent être «fortement corrélés» avec l'espèce mais n'en sont pas des préalables ni des conséquences. Un humain peut avoir une déficience intellectuelle le rendant psychologiquement équivalent à un chien et demeurer tout de même un humain.

En dépit de l'apparente étanchéité des espèces dans un point précis du temps,* cette discontinuité disparaît dans une perspective diachronique. En effet, dans la dimension temps, tous les ensembles d'interfécondités sont en continue. Un rejeton est nécessairement de la même espèce que ses géniteurs (c'est-à-dire fécond avec eux). On ne peut pas prendre un individu précis parmi nos ancêtres et dire «Voici le premier humain!» Tout comme l'évolution des langues, celle des espèces se fait par petites mutations progressives. Chercher le premier humain est aussi vain que de chercher le premier francophone.

Mais pourquoi sommes-nous si désireux de trouver «le propre de l'Homme»? Pourquoi voulons-nous à ce point donner une définition scientifique à l'espèce humaine? Pourquoi voulons-nous mettre un abîme si tranché et bien défini entre nous et nos cousins des autres espèces? Et pourquoi certains vont même jusqu'à prétendre que l'humain n'est pas un animal? Pour satisfaire les exigences idéologiques de nos éthiques arbitraires et spéciste. La plupart des gens font de l'appartenance à l'espèce humaine le pilier du droit à la vie et à la dignité. Pourtant, l'humanité n'est qu'une espèce qui se définit, comme toutes les espèces, sur la base du critère de l'interfécondité. Une éthique ayant un pilier un peu moins arbitraire que notre «statut d'humain» (par exemple, la mienne) qui considérerait les individus selon leurs attributs individuels et non selon le groupe dans lequel on les classe serait moins discriminatoire et ne nécessiterait plus de tordre constamment la définition de l'humain et des facultés soi-disant propres à l'humain, pour accommoder nos idéologies. Prétendre que l'humain n'est pas un animal parce qu'il a un cerveau plus développé que les autres est aussi absurde qu'il le serait de prétendre que l'éléphant n'est pas un animal parce qu'il a un nez plus long que les autres.

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*Il y a parfois des populations «intermédiaires», interfécondes avec des populations non-interfécondes. Par exemple, si une population A ne peut se reproduire avec une population C, toutes deux seront fertiles avec la population B.

dimanche 3 octobre 2010

Les rêves

Je n'adhère pas à la psychanalyse.* Bien sûr cette discipline n'est pas totalement mauvaise, elle a quand même engendré la psychologie qui est une science humaine très utile, mais je ne suis pas adepte du paradigme psychanalytique. Je trouve donc dommage qu'il n'y ait pratiquement que cette école de pensée qui se soit penchée sur le sujet des rêves. Bien sûr, la science étudie les rêves sur le plan neurologique, afin de savoir ce qui se passe dans le cerveau quand on rêve et de connaître la cause de ce phénomène. Mais il ne semble y avoir aucune discipline scientifique qui ait choisi d'étudier le contenu du rêve. Il n'existe aucune onirologie digne de ce nom.

Le paradigme psychanalyste cherche une signification symbolique (souvent sexuelle) aux éléments qui composent le rêve, en les voyant généralement comme la manifestation de désirs refoulés. Comme si le rêve était un langage codé pour nous dire de changer tel aspect de notre vie ou d'être plus à l'écoute de nos émotions. Cette recherche de sens me fait trop penser à certaines pseudomédecines de charlatans qui voient tous les symptômes de maladie comme des messages de la part de notre corps pour nous donner des conseils sur notre vie émotionnelle. C'est partir du postulat que tout a un «sens» – le Pourquoi? de la croyance qui s'oppose au Comment? de la raison – et c'est donc une démarche non-scientifique.

Ce qui m'intéresse, donc, n'est pas le sens d'un élément de rêve, mais sa cause. Pourquoi est-ce que je rêve à ceci plutôt qu'à cela? Ce pourrait être un mélange aléatoire et déformé de mes expériences de la journée. Mais comment expliquer les rêves récurrents? Pourquoi est-ce que certains éléments spécifiques, plutôt banals, se retrouvent dans pratiquement tous mes rêves depuis dix ans?

J'ai remarqué qu'à mon réveil, je n'arrive jamais à me rappeler du moment où je me suis endormi; comme si on l'avait effacé de ma mémoire. Peut-être, donc, que mon rêve s'écrit à partir de mes dernières pensées lucides avant d'entrer dans le sommeil, et que des pensées récurrentes apportent des rêves récurrents? Si je pouvais me souvenir de ces pensées je comprendrais peut-être mieux la cause des ces rêves. Ou peut-être que c'est en rapport avec les éléments se trouvant dans l'environnement où je dors?

Bref, j'ai l'impression que l'on est scientifiquement très peu avancé sur la question du rêve et de son contenu. Je suis personnellement très intrigué par ce qu'une étude plus méthodique du phénomène pourrait nous apprendre.

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*Je ne suis pas non plus antipsychanalyse. Je trouve que cette approche était vraiment révolutionnaire à sa naissance mais que, aujourd'hui, elle est plutôt dépassée.

Les intelligences multiples

Dans son ouvrage Frames of Mind: the Theory of Multiple Intelligence, le psychologue Howard Gardner soutient que l'intelligence est pluriel. Ces multiples intelligences seraient des aptitudes intellectuelles autonomes qui ne seraient donc pas mutuellement corrélées. Par exemple, on peut être doué en maths (intelligence logicomathémathique) mais être faible en français (intelligence verbolinguistique).

J'ai toujours été globalement d'accord avec cette théorie. Bien que j'y apporterais une ou deux critiques. Je me demande si l'on ne divise pas en plusieurs intelligences des intelligences qui n'en sont qu'une ou, au contraire, qu'on amalgame plusieurs aptitudes différentes pour en faire une seule intelligence alors qu'elles procèdent d'une méthode de réflexion distincte. Par exemple, si le fait d'organiser différents éléments en un système de classification logique est sans doute une intelligence en soi (intelligence naturaliste ou écologique, selon les auteurs), je ne vois pas pourquoi le fait de pister des animaux ou de cuisiner en forêt appartiendrait à la même intelligence. On a mis ensemble plein d'aptitudes n'ayant pour lien que la thématique de la nature mais je ne vois pas ce que, cognitivement, ça a en commun.

Mais que l'on soit ou non d'accord avec la façon dont Gardner découpe les intelligences, on doit admettre que ce qu'on appelle communément l'intelligence n'est pas qu'une seule faculté homogène mais un ensemble de plusieurs facultés mentales qui ne sont pas nécessairement corrélées les unes avec les autres. Ainsi, il est extrêmement réducteur que de croire qu'il n'existe qu'une seule forme d'intelligence. C'est un peu comme si l'on n'utilisait qu'un seul mot pour nommer la force physique, la souplesse du corps, l'endurance et la dextérité; ce serait manquer de précision. L'intelligence n'est pas unidimensionnelle.

Toutefois, je constate que cette théorie de la pluralité des intelligences est souvent récupérée à des fins idéologiques. J'ai souvent l'impression qu'on a érigé en dogme l'égalité des humains, au point que l'on niera cette asymétrie des aptitudes intellectuelles. Généralement, on va considérer que c'est l'intelligence qui est la plus déterminante et donc postuler que tous les humains sont exactement aussi intelligents les uns que les autres. Lors d'une situation où une personne est manifestement moins intelligente qu'une autre, on va utiliser le flou sémantique du mot intelligence, ou le fait qu'il existe plusieurs sortes d'intelligence pour présumer que si la personne semble moins intelligente, c'est qu'elle est sûrement plus intelligente dans d'autres domaines. On conclura donc que tous les individus possèdent exactement autant d'intelligence mais qu'ils l'ont investi dans différents domaines ou différentes formes d'intelligence.

Un autre exemple de récupération idéologique de cette théorie est lorsqu'un croyant (religieux ou ésotérique) utilisera la pluralité des intelligences pour discréditer la raison au profit de l'intuition. Comme si les croyants utilisaient simplement une intelligence distincte de celle des sceptiques et que c'est pour ça qu'on ne comprenait pas l'éblouissante logique de leurs raisonnements circulaires et autres sophismes. Quelqu'un m'a même déjà dit qu'il avait une «intelligence spirituelle» puisqu'il avait de la facilité à mémoriser la bible…

Bref, je suis d'accord sur le fait qu'il y a plusieurs formes d'intelligences, mais je suis souvent en désaccord avec plusieurs des raisonnements qui découle de ce constat. Dire à la défense d'une personne stupide qu'il y a plusieurs sortes d'intelligence est aussi absurde que de dire à la défense d'une personne laide que la vraie beauté est intérieure.