jeudi 13 décembre 2012

Les droits des bestioles

Je suis en train de réfléchir à ce dont aurait l'air une charte des droits de l'animal. Ma réflexion n'est pas encore aboutie à ce sujet, mais certaines choses me semblent déjà évidentes. D'abord qu'elle devra faire des compromis entre ses idéaux éthiques et sa faisabilité. Entre autres, l'une des évidences qui me frappe à ce propos est que cette charte ne pourra pas protéger de la même façon tous les membres du règne animal. En fait, la majorité des espèces de cet ensemble ne peuvent réalistement être inclus dans l'objet d'une telle charte. Un chat et un moustique devraient-ils être protégés de la même façon? Une vache et une sangsue? Un gorille et une huître?

Pour cette raison, je la nommerais «charte des droits de la bête», plutôt que «des droits de l'animal». Le mot «bête» serait défini dans un préambule de façon à ce que l'on sache quels animaux sont l'objet de cette charte, et tous les membres du règne animal qui ne sont ni des bêtes ni des personnes seraient appelés «bestioles». Je ne fixerai pas ici l'emplacement exact de cette frontière bête/bestiole mais il faudrait que cela concilie la faisabilité et la logique. Les bêtes pourraient être seulement les mammifères et les oiseaux, ou alors on pourrait ratisser plus large et inclure tous les chordés ainsi que les céphalopodes.

Pourquoi exclure les bestioles de la protection de la loi? D'abord pour des raisons pratiques, il y a tant d'êtres invertébrés dans notre environnement qu'il serait impossible de ne pas leur nuire et, souvent, d'être conscient qu'on leur nuît. Il n'y a qu'à penser aux acariens qui coexistent avec nous mais que l'on tue par milliers à chaque fois que l'on fait le ménage. Ensuite, parce que les bestioles pourvus d'un système nerveux en ont un qui diffère considérablement du nôtre. Plutôt que d'avoir un cerveau, ils ont souvent plusieurs ganglions cérébroïdes. À l'inverse, si je compare le cerveau d'un homme à celui d'un chat, d'un rat ou d'un porc, j'y verrai exactement les mêmes structures. Il est donc un peu plus «métaphysique» de se demander si la mouche souffre comme nous; de la même façon qu'il le serait de se poser la question par rapport à une intelligence artificielle imitant la nôtre ou face à un visiteur extraterrestre. Mais présumer que les porcs puissent souffrir est aussi terre-à-terre que de présumer que les autres humains peuvent souffrir comme moi.

Je trouve d'ailleurs parfaitement fallacieux lorsque quelqu'un utilise cette distinction bête/bestiole que je fais pour tenter de trouver une faille dans mon éthique. Si l'on trace un arbre phylogénétique, on constatera qu'un porc, par exemple, est plus proche de nous qu'un moustique et qu'il est aussi loin du moustique que nous le sommes:


Considérer le porc comme le moustique est aussi absurde qu'il l'était à l'époque du racisme de traiter un Noir comme un porc. Deux humains de deux origines différentes sont plus proches entre eux que des porcs et en sont tous deux exactement aussi éloignés. Le racisme comme le spécisme utilise la logique réductrice du nous/eux et l'applique de façon à considérer tous les «eux» indistinctement et comme s'ils étaient tous aussi éloignés du «nous». La réalité est plus complexe que ça. Donc même si on demeurait prisonniers d'un paradigme éthique fonctionnant par catégories, on pourrait reconnaître que la catégorie commune aux humains et aux bêtes est distinctes de celle qu'ils partagent avec les bestioles, par conséquent que les bêtes sont plus proches des humains que des bestioles.

Mais, personnellement, ce ne sont pas les catégories classificatoires qui m'importe que les attributs individuels qu'elles représentent. Si tous les peuples humains ont le même potentiel d'intelligence (puisque leurs cerveaux sont identiques), tous les mammifères ont le même potentiel de souffrance (puisqu'ils partagent les structures cérébrales qui en sont responsables). Traiter une bête comme une bestiole c'est comme traiter une personne comme une bête.

Soit. Mais traiter une bestiole comme un comme un objet...? Ce n'est pas ce que je préconise mais je ne pense pas que de légiférer sur les droits individuels des bestioles soient pertinents pour l'instant. Mais on peut leur donner des droits collectifs indirects via nos lois protégeant l'environnement par exemple. Ainsi, si écraser une abeille ne serait pas un crime, exterminer toute une population d'abeilles dans un environnement où elles sont responsables de la pollinisation, en serait un. Tuer un membre d'une espèce de bestiole en voie d'extinction serait également répréhensible. C'est sûr que, pour suivre mon éthique personnelle, j'évite de tuer une bestiole lorsque je peux faire autrement. Par exemple, je vais mettre dehors une araignée qui s'est introduite chez moi au lieu de l'écraser, mais je ne pense pas qu'il faudrait condamner pour meurtre celui qui aurait choisi de l'écraser.

5 commentaires:

  1. Race blanche Race noire ? Je rapelle que c'est une pure invention qui a permis de justifier bien des choses fr.m.wikipedia.org/wiki/Race_humaine

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  2. Je n'ai pas dis que ça existait. C'est une catégorie, donc fondamentalement ça appartient avant tout à nos systèmes de représentations. J'en ai d'ailleurs précédemment parlé dans ma réflexion sur l'inexistence des races humaines.

    Mon point ici c'est plutôt que l'on fait aujourd'hui avec l'espèce humaine ce que fait un raciste: ne considérer les intérêts que des membres de son groupe (indépendamment de comment se définit le groupe) et mettre tous les non-membres de son groupe dans une même seconde catégorie comme s'il s'agissait d'un ensemble homogène et comme si ces deux catégories étaient séparées par un étanche et large abîme de différences.

    Évidemment, l'espèce humaine - contrairement à la race blanche - est une réalité biologique basée sur le critère de l'interfécondité. Mais la catégorie «les animaux» (dans le sens de «tout le règne animal sauf l'humanité») n'en est pas une. C'est un «eux» arbitrairement construit (comme «les barbares», «les païens», «les goys», etc.), enclin à nous faire croire que le chimpanzé est plus proche de l'huître que de l'humain. Par ailleurs, quand on réalise que, biologiquement, l'humanité se définit comme toute les espèces sur la base du critère de l'interfécondité, on se rend compte que c'est un critère bien arbitraire pour déterminer si un être devrait avoir des droits.

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    1. Bonjour Feel O'Zof,

      Je vous lis depuis un moment maintenant et je pense être largement en phase avec votre éthique, mais je ne peux m'empêcher d'imaginer des tas de situations en me demandant comment vous réagiriez (et moi, par la même occasion). Par exemple, vous dites :

      "C'est sûr que, pour suivre mon éthique personnelle, j'évite de tuer une bestiole lorsque je peux faire autrement."

      Mettons que vous devez allez quelque part mais que vous devez pour cela traverser un champ, impliquant la mort de centaine d'insectes, ou faire un détour de plusieurs kilomètres, sachant que ni le temps ni le plaisir de la marche n'entre en ligne de compte, que feriez-vous ? (On est d'accord que traverser ce champ n'est absolument pas nécessaire).

      Des questions de ce genre j'en ai des tas. Je pourrais vous les poser à l'occasion si vous voulez.

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    2. Bonjour John. Merci de me lire. J'adore qu'on me pose des questions.

      Votre question est tout à fait pertinente. Le «lorsque je peux faire autrement» de ma phrase est, en fait, un peu ambigu. D'une certaine façon, on peut presque toujours «faire autrement» c'est la différence dans le coût - en effort, en temps, en plaisir ou en argent - qui varie. La question est donc toujours de savoir combien de bonheur je suis prêt à sacrifier pour le bonheur de cet autre être.

      Dans le cas des bestioles, comme je le disais, je ne suis pas complètement sûr qu'ils souffrent comme nous (contrairement à un chat, un singe ou un porc) puisqu'ils sont neurologiquement très différents de nous. Ainsi, je ne sacrifie que peu de mon bonheur au profit du leur (présumé). Donc si sortir une araignée de chez moi plutôt que de l'écraser représente une faible différence de coût, faire un énorme détour au cas où j'écraserais accidentellement des insectes en représente une plus significative.

      Je pense qu'il ne faut s'imposer que des exigences réalistes et compatibles avec une vie de bonheur. Trop de compromis, même si individuellement ils sont bénins, peuvent s'additionner en une contrainte désagréable. J'en parlais dans cette autre réflexion.

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