dimanche 19 avril 2015

Investir dans le peuple

Notre politique de libéralisme économique implique que nous ayons une certaine foi envers les entreprises. En fournissant des emplois à la population, et en produisant un bien ou un service, elles contribuent à faire de nous un État prospère. Pour cette raison, nous leur donnons toute sorte d'avantage fiscaux et même des subventions. Nous agissons de même envers certains projets artistiques ou scientifiques. Nous subventionnons car nous savons que leurs fruits seront bénéfiques pour la population.

Je comprends l'idée et j'approuve globalement mais, il y a quand même quelque chose de curieux là-dedans. Ça relève un peu de la pensée magique. On donne de l'argent aux entreprises en espérant que cela aura des retombés positives sur l'économie et qu'elles partageront volontairement leur prospérité avec le peuple... D'accord, mais ne serait-il pas plus logique de faire comme le ferait un mécène privé, c'est-à-dire d'acheter des parts dans le projet plutôt que de juste donner de l'argent gratuitement?

C'est pour ça que je m'étais dit que l'on devrait collectivement se doter d'un programme de mécénat qui permettrait réellement de créer de la prospérité et qui ne reposerait pas que sur la gratitude et la bonne volonté de ses bénéficiaires. Par exemple:

  • Quand on financerait les recherches d'une équipe de scientifiques, l'État posséderait une partie du brevet de la technologie ou du médicament découvert.
  • Plutôt que de donner des subventions à une entreprise, l'État achèterait des parts dans l'entreprise. 
  • Quand on financerait une production artistique, l'État posséderait une partie des droits d'auteur. 
  • Quand on financerait la scolarité d'un étudiant dans un domaine où l'on a besoin d'employés et où les salaires sont élevés (par exemple, en médecine), l'État exigerait un «stage» de dix ans (pouvant être converti en «amende») pour contraindre le diplômé à travailler ici, avant de lui remettre réellement son diplôme.


Ainsi, supposons que je décide de me lancer en affaire, de fabriquer un nouveau médicament ou de produire un film. Si je demande l'aide de l'État, je recevrai quand même une sorte de subvention mais, la condition sera que je devrai rendre une partie de cet argent à l'État si je «réussis». Donc, si mon projet connaît un succès financier modeste ou nul, l'État choisirait de renoncer à sa part de profit pour me la laisser mais, dans l'éventualité ou le truc rapporterait gros, l'État se ferait ainsi de l'argent... dont il se servirait pour réinvestir dans d'autres projets du genre.

Ensuite, il s'agira de diviser les choses en deux catégories de projets, soit les «rentables» (un film commercial par exemple) et les «audacieux» (un film d'auteur). Les premiers ayant pour principale fonction de générer de l'argent qui pourra servir à financer les seconds qui, eux, ont une sorte de valeur intrinsèque. Le but n'est donc pas mercantile, on récolte de l'argent mais c'est pour mieux favoriser l'audace et la diversité dans les projets entrepreneuriaux, artistiques ou scientifiques chez la population. On pourrait, donc, recevoir un financement soit parce que notre idée a des chances de rapporter gros, soit simplement parce qu'elle est originale et contribuerait à notre richesse culturelle. 

Une autre conséquence positive sera que, si je suis quelqu'un de déjà bien nanti, plutôt que de quémander l'aide de l'État, détournant ainsi des sommes qui pourraient aller à des artistes ou des entrepreneurs moins bien nés, je vais me contenter d'y investir ma fortune personnelle pour éviter d'avoir à partager mes gains avec l'État, ce qui laissera plus d'argent pour ceux qui en ont réellement besoin.

Voilà. C'est ça qu'est mon idée. Mais... je dois avouer que c'est encore un de ces billets où je parle à travers mon chapeau... J'ai aucune idée vraiment de comment ça fonctionne en ce moment, c'est peut-être déjà comme ça.

Sur l'esclavage

En théorie, l'esclavage est illégal pas mal partout dans le monde. C'est merveilleux. Nous avons envers l'esclavage une répugnance viscérale culturellement bien implantée, comme par rapport à la prostitution. Mais j'aimerais que l'on réfléchisse réellement à ce que signifie dans le concret qu'être l'esclave de quelqu'un. Je pense que l'on prendrait rapidement conscience que cette situation n'a pas vraiment cessé d'exister. Entre l'esclave et le salarié, c'est une gradation que l'on a; le point de rupture n'est que symbolique. Nous sommes choqués à l'idée qu'une personne puisse en posséder une autre, mais cet état de fait implique quoi pour la qualité de vie et la liberté réelle de celui que l'on dit esclave?

Je vous ai déjà entretenu de ma conception de la propriété. Nous la percevons comme la pleine souveraineté d'un individu sur un objet mais, dans les faits, ce pouvoir n'existe que dans la tête de ceux qui y croient. Le maître n'a, en réalité, pas un pouvoir absolu sur son esclave. Il ne peut le transformer en crapaud ni contrôler ses pensées. Et, lorsqu'il ne le surveille pas, il ne sait pas ce que son esclave peut faire dans son dos. Il y a toujours donc quelques petites libertés discrètes dont l'esclave demeurera maître. En plus, quand on pense aux esclaves on s'imagine tout de suite les Noirs Américains dans les champs de coton mais, historiquement, il y eut des occasions où la condition d'esclave pouvait être relativement enviable, comme chez les Romains et les Aztèques.

J'ai l'air de vouloir faire l'apologie de l'esclavage mais c'est vraiment pas là que je m'en vais. Je voulais juste relativiser les choses pour pouvoir amener une comparaison avec le salariat. Prenons un pays où il n'existe aucune loi pour protéger le travailleur. Donc, où les gens reçoivent un salaire en échange d'un travail mais où les conditions de travail sont terribles, avec des journées de quatorze heures, où ils peuvent être congédiés arbitrairement et reçoivent une paye ridiculement basse. Objectivement, ne serait-il pas préférable d'être un esclave bien traité, logé et nourri, plutôt que d'être un salarié opprimé qui n'a aucun temps pour lui et n'a pas les moyens de se payer un toit ou de manger à sa faim? L'avantage du salarié demeure que s'il n'est pas content il peut démissionner... mais le peut-il réellement toujours? Si la situation sociale fait en sorte que ce poste miséreux dans cette entreprise abusive est le seul auquel il puisse aspirer et que, s'il s'en va, cent autres personnes sont prêtes à le remplacer dès le lendemain, n'est-il pas tout autant prisonnier de sa condition que ne le serait un esclave qu'on enchaîne?

Bref, notre rejet de l'esclavage découle plus du fait que c'est pour nous une aberration qu'un humain puisse en posséder un autre, mais nous ne nous soucions pas du tout du sort réel de l'humain en question.

L'égalité c'est la liberté

Lorsque je fais part à autrui du fait que l'égalité est pour moi une valeur cardinale, je me heurte parfois à une certaine opposition. Une riposte que je pourrais paraphraser en:
Les inégalités sont la conséquences naturelles et inévitables de la liberté dont nous bénéficions. À moins de vouloir vivre dans un État totalitaire, nous n'avons pas le choix d'accepter qu'il y ait des riches et des pauvres.

Cette position est bien évidement héritée de la Guerre Froide, où le monde était polarisé entre le pseudo-communisme des Soviétiques et le pseudo-capitalisme des États-Unis*. Je vais tenter de vous prouver que cet antagonisme est sans fondement. En fait, je vais non seulement essayer de démontrer que liberté et égalité ne sont pas des opposées, mais qu'elles sont, au contraire, indissociables l'une de l'autre.

Tout mon argument ne sera finalement qu'une explication de l'adage: «La liberté de l'un s'arrête où commence celle de l'autre». En fait, il faut aussi comprendre ce que signifie être libres et être égaux

Prenons notre situation, où existent des inégalités. Celles-ci ne sont-elles pas indubitablement des obstacles à la liberté de ceux qui commencent en bas de l'échelle sociale? Comment peut-on dire sérieusement à une personne née dans la misère qu'elle est «libre» alors qu'elle est constamment frustrée dans ses désirs par tant d'embûches, comme autant de clôtures invisibles qui l'emprisonnent dans sa situation médiocre?

Imaginons maintenant une situation analogue à celle de l'Union Soviétique, c'est-à-dire un État totalitaire mais dans lequel tous les individus sont déclarés égaux. Comment prétendre de bonne foi qu'il y a égalité alors que la forte autorité centrale, qui se charge de la redistribution des richesses, est elle-même, de par ce pouvoir qu'elle se donne, supérieure au reste des citoyens? Si les membres du gouvernement vivent dans l'opulence tandis que toute la population est dans la misère, c'est pas mal ce que j'appelle une inégalité.

Si les individus sont égaux, c'est qu'ils disposent tous du même niveau de liberté, c'est-à-dire du niveau maximum de pouvoir qu'un individu peut revendiquer sans porter préjudice à autrui. Donc, comme j'ai dit au début «La liberté de l'un s'arrête où commence celle de l'autre». C'est pourquoi, pour moi, soit on maximise à la fois la liberté et l'égalité, en allant dans cette direction, soit on est une société séparée entre les privilégiés d'un côté – ceux qui ont plus de liberté – et les opprimés de l'autre.

Et, en passant, je ne suis pas nécessairement pour un revenu identique pour tous. Je suis d'accord pour que ceux qui se donnent plus pour la communauté en retirent plus. Mais, pour moi, les plus pauvres doivent vivre dans la simplicité, pas dans la précarité. Et les plus riches doivent n'avoir que l'abondance, pas l'opulence. De doser cette «inégalité méritoire»** pour qu'elle demeure à l'intérieur de balises plus sensées, pour qu'elle se limite à ce qui relève du luxe et pour éviter qu'elle ne s'étende sur les générations suivantes, me semble une nécessité.

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 * Quiconque à lu Marx sait bien que l'Union Soviétique n'était pas réellement communiste. De la même façon, une lecture rapide de l'oeuvre d'Adam Smith suffit pour nous rendre compte que nous ne sommes pas vraiment capitalistes. Dans les deux cas, il s'agit simplement d'une situation où – comme souvent dans l'Histoire – une élite privilégiée justifie son statut par l'adoption d'une doctrine factice alors que, dans les faits, l'autorité a été acquise originellement par coercition et est transmise de façon népotiste. Mais bon, ce sera le sujet d'un autre billet.

 ** Je reparlerai également de ce point ultérieurement. Parce que, pour moi, ce n'est pas nécessairement une inégalité que d'avoir des salaires inégaux... ce peut-être simplement bénéficier du fruit de son travail. C'est juste que notre système va vraiment beaucoup trop loin dans sa conception de ce qu'un individu peut s'approprier comme sien et revendiquer comme paye.