mercredi 13 février 2013

Évolution et orientations sexuelles

On entend souvent les homophobes réprouver l'homosexualité en disant qu'elle est «contre-nature» ou «déviante». Évidemment, l'argument est assez facile à réfuter. D'abord parce qu'il implique une moralité trop invasive, qui s'ingère dans les actions d'autrui même s'ils ne «nuisent» qu'à eux-mêmes. Ensuite, parce qu'il implique de croire que la Nature ait des buts et des intentions desquels nous serions moralement tenus de ne pas déroger.

Mais supposons que nous soyons généreux avec notre intolérant interlocuteur, et que l'on prenne son expression «contre-nature» dans un sens plus scientifique. Disons que, avec cette expression ésotérique, il voulait en fait dire que l'homosexualité est une sorte de mutation désavantageuse – génétique ou acquise – qui réduirait la valeur évolutive de son porteur en faisant en sorte qu'il a moins de chance de transmettre ses gènes. Ainsi, l'homosexualité serait «contre-nature» ou «déviante» dans le sens qu'elle est la perte d'un trait utile, évolutivement parlant, et elle sera donc éventuellement enrayée par la sélection naturelle.

Prise comme ça, l'expression est beaucoup moins offensante. Mais est-ce vraiment une réalité? À première vue, ça a du sens, puisque la sexualité homosexuelle n'est pas féconde, mais songeons aux fourmis ouvrières. Ce sont des individus stériles et pourtant ils constituent la majorité de la population d'une fourmilière. Ce qu'il faut comprendre avec l'évolution, c'est qu'un individu qui ne se reproduit pas lui-même peut tout de même contribuer à la diffusion de ses gènes si ses activités permettent à d'autres individus porteurs des mêmes gènes de se reproduire davantage.

Personnellement, je pense que l'homosexualité, ainsi que toutes les autres formes de rapports sexuels non féconds, ont une valeur évolutive; qu'ils soient homo ou hétéro, solitaires ou à deux, exclusifs ou occasionnels.

Chez certaines espèces, le nouveau-né est déjà apte à se débrouiller par lui-même pour survivre. Dans ces cas-là, il est à l'avantage des adultes d'engendrer autant de rejetons que possible. La majorité d'entre eux mourra avant d'avoir atteint l'âge adulte mais il y en a tant que la population se renouvellera tout de même. Pour d'autres espèces, une stratégie reproductive différente est en vigueur. Au lieu de faire plein de petits et de les laisser se débrouiller par eux-mêmes, on en fait moins mais on en prend soin, de sorte que plus d'entre eux survivront jusqu'à maturité. L'humain est l'une des espèces dans laquelle l'investissement parental est le plus fort. Un couple qui ne ferait qu'un enfant dans sa vie a plus de chance de transmettre ses gènes qu'un autre qui en ferait un par an mais qui, à chaque fois, l'abandonnerait dans les bois dès sa naissance.

Ainsi, dans une bande de chasseurs-cueilleurs du Paléolithique, s'il y avait trop d'enfants par rapport au nombre d'adultes, chacun d'entre eux bénéficiait de moins de soins et d'attention ce qui réduisait ses chances de survie par rapport à un enfant d'une bande moins prolifique. Conséquemment, dans un contexte où la contraception n'existait pas et où le fardeau parental est lourd, il y avait une nécessité évolutive à ce que les gens ne se reproduisent pas trop. Mon hypothèse personnelle est que c'est pour cette raison que la sélection naturelle aurait favorisée l'émergence de pratiques sexuelles stériles,* pour détourner notre libido de façon à réduire la fécondité et à établir un certain équilibre générationnel entre les adultes et les enfants. Et, dans le cas des individus ayant une sexualité exclusivement stérile, leurs gènes se transmettaient tout de même lorsque leurs frères et sœurs hétéro se reproduisaient; de la même façon que les fourmis ouvrières transmettent leurs gènes via leurs sœurs reines de qui elles ont elles-mêmes pris soins durant leur stade larvaire.

Ceci étant dit, il me semble aller de soi qu'aucune conclusion scientifique sur l'origine de l'homosexualité ou de quelque autre pratique qualifiée de déviances sexuelles par certains, ne devrait nous dicter si l'on doit tolérer ou non cette pratique. D'un point de vue éthique, la seule question qui soit légitime c'est si ces actions portent préjudices à autrui. Ainsi, tout ce que font ensemble deux adultes consentants ne concerne qu'eux, et ce même si leur comportement serait dû à une nuisible mutation.

––
* Elle aurait tout aussi bien pu simplement réduire la libido, mais l'évolution n'est pas guidée par une intelligence. Un trait nuisible peut soit disparaître, soit être neutralisé par l'apparition d'un autre trait qui l'inhibe.

9 commentaires:

  1. De toutes façons, c'est idiot de dire que l'homosexualité n'est pas naturelle, puisqu'on sait très bien que beaucoup d'animaux (principalement (uniquement ?) des mammifères) ont des comportements homosexuels. Ne serait-ce que notre cousin le singe bonobo, qui est même bisexuel. Et puis, il y a les hermaphrodites, aussi...

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  2. Que de circonlocutions pour échouer à justifier l'injustifiable ! Tu soutiens sérieusement que de transformer la société des hommes en une société ressemblant à celle des "fourmis" serait un progrès, c'est quelque chose que tu attends avec intérêt et anticipation ?

    Je suis tout à fait en accord avec la proposition selon laquelle "ce que font 2 adultes consentants ne concerne qu'eux" et avec ce que tu as mis autour (phrase précédente et fin de la phrase), mais tu ne vois donc pas la différence qu'il peut y avoir entre une telle acceptation et l'institutionnalisation solennelle par la société de tout comportement que tes "2 adultes consentants" pourraient pratiquer ?

    C'est un aveuglement qui me semble dû à la dérive croissante vers une vision individualiste du monde où les seuls tenants du problème seraient "ce que je veux" et "ce que je ne veux pas", dans un mélange ambigü et intenable entre demande de reconnaissance de toutes les différences et exigence d'égalitarisme tout à fait irréaliste, dans l'oubli de la composante "Société", nécessaire pour tenir tout ce monde plus ou moins ensemble (de moins en moins bien sous les coups de boutoirs qui déconstruisent tout sans rien reconstruire), dont les lois, symboles, institutions surplombent utilement les individus.

    "Personnellement, je pense que l'homosexualité et toute autre forme de rapport sexuel non fécond ont une valeur évolutive" n'est pas un argument et ne devrait pas avoir sa place dans un texte à valeur philosophique.

    L'état des connaissances actuel concernant l'homosexualité est celui établi par Freud il y a un siècle, qui n'a jamais depuis été contre-argumenté ou démenti de façon convaincante ou notoire. Selon lui, l'homosexualité est une marque d'inachèvement du développement sexuel complexe qui affecte chacun de nous ; l'enfant, garçon ou fille, en reste à la fixation sur la mère, sans pouvoir passer au stade final. Mais Freud lui-même, il y a plus d'un siècle, précise que l'on "ne peut considérer l'homosexualité comme une maladie" et, logiquement, qu'il ne pense pas que l'analyse ou l'auto-analyse puisse jamais "guérir" un homosexuel de son homosexualité. Toujours est-il que c'est bien là une raison que la société ne mette pas sur un même plan d'exemplarité l'union homme-femme, par des individus ayant (plus ou moins) achevé leur développement sexuel, le "mariage", et l'union homosexuelle par des individus inachevés de ce point de vue.

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  3. Freud est un charlatan, pas un scientifique. Tout ce qu'il a dit n'est que spéculations qu'il n'a jamais pu faire reposer sur quoique ce soit. La psychanalyse n'est qu'une sorte de religion ésotérique. J'ai entendu dire qu'en France tous les psys étaient des psychanalystes... ici, heureusement pour nous, ce n'est pas le cas. Nous avons de vrais psychologues.

    Mais de toute façon, là n'est pas la question. Même si l'homosexualité était une maladie, une déviance de l'évolution ou un «inachèvement» comme le disait Freud (en plagiant ce qu'Aristote disait à propos des femmes), ça ne changerait absolument pas ma position par rapport à l'attitude que devraient avoir les individus et la société par rapport à ça. Tant que ça ne nuit à personne, il n'y a pas de raison d'interdire ça. Et, il n'y a que les religions (dont la psychanalyse) qui pensent que cela aura des conséquences néfastes.

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  4. Freud n'est certainement pas un scientifique au sens des sciences exactes, c'est un visionnaire et un bienfaiteur de l'humanité qui a, le premier, proposé une description moderne cohérente du fonctionnement de la psyché humaine, dans la plus grande bienveillance envers ses semblables.

    Les éclairages et outils qu'il a forgés sont des ressources inestimables pour permettre à l'homme moderne de mener son incontournable "Gnothi se auton".

    "Il n'y a pas de raison d'interdire" l'union homosexuelle, non, mais il y a suffisamment de bonnes raisons d'objecter à ce qu'on dise que c'est la même chose que le mariage entre un homme et une femme.

    L'égalité n'a qu'un sens clair, c'est l'égalité en droit devant la loi de chaque individu adulte. Elle est déjà assurée en France et dans les pays démocratiques avancés. Toute autre allusion au concept "d'égalité" est vain et ne débouche sur rien de constructif, mais au contraire sur un mouvement destructeur de différences structurantes.

    C'est pourquoi il n'a pas d'avenir, et d'autant moins que, visiblement ivres d'un pouvoir moral qui refait une nouvelle fois la preuve qu'il monte à la tête, les tenants des thèses que tu défends croient ne plus sentir de résistance, commencent à exulter, et réveillent ainsi des consciences jusqu'ici endormies et qui comprennent progressivement qu'elles n'ont pas plus important à faire de leur vie que de mettre résolument le réel de leur corps en travers de cette funeste évolution.

    Nous verrons ce qu'il en ressort et c'est en tout cas une époque passionnante à vivre.

    oOo

    Et ça me peine un peu de dire que le "charlatan", c'est toi, qui pense pouvoir toiser de haut un éminent contributeur à la connaissance et à la civilisation.

    Toi qui te proclame avec beaucoup de présomption "Philosophe" et qui, en réalité, aligne les billets normatifs bien-pensants avec la subtilité d'un 35 tonnes. Ce qui n'a rien à voir avec la philosophie, qui est au contraire l'art de questionner, de dialoguer comme tu ne sais pas le faire, de recevoir la parole de l'autre avec intérêt, modestie et bienveillance, ce qui n'empêche pas les convictions de s'exprimer avec fermeté s'il le faut, en étant le plus rigoureusement argumentées qu'il est possible.

    Ça ne m'empêchera pas de te souhaiter tout le bien possible pour la suite, et concernant les sujets dont nous avons discutés, il est plaisant de se dire que le proche avenir arbitrera certainement la querelle.

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    1. Freud n'est un "contributeur" qu'au même titre que Jésus ou Mahomet: Il a fondé sa religion comme un culte à sa personnalité mais, parmi toutes les choses qu'il a dite pour avoir l'air sage et intelligent aux yeux de ses ouailles, il peut y avoir ça et là deux ou trois trucs pas trop cons. Mais de se baser sur ce genre de croyances pour faire nos choix de société c'est manquer de discernement.

      Je ne vois honnêtement pas ce qu'un couple hétérosexuel peut offrir à un enfant que ne peut pas lui offrir un couple homosexuel. Je ne vois honnêtement pas ce qu'une mère peut offrir à un enfant que ne peut pas lui offrir un père. À part les délires paranoïaques des chrétiens et des psychanalystes, aucune conséquence néfaste ne me semble pouvoir surgir de ça. Je ne vois pas non plus ce qu'il y a de «structurant» à définir mon identité par mon anatomie génitale. C'est absurde.

      Un philosophe pour moi c'est quelqu'un qui aime la sagesse (j'entends par là la raison, la pensée critique, la réflexion, la science, etc.). Se dire sage serait présomptueux, mais se dire aimant la sagesse ne l'est pas.

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  5. "Ça ne m'empêchera pas de te souhaiter tout le bien possible pour la suite" Traduction : "t'es rien qu'un vilain prétentieux qui ose ne pas vénérer mon maître à penser, mais je te souhaite du bien quand même."
    C'pour ça que j'adore les pères-la-morale. Même après une séance rigoureuse d'ad hominem ils parviennent à se donner bonne conscience.

    Sinon, croire encore Freud sur parole cent ans après que la très large majorité de ses affirmations aient été rigoureusement prouvées fausses par de véritables scientifiques... Heu... vous vivez au XIXème siècle ?

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    1. De la façon dont il a parlé, précédemment sur ce blog, du rôle des sexes... ça ne m'étonnerait pas...

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    2. Vous projetez un max, Sainte Ironie, ou pour évoquer plaisamment ma profession, vous traduisez en trahissant sans vergogne ! Mon salut était sincère et à prendre au 1er degré, la noirceur que vous y voyez, elle vient de vous.

      En termes d'époque, je vis depuis mon enfance au 21e siècle et j'ai dû me plonger 40 ans dans la science-fiction pour l'attendre ; en 2000, de façon symboliquement fascinante, je me suis enfin senti chez moi, et depuis, c'est l'éclate non stop. :) Mais quant à vous, j'ai l'impression que vous vivez dans le merveilleux pays où l'on prend ses désirs pour des réalités.

      Par « véritables scientifiques », je suppose que vous voulez dire des chercheurs en sciences exactes, ce qui est absurde, puisque le sujet dont nous parlons fait partie des sciences dites "humaines", non exactes ; il ne s'agit pas de faire des observations de la vitesse de la chute d'un corps, par exemple, mais d'investiguer la psyché humaine, faite d'émotions difficilement mesurables, de souvenirs subjectifs et parfois mouvants, etc.

      En fait, c'est rigolo, vous tentez d'argumenter pour établir que je suis un benêt alors que vous semblez vous-même en être un véritable ! ;-D

      Votre « rigoureusement » a toute la pompe du fat qui ne sait pas de quoi il parle et supplée son vide d'arguments en meublant ses phrases creuses des adverbes les plus ronflants !

      Ou bien bouchez-m'en un coin et indiquez-moi quelques liens vers ces preuves rigoureusement irrréfutables de la fausseté de « la très large majorité [des] affirmations » de Sigmund Freud !

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  6. Un conseil de lecture pour Lionel : « Le crépuscule d’une idole » de Michel Onfray sur Freud.
    Freud imprégné de sa culture juive peu tolérante sur l’homosexualité recycle cette hostilité en concepts contestables. La force de la psychanalyse vient de la naïveté de ses adeptes assez fragiles pour se laisser conter une version erronée de leur histoire. Fragilisés, ils sont une proie idéale.
    S’ils se révoltent, ils seront considérés comme des hérétiques.
    Il faut lutter de toutes ses forces contre la crétinerie de la psychanalyse au nom de la raison,
    de la philosophie qui est recherche de la vérité.
    Françoise

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