vendredi 18 mai 2012

L'humain est omnivore

Voici un autre argument que j'entends parfois contre mon végétarisme:

«L'humain est omnivore*.»

C'est tout. Un sujet, un verbe et un complément d'objet direct. Point.

Il y a plusieurs façons d'interpréter cette phrase. Devrait-on lire «Tous les humains sont omnivores?» J'en doute puisque celui qui l'a émise sait qu'il existe des humains végétariens. À moins que cela veuille dire qu'en devenant végétarien on perd notre statut d'humain et que c'est justement pour cela que l'on doit continuer de manger de la viande? En fait, je vois plusieurs sources d'ambiguïté dans cette phrase. Elle a beau être courte, chaque mot qui la compose est en lui-même problématique.

L'usage du verbe être m'agace sans aucun doute, comme si «être omnivore» était un état ou un attribut intrinsèque et que, donc, l'on ne pouvait s'en détourner sans commettre un acte contre-nature. Évidemment c'est absurde, le fait de manger ou non de la viande n'est pas, en soi, un attribut de l'être qui s'adonne ou non à cette activité. Je déteste l'expression «être végétarien» à cause de ce genre de dérive. Le végétarisme ou l'omnivorie n'est pas quelque chose que nous sommes, c'est quelque chose que l'on fait.

Mais ce n'est pas là ce qu'il y a de plus problématique dans cette phrase. Ce que je réprouve c'est d'utiliser le singulier («l'humain») pour parler d'un nombre pluriel d'individus. C'est un procédé qui ne sert qu'à homogénéiser un groupe diversifié. Si l'on ramène le groupe à un seul individu, puisque cette individu ne peut être à la fois plusieurs choses mutuellement exclusives, il ne sera que ce qu'est la majorité des individus qui le composent. Ainsi, puisque les omnivores sont démographiquement supérieurs aux végétariens, l'humain est omnivore. De la même façon, puisque les croyants sont plus nombreux que les athées, «l'humain a besoin de croire en quelque chose» (expression qui me dégoûte… j'y reviendrai). Donc ceux qui sont minoritaires, lorsqu'ils entendent une telle expression, doivent se sentir un peu «moins humains» que ceux qui sortent du même moule que ce fictif individu-type. Pour moi, comme je l'ai déjà mentionné dans cette autre réflexion, un tel usage du singulier est fallacieux.

Voici une autre version, beaucoup mieux formulée, de l'argument intitulant cette réflexion:

«Nous sommes faits pour manger de la viande.»

Comme je le disais dans une autre réflexion, la nature n'a pas de but. Nous ne sommes pas «conçus» par un créateur dans le but de remplir une fonction ou d'accomplir une tâche spécifique. Oui, nous sommes anatomiquement équipés de tout ce qu'il faut pour mastiquer et digérer la viande, mais cela ne veut pas dire que l'on doit le faire. C'est un pouvoir, pas un devoir. Pour faire un argument par l'absurde, je dirais que j'ai également le pouvoir de tuer mon voisin pour lui voler sa télé. En effet, mes mains semblent avoir été conçues spécialement pour l'étrangler. Serait-ce donc nécessaire que je le fasse? M'y soustraire serait-il un choix contre-nature?

Notre corps nous confère de nombreux pouvoirs et a de nombreux besoins. L'évolution l'a enclin à acquérir des pouvoirs pour combler ses besoins. Ainsi, respirer de l'air est à la fois une capacité et une nécessité pour moi. Mais tout ce dont nous sommes capables ne nous est pas également nécessaire. Observer nos corps, en induire une finalité, puis nous imposer de suivre cette finalité, c'est totalement ridicule surtout quand on sait que nous sommes le fruit de l'évolution. Le raisonnement logique serait plutôt d'observer nos corps, de répertorier leurs besoins, puis de faire ce qu'il faut pour combler ces besoins. À partir de là peut commencer notre raisonnement éthique, en mettant en compétition nos besoins avec ceux de nos proies potentielles. C'est ce raisonnement qui, dans mon cas, m'a mené au végétarisme.

––

* Notez que, dans ce contexte, le terme «omnivore» signifie «non-végétarien». Mais, pour moi, le végétarisme est en fait une forme d'omnivorie puisqu'il ne s'agit pas d'une alimentation spécialisée. Contrairement au carnivore, à l'herbivore, au granivore ou au frugivore, l'omnivore mange une large diversité d'aliments, sans forcément qu'il ne mange absolument toutes les substances comestibles auxquelles il a accès, donc il pourrait exclure la viande. Même les gens qui ne sont pas végétariens ne mangent généralement pas de mouche, de chat ou d'humain.

8 commentaires:

  1. Pour moi la phrase "L'humain est omnivore" est tout à fait précise si l'on définit bien chacun des mots (tirés d'extraits de Wikipedia)

    "L'humain" : L'espèce humaine actuelle Homo sapiens.
    "est" : Être au sens de la subsomption ou de l'instanciation (« être une sorte de »)
    "omnivore" : Terme utilisé pour qualifier toute espèce qui, de par la nature de son système digestif, a la capacité de pratiquer ce régime, qu'elle le mette en pratique ou non.

    C'est un détournement des mots que de dire que le mot "omnivore" signifie autre chose dans ce contexte et cette phrase ne devrait jamais être utilisé de façon a démontrer que l'on doit ou non manger quelque chose.

    Donc en gros je suis d'accord avec toi que la phrase est mal choisi comme argument contre le végétarisme, mais je ne suis pas d'accord avec ton interprétation de la phrase que l'on devrait être interprété de la même façon que des phrases comme:

    -L'humain est vivipare
    -L'humain est mortel
    -L'humain est bipède

    C'est pas parce que l'homme est bipède que ça nous emêpêche de marcher à 4 pattes.

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  2. Exactement. Si «omnivore» veut dire «ayant la capacité de digérer plusieurs aliments dont la viande» c'est tout à fait vrai. Comme j'ai dis dans la deuxième partie de ma réflexion, c'est souvent une façon d'essayer de confondre «a naturellement la capacité de» avec «a absolument besoin de».

    «L'humain est bipède»

    Donc les amputés et les paralysés ne sont plus humains? ;)
    Je comprends ce que tu veux dire, mais pour plusieurs raisons je ne suis pas à l'aise d'utiliser le singulier pour un groupe pluriel. Déjà que l'humanité est une entité mal définie, si en plus on tente de l'homogénéiser en la réduisant à un individu-type, ça me semble réducteur.

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  3. Même s'il est handicapé ou s'il est amputés, il reste à la base membre d'une espèce bipède sans aucune atteinte à son status d'humain. Mais si tu commence à enlever le singulier pour un groupe pluriel, tu élimine complètement le concept d'ensemble et tu ne va que compliquer la communication. De plus, laisser le pluriel me semblera encore plus discriminant qu'utiliser le singulier dans certains cas:

    L'humain est bipède OU
    Les humains sont bipèdes
    Le deuxième me semble encore pire... il faudrait donc ajouté une précision comme:
    La majorité des humains sont bipèdes
    Et encore certains diront que parlé de la majorité ainsi discrimine la minorité comme si la minorité n'était pas égale à la majorité...de plus utilisé le terme "La majorité" fait en sorte que je met au singulier un groupe en les homogénéisant de la caractéristique d'être majoritaire.
    Sans la singularisation de concepts pluriels, tu ne peut plus décrire quelque chose en te basant sur ces semblables, ni de représenter de façon simple un ensemble d'objet semblable. Ce n'est réducteur que si l'on essai d'interpréter les mots en se disant que l'auteur pense tel ou tel chose. Tu devrait relire tes textes pour voir à quel point tu utilise le singulier pour parler d'ensemble... j'espère que tu ne pense pas que le singulier devrait être éviter pour représenter un groupe d'humain seulement et non un animal, une plante ou un objet, parce que ça serait discriminatoire pour eux...

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  4. Dire «la majorité» ça serait correct puisque vrai. Utiliser le singulier c'est incorrect puisque faux étant donné qu'il existe plus d'un objet dans la catégorie en question. Mais c'est clair que c'est quelque chose que tout le monde fait. Ça fait partie de la langue. C'est une sorte de figure de style. Mais c'est quelque chose que l'on devrait éviter dans certaines situations. C'est-à-dire, parfois lorsque l'on croit que certains pourraient se sentir inutilement exclus, mais, surtout, lorsque l'on est à l'intérieur d'une argumentation.

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  5. J'ai l'impression qu'ici l'argument est plus linguistique qu'autre chose...

    Tout d'abord, je dois dire qu'utiliser le verbe être, ça n'exprime pas directement la nature intrinsèque du sujet ou son appartenance de l'objet à un groupe. C'est vrai, dans la plupart des cas, mais prenons quelques exemples. En anglais, on peut dire "I'm thirsty" (littéralement "Je suis soif"). Il faudrait être stupide pour affirmer que la personne représente la soif, ou bien, qu'une fois sa soif étanchée, elle n'est plus elle-même (le "je").
    Un autre exemple... Je reprends une de tes phrases: " L'humanité est une entité mal définie". Donc, suivant ta logique si l'humanité viendrait à être bien définie ce ne serait plus l'humanité?
    Ajoutons: je suis au dépanneur, je suis blessé, je suis beau, etc.

    Je crois qu'il faut faire attention aux mots, mais pas à outrance. Dans plusieurs langues, avec le verbe "être", on ne distingue pas la condition et la nature (contrairement à l'espagnol qui a respectivement les verbes "estar" et "ser"). Je crois donc impertinent de s'"outrer" de l'usage du verbe être dans cette phrase. D'autant plus, que nombre d'autres phrases en français utilisent ce patron (Guillaume en donne de bons exemples). Il faudrait presque changer de langue si ce point était vraiment problématique.

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  6. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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  7. Je crois que dans le deuxième extrait également, tu donnes trop d'importance aux mots.
    La tournure "nous sommes fait" pourrait être remplacée simplement par "nous avons évolué de façon à".

    Maintenant, d'un point de vue plus technique...
    Nous avons évolué de façon à devoir s'alimenter principalement d'acides aminés (plus en particulier de 8 sortes (bien qu'on en utilise une vingtaine, plusieurs sont synthétisées par notre organisme)), de certaines vitamines qui agissent comme coenzymes (A,B,C,D,E,K) et de certains minéraux (iode, cobalt, etc).
    Nous avons évolué de cette façon et nous devons donc accepter cette condition pour continuer à vivre (Je crois qu'il est naturel de vouloir continuer à vivre (voilà un postulat qui pourrait être le sujet d'un autre article ;P)).

    Il est possible de trouver la plupart de ces nutriments dans un régime végétalien (bien que tu parlais de végétarien, je parle ici de végétalien pour montrer un cas particulier). Cependant, il peut y avoir certaines carences. Le cas le plus connu est la carence de vitamine B12. ( voici par exemple une étude qui élabore sur ce sujet:
    http://www.springerlink.com/content/j0066225164k6711/ ) Bien sûr, il est toujours possible de prendre des suppléments alimentaire pour pallier à ce manque.

    Donc, finalement,(pour ce qui est du fond) je dois être d'accord avec toi pour dire que ce n'est pas obligatoire de manger de la viande. Mais j'aimerais ajouter qu'il faut respecter l'alimentation que j'ai mentionné plus haut et qu'il est plus facile de le faire (du moins à en croire la plupart des personnes, d'un point de vue purement pratique (et plusieurs pour le plaisir que ça leur procure)) en mangeant des produits animaliers et/ou de la viande.

    (En fin de compte, je veux dire que je comprends pourquoi certains utilisent la phrase "nous sommes faits pour manger de la viande", bien qu'elle soit fausse)

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  8. Non je comprends tout à fait ça. C'est, en fait, seulement une façon de parler, une forme possible dans notre langage qui n'est aucunement incorrect à l'intérieur de la logique du français. Le point c'est plutôt qu'il me semble fallacieux d'utiliser cette particularité du langage pour soutenir que le végétarisme est «contre-nature». Comme si, justement, celui qui utilisait cet argument spécifique n'était pas conscient de la distinction entre les différents usages du verbe être ou les différents sens de l'expression «être fait pour».

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