jeudi 23 juin 2011

Vers la souveraineté

Depuis la dernière élection fédérale, il est plus que jamais limpide que le Québec n'a pas sa place au sein du Canada. Alors que la majorité des Canadiens ont élus un gouvernement de droite majoritaire, ce même gouvernement a eu un succès presque nul au Québec dont la majorité a élu une opposition de gauche. Comme je l'ai dis précédemment dans ma réflexion sur la séparation, qu'il y ait deux cultures fondatrices n'est pas un problème en soi, le problème c'est que cette division culturelle entraîne une forte division d'orientation politique.

Bref, j'étais en train de me demander comment on allait se diriger vers la souveraineté. Quelle place un parti souverainiste devrait-il donner à ce projet dans son agenda? Traditionnellement, on faisait un référendum en se disant qu'on se séparerait si le OUI gagnerait. Je me disais que l'on devrait peut-être inverser notre stratégie: Commencer par essayer de donner au gouvernement provincial autant d'autonomie que possible par rapport au fédéral sans pour autant sortir de l'union canadienne, puis, lorsqu'il ne sera plus possible d'en acquérir plus (soit parce que le fédéral s'y opposera, soit parce qu'obtenir un statut de pays resterait la seule liberté que nous n'ayons pas acquise) on déclenche un référendum sur la séparation.

En fait, la séparation ne devrait pas être présentée comme une fin en soi mais comme un moyen. Le véritable objectif ici est que le Québec acquiert plus d'autonomie, afin de mieux répondre aux besoins de sa population. Sortir du Canada n'est que l'étape finale dans l'accomplissement de cet objectif. Commencer par acquérir l'autonomie avant la souveraineté présenterait l'avantage de clarifier la question référendaire. Si l'on a déjà acquis tout plein d'autonomie sans avoir besoin de se séparer, alors la souveraineté devient surtout une question symbolique de reconnaissance et d'avoir sa place sur la scène internationale à égalité avec les nations souveraines. Si l'on s'est buté à un obstacle dans notre quête d'autonomie à cause du fait que nous demeurions dans le Canada, alors on sait beaucoup mieux pourquoi l'on devrait se séparer.

La stratégie qui devrait être en place c'est de saisir toute juridiction que le fédéral néglige ou délaisse et de créer une instance provinciale pour s'en occuper. Par exemple, si le Canada ne veut plus de registre des armes à feu, pourquoi ne pas en faire un pour le Québec? Si le Canada investit moins dans la culture, le Québec devrait riposter en investissant plus dans la culture. Si le fédéral ne veut plus du bilinguisme dans l'armée, pourquoi le provincial ne financerait pas en partie une division francophone de l'armée canadienne? Pourquoi ne pas immédiatement créer une société d'État de livraison qui concurrencerait Poste Canada? En clair, on devrait immédiatement mettre en place des institutions provinciales qui seront indispensables dans l'éventualité où l'on se séparerait mais qui auraient tout de même leur raison d'être pendant que l'on demeure au sein du Canada.

Une autre stratégie qui devrait être utilisée serait d'essayer de réduire au minimum les interactions entre le citoyen et le fédéral, par exemple en offrant de remplir pour lui tout formulaire, rapport d'impôt, demande de subventions, demande de passeport, d'acquisition de sa citoyenneté, etc. Bref, que le citoyen (ou le futur citoyen) puisse n'interagir qu'avec le provincial s'il le veut, qui lui-même se chargera à sa place de transiger avec le gouvernement canadien. Ultimement, ce pallier gouvernemental deviendrait donc de plus en plus superflu dans l'univers du citoyen, comme une sorte d'intimidateur qui lui taxe son argent sans rien lui apporter en retour.

En gros, ce que j'essaye de dire, c'est que l'accession à la souveraineté n'est pas quelque chose qui peut se faire spontanément suite à un référendum. C'est un long processus. Mais si ledit processus est déjà enclenché et que la population peut en voir les effets bénéfiques, alors le référendum lui-même aura plus de succès.

jeudi 2 juin 2011

Interdire la discrimination

Comment devrait-on s'y prendre pour écrire une loi qui prohibe la discrimination? Prenez l'article 10 de la charte des droits et liberté du Québec:

«Toute personne a droit à la reconnaissance et à l'exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de la personne, sans distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, la grossesse, l'orientation sexuelle, l'état civil, l'âge sauf dans la mesure prévue par la loi, la religion, les convictions politiques, la langue, l'origine ethnique ou nationale, la condition sociale, le handicap ou l'utilisation d'un moyen pour pallier ce handicap.»

Le problème que j'y vois c'est qu'on y précise les formes de discriminations qui sont interdites (sexe, race, religion) ce qui autorise les autres formes de discrimination, même quand elles sont tout aussi arbitraires et pénalisantes. Par exemple, est-il correct de refuser d'engager une personne parce qu'elle est laide? Si c'est pour un poste d'adjointe administrative il est clair que non, mais pour un emploi ou l'apparence physique importe, comme serveuse dans un bar par exemple?

À mon humble avis, on devrait reformuler le contenu de la Charte. Ce qui est à proscrire c'est la discrimination arbitraire. Tout simplement. Que cette discrimination soit basée sur le sexe, la beauté ou le signe astrologique n'a pas à être précisé dans la Charte. Dans le cas de l'embauche par exemple, s'il n'y a pas de lien pertinent entre le critère discriminant utilisé par l'employeur et le poste pour lequel l'employé est engagé, alors l'employeur est injustement discriminatoire. Point. On aura beau essayer d'y énumérer tous les critères de discrimination possible que les gens s'en inventeront de nouveaux.

Par ailleurs, il y a des situations dans lesquelles ces catégories s'adonnent à être corrélées avec une discrimination légitime. Refuser d'engager une personne laide comme serveuse dans un bar, c'est comme de refuser d'engager une femme comme déménageur de pianos (à moins qu'elle ne soit très musclées) ou de refuser d'engager un aveugle comme gardien de sécurité: Ça pénalise certaines personnes mais il est logique de ne pas donner un poste à une personne qui n'a pas les compétences pour le poste en question; que les compétences en question soient ou non fortement corrélées avec un groupe parfois victime de discrimination.

mercredi 1 juin 2011

Éthique de l'élevage

Mise en situation:

Un homme vivait seul dans une petite cabane au milieu de la forêt. Un matin de novembre, il trouva une bête blessée dans les bois. Il décida de l'amener chez lui pour la soigner. L'animal s'en remit vite mais était dès lors trop handicapé pour survivre dans la nature en plein hiver. L'homme choisît donc de garder la bête avec lui jusqu'au printemps et de partager avec elle ses provisions. Malheureusement, il avait sous-estimé l'appétit de son protégé; ses réserves alimentaires diminuèrent beaucoup plus rapidement que ce qu'il n'avait prévu. Lorsqu'il restait encore un mois à la saison froide, son stock de nourriture était à sec. L'homme dut se résoudre à abattre l'animal qu'il avait hébergé, afin de manger son cadavre. Il lui offrit une mort rapide et presque indolore. Il surmonta les remords en se disant que, de toute façon, la bête serait déjà morte depuis longtemps, d'une mort beaucoup plus douloureuse, s'il ne s'en était pas occupé tout l'hiver.

Dans ce scénario, pourrait-on reprocher à l'homme d'avoir tué l'animal? Éthiquement, a-t-il mal agit? Pour moi, il est clair que non. Je n'aurais strictement rien à lui reprocher. C'est une situation ponctuelle, non préméditée. La proie y gagne beaucoup plus qu'elle n'y perd et elle n'est tuée que par nécessité. L'homme a retiré cette bête de la nature dans son intérêt à elle, sans avoir pour but d'en faire son dîner. Cette situation représente pour moi un «élevage idéal» d'un point de vue éthique. C'est-à-dire que l'ensemble des arguments qui pourraient légitimer l'élevage et l'abattage d'animaux sont présents sous leur forme la plus forte. Si l'on soutient, par exemple, que l'animal est plus heureux dans l'élevage que dans la nature, ce serait indubitablement le cas dans notre mise en situation.

Pour moi, donc, pour que l'élevage d'animaux ait des chances d'être éthique, il doit se rapprocher le plus possible de cette mise en situation. Si l'animal est maltraité, ce n'est plus éthique. Si les conditions d'élevage sont pires que celles de la nature, alors ce n'est pas éthique non plus. Il faudrait que l'animal gagne à être en élevage plutôt que sauvage. Si, nous-mêmes, nous avions à choisir entre vivre l'une ou l'autre de ces vies alternatives, nous préférerions la vie d'élevage.

Mais il y a également d'autres facteurs à considérer. Par exemple, l'animal d'un élevage moderne est bien différent de son ancêtre sauvage. Il a été altéré par les croisements sélectifs et n'est désormais plus du tout adapté à la vie sauvage. La vie d'élevage est donc la seule à laquelle il soit adapté. Est-il donc automatiquement éthique de continuer son élevage? C'est comme si l'on avait rendu un être dépendant d'une situation douloureuse, et que l'on justifiait ainsi de le maintenir dans cette situation douloureuse. Indépendamment de l'alternative sauvage, on peut questionner pour elles-mêmes les conditions de vie que nous imposons aux animaux d'élevage. Même si nous sauvons la vie d'un être, cela ne nous donne pas le droit de lui faire vivre ce que l'on veut ensuite. L'homme dans ma petite histoire du début, a tué son animal non parce qu'il l'avait sauvé au préalable, mais parce que cela lui était nécessaire. Nous est-il nécessaire d'imposer de telles conditions de vie aux animaux d'élevage?

Mais une autre question en amont rend inutile toute tentative de répondre à ces questions-ci. Pour l'illustrer, reprenons ma mise en situation du début mais modifions-la légèrement. Imaginons que l'homme n'ait pas trouvé un seul animal dans les bois mais un couple d'animaux, et qu'il ait en réserve un peu plus de nourriture. Supposons qu'après avoir constaté qu'il avait tout juste assez de nourriture pour eux trois pour tout l'hiver, l'homme ait tout de même choisi de laisser ses deux bêtes se reproduire. Bref, il a décidé de faire venir au monde plus de bêtes en sachant qu'ils finiraient par manquer de nourriture et qu'il serait donc contraint de les manger. Ainsi, pour ces nouveaux-nés, le dilemme éthique n'est pas de savoir s'il leur aurait été plus avantageux de vivre dans la nature ou chez cet homme, c'est tout simplement de savoir si cette vie est préférable à la non-existence.

La situation de l'élevage moderne ressemble plus à cette version altérée de mon histoire d'origine. La reproduction des bêtes est totalement contrôlée par les éleveurs. Ce ne sont pas des individus qui ont été retirés de la vie sauvage, ils ont été créés sciemment dans le but d'être abattus et mangés. Comme je le disais dans ma réflexion sur nos devoirs envers les générations futures et dans celle sur les droits de l'enfant, amener un être à l'existence ne nous donne pas de droit sur lui. Au contraire. Les êtres qui n'existent pas encore ne sont pas en train de souffrir ou de désirer exister. L'inexistence devrait être traitée par notre éthique comme un état de béatitude ou, disons, un état «neutre», c'est-à-dire sans bonheur ni souffrance. Donc pour qu'amener un être à l'existence soit éthique, il faut que l'on s'assure au préalable qu'il puisse avoir une vie où le bonheur domine largement sur la souffrance. Ce n'est manifestement pas le cas dans l'élevage intensif.

Bref, ma position n'est pas qu'il est en tout temps et en tout contexte contraire à l'éthique de retirer un animal de son environnement puis de prendre soin de lui avant de l'abattre et de le manger. C'est surtout la forme spécifique que revêt cette activité dans notre civilisation que je trouve indéfendable.