Une personne est en train de se noyer à quelques mètres devant moi. Je suis sur le quai et j'ai une bouée de sauvetage dans les mains. Je pourrais, avec très peu d'effort, la lui lancer et ainsi lui sauver la vie.
Vous conviendrez avec moi que, dans cette situation, si je choisissais de m'abstenir d'intervenir, même si je n'ai pas moi-même provoqué la situation, je serais aussi coupable de la mort de cette personne que si je l'avais moi-même jetée à l'eau. Mais la plupart des gens semblent avoir l'impression que l'inaction leur donne une sorte d'immunité morale. Comme s'ils n'avaient pas à se sentir coupables des conséquences de leur inaction. En s'abstenant d'agir, ils ont l'impression de ne pas faire partie de la cause donc de ne pas être responsable de l'effet.
Les «pro-vies» se basent peut-être ce genre d'argumentaire pour se justifier à eux-même d'interdire l'usage des cellules souches. Ce n'est pas tant qu'ils préfèrent la vie d'un embryon humain de deux jours dont personne ne veut à celle d'un patient adulte lucide qui a des proches pour le pleurer, mais ils considèrent que «laisser mourir le patient», étant une inaction, est un moindre mal par rapport au geste actif de «détruire un embryon». C'est également pour la même raison que si l'on proposait à quelqu'un de tuer une personne pour en sauver cinq, il préférera généralement l'inaction, même si elle est plus dommageable (et même dans un contexte où la personne à tuer soi-même fait partie des cinq qui mourront en cas d'inaction) car il aura l'impression de ne pas être responsable de ces cinq morts.
Mais l'inaction doit être considérée comme une action puisqu'il s'agit d'un choix volontaire. On assiste à une situation, on peut intervenir de différentes façons mais on choisît de ne rien faire. C'est donc malgré tout un choix actif. La seule chose qui la distingue de l'action c'est que son coût en effort est nul. Laisser mourir quelqu'un dans une situation où l'on aurait pu le sauver sans effort est donc aussi à blâmer que de tuer quelqu'un.
Également, j'ai l'impression que beaucoup considère que le fait d'agir en suivant une tradition ou en obéissant à l'ordre d'un supérieur hiérarchique est une inaction (et, donc, est au-dessus de tout jugement moral), tandis que s'abstenir de commettre une action qui est la norme ou ce qu'on attend de nous est une action (et est donc potentiellement répréhensible). L'expérience de Milgram nous donne un bon exemple de ce fait. Pourtant nos choix nous appartiennent; la tradition et l'autorité n'ont sur nous que les pouvoirs qu'on veut bien leur donner.
Ce que l'individu recherche n'est donc pas d'éviter que l'autre souffre, mais d'éviter de se sentir coupable. En transférant la responsabilité de la souffrance d'autrui à une cause autre que lui-même et en se dissociant de la cause de cette souffrance, il n'éprouve plus de remords. Ses considérations sont donc purement égoïstes; il n'a que faire de ce que ressent l'autre, l'important c'est que lui-même n'éprouve pas ce sentiment désagréable de culpabilité.
Évidemment, je désapprouve. Pour moi si l'on est altruiste c'est que l'on se préoccupe réellement des intérêts de l'autre. Ce n'est donc pas tant sur le fait d'être la cause d'un mal que l'on devrait focaliser que sur le fait d'avoir ou non du pouvoir sur ce mal. Dans une situation où sauver une vie nous serait possible, et que le coût en efforts et les risques pour nous-mêmes seraient nuls, nous abstenir de le faire serait commettre un meurtre.
Il existe toutefois un type de situations dans lesquelles je considère que l'inaction est appropriée. Par exemple:
Deux animaux sont en tain de se battre. L'un est un prédateur affamé, l'autre est sa proie. Le combat s'éternise, les deux sont de force égale. Une légère intervention de votre part pourrait déterminer la balance.
Dans une situation où l'on ne peut prendre parti, laisser faire les choses est souvent favorable à choisir un camp au hasard. Bien sûr, ça laisse la force gagner, plutôt que la raison, le mérite ou la justice. Mais dans mon exemple ci-haut, le combat décrit fait partie d'un système (l'écosystème) qui a été rodé par l'évolution en ajustant la force des protagonistes à un équilibre. Notre intervention pourrait apporter un bris d'équilibre et donc, à plus long terme, une souffrance supérieure. C'est pourquoi il est souvent préférable de ne pas intervenir dans un conflit qui ne nous concerne pas et qui comportent nombre de variables inconnues.