jeudi 20 septembre 2012

Lucidité et liberté

Sur ce blogue, à quelques reprises, j'ai déjà affirmé quelque chose qui ressemble à:

La lucidité est un préalable nécessaire pour qu'on laisse un individu disposer de lui-même.

J'aimerais revenir là-dessus et modifier quelque peu mes propos. J'ai, en effet, commis une erreur. Je me suis écarté des principes de base de mon éthique utilitariste. Le bonheur étant l'unique vraie vertu, le seul étalon permettant de donner et de mesurer la valeur des autres vertus. Ici, mon amour de la connaissance, de la science et de la vérité m'a fait dévier de ce principe simple. En fait, je n'en ai dévié que peu. Mon raisonnement était:

La lucidité permet d'anticiper les conséquences de nos actions. Nous pouvons ainsi prendre des décisions qui nous permettront d'accéder au bonheur et/ou de ne pas nuire à autrui. Celui qui n'est pas lucide ne désire pas réellement les conséquences de ses actes puisqu'il ne les anticipe pas. Par conséquent, la liberté des individus non lucides doit être limitée afin de les empêcher de se nuire à eux-mêmes (d'une façon qu'ils n'ont pas désirée) ou de nuire à autrui.

Or, ce raisonnement ne tenait pas compte d'un fait tout simple. Certains individus, même s'ils ne sont pas suffisamment lucides pour avoir une compréhension réelle des conséquences de ce qu'ils font, vont tout de même, lorsqu'on les laisse faire, agir de façon positive pour leur bonheur sans nuire illégitimement à celui d'autrui. Faute d'un terme plus approprié, je parlerai d'autonomie pour désigner cette capacité qu'a l'individu d'agir dans son propre intérêt, de satisfaire ses propres besoins, que cela soit fait rationnellement (on parlerait alors de lucidité) ou intuitivement.

L'exemple le plus évident est celui d'un animal lorsqu'il vit dans son milieu naturel. Sans avoir nécessairement une compréhension éclairée de la situation ou une idée très limpide des conséquences, les bêtes sauvages agissent en suivant leurs inclinations qui ont elles-mêmes été rodées par la sélection naturelle pour les aiguiller vers la satisfaction des conditions nécessaires à leur bonheur. Conséquemment, lorsque l'on n'intervient pas dans les activités d'une bête, et que cette dernière vit dans l'habitat pour lequel elle est adaptée, elle agira intuitivement d'une façon qu'un observateur extérieur pourrait croire logique.

On pourrait adopter le même raisonnement face à un individu très croyant. Sans les traiter de bêtes, les religieux partagent avec elles le fait d'avoir une conception du monde erronée ou incomplète. Dans certains cas, leurs comportements traditionnels ont été, comme les instincts des bêtes, forgés par la sélection naturelle de sorte qu'ils ont une fonction utile, inconnue de ceux qui les pratiquent. Mais ce n'est pas exactement ça le lien que je voulais faire avec l'animal puisque, plus souvent qu'autrement, ces pratiques religieuses se sont répandues hors de leur contexte d'origine et ont perdu tout usage terre-à-terre. Je pensais plutôt à, par exemple, un croyant qui serait altruiste parce qu'il croit que le créateur de l'univers le récompensera après sa mort, on ne peut pas dire qu'il s'agit là d'un choix lucide et éclairé. Toutefois si, dans l'ensemble, sa vie telle qu'elle est, avec ses croyances, lui permet d'accéder au bonheur sans qu'il ne représente lui-même une nuisance pour le bonheur d'autrui, il n'y a pas lieu d'intervenir et de le sortir de son illusion, surtout s'il ne le désire pas.

Même chose avec les enfants. Dans mes réflexions précédentes à ce propos, j'ai sous-entendu que c'était au nom de leur carence en lucidité qu'il fallait prendre les décisions à leur place mais j'ai nuancé en disant «seulement si c'est pour leur bien et seulement dans les situations où ils manquent effectivement de lucidité». J'aurais été plus juste et plus concis en disant que c'était dans les situations où ils manquent d'autonomie – tel que définie ci-dessus, c'est-à-dire de capacité à agir en allant vers le bonheur – et pas nécessairement de lucidité, qu'il fallait intervenir et réduire la liberté des enfants. Également, je rappelle que la situation de l'enfant est particulière due au fait que sa non-lucidité, et donc sa non-autonomie, sont provisoires. Par conséquent les entraves que l'on impose souvent à sa liberté d'enfant visent à maximiser sa liberté d'adulte.

Identifier son sexe

Apparemment qu'aux États-Unis, il est fait mention de la «race» d'un individu dans le recensement et sur ses cartes d'identités. Il semblerait qu'ici la police continue d'utiliser ce genre de catégories ethniques. Dans certains autres pays, on mentionne même la religion du citoyen sur ses cartes d'identité. Ici, ça ne passerait pas. On considère que ce sont des informations qui ont trop de chances d'engendrer de la discrimination arbitraire. Par ailleurs, il ne s'agit pas vraiment de traits observables permettant réellement de mieux identifier une personne. On ne peut pas savoir la religion d'un individu rien qu'en le regardant; à moins qu'il ne porte un signe religieux ostentatoire ou qu'il soit en train de s'adonner à un rituel quelconque. Ses croyances sont dans sa tête. On ne peut pas non plus vraiment savoir sa race d'un seul regard. Tous les individus présentant un mélange de traits considérés comme de plusieurs races, ou qui ne sont pas physiquement représentatifs de la race dans laquelle on les classe, sont difficilement associables à une catégorie raciale aussi tranchée que Black/Caucasian/Asian/Native. Ainsi, sur mon permis de conduire, les données me décrivant physiquement sont: sexe, taille et yeux.

Donc, ce que je m'apprête à vous proposer ici, c'est que l'on retire également la mention «sexe» de nos cartes d'identité. Oui c'est un peu drastique. Habituellement on me prend pour un féministe modéré, mais ici on voit bien que je suis en fait un antisexiste extrémiste. Je pense que l'on devrait supprimer l'identification sexuelle parce que:
  • Certaines personnes ne sont membres d'aucun sexe (asexuées ou hermaphrodites),
  • Certaines personnes ont changé de sexe au cours de leur vie, ou s'habillent de façon à avoir l'allure d'un membre du sexe opposé à leur sexe biologique,
  • Certaines personnes ne sont pas physiquement représentatives de leur sexe (une femme très masculine par exemple),
  • Certaines personnes ne se sentent pas clairement comme membre de l'un ou l'autre des deux sexes,
  • Et, surtout, pour montrer que l'on n'accorde pas plus de reconnaissance légale au sexe qu'à la soi-disant race, qu'à l'orientation sexuelle ou qu'à la religion.

En fait, quand on y pense, le sexe d'une personne n'est pas vraiment un trait observable non plus; pas plus que la race ou la religion. Généralement, nous sommes vêtus. Nos caractères sexuels primaires sont donc recouverts. Ce que l'on montre, ce sont des caractères sexuels secondaires qui sont fortement corrélés avec le sexe mais qui n'en sont que des indices et non des preuves. Par ailleurs, comme je l'ai déjà dit, il y existe des nuances entre les sexes, même au niveau des caractères primaires. Le descriptif d'une personne sur une carte devrait n'utiliser que des données objectives et observables, et non le classer dans une catégorie sociale quelconque.

À l'inverse la mention «yeux» sur mon permis de conduire est une donnée anthropométrique tout à fait objective. Il s'agit de la couleur de mes yeux, et non de leur origine ou de leur genre. Donc, si au lieu de «race», on avait mis «peau» et qu'il s'agissait seulement de décrire son pigment (au sein d'un éventail chromatique plus large et plus réaliste que Noir/Blanc/Jaune/Rouge), il n'y aurait rien eu de raciste là-dedans de mon point de vue. Ç'aurait été un trait observable. Une vraie donnée anthropométrique ne servant qu'à mieux identifier l'individu.

De la même façon, au lieu de «sexe», on pourrait mettre «voix» et dire si la personne est soprano, baryton, ténor ou autre. C'est un trait associé au sexe mais qui est observable. À cela on pourrait, par mesure de courtoisie, ajouter la mention «titre» et y indiquer si la personne préfère se faire appeler Monsieur ou Madame; quel que soit son sexe biologique. On pourrait ajouter un plus vaste choix de titres - disons Mademoiselle, Docteur, Maître, Monseigneur, Sire, etc. - mais, personnellement, je n'en rajouterais qu'un troisième, de genre neutre, par exemple «mon ami(e)», pour ceux qui préféreraient ne avoir une appellation sans genre spécifique.

Ça a l'air insignifiant tout ça, mais c'est uniquement pour être plus cohérent avec un paradigme antisexiste et antiraciste.

samedi 8 septembre 2012

Éthique de la chasse

Beaucoup de gens trouvent que la chasse est une activité barbare, mais cela ne les empêche pas d'être de grands consommateurs de viande. Parfois cette incohérence vient du fait qu'ils considèrent différemment les animaux chassés des animaux d'élevage. Probablement parce que les Bambi et les bébés phoques sont plus cute que les porcs ou les vaches. En fait, pour l'animal, la chasse est une activité beaucoup moins pire que l'élevage intensif. Si on compare les deux selon la perspective de la proie:
  • L'animal chassé peut passer sa vie en liberté, dans son habitat naturel, et sa mort est souvent moins douloureuse.
  • La chasse est une compétition beaucoup plus «loyale», puisque l'animal a des chances de s'enfuir. L'humain n'est alors qu'un prédateur parmi d'autres. Certains individus réussissent à ne jamais mourir de prédation, ce n'est donc pas tout le troupeau qui est génocidé comme avec les abattoirs.
  • La proximité entre le chasseur et sa proie facilite la formation d'un lien d'empathie qui fait en sorte que le consommateur de viande va davantage respecter l'animal, lui éviter de souffrir, ne pas trop en tuer, ne pas gaspiller la viande, etc.
  • Dans certaines situations, ce peut être presque nécessaire dans les cas où l'on a déjà exterminé les populations de prédateurs qui servaient à réguler les populations de proies. Évidemment, stériliser des animaux serait moins pire que de les tuer. Réintroduire les espèces prédatrices pourraient également être une alternative. Mais chasser revient alors au même pour la proie que de subir la prédation de n'importe quelle autre espèce.

Évidemment, cela dépend aussi de l'éthique personnelle du chasseur. Certains tirent sur tout ce qui bouge même ce qui ne se mange pas, tandis que d'autres ne prennent que ce dont ils ont besoin pour se nourrir. Certains peuvent prendre plaisir à faire souffrir leur proie, tandis que d'autres essayent de leur offrir une mort propre et rapide.

Personnellement, je me dis qu'une façon de rendre la production de viande plus éthique serait de remplacer les élevages et les abattoirs par des pourvoiries et des chasseurs. Ce pourrait même être des genres de réserves fauniques plutôt que des pourvoiries. On y autoriserait la chasse uniquement lorsque les scientifiques y auront remarqué une surpopulation. Le nombre de bêtes que l'on pourrait tuer serait limité de façon à ce que la population se renouvelle d'elle-même. Les chasseurs devraient payer pour avoir le droit de tuer, mais pourrait par la suite se rentabiliser en vendant leurs proies à la pourvoirie qui les revendraient dans les épiceries. On ne détruirait plus l'environnement pour nourrir notre bétail, au contraire, on préserverait l'environnement afin qu'elle nous donne de la viande. Nous ferions partie de l'écosystème. Mais il est évident que, si l'on faisait ça, la viande deviendrait un produit beaucoup plus rare, cher, que l'on ne consommerait qu'occasionnellement. Pour que cette idée soit réaliste, considérant nos habitudes alimentaires actuelles, il faudrait soit améliorer la simili-viande pour qu'elle ressemble plus à la vraie, soit développer une technologie pour fabriquer de la vraie viande à partir de cultures de cellules animales. Bref, cette idée n'est actuellement pas très réaliste.

On me demande parfois si je mangerais de la viande issue de la chasse ou d'un élevage plus éthique. Ou, si je réintégrerais la viande à mon alimentation dans l'éventualité où une nouvelle législation rendrait tous les élevages plus éthiques. Qu'est-ce que je ferais si l'on mettait en pratique l'idée que j'ai émise ci-haut? Ou, plus simplement, si l'on m'offrait un plat de viande issu de la chasse? Abandonnerai-je mon végétarisme? En fait, pour moi, tuer un animal ne doit pas être pris à la légère, ça devrait demeurer un acte de nécessité et non un loisir ou un désir gastronomique. Je suis devenu végétarien à cause des conditions actuelles de l'élevage. Ce faisant, j'ai brisé ma «dépendance» à la viande. Désormais, manger de la viande n'est plus du tout un besoin pour moi. Si les élevages avaient été plus éthiques, je ne serais probablement jamais devenu végétarien, mais maintenant que je le suis, je n'ai pas vraiment de raison de recommencer à manger de la viande. Mais probablement que, dans un monde où l'élevage deviendrait plus éthique ou serait remplacé par la chasse, j'en mangerais lors de rares occasions; si je suis reçu à souper par exemple. Autrement, je ne réintégrerai la viande à mon alimentation régulière que lorsqu'elle poussera dans les arbres ou s'il en va de ma survie.