lundi 27 février 2012

Démocratiser la connaissance

J'aimerais revenir sur un sujet que j'ai brièvement abordé dans ma réflexion sur la gratuité scolaire. J'y disais que j'étais complètement en faveur de la diffusion de la connaissance vers la plus grande partie de la population qu'il soit possible, mais que je trouvais que de rendre l'université gratuite pour tous sans condition serait trop coûteux. En y repensant, je me dis que le problème vient peut-être du fait que les universités sont des institutions qui, par nature, semblent avoir pour but que la connaissance soit élitiste. Elles se sont accaparés le monopole du savoir et nous le vende au gros prix.

Au Québec, nous avons inventé les cégeps. À l'inverse des universités, ces établissements d'études post-secondaires ont pour but de démocratiser la connaissance. Ils sont abordables et présents dans toutes les régions. Leur fonction est de préparer les étudiants à l'université ou au marché du travail, selon le programme choisi. Les cours généraux (littérature et philosophie) permettent aux jeunes de toutes les disciplines d'acquérir des connaissances générales de base. Certains considèrent parfois l'idée d'abolir les cégeps. À mes yeux ce serait une grave erreur (et je ne dis pas ça seulement parce que je veux devenir prof au cégep). Ces établissements ont très certainement une bonne part du mérite dans notre sortie de la Grande Noirceur. Les cégeps ne veulent pas seulement instruire une élite économique, mais l'ensemble de la société.

Je réfléchissais donc à tout ça et j'essayais de trouver des idées du même genre que celle qui a mené à la genèse des cégeps. Des idées à la fois pour rendre l'acquisition de connaissances moins coûteuse pour celui qui veut apprendre, mais également pour l'ensemble de la société qui finance les établissements scolaires.

D'abord, je pensais à élargir le mandat du cégep en:
  • Transférant le secondaire 5 vers le cégep. C'est-à-dire les cours de la cinquième secondaire mais sous la formule du collégial. Il y existe déjà le programme «accueil et intégration» qui est pas mal ça, sauf que là il deviendrait la seule façon d'avoir son secondaire 5. Ainsi, comme l'étudiant serait déjà dans l'établissement, ça serait incitatif pour la poursuite de ses études.
  • Donnant des cours de premières années de baccalauréat pour certaines disciplines. Je pense surtout aux domaines des arts, de la philosophie, de l'histoire et des sciences sociales. Sans les rendre aussi approfondis que les baccalauréats, des programmes collégiaux qui auraient pour but d'explorer ces domaines en surface devraient être offerts dans les cégeps. Ce ne serait que des petits programmes de dix cours mais qui exigeraient d'avoir déjà un DEC; des genres de «compléments». Ils pourraient être une compensation pour ceux qui n'ont pas eu la chance d'obtenir les bourses nécessaires à l'inscription à un programme universitaire et, en même temps, rendrait l'étudiant plus érudits dans son domaine ce qui augmenterait ses chances d'avoir une bourse universitaire pour la session suivante. Surtout, cela permettrait à ceux qui veulent connaître ces disciplines sans nécessairement s'y chercher une profession, d'étudier à peu de frais.
  • Fusionnant les écoles professionnelles aux cégeps, pour pouvoir ensuite créer des programmes qui mixent des cours collégiaux et des cours professionnels. Nombre de programmes universitaires ne mènent pas nécessairement à un quelconque débouché sur le marché du travail. Le diplômé devient donc un érudit mais n'a pas de formation qui lui permette de travailler. Je me disais que ces programmes mixtes permettraient à l'étudiant de combiner un programme plus «manuel» qui lui donnera un emploi, à un programme plus intellectuel qui lui donnera des connaissances intéressantes.
  • Rajoutant, dans les cours généraux communs à tous les programmes, des cours sur des choses plus terre-à-terre mais qui sont nécessaire à chacun dans le quotidien. Par exemple, un cour d'économie familiale pour que les gens puissent apprendre comment se chercher un appartement, postuler pour un emploi, se faire à manger tout seul, conduire (oui, les cégeps assimileraient les écoles de conduite), remplir son rapport d'impôts, etc.


Je me disais aussi que certaines connaissances qui sont actuellement enseignées au collégial devraient être acquises durant le secondaire. Des bases dans des domaines tels que la philosophie, l'anthropologie ou la psychologie pourraient être transmises beaucoup plus tôt. Si l'on ne laissait pas les cours de mathématiques, d'anglais et de français envahir la totalité de l'horaire des élèves du secondaire, on pourrait peut-être élargir davantage l'étendue de leurs connaissances générales et en faire des citoyens ayant un bagage intellectuel minimal et un certain esprit critique, même pour ceux qui n'iront jamais au cégep.

Finalement, je réfléchissais aussi au fait que les bibliothèques publiques sont des endroits accessibles gratuitement qui renferment des tonnes de connaissances. Internet aussi. Quelqu'un qui ne veut qu'accroître son savoir n'a pas besoin de diplôme et peut se servir de ces ressources pour s'instruire de lui-même. Mais je trouve qu'il est dommage que l'on ne reconnaissance pas ce savoir que l'individu a acquis par lui-même. Ainsi, je propose d'inventer des attestations pour lesquels on pourrait passer un examen mais sans avoir de cours; juste pour faire valoir les connaissances que l'on a acquises en autodidacte. Ce serait donc moins coûteux à produire que des cours. On pourrait toutefois donner à «l'étudiant» une médiagraphie de référence pour qu'il se prépare à l'examen. Évidemment, les vrais diplômes demeureraient plus prestigieux que cette simple attestation. Il ne s'agit pas d'un nivellement vers le bas, le but est que le «bas» ne soit pas dans une totale ignorance, qu'il puisse lui aussi accéder à une partie de la connaissance et que l'on reconnaisse ce savoir qu'il a acquis. Ça permettrait de faire des nuances au sein de la catégorie «sans scolarité» pour y distinguer les incultes des autodidactes.

Dans le même ordre d'idée, je me disais que les compétences que l'individu a acquises devraient aussi pouvoir recevoir une attestation dans les cégeps. Ce pourrait être son habileté à utiliser certains logiciels qui seraient évaluées puis attestées par l'institution, ou un test standardisé de logique ou de vocabulaire, sa vitesse de frappe au clavier ou son talent pour classer des documents, mais je pensais aussi à une attestation d'aptitudes physiques. En utilisant le gymnase et le centre de conditionnement physique du cégep, je pourrais m'inscrire à une évaluation de mes performances physiques générales ou d'une compétence physique particulière, par exemple quel est le poids le plus lourd que je suis capable de soulever dix fois consécutives. Celle-ci pourrait être ensuite ajoutée à mon CV ce qui me permettrait de me faire valoir comme candidat pour un emploi qui exige ces compétences. Je pensais à ça surtout pour les femmes qui sont souvent présumées «physiquement faibles» par les employeurs, et qui pourraient éviter ce genre de discrimination de cette façon. Mais aussi, ce pourrait être vraiment pertinent pour les personnes en situation de handicap ou non neurotypiques. En ayant un vaste éventail de compétences que l'on peut faire attester, on évite que l'étroit chemin de la diplomation soit le seul qui puisse être reconnu.

Bon je ne sais pas si les idées que j'ai émises ici sont réalisables, mais le point c'est surtout qu'il doit y avoir des façons de démocratiser la connaissance autre que la gratuité scolaire inconditionnelle de tous les niveaux d'enseignement. Comme je l'ai déjà dit, pour moi il est essentiel pour une société démocratique d'instruire son peuple, puisqu'il est le dirigeant du pays.

7 commentaires:

  1. Je parle ici seulement de ton point sur le savoir que l'on acquiert en dehors de l'université : Que fais-tu de la socialisation que l'on trouve dans les universités? Il me semble qu'il y a, dans le fait d'étudier à l'université, non seulement le fait d'y étudier, mais aussi la socialisation que l'on a à fréquenter d'autres gens qui se passionne pour un sujet... Il y a aussi, et c'est selon moi quelque chose d'important (je parle ici de la perspective du département de philo) tout un vocabulaire, une manière de faire que l'on apprend pas dans les livres, mais dans les cours. Il y a bien des gens qui viennent dans nos département, plus agés, avec de la connaissance apprise par chez eux. Ils sont loin d'être bête, mais ils ont de la difficulté à articuler leur pensée, à l'exprimer. Ils n'ont 1) pas été en contact avec des gens faisant la même chose qu'eux 2) eu une formation de socialisation de la philo.

    Cela dit, j'aime bien le fait que tu tentes de remettre en question le statu de l'université. Évidemment, je suis d'accord avec toi que l'université ne doit pas être le seul moyen de s'instruire. Je suis pour plus d'autres disciplines au cégep, de l'éducation populaire (je pense ici à l'université populaire UPOP ou d'autres initiatives qui naissent à l'instant, en même temps que la grève)... Cela dit, il y a une affaire de degré. Il y aura toujours une université pour la recherche de pointe autant en science naturelle que sociale. Il faut financer des gens qui ne font que chercher, que s'instruire et découvrir. C'est utile pour une société que d'avoir des chercheurs formé à ne faire que rechercher, cela dit, l'éducation ne doit pas être le fait que d'une élite.

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  2. Je suis d'accord qu'on manque quelque chose à ne pas côtoyer d'autres gens de sa discipline. Je me dis aussi que le but d'un cours est d'entraîner les étudiants à réussir le cours, et non pas à réussir seulement ses évaluations (lesquelles sont quand même une médiation pour vérifier la réussite du cours).

    Mais le modèle que tu décris existe déjà: la TÉLUQ. Je connais des étudiants au doctorat qui ont été payé pour monter des cours (ou, devrais-je dire, des PowerPoints) qui sont maintenant en ligne.

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  3. Salut Feel,

    L'université gratuite trop couteuse ? Tout est relatif.
    En France, l'université est pratiquement gratuite (on paye selon ses revenus, et elle est gratuite pour les plus modestes) ce qui fait qu'elle est accessible pour presque tout le monde. Mais bon, on est aussi noyés sous les impôts ici...
    L'université gratuite est possible. Tout dépend de ce qu'on est prêts à payer pour l'avoir.

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  4. Je doute que l'université soit si couteuse qu'on tente de nous le faire croire. Je n'ai aucun chiffre officiel en mains, mais j'ai l'impression qu'une partie des couts est injustement attribuée à des salaires ridiculement élevés, incluant les professeurs, mais aussi l'administration, à tous les niveaux...

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  5. Je partage l'esprit des deux commentaires précédents : l'université n'est pas si cher que ça... C'est une affaire de choix. On investi des milliards dans des routes dont certaines en cadeau à des entreprises minières (qui ne paierons quasiment rien en redevance)... quand une petite part de cet argent pourrait rendre l'éducation gratuite. Les pays scandinaves ont fait le choix de rendre l'éducation gratuite non seulement à leur population, mais à toute personne désirant venir y étudier. Admirable, non?

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  6. actuellement au secondaire, les jeunes ont de la difficulté à apprendre l'anglais et le français, je ne crois pas que d'enlever des heures de cours pour ces diciplines soit une très bonne idée.Par contre, nous pourrions augmenter les heures de cours dans une journée.

    Pour ce qui est des programmes mixtes au cégep, en collaboration avec les écoles professionnelles, ce n'est pas parce qu'un individu étudie dans un domaine où ses chances d'y travailler son infime qu'il va nécessairement s'intéresser à un travail plus "manuel".

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  7. C'est vrai que ce sont sans doute des domaines peu compatibles. Sûrement rares sont ceux qui s'intéresseront à la fois à l'histoire de l'art et à la plomberie. C'est dommage pourtant, car je pense qu'un tel programme mixte aurait produit une sorte d'individus qui auraient pu apporter quelque chose d'intéressant à la société.

    Pour ce qui est du secondaire, c'est vrai que les jeunes ont déjà beaucoup de difficulté dans ces matières et que leur enlever des heures ne fera qu'accentuer ce problème. Mais je me demandais si vraiment c'était la quantité de temps investi qui était problématique. Peut-être n'avons-nous pas la bonne approche? Je me dis que si les jeunes n'aiment pas l'école, ils y vont avec une mauvaise attitude qui leur nuit dans leur apprentissage. Enrichir la variété des cours rendrait l'école plus intéressante à leurs yeux et ils s'investiront davantage dans l'ensemble des matières, ce qui améliorera leur performance même en français et en maths. Mais bon, peut-être suis-je un peu naïf ici.

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