jeudi 13 janvier 2011

Nommer notre espèce

Lorsque j'étais au baccalauréat, certains de mes professeurs* utilisaient l'expression «l'Homme» (au masculin singulier avec une majuscule) au lieu de dire «les humains» (pluriel neutre sans majuscule). Personnellement, c'est une expression qui me fait grincer des dents à chaque fois que je l'entends. Je n'arrive pas à la percevoir comme un terme qui inclut les femmes.

Bien sûr, il arrive parfois que l'on utilise le même mot pour parler du mâle d'une espèce et de l'espèce entière. Par exemple, en disant «les chevaux» on peut y inclure des juments. À l'inverse, lorsque l'on parle des poules et des vaches on utilisera le mot féminin pour parler de l'espèce (surtout parce que les éleveurs de ces animaux ont des populations très majoritairement femelle). Et pour d'autres, comme le mouton, nous avons un nom pour le mâle (bélier), un nom pour la femelle (brebis) et un nom neutre pour l'espèce (mouton). On ne dira pas «Voici un troupeau de béliers» pour parler d'un troupeau de moutons. De la même façon, comme nous avons le mot «humain», je ne comprends pas pourquoi on nommerait notre espèce d'après le nom du mâle.

Bien sûr, il y a la majuscule qui est sensé faire la distinction entre l'espèce (Homme) et le mâle (homme). Mais je trouve que mettre une majuscule pour le nom de notre espèce, alors que toutes les autres espèces s'écrivent avec une minuscule, est une exception illégitime et anthropocentrique. Je n'aime pas trop non plus l'expression «l'être humain». J'y vois un pléonasme absurdement redondant. Un humain est nécessairement un être. Dira-t-on «un être chien» pour parler d'un chien? L'être chat, l'être vache, l'être fourmi? Ce serait ridicule.

Aussi, l'expression «les droits de l'Homme» en est une qui me révulse. Je lui préfère «les droits de la personne». Non seulement parce que «personne» est un mot qui inclut les deux sexes, mais aussi parce que c'est un terme qui pourrait inclure un être non humain ayant une intelligence humaine (disons, un extraterrestre, un robot, un ange ou un elfe). Bien sûr il n'en existe aucun, mais cela fait tout de même en sorte que «les droits de la personne» est une expression à la fois moins sexistes et moins spéciste. Ça implique que ces droits sont basés non sur notre statut d'humain mais sur notre statut de personne, ce qui me semble un pilier plus légitime.

Je n'aime pas non plus que l'on utilise le singulier pour parler d'un nombre pluriel d'individus. Que l'on dise «l'Homme», ,«l'être humain» ou «l'humain», on aura recours, dans les trois cas, au nombre singulier alors qu'il y a manifestement plus d'un humain. On fait aussi cela souvent pour les animaux. Par exemple, on dira «le cri du chat est le miaulement», «le loup est carnivore» ou «l'ours hiberne». Comme si l'on considérait que tous les membres de l'espèce sont si semblables et interchangeables qu'on pourrait les traiter comme un seul individu. Il me semble que l'on devrait, au moins dans le cas des humains, reconnaître qu'il s'agit d'un ensemble suffisamment pluraliste pour mériter le pluriel.

––
*J'ai remarqué que ce sont surtout les gens de nationalité française qui vont utiliser l'expression «l'Homme», les Québécois privilégieront «les humains». Mais comme les Français ne féminisent pas non plus les titres (ils diront, par exemple, «Madame le Maire»), leur dialecte a une logique différente de la nôtre par rapport au genre, ce qui fait qu'il n'y aura sans doute rien de machiste à leurs oreilles dans l'expression «l'Homme» et que, pour eux, c'est sans doute moi en ce moment qui passe pour un ultraféministe enragé.

6 commentaires:

  1. Je comprends parfaitement le problème et je crois que vous l'exprimez très bien. Cependant, je n'ai pas la même perspective que vous de l'expression homme, par la même image qui me vient à la tête quand je l'entends. Je n'ai donc pas le même sentiment que vous face à des choses comme "les droits de l'Homme" que j'entends naturellement comme "les droits de l'humain"... mais bon...

    Je pourrais développer mon point, mais ultimement, sur le plan strictement formel, je suis d'accord avec vous, c'est absurde de faire une telle division si on considère l'égalité.

    Or, quelque part en moi, une émotion peut-être, réagit négativement à une proposition telle que la création d'un terme androgyne. C'est probablement un relent d'éducation sexiste... Mea Culpa si tel est le cas. Ce n'est pas ma volonté. Quelque part en moi, quelque chose n'aime pas l'idée d'une normalisation du genre. J'aime la différence, la distinction... Peut-être n'est-ce qu'un relent de ma passion pour la danse qui me fait préférer danser avec une femme...

    Enfin... Je comprends parfaitement ce genre de sentiment et je supporte une réflexion sur le sujet. Je suis pour les droits de l'humain et tente, le plus souvent possible, d'utiliser humain quand ce n'est pas directement des hommes que je parle.

    RépondreEffacer
  2. Excellente réflexion, sauf, pour moi, la dernière observation concernant l'usage du singulier pour parler d'un ensemble d'individu. Il s'agit d'un fait de langage que j'imagine être présent dans toutes les langues. Et ça n'est pas discriminatoire pour personne.

    RépondreEffacer
  3. L'utilisation de la majuscule pour distinguer l'espèce du sexe est une habitude française pour le mot homme.Cet usage est en effet pompeux et ridicule.L'homonymie donne la mauvaise impression de confondre les deux et l'ajout de la majuscule pour démontrer qu'on ne tombe pas dans le panneau est assez stupide et semble renforcer le fait d'en privilégier un.C'est un peu comme si on nous demandait d'écrire avec le même signe ou le même mot un et un demi.
    Je me méfie de cette manière solennelle de gratifier l'humanité d'une plus grande lettre comme si la grammaire était convoquée pour célébrer notre grandeur à moins que cela ne soit pour masquer maladroitement une petitesse qu'on assume pas.L'histoire nous invite à plus de modestie.La majuscule au mot homme est une robe trop luxueuse ou un costume un peu trop grand et l'habit est loin de faire le moine.
    Dans ce cas,la majuscule est un habit factice
    que vous avez raison de détester.L'habillage de la langue bénéficie de toute votre vigilance à juste titre.Je suis d'accord sur ce point.

    L'expression être humain me semble juste.Je pourrais même parler d'être animal,végétal,mi-
    néral... Même si un objet n'a ni conscience,ni vie au moment où nous le regardons,l'aimons,le détestons,il existe pour nous.Il est.
    Je dois avouer que je ne suis pas experte en philosophie et que cet aveu n'est pas coquette-
    rie.J'aime l'idée que c'est en lisant (de bons blogs)et en parlant de ce que nous ignorons que nous finissons par apprendre.J'ai donc une question.Pourquoi refuser l'expression être... à partir du moment où nos sens,nos sentiments nous informent de la réalité de l'objet ou de la révélation d'une émotion,d'une impression?
    Pourquoi ne pas libérer la langue de certains carcans avec plus de liberté,de créativité afin d'exprimer notre singularité.Il me semble souvent bien difficile d'articuler pluralité, universalité et expérience individuelle dans la langue.
    Salutations,Françoise

    RépondreEffacer
  4. Merci à tous de vos commentaires,

    @Fabien

    En effet, l'usage du singulier pour parler d'un groupe pluriel n'est pas exclusif au français. Ce n'est pas non plus un mal en soi, à mes yeux. Moi-même je le fais parfois. C'est un usage qui peut avoir une valeur esthétique pour un texte. Le problème c'est seulement lorsque l'on utilise cette forme d'une façon qui pourrait affecter notre conception des choses.

    Par exemple, en stéréotypant un groupe via l'utilisation du singulier qui se réfère grammaticalement au groupe mais conceptuellement à une sorte d'«individu-type» qui sert de modèle pour définir le groupe. Si je dis «l'humain est bipède» j'exclus implicitement les paraplégiques de l'humanité ou je les fais sentir comme s'ils étaient «moins humains».

    Comme je dis, c'est pas vraiment grave. C'est juste une observation que je fais sur la langue.

    @Françoise

    Je n'ai rien contre le mot «être» mais l'expression «être humain» employée à la place de simplement «humain» m'agace un petit peu. Tout comme la majuscule à «l'Homme», je la vois comme une manière de nommer notre espèce comme si elle était quelque chose de divin par rapport aux bêtes. Car, on n'entendra en effet jamais quelqu'un dire «l'être chien».

    Vous dites aussi : «Pourquoi ne pas libérer la langue de certains carcans avec plus de liberté,de créativité afin d'exprimer notre singularité»

    Je suis tout à fait d'accord avec ça.

    @Fiston

    En effet, s'ostiner sur la forme plutôt que sur le fond est souvent une douloureuse perte de temps. Toutefois, à l'occasion, pour le plaisir, ça ne peut pas faire de mal. :) Par ailleurs, un ostinage métalinguistique peut permet d'éclaircir certaines choses, de mieux se comprendre. Il ne faut pas négliger non plus l'influence des mots sur notre conception du monde.

    RépondreEffacer
  5. L'impact qu'a un mot sur la chose qu'elle nomme est majeur, qu'il soit 'Écrit' ou 'oral'. Lorsque j'étais au secondaire, j'ai remarqué que peu de personnes semblaient être au courant de la règle du H majuscule pour désigner la race humaine, puisque les deux mots homme et Homme se prononcent exactement de la même façon. Comment distinguer le concept de l'homme et de son homonyme désignant humanité à moins de le voir écrit?

    Pour ce qui est du terme 'être humain', je suis d'accord que c'est un pléonasme. Toutefois, il est vrai qu'on applique 'être' comme particule précédent le végétal et l'animal... Donc, à mon humble avis, on pourrait en profiter pour faire disparaître 'l'être' de ces mots aussi !!

    Je ne crois pas que la question de ce blog soit une question causée par une hausse de l'hormone du féminisme aïgu... C'est une question linguistique très intéressante par rapport à la conception que l'on a de l'humain aujourd'hui!! Il serait ainsi plus juste d'actualiser notre perception de l'humanité, en utilisant les terme humain ou personne, plutôt que 'Homme' ou 'être humain', comme tu l'avais mentionné. Pour la plus simple raison que notre conception de l'humain a changé et parce que nous voulons réduire l'ambiguité du terme que l'on utilise encore aujourd'hui.

    Au plaisir !

    RépondreEffacer