vendredi 30 avril 2010

Être cohérent avec soi-même

J'ai réalisé que, parfois, on a tendance à manquer de cohérence avec nous-mêmes pour certaines questions d'éthique. Certains de nos actes contredisent nos paroles. Ce que j'y vois, c'est qu'il y a une nuance entre le fait d'être conscient d'une conséquence, et le fait d'y être conscientisé. On peut avoir la connaissance d'un phénomène sans en tenir compte dans nos choix et nos actes. On sait que nos vêtements peuvent être fabriqués par des enfants sous-payés mais cela ne nous empêchera pas nécessairement d'encourager ce marché même s'il va à l'encontre de nos valeurs. On sait que la viande que l'on mange a été produite en tuant un animal maltraité, mais on s'abstiendra d'y penser tant que durera le repas. On sait que les sacs en plastiques sont polluants, mais on omettra d'apporter ses sacs réutilisables à l'épicerie. Et ainsi de suite. Ce sont des situations où notre empathie naturelle serait intervenue si l'on y avait assisté plus directement, mais que l'on a arbitrairement choisi d'ignorer.

Je pense qu'il faut voir plus loin dans le temps et dans l'espace au lieu de se limiter à ce qui nous colle au nez. On doit élargir la portée de notre conscience. Être cohérent avec soi-même autant horizontalement (cohérence entre nos idées) que verticalement (cohérence entre nos idées et nos actes) plutôt que de compartimenter son esprit ou de se fermer les yeux.

L'habitude est le premier ennemi de la conscientisation. J'y inclus les addictions et les traditions. Certains de nos actions nous semblent si naturelles ou routinières que l'on ne pensera pas les remettre en question et que de nous abstenir de les faire nous semblera inconcevable; et ce même s'il suffirait d'y réfléchir pendant un bref instant pour réaliser qu'elles causent davantage de souffrance que de bonheur. C'est par cette même faille que prolifèrent les croyances religieuses: On nous les enseigne avant que l'on ait atteint l'âge de raison, on grandit en les prenant pour acquis, on ne les remet plus en questions une fois que l'on est adulte et raisonnable. Ainsi, une personne pourra avoir un esprit très critique sur toute chose, sauf ce qui a trait à sa religion natale. Une section de son esprit se sera étanchéisée contre la raison.

En un sens, on peut dire que se conscientiser est un devoir éthique indirect puisque c'est un préalable nécessaire pour suivre notre unique devoir éthique qui est d'éviter d'engendrer la souffrance. Se conscientiser va inévitablement réduire nos activités néfastes. Les individus qui vont délibérément se déconscientiser (et qui iront jusqu'à réprimander ceux qui tentent de les conscientiser) pratiquent une forme d'obscurantisme qui est éthiquement répréhensible.

Se conscientiser et devenir davantage cohérent avec soi-même est également bénéfique d'un point de vue strictement égoïste. Cela nous permet d'avoir une meilleure opinion de soi (puisqu'on se rapproche davantage de notre idéal moral). Ça nous permet aussi de penser aux conséquences à long terme de nos gestes pour nous-mêmes et donc d'éviter ce qui est mauvais pour nous.

Il est donc nécessaire de se conscientiser sur tous nos gestes si l'on aspire à devenir des êtres intellectuellement complets plutôt que des machines dociles qui suivent nos habitudes sans réfléchir.

lundi 26 avril 2010

Le gouvernement commercial

J'ai réfléchi sur la place qu'occupaient les entreprises privées dans nos vies. J'ai constaté que:
  1. Les entreprises privées ont sur nous beaucoup plus de pouvoir et d'impact que les gouvernements élus;
  2. Le pouvoir du chef d'entreprise est plus souvent une monarchie héréditaire qu'une démocratie;
  3. La compétition entre les entreprises ne les pousse pas nécessairement à rechercher le bien-être optimal du consommateur mais simplement à le faire consommer;
Le propriétaire de mon bloc, mon employeur, mon épicier et mon banquier ont davantage de pouvoir sur moi que le premier ministre du Canada ou du Québec. Ma vie est davantage influencée par leurs décisions que par celles des ministres ou des députés. Il m'apparaît que, à l'instar du gouvernement monarchique (la reine et la gouverneure générale) dont le pouvoir n'est plus que symbolique par rapport à celui du gouvernement démocratique (provincial et fédéral) qui lui est officiellement suborné, ce même gouvernement a un pouvoir qui s'efface de plus en plus de nos vies par rapport à celui des entreprises privées… que l'on pourrait qualifier de «gouvernement commercial».*

Ce qu'il y a de préoccupant c'est que ces entreprises ne sont pas des instances démocratiques. Les chefs d'entreprises ne sont pas élus par leurs employés ou par leurs clients. Ils peuvent avoir été choisi en fonction de leurs compétences ou parce qu'ils sont les rejetons de l'ancien chef. L'accroissement du pouvoir commercial m'apparaît donc comme un retour du féodalisme.

Toutefois, remplacer une démocratie par une féodalité ne serait pas nécessairement un mal en soi si l'on était certain que ce nouveau gouvernement serait davantage bienveillant et éclairé que son prédécesseur. Ou, du moins, qu'il réponde mieux aux besoins du peuple. On pourrait croire que la compétition entre les entreprises aurait amené le bien-être du consommateur. Qu'en essayant de s'attirer de la clientèle, elles soient contraintes de chercher à répondre le mieux possibles aux attentes du client afin qu'il achète leurs produits. Ainsi, pour paraphraser l'économiste Adam Smith (1723-1790), la concurrence est supposée apporter des produits de qualité au plus bas prix possible.

Mais si leur but n'est pas l'intérêt du consommateur lui-même, les entreprises peuvent peut-être essayer de trouver d'autres façons d'accroître leurs ventes. Par exemple, elles pourront réduire la qualité des matériaux employés ce qui leur permettra à la fois de réduire leur prix et de s'assurer une demande future (lorsque le produit sera brisé). Elles utiliseront de la publicité fallacieuse pour créer un faux besoin ou induire une surévaluation du produit chez le consommateur. Les entreprises pourront même concevoir des produits nuisibles pour la santé du consommateur et réussiront à les vendre s'ils sont addictifs (ex.: cigarettes, boissons énergisantes) ou très facilement accessibles (ex.: malbouffe). Bref, les intérêts réels du consommateur ne sont pas l'objectif visé ni l'objectif atteint.

Également, cette concurrence ne focalisera que sur le produit et sa consommation mais sans se soucier de variables extérieures pouvant être importantes. Par exemple, un produit respectant davantage l'environnement que son compétiteur, ou versant un salaire plus équitable à son producteur, ne sera pas nécessairement plus vendu si cela implique que son prix est trop élevé par rapport à un produit équivalent qui serait polluant et non éthique. J'ajouterais même que, dans ce cas-ci, c'est justement la concurrence qui pousse les entreprises à baisser leurs prix à tout prix et donc à ne pas se soucier de l'environnement ou des droits de la personne. La somme d'argent que le consommateur est prêt à payer de plus pour que son produit soit éthique ou écologique est ridiculement faible.

Ce que j'ai vu comme solution à cette problématique situation, serait que toutes les entreprises soient des coopératives. À la différence des compagnies, les coopératives sont des instances démocratiques dont la raison d'être est de répondre à un besoin précis de ses clients. Si les entreprises qui contrôlent actuellement nos vies avaient été, dès le départ, des coopératives, le fait qu'elles prennent ainsi de plus en plus de pouvoir ne serait pas du tout préoccupant. Au contraire, étant donné que leur dirigeant serait élu démocratiquement et que leur mandat serait de répondre à un besoin (et non d'engranger des profits), la liberté de commerce aurait réellement mené à l'utopie d'Adam Smith.

J'irais même jusqu'à dire que, dans une telle situation, le gouvernement lui-même pourrait se substituer à des coopératives. Si chaque ministère était remplacé par une coopératives ayant le monopole de sa juridiction, il me semble que l'État serait gérer plus efficacement qu'il ne l'est actuellement. Chaque ministre étant élu indépendamment pour sa fonction spécifique, sa compétence serait donc davantage surveillée qu'en élisant un parti tout en bloc dont les membres se choisissent ensuite un ministère presque au hasard.

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*Et c'est sans parlé du fait que:
  1. Le nombre de votes qu'a un parti politique est directement proportionnel à la quantité d'argent qu'il met dans sa campagne électorale;
  2. Le financement des campagnes électorales se fait grâce aux dons de riches particuliers;
Ce qui pourrait nous mener à penser que, en quelque part, ce sont les entreprises qui décident quel parti sera au pouvoir. Un parti qui prendrait une décision allant à l'encontre des intérêts des grosses corporations perdra de nombreuses subventions au détriment de son adversaire, et perdra vraisemblablement l'élection suivante. Hiérarchiquement, le gouvernements fédéral et provincial sont donc en dessous du gouvernement commercial.

vendredi 9 avril 2010

Être parent : droit ou privilège?

Quand on veut conduire une voiture ou pratiquer certaines professions, il faut suivre une formation et obtenir un permis ou un diplôme attestant que l'on a les compétences requises pour avoir cette responsabilité. J'étais en train de me dire qu'élever un enfant m'apparaissait comme une responsabilité au moins aussi importante – et lourde de conséquences – que de conduire une voiture. Ne serait-il donc pas parfaitement logique et nécessaire que d'instaurer un «permis de parentalité» qu'il serait requis d'obtenir avant de pouvoir élever un enfant?

Remarquez, on fait déjà pas mal ça pour l'adoption. Quand un couple veut adopter un enfant, il doit se soumettre à de nombreuses exigences pour qu'on s'assure d'écarter les pédophiles, les toxicomanes, les personnes violentes ou, tout simplement, les gens qui sont trop peu responsables ou trop immatures pour se charger de l'éducation d'un enfant. Mais lorsqu'un couple conçoit un enfant, il n'y aucun filtre de la sorte pour s'assurer que les futurs parents soient des gens responsables et sains d'esprit. Comme si l'on considérait que le simple fait d'avoir été amené à l'existence constituait un bien suffisant pour que l'enfant soit redevable à ses parents au point d'endurer certaines maltraitances. Pourtant, l'enfant n'a pas demandé à venir au monde et n'appartient pas à ses parents. Bien sûr, il existe des moyens de retirer à des parents irresponsables la garde de leurs enfants, mais il faut pour cela que l'enfant ait préalablement écopé de vices de ses parents. Mieux vaut prévenir que guérir.

Ne serait-il pas plus sage de simplement soumettre les gens voulant avoir un enfant biologique au même genre de tests que ceux désirant un enfant adopté? Et, d'interdire à toute personne ayant échoué cet examen d'être le tuteur légal d'un enfant; même s'il le conçoit lui-même? Il me semblerait donc pertinent d'instaurer un «permis de parentalité» que l'on obtiendrait à la suite d'un examen sur nos aptitudes parentales et d'un examen psychologique. Ceux qui échoueraient ces tests seraient contraints de suivre une formation ou une thérapie pour obtenir leurs droits parentaux. Ceux qui procréeraient sans permis auraient un délai pour l'obtenir, sans quoi ils perdraient la garde de leur enfant.

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Je pressens certaines objections face à une proposition aussi drastique. Permettez-moi de vous devancer et d'y répondre d'avance :
Si l'on interdit à une personne d'avoir des enfants, on empêche une personne potentielle d'exister.

Comme je l'ai déjà dis dans ma réflexion sur l'avortement et dans celle sur nos devoirs envers les gens de demain, nous n'avons pas de devoir envers un être qui n'existera jamais. Par conséquent, commettre une action qui fait en sorte qu'une personne potentielle spécifique n'existe jamais, ne porte préjudice à personne.
Il y a plusieurs façons d'élever un enfant, qui se valent toutes.

Tout à fait. Mais il y a certainement des façons qui sont objectivement moins bonnes que d'autres. Vous conviendrez avec moi que battre ou violer son enfant n'est pas une bonne façon de l'élever.
Empêcher certaines personnes de se reproduire? C'est du nazisme!

Dans ce cas-ci, il ne s'agit pas d'eugénisme. Ce n'est pas la transmission des gènes qui est considéré, mais le fait d'élever un enfant. Il n'y a aucune mesure de stérilisation dans cette proposition.
Devenir parent est un droit fondamental/naturel/divin!

Je pense que le fait de grandir dans un milieu sain est un droit plus important que le droit de devenir parent. Au nom de ce droit de l'enfant potentiel, il est légitime de limiter celui du parent potentiel.

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Bref, pour moi, avant d'accorder une responsabilité importante à une personne, il est légitime qu'elle démontre ses compétences. Évidemment, cette proposition n'est pas très réaliste. En passant, je n'ai aucun pouvoir politique ou autre pour instaurer un permis de parentalité; je ne fais ici qu'un exercice philosophique. Alors qu'en pensez-vous? Serait-il légitime ou non qu'un gouvernement exige de ses citoyens qu'ils passent un test psychologique avant de leur accorder le droit d'avoir des enfants?