samedi 19 juillet 2014

Réforme de la prison

Je m'apprête à parler de quelque chose que je ne connais pas du tout. J'ai juste écouté deux épisodes d'Unité 9 et là je m'imagine qu'avec ça comme bagage je peux critiquer notre système carcéral. Alors, prenez ce qui suit avec un grain de sel. En court, ma réforme se résume en trois points:

  • Les détenus n'ont pas à souffrir inutilement;
  • Les détenus devraient travailler et payer un loyer;
  • Les hommes et les femmes devraient aller dans les mêmes prisons.


Le premier point de ma réforme découle du fait que mon paradigme de justice diffère de celui de l'air du temps. Pour l'Occidental moyen, le fait de juger un coupable et de l'envoyer en prison est comme la version terrestre du Dieu monothéiste qui juge les pécheurs et les envoie en Enfer. Dans cette conception des choses, la prison se doit d'être un lieu de souffrance et de tourments. Je me situe dans une toute autre école de pensée. Le but de ma prison idéale n'est pas de faire souffrir de mauvaises personnes, mais de réhabiliter des individus délinquants tout en les empêchant de nuire à autrui en attendant que ce but soit atteint. Les seules souffrances et pertes de liberté qu'il soit légitime de leur infliger, sont celles inhérentes à ce processus de réhabilitation. Donc, pas parce qu'ils «méritent»* de souffrir, mais parce qu'on n'a pas le choix de les faire souffrir si on veut empêcher que ne se répètent les crimes dont ils sont coupables. Mon idée est qu'un séjour en prison devrait surtout servir à rencontrer différents spécialistes: travailleurs sociaux, psychologues, criminologues, etc. À la fois pour recevoir de l'aide** de leur part, mais aussi pour que l'on puisse comprendre les causes systémiques qui ont «engendré» ce criminel.

On n'a pas à enlever au contrevenant plus de liberté que nécessaire. Ainsi, si l'on estime qu'une personne ne présente pas de danger immédiat pour quiconque, il est absurde de l'enfermer. Peut-être que certains détenus devraient passer leur journée à la prison mais auraient le droit de rentrer dormir chez eux le soir (à condition de respecter un couvre-feu et peut-être de porter un localisateur)? Une violation du code de la route ou du code déontologique d'un ordre professionnel n'ont pas à être suivi d'une peine pire qu'une perte du permis de conduire ou qu'une radiation de l'ordre – quelle que fusse la gravité des conséquences de cette violation – puisque ces peines suffisent à les prévenir (bien sûr, si par la suite la personne conduit sans permis ou pratique illégalement, là il est requis de sévir plus sévèrement). Peut-être aussi qu'une peine pourrait se limiter à ne pas se rendre dans tel lieu, ne pas approcher de telle personne, ne pas occuper tel type d'emplois, faire des travaux communautaire, ou prendre tel médicament tous les jours. Bref, la majorité des peines pourraient être «purgées dans la communauté» sans problème si on enfermait que les individus dangereux ou peu coopératifs.

Le second aspect de ma réforme est que je ne pense pas qu'il soit mal de faire travailler les prisonniers durant leur incarcération. En fait, nous sommes tous pas mal forcés de travailler et de payer notre nourriture et notre toit lorsque nous sommes considérés par l'État comme «libres», alors je ne vois pas pourquoi les détenus y échapperaient. Il faut simplement nous assurer que ça ne devienne pas de l'esclavage et, à cette fin, créer au sein de la prison un système analogue au salariat à l'extérieur de la prison.

Il faudrait donc qu'il y ait des emplois de disponibles en prison. Des postes au service de la prison elle-même (commis, concierge) et d'autres utiles pour l'extérieur, peut-être comme sous-traitant de compagnies ayant besoin de manufacturiers. Chaque détenu aurait un compte dans la «banque» de la prison et ce ne serait que cet argent qu'il pourrait utiliser dans la prison. Il devrait payer un loyer pour sa cellule (qui inclurait bien sûr l'eau et l'électricité, mais aussi des repas à la cafétéria). Son salaire et son loyer seraient versés et prélevés directement de son compte, à chaque jour. Il recevrait un montant de base en entrant en prison (équivalent d'un mois de loyer). S'il choisit de ne pas travailler, il perdrait de l'argent via son loyer mais son endettement serait plafonné. Avec son salaire, il pourrait s'acheter des choses au dépanneur de la prison, ou avoir accès au gym, à la médiathèque ou à internet. Les prisonniers ne pourraient pas avoir de transactions entre eux. En sortant de prison, on le payerait ce qui lui reste dans son compte (moins le montant de départ) si c'est positif, mais on annulerait sa dette s'il en a une. Bref, je créerais une vie économique dans les prisons tout en limitant ses dérives tels que le surendettement.

Ma troisième proposition est que les prisons soient mixtes; les hommes avec les femmes. On trouve ça naturel que les prisons soient non mixtes mais, pour être en cohérence avec ma conception antisexiste de la société, c'est nécessaire d'abolir ce genre de division... à moins d'y trouver une justification pertinente autre que la tradition. Je pense que ça serait bien parce que j'ai l'impression que les gens sont moins agressifs dans les milieux mixtes que lorsqu'ils sont juste avec des personnes de leur sexe. Ce point est sans doute l'élément le plus controversé de ma réforme. Jusqu'à présent, je n'ai rencontré personne qui soit d'accord avec moi là-dessus. Ça semble aller de soi pour tout le monde qu'il serait trop dangereux de laisser de pauvres femmes fragiles avec de gros méchants prisonniers mâles qui vont évidemment les violer jusqu'à la mort. En fait, j'ai l'impression que cette idée découle d'une vision trop stéréotypée de la prison et des détenus en général. Comme si c'étaient des animaux enragés qui passaient leur temps à se battre. Les gens qui sont réellement comme ça n'ont pas leur place en prison mais bien dans des institutions psychiatriques.

En fait, de mon point de vue, les pensionnaires de la prison ont le droit à la sécurité et à l'intimité. Si, présentement, ces droits ne sont pas suffisamment respectés pour qu'il ne soit pas dangereux ou humiliant pour une femme d'y être avec des hommes, c'est qu'il y a un problème même dans un contexte de non-mixité. Si les femmes s'y feraient violer, c'est que des hommes s'y font violer, ce qui est inacceptable. Mais, si chacun a sa propre chambre, si les douches et les toilettes sont individuelles avec une porte qui se barre (mais dont les gardiens auraient la clé), si les individus trop dangereux pour leurs codétenus sont isolés, etc. il n'y aurait plus rien d'inquiétant à y mêler les sexes. J'ajouterais que les occupants de la prison devraient avoir accès à du matériel pornographique et des accessoires de sexualité solitaire, question d'assouvir certains besoins pouvant contribuer à une agressivité surtout dirigé vers l'autre sexe.

Je reviendrai ultérieurement sur ce sujet car j'aimerais parler de la durée d'un séjour en prison. En ce moment, c'est fixé par le juge et en proportion avec la gravité du crime, alors que dans mon paradigme ce serait forcément différent... ça impliquerait non seulement de ne pas donner ce pouvoir aux juges mais, en plus, de réformer significativement le système judiciaire lui-même... ce qui constituera le sujet d'un futur billet.

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* En fait l'aspect «méritoire» compte un tout petit peu. Il sert juste de justification pour outrepasser certains droits fondamentaux de l'individu (comme celui de ne pas être enfermé). C'est plus comme si «le contrat social» stipulait qu'un individu ayant démontré sa dangerosité peut voir certains de ses droits être suspendus afin d'éviter qu'il ne soit à nouveau dangereux. Ainsi, c'est légitime simplement parce que, en transgressant la loi, le criminel consent tacitement à ce que l'État prenne ces mesures contre lui s'il se fait prendre. Mais, ce n'est pas vraiment méritoire ou punitif puisque la sanction n'a aucunement pour but de rétribuer la souffrance causée ou d'être proportionnelle à la gravité de l'infraction.

** Certains s'offensent de savoir que l'on investisse tant d'efforts pour aider les criminels et diront «Mais les victimes elles?» Effectivement, les victimes méritent aussi de l'aide de l'État, soit des indemnisations et du support psychologique. De la façon dont je vois ça, le crime devrait être considéré comme un «bogue dans le système» et le but de l'État devrait être de réparer, dans la mesure du possible, les dommages qu'il a causé et de l'empêcher de survenir à nouveau. Donc l'intervention doit se faire chez les victimes, les criminels et les causes sociétales criminogènes.

dimanche 6 juillet 2014

Les croyances indésirables

Dans à peu près toute mes réflexions sur les croyances et les pratiques religieuses ou culturelles indésirables – telles que le voile, la circoncision ou certains vices –, je rappelle qu'il est préférable d'éduquer les gens pour qu'ils les abandonnent d'eux-mêmes, plutôt que de les forcer à le faire, quitte à tolérer ces pratiques chez les gens que l'on aura échoué à éduquer.

Soit. Mais pourquoi prôné-je d'éduquer plutôt que de juste laisser ces traits culturels exister? Il semble que même si je les tolère pour l'instant, j'ai tout de même pour but d'éradiquer ces coutumes et croyance sur le long terme. Ai-je un critère objectif sur lequel faire reposer un tel projet? Après tout, que les gens aient telles préférences plutôt que telles autres, ça demeure purement subjectif. Y a-t-il une façon non ethnocentrique de déterminer qu'un élément culturel mérite d'être déconstruit? En tant qu'utilitariste, je vois deux façons possibles qu'une croyance ou pratique puisse être indésirable:
  • Son porteur nuit à autrui,
  • Son porteur se nuit à lui-même.

Donc, on devrait interdire les pratiques qui nuisent à autrui mais nous contenter de dissuader celles où l'on ne nuit qu'à soi-même et défendre le droit de pratiquer celles qui ne nuisent ni à autrui ni à soi-même. Voilà. Jusqu'ici je n'ai rien dit de nouveau, j'ai même précédemment présenté ce réseau de concepts qui résume tout ça. L'innovation que j'apporterai ici par rapport à mes réflexions précédentes est que certaines croyances qui semblent n'être qu'une préférence personnelle, sont en fait nuisibles pour l'individu qui en est porteur.

Prenons par exemple l'interdiction du sexe prémarital. Supposons que l'on ait deux personnages qui suivent cette prescription:
  • Marie est abstinente. Bien que le besoin se fasse sentir et qu'elle a très hâte de pouvoir enfin s'y adonner, elle retient ses ardeurs et se garde pour son futur époux, tel qu'on le lui a enseigné. Elle est heureuse de pouvoir ainsi plaire au Seigneur.
  • Paul est abstinent. De toute façon, il n'a pas de compagne et ne veut pas faire ça avec n'importe qui. Par ailleurs le sexe ne l'attire pas vraiment, l'idée le laisse plutôt indifférent.

Nous avons deux personnages abstinents mais, cet état se vit différemment pour chacun d'entre eux. Pour Paul, il n'y a rien là. On peut dire qu'il s'agit d'une préférence personnelle. C'est différent pour Marie, elle désire du sexe mais en même temps elle désire plaire à son Dieu. La croyance qu'on lui a enseignée, que le sexe prémarital déplaît à Dieu, induit en elle cet antagonisme de désirs. Elle est condamnée à choisir entre la frustration ou la culpabilisation. On peut donc affirmer objectivement que sa croyance lui nuit. Elle serait plus heureuse sans, puisqu'elle pourrait alors choisir de combler son besoin sexuel sans culpabiliser inutilement. 

On peut dire la même chose de beaucoup d'autres croyances et pratiques. Le port du voile par exemple. Peut-être que certaines le portent par choix esthétique. Mais, une personne qui ne le porte que pour plaire à Dieu désirerait peut-être l'enlever si ce n'était pas de ça. Une partie d'elle-même est frustrée de devoir se voiler. Ce genre de dilemme sans bonne réponse se vit aussi chez les drogués addicts: soit ils frustrent leur désir de drogue, soit ils sabotent leur santé. C'est pour cette raison que la dépendance à la drogue entre pour moi exactement dans la même catégorie que le fait d'être porteur d'un trait culturel qui nous nuit à nous-mêmes. Les deux devraient être traités de la même façon.

Bref, qu'est-ce qu'on fait avec ça en tant que société? Exactement la même chose qu'avec les maladies! On aide les gens à se libérer de ces croyances et addictions, on les éduque pour prévenir leur développement, on lutte activement contre leur propagation et on immunise la génération suivante. On fait preuve de tolérance envers les individus déjà atteints, on accepte qu'ils en affichent les symptômes, mais on minimise la contagion (en limitant leur droit à la publicité par exemple, ou en leur interdisant des postes d'influence, ou encore en interdisant ces pratiques pour les mineurs ou dans les écoles primaires et secondaires). Ces croyances sont comme une cage. Notre but n'est donc que d'ouvrir la porte de la cage, mais si quelqu'un est vraiment bien dedans, on ne doit pas l'enfermer en-dehors.