dimanche 26 janvier 2014

Choisir d'être du bétail

Mise en situation:
Imaginez que nous vivons dans un monde horrible ou l'humain a de multiples prédateurs. Des dinosaures, des ogres et des monstres de toutes sortes parcourent la Terre et nous traquent jusque dans les grottes où l'on vît. Les catastrophes naturelles et les épidémies sont également très fréquentes. Dû à la prédation, à la difficulté de trouver à manger et aux nombreuses maladies, le taux de mortalité est très élevé et la quasi-totalité des gens meurent avant d'avoir atteint vingt-cinq ans. 

Un jour, un terrifiant dragon surgit de nul part et vous fait l'offre suivante: «J'ai construit un magnifique palais au sommet de la montagne. Je peux y accueillir tous ceux qui le voudront. Vous y vivrez dans un confort tel que vous n'en avez jamais connu. Je vous nourrirai des mets les plus raffinés. Aucun prédateur, maladie ou catastrophe naturelle ne vous y incommodera. En retour, je ne vous demande qu'une chose: vous ne pourrez sortir de mon palais paradisiaque et, après que vous y aurez passé quarante années de pur bonheur, je viendrai vous y chercher et je vous mangerai tous sans qu'il vous soit possible de fuir.»

Qu'est-ce que vous choisiriez? Une vie longue et heureuse avec une mort programmée, ou essayeriez vous de continuer de survivre libre dans un monde cauchemardesque? En fait, le choix logique demeurerait d'accepter ce pacte avec le dragon, l'autre option étant davantage fondée sur un vain espoir où sur le désir de ne pas savoir à l'avance l'instant de notre mort.

Mon but ici était de faire une analogie avec l'élevage. J'en avais déjà fait une autre, mais là je voulais réfléchir à dans quelles circonstances les humains accepteraient de devenir eux-mêmes des animaux d'élevage. Supposons qu'une population animale a de la difficulté à survivre par elle-même dans la nature, lorsque l'humain la retire de son environnement pour l'ajouter à son cheptel, c'est comme s'il faisait un pacte avec elle. Il lui offre le confort et la protection pour une durée de temps, puis en fait son repas. Pour que le deal soit honnête, vu que l'animal n'a pas la raison qui lui permettrait de prendre cette décision lui-même, il faudrait que l'humain, s'il se trouvait dans la position inverse, accepte lui-même l'entente. Donc que la longueur et la qualité de la vie de la proie soient améliorées par cette situation.

Soit. Maintenant, prenez cette seconde mise en situation:
Imaginez que nous vivons dans un monde assez semblable au nôtre à une époque antérieure. Nous n'avons pas le confort et la technologie moderne, mais nous arrivons quand même à nous débrouiller. Parfois, des maladies ou des animaux sauvages emportent quelques-uns des nôtres, mais la majorité des gens vivent au moins jusqu'à quarante ans après une vie relativement heureuse. 
Un jour, un terrifiant dragon surgit de nul part et vous fait l'offre suivante: «J'ai construit une horrible prison sous la montagne. Je peux y accueillir tous ceux qui le voudront. Vous y serez confinez dans une cellule si petite que vous ne pourrez pas vous asseoir ni même vous retourner. Il y fait noir et beaucoup trop chaud. L'air sera vicié par l'odeur de vos déjections. Des tubes vous injecteront de la nourriture dans la gorge jusqu'à ce que vous deveniez obèse. Je vous amputerai douloureusement de toutes les parties de vos corps que je juge inutiles. Après que vous y aurez passé cinq ans d'atroces souffrances, je viendrai y chercher ceux d'entre vous qui auront survécus et je vous mangerai tous sans qu'il vous soit possible de fuir.»

L'élevage moderne, j'en ai bien peur, ressemble beaucoup plus à cette seconde histoire. Ce n'est donc pas un deal qu'un être doué de raison accepterait. C'est pour ça que ça m'agace quand quelqu'un essaie de défendre l'éthique de l'élevage en disant que c'est une situation gagnant-gagnant. Si on est honnête avec nous-mêmes, on sait que l'animal d'un élevage intensif n'aurait aucun intérêt à choisir ce mode de vie s'il avait la liberté et l'intelligence pour pouvoir le faire.

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Note: Même si la logique de l'élevage obéissait à ma première histoire ci-dessus, le critère de la nécessité pourrait faire en sorte qu'il demeurerait contraire à l'éthique d'exécuter un animal que l'on a choisit de sauver de la nature.  

Privatiser la poste

Beaucoup s'insurgent contre la manœuvre du Parti Conservateur de réduire les effectifs de Poste Canada et de cesser la livraison de courrier à domicile. J'en profite donc pour souligner une différence qui existe entre les opinions de la plupart des gauchistes et ma position personnelle; que j'appelle une «gauche lucide». Ça consiste à emprunter de petits éléments à des méthodes de ce qui est appelé «la droite économique» mais toujours en respectant et en ayant pour fin les idéaux de la gauche. Dans ce genre de cas, l'opinion de la gauche traditionnelle semble être que de couper des emplois est toujours une mauvaise chose, celle de la droite économique étant qu'il faut couper ce qui n'est pas rentable indépendamment des conséquences sur l'individu. Mon opinion est entre les deux, je ne veux pas garder des emplois à tout prix, ni faire des économies à tout prix. Mais, pour cette situation bien précise, je suis personnellement d'accord avec l'idée de progressivement abandonner Poste Canada.

Je pense que de nationaliser un service n'a de sens que lorsque celui-ci est essentiel ou lorsqu'il ne peut finir qu'en monopole. Donc, évidemment, à l'époque de la création de Poste Canada, c'était pertinent que ce soit un service public. La poste était alors le seul moyen de communication. Aujourd'hui, c'est différent. On communique beaucoup plus par internet et par téléphone que par la poste. Il y a deux ans, lorsque la poste était en grève, je ne pense pas que personne ait manqué quelque chose.

À l'inverse, je me disais que l'on devrait éventuellement nationaliser les services de téléphonie (filaire et sans fil) et de fournisseur d'internet. C'est beaucoup plus essentiel que la poste, tout le monde l'utilise tous les jours, et on sait que les prix de ces services au Canada sont ridiculement élevés par rapport aux États-Unis ou à l'Europe. En plus, beaucoup de régions moins urbanisées se plaignent de ne pas avoir d'internet haute vitesse ou de ne pas avoir de signal de téléphone sans fil. Mettre ces services sous la juridiction d'une société d'État me semblerait logique et bénéfique. Abandonner la poste au profit de moyens de communication plus modernes m'apparaît la chose à faire.

Évidemment, le service de poste et de livraison de colis à domicile ne disparaîtrait pas, il passerait simplement au privé. Les compagnies de livraisons prendraient progressivement le relais sur Poste Canada. Bien sûr, il faut y aller par étape, ne pas couper ce service d'un coup, à mesure que le peuple s'habituera à fonctionner par internet plutôt que par courrier papier. Donc, il faut aussi tenir compte du fait que les générations les plus âgées sont moins habituées à payer leurs factures en ligne par exemple. Moi je réduirais progressivement le nombre de jours de livraisons par semaine, à mesure que diminue la demande, jusqu'à ce que plus personne (autre que les publicités) n'utilisent ce service.

Les arguments pro-Poste que j'entends me semblent souvent boiteux. Par exemple, on dit que ce service est important parce que, pour certaines personnes âgées, le facteur est la seule personne qui leur rend visite. Ah oui? Bon, dans ce cas on coupe la Poste et on finance à la place un service de visites à domicile pour personnes âgées (et on peut même engager les facteurs licenciés pour faire ça). On nous dit également que plein de publisacs et autres junkmail risquent de joncher le sol tout autour des casiers postaux. Oui? Bon dans ce cas on passe une loi pour interdire de poster de la publicité (qui pollue trop de toute façon). Personnellement, je ne vois pas trop l'intérêt de faire construire des casiers postaux; ils ne pourront pas rivaliser avec les transporteurs privés.

Évidemment que c'est triste d'enlever leur gagne-pain à des gens qui font du bon travail juste parce que leur emploi tombe dans l'obsolescence, mais faire faire à des gens un travail devenu inutile juste parce qu'on présume qu'ils ne savent rien faire d'autre ne m'apparaît pas beaucoup moins triste.

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Note: Il va de soi que, en tant que société, ça demeure de notre devoir d'avoir des programmes de solidarité sociale et de placement d'emploi, pour que les gens qui ont perdu leur job pour ce genre de raison ne soient pas jetés à la rue. Ça ce serait indéfendable.