lundi 12 décembre 2011

Les droits des objets

Qu'est-ce que la propriété? Non je ne dirais pas, comme Proudhon, que la propriété c'est le vol. Je comprends et je partage l'idée que la propriété privée doit exister. L'abolition totale de cette dernière, que prônent certains utopistes, m'apparaît comme quelque chose qui aurait des conséquences indésirables. Mais je me permettrai tout de même ici de réfléchir et de remettre en question certains aspects du concept de propriété. Y a-t-il certaines limites qu'on devrait lui imposer?

Mais tout d'abord, que signifie «posséder»? C'est un concept auquel nous sommes tellement habitué que son sens nous semble aller de soi. Mais si l'on fait l'exercice de le définir, on pourrait dire que les possessions d'une personne sont les objets sur lesquels les autres personnes lui reconnaissent une pleine souveraineté. Un individu peut faire ce qu'il veut des objets qui sont siens. Mais ce qu'il faut garder en tête c'est qu'il s'agit d'une convention sociale, d'un consensus. Il n'y a pas de connexion magique entre le possesseur et ses possessions. C'est une intersubjectivité.

Dans cette perspective, un être peut-il en posséder un autre? Selon notre définition de la propriété, c'est tout à fait possible. Il suffirait soit que le propriétaire puisse user de la coercition pour soumettre sa propriété à sa souveraineté (comme lorsque l'on possède un animal) ou, encore mieux, que l'individu qui appartient à l'autre reconnaisse lui-même cette propriété et se soumette volontairement à la volonté de celui à qui il appartient. Mais nous avons un jour décrété qu'un humain ne pouvait pas se faire propriétaire d'un autre humain. Cela parce que nous avons reconnu que l'esclave avait des intérêts propres, autant que son maître, et qu'il était plus facile pour lui d'accéder au bonheur s'il n'est pas soumis aux caprices d'un propriétaire. Pour des raisons éthiques, donc, nous réprouvons l'idée qu'un humain puisse en posséder un autre et mettons là une limite au pouvoir de posséder qu'a l'individu.

Nous pourrions, à partir de la même base, nous demander si un humain devrait pouvoir posséder un animal. Étant donné que l'animal a des intérêts propres, il importe de les considérer. Personnellement, je donnerais à l'animal un statut distinct du mobilier, une relation impliquant certains devoirs envers lui, sans lui donner lui-même le pouvoir de posséder des choses, mais c'est un autre sujet. La question que je me pose ici concerne plutôt les objets inanimés. Même si un objet n'a pas d'intérêts propres, de désirs ou d'aspirations, même s'il ne peut souffrir ou être contrarié, celui qui possède cet objet devrait-il pouvoir lui faire subir ce qu'il veut? Si l'on possède un objet, devrait-on avoir tous les droits sur cet objet? L'objet inanimé devrait-il «avoir des droits»?

La question semble absurde, mais considérons que si nous n'avons aucun devoir envers l'objet lui-même, nous en avons envers les individus. Or, si un objet a le potentiel d'être utile ou nécessaire pour quelqu'un et qu'il est difficile à obtenir, ne devrait-il par être interdit de le détruire ou de l'abîmer volontairement même si on le «possède»? Par exemple, si je suis riche et que je m'achète un objet très abondant, mettons une télé, puis-je la détruire? Mais s'il s'agit plutôt d'un objet est rare et nécessaire?

Nous vivons dans une culture où nous considérons la propriété comme un pouvoir absolu sur les objets, et cela favorise sans aucun doute le gaspillage. Mais si nous nous représentions la propriété différemment? Imaginons que nos choses ne sont pas «à nous» individuellement, mais qu'elles appartiennent en fait à tout le monde, sauf qu'elles nous sont «prêtées» personnellement par la collectivité. Cet «emprunt» nous autorise à utiliser nos objets pour aussi longtemps que l'on en a besoin, mais nous interdit de les détruire s'ils sont encore bons, et nous force à les donner à la charité si l'on veut s'en défaire, plutôt que de les jeter. C'est juste pour souligner que c'est la façon subjective dont on perçoit la propriété qui influence la façon dont on consomme et partage les objets. Une conception différente du même phénomène aurait amené une attitude différente.

Mon point est que même si mon éthique utilitariste est fondée sur le droit au bonheur, et même si seuls les êtres sont capables de bonheur, les choses qui ne sont pas des êtres tels que les objets inanimés, les institutions (entreprises, États, religions, etc.), les écosystèmes, les végétaux et les éléments du patrimoine immatériel (cultures, langues, etc.) méritent aussi des genres de «droits indirects» découlant de leur utilité pour les êtres. Par exemple, le droit de maximiser son potentiel d'utilité. Celui-ci impliquerait de ne pas détruire un objet qui peut encore servir, d'en prendre soin pour qu'il dure le plus longtemps possible, et de le donner lorsque l'on n'en a plus besoin.

Je conclus en vous soumettant une mise en situation. Imaginons un homme qui possède une entreprise. Il n'y travaille pas, il a des employés pour ça. Il ne la gère pas, il a des employés pour ça aussi. Il ne l'a pas construite lui-même ni achetée avec de l'argent durement gagné, il l'a reçue en héritage. Bref, il ne fournit absolument aucun effort dans cette entreprise ni n'en a fourni aucun pour en acquérir la propriété. Dans ce contexte, est-il juste qu'il retire un revenu de cette entreprise, et ce au seul motif d'un lien imaginaire entre lui et celle-ci, lien qui porte le nom de «propriété»? Posons-nous la question...

dimanche 4 décembre 2011

Fuir le monde

À une certaine époque, lorsque j'étais jeune, je ne voyais sérieusement pas comment je pourrais me trouver une place dans la société. Et, en même temps, je voyais tant d'écart entre ma perception du monde et celle qui domine. Tant au niveau des croyances que de l'éthique. Je me disais que je devais fuir ce monde, non pas en me suicidant, mais bien en sortant du «système». Quitter la civilisation et aller défricher une terre pour y fonder ma propre société. Repartir la civilisation à zéro sur de nouvelles bases. Poussé par mon désir irrationnel de fuir notre société, j'ai fait des recherches sur internet pour connaître les alternatives. C'est là que j'ai découvert le concept des écovillages. Il s'agit d'une communauté intentionnelle à vocation écologique qui regroupe des gens ayant des valeurs communes et, souvent, une spiritualité commune. Leur but est de se doter d'une terre, d'y vivre selon leur vision du monde et d'en gérer les ressources de façon écologique. Généralement, ils produisent eux-mêmes une partie importante de ce qu'ils consomment.

Au premier regard, j'y voyais de nombreux avantages. Par exemple, le fait de vivre de façon plus conviviale avec un groupe plus restreint de personnes nous permettrait d'établir des interactions socioaffectives plus solides et bénéfiques que dans une société où l'on côtoie autant de gens de façon aussi superficiel. Nous sommes devenus trop individualistes. Mais, si mon voisin était également mon collègue de travail et mon ami d'enfance, j'aurais une meilleure relation avec lui que si je ne le vois que pour lui demander de faire moins de bruit. En plus, ce mode de vie nous permettrait de savoir d'où vient ce que l'on mange et ce que l'on consomme comme produits. Conséquemment, on serait plus enclin à faire des choix santés et éthiques. Le simple fait de vivre dans cet endroit aurait un impact énormément positif sur l'environnement.

La collaboration est également sans doute quelque chose qui irait plus de soi dans ce genre d'organisation sociale. Lorsque je vois cinq maisons de banlieue, côte à côte, avec chacune leur petite piscine hors terre, je me dis: «Si ces gens s'étaient alliés, ils auraient pu avoir une seule grande piscine, creusée, avec un chauffe-eau, peut-être même intérieure, qu'ils se seraient partagée à tour de rôle ou en même temps.» Tout ce qu'un foyer n'utilise qu'occasionnellement pourrait être mis en commun avec d'autres foyers. Ainsi, soit ça reviendrait moins cher pour chacun, soit ils pourraient s'acheter des choses de meilleure qualité.

Je me disais aussi que si une telle communauté acquérait un minimum d'autarcie (par exemple, en produisant elle-même une partie de sa nourriture, de ses vêtements et de son électricité) elle serait moins vulnérables à des phénomènes globaux, telle qu'une crise économique. Et que, même si elle était elle-même victime d'une crise ou d'une catastrophe naturelle, la cohésion sociale qu'on y trouverait permettrait d'offrir aux plus affectés de ses membres un réseau de soutient indispensable.

En théorie, ça me semble merveilleux. En pratique, il n'y a malheureusement pas beaucoup d'écovillages au Québec qui existent autrement que sous une forme plutôt embryonnaire. Ce ne sont, en plus, bien souvent que des projets plutôt utopiques, qui coûteraient une fortune à mettre en place et qui ne comporte aucune idée pour se financer autre que de demander des dons. Ils semblent également manquer de réalisme et de structure dans la façon dont ils prévoient faire fonctionner leur projet. Également, certains semblent désirer une sorte de régression technologique, comme pour être «plus naturels», ce qui est à l'opposé de ce que je prône à la fois par rapport à la technologie et par rapport à l'écologie.

Par ailleurs, le côté «spirituel» de la chose m'agace profondément; comme lorsqu'on gratte une fourchette sur une assiette. Évidemment, il faut que les habitants d'un tel lieu partagent des valeurs communes (autrement, il n'aurait aucune raison d'être) mais il semble qu'ils aient systématiquement opté pour une conception du monde plutôt ésotérique. Les écovillages ne sont, finalement, rien de plus que des monastères de la religion Nouvel-Âge. Je n'y trouverais donc qu'encore plus d'obscurantisme que dans la culture dominante, et mon désir d'exil au départ avait entre autres pour but de justement fuir cet obscurantisme.

Puisque tous les projets existants de ce type semblent s'opposer à mes valeurs, j'ai abandonné depuis longtemps l'idée d'émigrer dans un tel endroit et j'ai choisi de m'intégrer à ma façon dans la culture dominante, de trouver ma niche dans ce système. Toutefois, si jamais je gagnais miraculeusement une somme d'argent incroyablement élevée, il est fort probable que je l'investisse dans la construction d'un écovillage dont l'une des valeurs fondamentales serait la pensée rationnelle. Un endroit où les gens partageraient une éthique semblable à la mienne, et où l'on s'efforcerait de s'émanciper de la tradition pour adopter quelques réformes culturelles. Ce serait une terre promise où pourraient s'exiler les libres-penseurs pour y bâtir une société nouvelle. Où la science et l'art seraient valorisés. À défaut de pouvoir apporter des changements positifs dans notre immense société, on pourrait les introduire dans cette microsociété.

Mais bon, cela ne demeure qu'un rêve irréaliste.