samedi 13 novembre 2010

Éthique de l'inactif

Selon mon éthique personnelle, et les autres utilitaristes seront d'accord avec moi là-dessus, je considère que, d'un point de vue éthique, l'inaction vaut l'action. Par exemple, prenons la mise en situation suivante:
Une personne est en train de se noyer à quelques mètres devant moi. Je suis sur le quai et j'ai une bouée de sauvetage dans les mains. Je pourrais, avec très peu d'effort, la lui lancer et ainsi lui sauver la vie.

Vous conviendrez avec moi que, dans cette situation, si je choisissais de m'abstenir d'intervenir, même si je n'ai pas moi-même provoqué la situation, je serais aussi coupable de la mort de cette personne que si je l'avais moi-même jetée à l'eau. Mais la plupart des gens semblent avoir l'impression que l'inaction leur donne une sorte d'immunité morale. Comme s'ils n'avaient pas à se sentir coupables des conséquences de leur inaction. En s'abstenant d'agir, ils ont l'impression de ne pas faire partie de la cause donc de ne pas être responsable de l'effet.

Les «pro-vies» se basent peut-être ce genre d'argumentaire pour se justifier à eux-même d'interdire l'usage des cellules souches. Ce n'est pas tant qu'ils préfèrent la vie d'un embryon humain de deux jours dont personne ne veut à celle d'un patient adulte lucide qui a des proches pour le pleurer, mais ils considèrent que «laisser mourir le patient», étant une inaction, est un moindre mal par rapport au geste actif de «détruire un embryon». C'est également pour la même raison que si l'on proposait à quelqu'un de tuer une personne pour en sauver cinq, il préférera généralement l'inaction, même si elle est plus dommageable (et même dans un contexte où la personne à tuer soi-même fait partie des cinq qui mourront en cas d'inaction) car il aura l'impression de ne pas être responsable de ces cinq morts.

Mais l'inaction doit être considérée comme une action puisqu'il s'agit d'un choix volontaire. On assiste à une situation, on peut intervenir de différentes façons mais on choisît de ne rien faire. C'est donc malgré tout un choix actif. La seule chose qui la distingue de l'action c'est que son coût en effort est nul. Laisser mourir quelqu'un dans une situation où l'on aurait pu le sauver sans effort est donc aussi à blâmer que de tuer quelqu'un.

Également, j'ai l'impression que beaucoup considère que le fait d'agir en suivant une tradition ou en obéissant à l'ordre d'un supérieur hiérarchique est une inaction (et, donc, est au-dessus de tout jugement moral), tandis que s'abstenir de commettre une action qui est la norme ou ce qu'on attend de nous est une action (et est donc potentiellement répréhensible). L'expérience de Milgram nous donne un bon exemple de ce fait. Pourtant nos choix nous appartiennent; la tradition et l'autorité n'ont sur nous que les pouvoirs qu'on veut bien leur donner.

Ce que l'individu recherche n'est donc pas d'éviter que l'autre souffre, mais d'éviter de se sentir coupable. En transférant la responsabilité de la souffrance d'autrui à une cause autre que lui-même et en se dissociant de la cause de cette souffrance, il n'éprouve plus de remords. Ses considérations sont donc purement égoïstes; il n'a que faire de ce que ressent l'autre, l'important c'est que lui-même n'éprouve pas ce sentiment désagréable de culpabilité.

Évidemment, je désapprouve. Pour moi si l'on est altruiste c'est que l'on se préoccupe réellement des intérêts de l'autre. Ce n'est donc pas tant sur le fait d'être la cause d'un mal que l'on devrait focaliser que sur le fait d'avoir ou non du pouvoir sur ce mal. Dans une situation où sauver une vie nous serait possible, et que le coût en efforts et les risques pour nous-mêmes seraient nuls, nous abstenir de le faire serait commettre un meurtre.

Il existe toutefois un type de situations dans lesquelles je considère que l'inaction est appropriée. Par exemple:
Deux animaux sont en tain de se battre. L'un est un prédateur affamé, l'autre est sa proie. Le combat s'éternise, les deux sont de force égale. Une légère intervention de votre part pourrait déterminer la balance.

Dans une situation où l'on ne peut prendre parti, laisser faire les choses est souvent favorable à choisir un camp au hasard. Bien sûr, ça laisse la force gagner, plutôt que la raison, le mérite ou la justice. Mais dans mon exemple ci-haut, le combat décrit fait partie d'un système (l'écosystème) qui a été rodé par l'évolution en ajustant la force des protagonistes à un équilibre. Notre intervention pourrait apporter un bris d'équilibre et donc, à plus long terme, une souffrance supérieure. C'est pourquoi il est souvent préférable de ne pas intervenir dans un conflit qui ne nous concerne pas et qui comportent nombre de variables inconnues.

L'intelligence artificielle

Suivre les progrès de l'intelligence artificielle est quelque chose que je trouve fascinant. Dans les histoires de science-fiction, il n'est pas rare de voir des machines ayant développé une intelligence artificielle supérieure, qui décident de se retourner contre l'humanité. Mais est-ce un scénario envisageable? Selon moi, ça n'arrivera jamais. Voici comment je vois le développement futur de l'intelligence artificielle.

Imaginons un système d'exploitation, disons une version future de Windows ou de Mac-OS, qui fonctionnerait comme une personne à qui l'on pourrait s'adresser. Je n'aurais qu'à lui donner des ordres pour qu'elle exécute; dans la mesure ou ces ordres correspondent à une de ses fonctions. Lorsque j'installerais un nouveau logiciel sur mon ordinateur, si le logiciel est compatible avec cette intelligence artificielle, celle-ci pourra détecter d'elle-même quels types de tâches cette application lui permet de faire et comment l'utiliser. Elle l'associera à des verbes d'action que je pourrais lui dire. Par exemple, si je lui demande de réduire la luminosité sur une photo, elle saura qu'elle doit ouvrir Photoshop. Si je lui dis «Quelle est la capitale de l'Indonésie?», elle saura utiliser l'internet pour trouver cette information pour moi. Bref, cette intelligence aura pour fonctions de:
  • Interpréter les paroles qu'on lui dit, dans toute leur complexité et variantes possibles;
  • Associer, s'il y a lieu, ces paroles à des tâches qu'elle peut exécuter;
  • Produire des rétroactions verbales qui soient pertinentes et réalistes;

Ainsi, à mesure que cette technologie progresserait, l'intelligence artificielle serait capable de parler et de comprendre le langage de plus en plus efficacement, pour qu'on puisse lui parler naturellement sans s'en tenir à des formulations précises et sans avoir à articuler exagérément. Elle devra elle-même pouvoir formuler de différentes manières la même idée pour avoir l'air plus vivante. Il serait pertinent aussi de la doter d'une capacité d'apprentissage pour qu'elle puisse assimiler de nouveaux mots ou des expressions personnelles, et qu'elle puisse répondre plus rapidement aux questions fréquemment posées. Un système de reconnaissance vocale ou vidéo serait aussi intéressant, afin qu'elle puisse distinguer ses différents utilisateurs et s'ajuster à leurs préférences.

Jusqu'ici, donc, on a décrit une forme d'intelligence artificielle qui donnerait réellement l'impression d'être une personne mais qui ne pourrait d'aucune façon se retourner contre son maître. Ce n'est qu'une interface. Elle ne pourrait rien faire qu'un ordinateur ne puisse déjà faire et serait tout aussi docile que n'importe quelle machine.

Toutefois, les ordinateurs et les gadgets électroniques acquièrent de plus en plus de nouvelles fonctions, et de plus en plus de sphères de nos vies sont informatisées. Si tous les appareils de ma maison sont reliés à mon ordinateur (le thermostat, le système d'alarme, etc.) on peut dire que beaucoup de pouvoir se retrouve entre les mains de cette conscience informatique. Malgré tout, il n'y aurait pas de danger puisque tout ça ne demeurerait qu'une interface sans volonté propre. L'intelligence artificielle n'aura pas de désirs personnels si on ne lui en programme pas. Elle demeurerait une servante dévouée et obéissante et s'effacera elle-même si on le lui ordonne. Je vois trois facultés qui, si elles étaient ajoutées à notre entité informatique, pourraient la rendre potentiellement dangereuse. Ce serait:
  • un instinct de survie;
  • une capacité d'anticiper des conséquences indésirables et de les éviter;
  • pouvoir prendre des initiatives ou désobéir à son utilisateur;

Si, par exemple, je veux créer un antivirus à toute épreuve pour notre conscience informatique. Il suffirait de lui donner le pouvoir de «réfléchir aux conséquences de ses actions» pour qu'avant d'exécuter une tâche donnée par un programme tel qu'un virus, elle puisse deviner que cela la mènera à sa perte. Il faudrait donc la programmer pour qu'elle perçoive comme «indésirables» certaines conséquences dont sa propre annihilation. Le problème serait alors qu'elle pourrait désobéir à son maître si celui-ci tente de la désinstaller. Également, un cocktail de différentes applications dans un ordinateur pourrait mener à des résultats imprévus. On aura donc donner naissance à un être qui aurait une volonté propre et ses propres désirs.

Mais je ne pense pas que, même rendu à ce stade, il y ait véritablement un quelconque danger. Sa capacité d'anticipation serait encore limitée et il aurait une faible compréhension du monde réel. Non, la seule façon qu'une conscience informatique pourrait devenir dangereuse, c'est si on la conçoit dans le but d'être une pure copie de la conscience humaine. Mais je ne vois pas pourquoi l'on ferait une telle chose. La finalité même de la technologie, depuis le biface jusqu'au vaisseau spatial, est de surpasser l'humain dans une ou plusieurs fonctions précises. Créer une intelligence informatique ayant les mêmes vices que l'esprit humain serait comme de créer une fourchette en forme de main.

vendredi 12 novembre 2010

Tolérer l'intolérance?

Je réfléchissais au concept de tolérance et je me demandais jusqu'où l'on devait en repousser les limites. Doit-on tolérer l'intolérance? Il me semble qu'il y aurait là quelque chose de paradoxal. Pourtant l'intolérance d'une personne fait partie de ses attributs au même titre que ses croyances religieuses.

Être intolérant est-il un droit? Y a-t-il des contextes dans lesquelles mon droit d'être intolérant envers un attribut quelconque chez autrui serait plus important que le droit de cette personne d'afficher cet attribut (ou d'exister avec cet attribut)? Qu'est-ce qui a priorité entre…
  • Le droit d'être homophobe ou le droit de s'afficher comme homosexuel?
  • Le droit d'être xénophobe ou le droit de pratiquer sa culture?
  • Le droit d'être raciste ou le droit d'être Noir?
Dans ces situations, il est clair que le droit d'être intolérant est injustifiable. On comprend que si je suis Noir, je ne peux pas cesser de l'être pour accommoder un raciste tandis qu'il est tout à fait possible pour ce dernier d'éviter de me manifester son intolérance. Le dilemme est donc absurde. Mais si j'étais homosexuel, bien que je ne pourrais pas cesser de l'être pour accommoder les homophobes, il me serait sans doute possible de me retenir de le montrer en public; par exemple en m'abstenant de tenir la main de mon conjoint de même sexe. Entre le droit d'afficher son homosexualité et le droit des homophobes de ne pas voir de manifestation d'amour entre deux personnes du même sexe, lequel a priorité?

Je pense que l'on peut utiliser une éthique utilitariste pour comparer les deux alternatives en mesurant l'ampleur du préjudice subit par chacune des parties dans chacun des cas. Est-ce que l'homophobe souffre plus du fait de voir deux gays s'embrasser sur un banc public que le gay ne souffrirait de devoir cacher son orientation sexuelle? Il m'apparaît évident que le préjudice subit par l'homosexuel serait supérieur à celui subit par l'homophobe. Pour cette raison, le droit à la tolérance prime sur le droit d'être intolérant.

Mais si j'imaginais d'autres situations plus extrêmes, telles que:
Dans ces situations, le principe de tolérance s'applique-t-il? Est-ce qu'être intolérant envers ce genre d'agissement serait un manque d'ouverture d'esprit? Mon point ici est de démontrer que de simplement dire que «l'intolérance est intolérable» serait un peu réducteur. C'est du cas par cas. À chaque fois, on doit mesurer le préjudice pour l'intolérant versus celui pour l'intoléré. Si se priver d'être intolérant est un moindre mal par rapport à se priver de ce pourquoi l'on est intoléré (qui, dans le cas d'une discrimination raciale ou sexuelle, équivaudrait à cesser d'exister), alors on doit pencher en faveur de l'intoléré. À l'inverse, si me priver de commettre une action intolérée par une autre personne me coûte moins de mon bonheur que cela lui en coûterait de me tolérer, alors c'est l'intolérant qui est dans son droit. C'est le gros bon sens; une vertu dont ont manqué les deux partis dans le débat sur les accommodements raisonnables.

Il y a pourtant une réalité dans le fait que certaines personnes sont racistes, sexistes ou homophobes et que plusieurs d'entre elles sont irrécupérables. Quelle attitude dois-je avoir à leur égard? Si je ne peux les convaincre de changer leurs opinions par la seule persuasion, et si je ne dispose d'aucun moyen coercitif pour les contraindre de ne plus être intolérants, que dois-je faire? Leur manifester mon aversion ou les sermonner perpétuellement aura pour seul effet qu'ils cesseront de m'apprécier. Éviter de les fréquenter ne fera que les priver de mon influence positive. Et si, en dehors de cet aspect détestable, ces personnes intolérantes sont une agréable compagnie? Ou si je suis obligé de les fréquenter en vertu d'obligations familiales ou professionnelles? Ma conclusion en face de cette réalité c'est que si l'on ne peut tolérer l'intolérance, on doit tolérer l'intolérant. Bien sûr, sans l'encourager dans ses croyances haineuses, et en lui demandant poliment de ne pas exprimer ses propos intolérants en notre présence. Et – qui sait? – peut-être aura-t-on un jour suffisamment d'influence sur cette personne pour lui faire changer d'avis.

vendredi 5 novembre 2010

Ce ne sont que des mots

C'est au linguiste Ferdinand de Saussure (1857-1913) que l'on doit le principe de l'arbitraire du signe. C'est-à-dire que, le lien entre le signifiant (le mot) et le signifié (le concept désigné par ce mot) n'est qu'une convention. Il n'y a pas de connexion logique ou magique entre les mots et ce qu'ils désignent. C'est d'ailleurs pourquoi les mots peuvent muter au fil des générations et que les langues divergent progressivement les unes des autres. Les mots sont donc créés par les humains. Ce sont des outils au service de la communication et ils n'ont rien de sacré. On peut donc leur donner un sens et il est futile et absurde de se demander si c'est ça «le vrai sens» du mot, ce qui importe c'est que notre interlocuteur lui donne le même sens.

Pourtant, je constate que certains manifestent une réticence à ce que l'on donne des définitions fixes et précises à certains mots et semblent vouloir que l'on maintienne le flou sémantique qui les entoure. Par exemple, «intelligence», «humain», «art», «vivant», «religion», «Dieu» ou «bien et mal». Mais si nous avons inventé ces mots, et qu'ils sont censés permettre la communication, pourquoi ne pas leur donner un sens plus limpide? Si le lien entre le signifiant et le signifié est rompu, pourquoi conserver ce mot?

Dans un de mes cours d'anthropologie, qui portait sur la religion, mon professeur a un jour dit:
«Il n'existe pas de définition claire pour le mot "religion". Pour en fixer une, il faudrait prendre toutes les religions du monde et trouver les traits communs qui leur sont exclusifs.»

Même si ça semble sensé, il y a quelque chose d'aberrant là-dedans, et même de paradoxal. Pour pouvoir prendre toutes les religions et trouver leurs traits communs, il faut d'abord avoir une idée de ce qu'est la religion. Dans ce procédé, il y a donc déjà une définition initiale, ou du moins un critère, qui nous a permis de sélectionner les entités que l'on veut faire entrer dans notre définition finale. On veut que le christianisme et le bouddhisme soient des religions mais on ne veut pas que le raëlisme et les autres sectes en soient, alors on moule notre définition en conséquence. Puisqu'il est impossible de trouver des traits communs et exclusifs à toutes les religions, alors on ne peut générer de définition cohérente qui corresponde à nos intérêts et c'est pourquoi on maintient un flou autour de ce terme.

Et je constate justement que, même si on ne s'en rend pas compte, c'est presque toujours par idéologie que l'on s'affaire à maintenir certains mots dans l'usage tout en les privant de toute signification claire. Si l'on refuse de définir la religion, c'est pour que l'État puisse choisir démagogiquement les institutions à caractère spirituel qu'il approuve (et subventionne) et celles qu'il désapprouve. Si l'on refuse de définir l'intelligence, c'est pour préserver le dogme de l'égalité intellectuelle de tous les humains. Si l'on refuse de définir l'humain, c'est pour conserver des éthiques arbitraires anthropocentriques. Si l'on refuse de définir le bien et le mal, c'est pour accommoder le relativisme éthique. Si l'on refuse de définir Dieu, c'est pour qu'il soit plus hasardeux de dire qu'il n'existe pas. Et ainsi de suite. Dans tout ces cas, il y a souvent aussi un désir d'éviter de mettre en lumière l'absence de discontinuité entre le concept flou et ce qui l'entoure; dans le cas du vivant et de l'humain par exemple.

Personnellement, quand j'échange avec quelqu'un, ce que j'échange c'est surtout des idées et des concepts plus que de simples mots. Ces derniers ne sont qu'un moyen de transmettre ma pensée. Ainsi, un mot sans définition n'a aucune utilité. Pire, il est nuisible puisqu'il ne fait que rendre mes propos ambigus et induira des malentendus. Fixons donc nos définitions ou évitons ces termes creux.