mardi 23 février 2010

Suicide et euthanasie

Dans ma réflexion sur le meurtre, j'en étais venu à la conclusion que même si la mort n'est ni un mal ni un bien, l'acte de tuer était tout de même mal selon mon éthique. Compte tenu que la seule chose qui soit répréhensible c'est d'engendrer la souffrance, et que retirer un bonheur équivaut à donner une souffrance, alors on peut dire que retirer à une personne toutes les joies qui lui restent à vivre est mal.

Soit. Mais pour arriver à cette conclusion, il faut prendre certaines choses pour acquis. Si je m'abstiens d'assassiner cette personne, peut-être se fera-t-elle happer par un autobus demain matin. Nous avons une certaine ignorance de l'avenir. C'est pourquoi ma désapprobation du meurtre découle de ces trois postulats à propos de la victime potentielle:
  1. Sa durée de vie restante est significative;
  2. Elle vivra, en moyenne, plus de bonheurs que de souffrances;
  3. Elle désire continuer à vivre;

Mais supposons j'ai les données pouvant contredire ces postulats. Si une personne est en phase terminale d'une maladie douloureuse et qu'elle me fait part de son souhait d'être euthanasiée, la tuer serait-il toujours répréhensible? Je ne vois pas en quoi. Au contraire, en lui retirant le peu de temps qui lui restait à vivre, on ne fait que supprimer des instants douloureux. C'est donc un devoir éthique que de tuer dans une telle situation.

On pourrait à cela ajouter le fait que la personne doit être libre de disposer d'elle-même; donc qu'on doit la tuer si c'est ce qu'elle veut sans se poser plus de questions...? Toutefois, comme je l'ai déjà dit précédemment, il n'est légitime d'accorder à une personne le droit de disposer d'elle-même que si sa décision est éclairée. Or, une décision éclairée ne peut être prise que si l'on a une connaissance minimale des implications. Étant donné que l'on ne connaît pas la mort, on ne peut la désirer pour elle-même. On désire seulement que cessent certaines souffrances que l'on croit, à tord ou à raison, être inhérentes à notre vie. Il est donc légitime d'empêcher une personne suicidaire de passer aux actes si sa croyance qu'elle souffrira toute sa vie est fausse.

Je conclus en vous proposant ce dilemme éthique qu'on m'a soumis récemment:
Une personne dépressive entre dans un hôpital en disant «J'en ai assez de vivre, je prévois me suicider aujourd'hui. Aidez-moi à mourir, ainsi vous pourrez prélever mes organes pour sauver des gens qui veulent vivre.» Les médecins devraient-ils acquiescer à la demande du suicidaire?

Personnellement, je n'ai pas su répondre, mais je vois plusieurs faits à considérer. Intuitivement, je dirais que les médecins devraient plutôt envoyer cette personne chez un psy pour qu'elle cesse de vouloir mourir. Toutefois, si c'est ce que font normalement les médecins et que le suicidaire le sait, il n'ira pas à l'hôpital et mettra fin à ses jours autrement. Conséquemment, on ne le sauvera pas et ses organes ne seront peut-être plus en bon état pour la transplantation.

C'est une conclusion aberrante et j'en suis conscient, mais il semble que si les médecins avaient pour consigne d'accepter ce genre de requête, il n'y aurait pas plus de suicides (puisque la personne se serait suicidée ailleurs de toute façon) et ceux qui ont besoin d'une greffe en bénéficieraient. Cependant, je suis intuitivement rebuté par cette conclusion.

lundi 22 février 2010

Attitude positive et pensée magique

Avoir une bonne attitude dans la vie est un important avantage. Cela peut influencer positivement le cours des événements et, ultimement, améliorer notre bonheur.

Si je vais passer une entrevue et que je m'y rends en me disant: «Je n'y arriverais pas… Je ne suis pas compétent… Ils ne me prendront pas… Je vais échouer…» mon état d'esprit va affecter ma performance, je vais projeter une mauvaise image, et il y a de fortes chances qu'on ne m'engage effectivement pas. Même chose si je dois passer un examen: une mauvaise attitude pendant mon étude va nuire à ma capacité d'apprentissage et, pendant l'examen, je risque d'avoir plus de difficulté à me concentrer et à bien travailler si je pars avec l'idée que je vais échouer.

Et même qu'une attitude positive peut affecter notre santé. Par exemple, on s'alimente mieux, on prend plus d'air pur et de soleil, et l'on fait plus d'exercice quand on n'est pas déprimé. Même chose pour le stress qui, lorsque persistant, peut nuire à la santé. Lorsque l'on est stressé, le corps consomme davantage d'énergie et il l'investit moins dans le système digestif et dans le système immunitaire. On est alors plus vulnérable à une infection ou à une autre forme de maladie.

Mais il n'y a rien de magique dans tout ça. Ce n'est pas un pouvoir surnaturel de l'esprit sur la matière. De nos jours, je remarque une recrudescence de la foi en la «pensée magique». Il y a prolifération des livres attrape-nigauds tels que Le Secret et les gens recommencent à croire en des médecines obsolètes. Il faut comprendre que, jadis, on comprenant moins bien les liens de causalité entre les choses. Alors quand on constatait que, par la seule force de sa pensée, une personne pouvait bouger sa main, on en concluait qu'en ayant plus de volonté elle pourrait déplacer les montagnes. Aujourd'hui, on comprend comment fonctionne le corps. L'esprit (c'est-à-dire, le système nerveux) agit sur la matière sans faire de détour par un chemin surnaturel.

Conséquemment, il n'y a pas de magie et cela limite considérablement les «pouvoirs de l'esprit». On ne peut pas affecter la météo ou les numéros de la loterie même en le voulant très très fort. D'ailleurs c'est ridicule cette histoire de «Il a lu Le Secret puis a gagné à la loterie!» Je ne serais pas surpris que la grande majorité des joueurs de la loterie soient des lecteurs de ce genre de titres. Il y a statistiquement beaucoup de chances pour que celui qui gagne soit un adepte du Secret ou de la Force d'attraction. Rien ne nous dit, pourtant, que celui qui a gagné soit celui qui y croyait le plus fort.

Pour la santé, c'est la même chose. On ne peut pas faire disparaître une maladie avec seulement de la volonté. Disons que je reçois une balle de fusil dans le ventre, il serait ridicule de croire que je puis la faire disparaître et guérir ma blessure par la seule force de ma pensée, sans l'aide de la médecine moderne et sans même toucher ma plaie. Et il serait encore plus ridicule de croire que la balle de fusil est apparue-là par le pouvoir de mon corps qui veut me faire comprendre que je ne suis pas assez à l'écoute de mes émotions. C'est la même chose pour les infections, les cancers et les maladies auto-immunes: elles n'apparaissent pas de cette façon et ne guérissent pas de cette façon. Si ça vous rend heureux de croire que vous avez une âme surnaturelle, tant mieux pour vous. Mais pour ce qui est du corps, il serait bien que vous compreniez qu'il est mécanique, qu'il peut connaître un malfonctionnement ou être envahi par un parasite. Quand votre voiture tombe en panne, vaut mieux l'amener au garage plutôt que d'apposer ses mains sur le capot en pensant à de belles choses.

Bref, ne vous laissez pas avoir par ceux qui utiliseront le fait que votre volonté peut vous aider à passer une entrevue ou vous permettre de bouger votre corps, pour «démontrer» que l'esprit a des pouvoirs magiques. Ce n'est là qu'une charlatanerie de plus dans notre monde qui en est déjà saturé.

vendredi 5 février 2010

Répondre à un missionnaire

C'est toujours une expérience amusante et intéressante lorsqu'un missionnaire mormon ou témoin de Jéhovah m'aborde dans le métro ou sur le seuil de ma porte. Certains trouvent cela agaçant et pénible que d'être ainsi sollicité par quelqu'un qui tente de nous imposer ses croyances irrationnelles, mais moi – sans doute à cause de ma formation d'anthropologue – j'adore essayer de comprendre leur conception du monde, leur mythologie. C'est fascinant de voir à quel point nos esprits sont fondamentalement différents. J'ai par contre souvent de la difficulté à argumenter avec eux, puisque mon anglais n'est pas très bon et que ces prêcheurs sont presque systématiquement anglophones. Pour ceux qui s'inquiéteraient de me voir me convertir si je parle trop longtemps avec un missionnaire, soyez rassurés : il a autant de chance de réussir à m'avoir qu'en aurait un enfant tentant de me convaincre de l'existence du Père Noël.

Si vous essayez vous aussi l'expérience d'écouter parler l'un de ces fondamentalistes, vous vous cognerez bien rapidement au raisonnement circulaire suivant : «Dieu existe parce qu'on le dit dans la Bible; la Bible est vraie parce qu'elle est la parole de Dieu.»*


C'est le genre de raisonnements que vous trouverez souvent dans leurs paroles. Un autre exemple, d'un style un peu différent, sera :
– L'Univers est si complexe et merveilleux qu'il doit avoir un créateur!
– Dieu est-il complexe et merveilleux?
– Oh oui. Encore plus que l'Univers!
– Donc Dieu a un créateur?
– Non.
– Donc il est possible d'être complexe et merveilleux sans avoir de créateur?
– En effet.
– Donc l'Univers pourrait ne pas avoir de créateur?
– L'Univers est si complexe et merveilleux qu'il doit avoir un créateur!

Un cercle est fermé. On ne peut y entrer ni en sortir. Un raisonnement circulaire ne convaincra pas facilement quelqu'un, mais il est difficile d'en libérer ceux qui s'y sont pris. En argumentant avec le croyant, on ne fera que faire perpétuellement le tour du cercle sans espoir d'y trouver une issue. Normalement, en prenant conscience que le raisonnement est circulaire on réalise son absence de fondement, mais il n'est pas facile de faire comprendre ça à quelqu'un qui n'est pas familier avec la logique. Comme les aveugles qui ne touchent qu'une portion de l'éléphant et s'en font une image erronée, l'esprit d'un fondamentaliste ne peut pas percevoir l'entièreté de son propre raisonnement d'un seul coup; il n'en voit qu'une partie à la fois et ne prend pas conscience qu'il forme un cercle.

La meilleure méthode que j'ai trouvé pour faire sortir le dialogue de l'une de ces boucles sans fin, c'est le relativisme culturel. Il faut constamment revenir sur le fait qu'il existe plusieurs cultes et demander «Oui mais pourquoi la Bible précisément? Pourquoi pas le Coran, les Védas hindoues, la mythologie grecque ou les contes des frères Grimm?» Le missionnaire tentera normalement d'éluder la question avec une pirouette rhétorique ou un pseudo-arguments métaphysico-théologiques, mais il faut toujours le ramener, aussitôt que possible à cette question fondamentale.

Inévitablement, il finira par se retrancher dans le recoin de la foi, sa conviction personnelle et son sentiment viscéral profond. C'est intéressant de voir qu'un tel croyant pourra reconnaître qu'un argument est irrationnel sans considérer que cela lui enlève de la valeur. Une fois rendu à ce point, il est inutile d'essayer de le convaincre que l'intuition est moins fiable que la raison. Il sera plus facile de lui expliquer que cet argument, irrationnel et fier de l'être, peut peut-être justifier le fait d'avoir des croyances personnelles, mais pas d'essayer de convertir les autres.

J'ai eu de la chance une fois. Je parlais dans le métro avec un missionnaire chrétien, puis un missionnaire musulman est venu nous remettre à chacun un dépliant sur ses croyances. J'ai alors pu dire au chrétien : «Ne crois-tu pas que cet homme est aussi convaincu de la réalité de ses croyances que tu l'es des tiennes? Qu'as-tu donc de plus que lui à m'apporter comme preuves? Pourquoi devrai-je te croire plus que lui?» On peut même essayer de lui faire remarquer son narcissisme en lui disant «Pourquoi ton intuition, plutôt que celle d'un autre, devrait-elle dicter ce qui est vrai au reste de l'univers?» On relativise donc la conviction de notre prêcheur en lui disant que tout le monde a des convictions, qui peuvent être aussi forte que la sienne mais envers des croyances différentes. Comme le disait le philosophe Friedrich Nietzsche (1844-1900) dans une citation que j'ai vu dans le métro :
«La croyance forte ne prouve que sa force, non la vérité de ce qu'on croit.»
Il faut donc avoir quelque chose de plus à présenter comme argument qu'un simple sentiment pour avoir le droit légitime de prétendre que sa croyance est plus proche de la vérité que celle de celui que l'on tente de convaincre.

On peut essayer de conclure en lui expliquant que parmi toutes cosmologies connues, seules celle de la science apporte des preuves de ses dires et qu'il est par conséquent plus sage de croire en la science qu'en une quelconque mythologie. Mais le plus dur, comme je l'ai déjà dit, sera de s'assurer que notre missionnaire intégriste se souvienne de l'argument précédent lorsqu'on passe à un argument suivant. Autrement on pourra revenir plusieurs fois au même point et être prisonnier d'un cercle sans issu. Et ce n'est pas par stupidité ou par Alzheimer que notre croyant oubliera à mesure ce qu'on lui dit. Il est victime de dissonance cognitive, c'est-à-dire que les nouvelles données qu'il acquiert seront effacées de sa mémoire si elles entrent en contradiction avec les données qu'il a déjà. Conséquemment, une fois qu'il nous aura quitté, notre prêcheur du métro oubliera sans doute l'ensemble des arguments qu'on lui aura apporté. Il retournera chez ses semblables où il sera conforté dans sa conception erronée du monde par la présence de tous ces autres gens qui vivent dans le même mensonge que lui. Mais il y a des chances pour que les idées qu'on a semé dans sa tête soient tombé dans un terreau fertile et qu'éventuellement, en rencontrant d'autres idées semblables, elles finissent par croître et par le guérir de son obscurantisme. Ainsi, même si les chances sont minces, ça en vaut quand même la peine selon moi.

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*Une variante de cet argument est «la Bible dit la vérité parce qu'il est écrit dans la Bible qu'elle dit la vérité» qui est un raisonnement circulaire n'ayant qu'un seul point se référant à lui-même plutôt que deux qui se justifient mutuellement.


Pour un esprit rationnel, c'est vraiment aberrant, mais il faut comprendre que le fondamentaliste est convaincu de façon émotionnelle. Ce type d'arguments ne le convaincrait pas lui-même, mais il s'en sert pour rationaliser une opinion viscérale préexistante. On peut répondre en soulignant que le Coran, la Torah, les Védas, etc. prétendent également détenir la vérité. On peut également souligner l'absurdité du raisonnement en prenant une feuille blanche, en écrivant dessus «Ceci est la Vérité!» puis en y ajoutant toutes les fantaisies qui nous passent par l'esprit. Le missionnaire n'aura pas le choix de considérer
comme vrai ce qu'il y a sur cette feuille ou de réviser son argument.