lundi 6 octobre 2014

Les contre-privilèges

Dans tous les contextes sociaux où existait une élite privilégiée, il y avait aussi des sortes de privilèges qui étaient l'apanage des pans non privilégiées de la société. C'est que ce que j'appelle les contre-privilèges. Leur principale caractéristique, les distinguant d'un simple privilège, est que leur raison d'être est justement la position d'infériorité - réelle ou présumée - dans laquelle sont positionnées ses bénéficiaires. Par exemple:



Certains de ces contre-privilèges sont plus légitimes que d'autres. Certains servent à offrir une maigre compensation, d'autres surcompensent, mais même lorsqu'ils sont symétriques, les contre-privilèges présentent le désavantage de maintenir la vivacité de la césure psychologique qui existe entre ses bénéficiaires et le reste de la société. Par exemple, en s'enregistrant comme Indien inscrit pour ne pas payer de taxes, une personne d'origine autochtone approuve tacitement son statut et consent d'une certaine façon au maintient de cette division et à son confinement dans une vieille catégorie. 

Évidemment, comme mon objectif est l'éclatement de ces catégories, je m'oppose fermement au maintient de ces privilèges. C'est pourquoi je trouve que, en général, certains partisans de l'égalité font fausse route en se laissant leurrer par l'appât que constitue les contre-privilèges qu'on leur donne. Comme s'ils se disaient «au moins, on a déjà ça de gagné» alors que, au contraire, ces soi-disant avantages sont un pas dans la mauvaise direction. C'est plus une défaite qu'une victoire.

Si j'étais une femme, je refuserais qu'un homme paye mon repas pour moi. Si j'étais autochtone aux yeux de la loi, je paierais mes taxes. Pas seulement parce que je trouve injuste d'avoir droit à ce privilège, mais aussi à cause du raisonnement qui lui est sous-jacent. Si l'homme paye pour la femme, originellement c'est parce que l'on prend pour acquis que lui doit pourvoir et que elle ne peut être financièrement autonome. C'est plus insultant qu'avantageux.

Il y a un contre-privilège en particulier dont je ne sais que penser, je crois que je le trouve absurde en fait. C'est celui d'avoir l'exclusivité d'être victime de discrimination. C'est-à-dire que, pour certains, non seulement un homme Blanc hétéro n'est jamais victime d'aucune sorte de discrimination, mais il ne le peut pas puisque le racisme serait par définition une discrimination faite à l'encontre d'un non-Blanc, et le sexisme une discrimination envers les femmes (misogynie). Évidemment, je n'aime pas surtout parce que je privilégie la définition large de ces termes («croyance aux races» et «confusion entre genre et sexe») et que, contrairement à des mots comme «misogynie», «homophobie» ou «antisémitisme», le terme n'a rien dans ses racines qui spécifie la direction que doit prendre la discrimination désignée, mais aussi parce que je trouve ce contre-privilège plutôt ridicule et même nuisible. Comment peut-on rester cohérent en disant qu'une même action est mal lorsqu'elle est faite par le groupe A sur le groupe B mais correcte lorsque faite par le groupe B sur le groupe A? Et, même si le groupe historiquement privilégié ne subit toujours que de petites discriminations insignifiantes – souvent le simple revers de contre-privilèges – les dénoncer ne serait-ce pas une bonne façon d'aider les gens de ce groupe à se sentir concernés par la lutte contre la discrimination?

Bref, on devrait s'opposer aux contre-privilèges exactement de la même façon que l'on s'oppose aux privilèges. D'autant plus qu'ils sont moins utiles pour ses bénéficiaires que pour ceux qui aimeraient les voir maintenus dans leur position d'infériorité. Mais il faut aller plus loin et faire disparaître jusqu'aux catégories sur lesquelles se fondent privilèges et contre-privilèges. Imaginez un monde dans lequel il y a des toilettes pour les roux et d'autres pour les châtains. Un monde où les personnes aux yeux bleus ne payent pas d'impôt. Un monde où c'est la personne la plus lourde dans un couple qui doit payer le repas à l'autre. Un monde où les bars offrent des shooters à moitié prix pour les gens de groupe sanguin O. C'est absurde, non? Oui, nous sommes absurdes.

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