dimanche 6 septembre 2015

Féminisme et climatisation

Il fait très chaud chez moi aujourd'hui, vraiment très chaud. Alors... permettez-moi de vous parler de climatisation. En fait, je vais vous parler du sexisme dans la climatisation des lieux de travail. Le sujet est tiré d'un article du Washington Post qui a ensuite été relayé par Judith Lussier du journal Métro. Le problème présenté est le suivant:
«So there you have it: the gender divide, thermostat edition. All these women who actually dress for the season — linens, sundresses, flowy silk shirts, short-sleeve tops — changing their wardrobes to fit the sweltering temperatures around them. And then there are the men, stalwart in their business armor, manipulating their environment for their own comfort, heaven forbid they make any adjustments in what they wear.»

Donc le sexisme réside dans le fait que la température ambiante des bureaux est ajustée de façon à ce qu'on y soit confortable en portant ce que les hommes y portent habituellement (un suit à cravate) et pas les vêtements portés habituellement par les femmes (vêtues pour la saison). Je voulais vous parler de cette situation parce que, pour moi, c'est un cas typique de ceux qui mériteraient une approche un peu plus «antisexiste» que «féminisme», c'est-à-dire plus axée sur la déconstruction des genres que sur l'amélioration de la condition féminine.

D'abord on perçoit tout de suite que cette situation dénonce plus un inconfort qu'une véritable oppression... mais, pour moi, cela ne la rend pas sans importance pour autant. Je pense qu'il faut prendre conscience de toutes ces situations du quotidien où les gens sont soumis à des contraintes ou des frustrations à cause de leur sexe ou d'une autre catégorie sociale. C'est important parce qu'il n'y a rien qui justifie cela. C'est comme à l'époque où les Américains forçaient les Noirs à s'asseoir au fond de l'autobus: c'est une situation anodine, comparée à l'esclavage ce n'est qu'un léger désagrément, mais ça n'a rien de légitime et ça maintient en vie un cloisonnement néfaste et arbitraire entre des catégories de personnes. Donc c'est sûr qu'avoir froid au bureau est moins pire que de ne pas avoir le droit d'avoir un bureau ou un emploi rémunéré, mais ça mérite quand même que l'on réfléchisse à cette situation. Pour moi, en matière de discrimination, il n'y a pas de problème qui soit insignifiant. 

Ce que je trouve intéressant dans ce problème c'est qu'on nous le présente ici comme une bavure du patriarcat envers les femmes... alors que ce sont les hommes qui en sont les vraies victimes! Je m'explique: dans un contexte formel, une femme possède une grande liberté vestimentaire. C'est sûr qu'elle se doit d'être habillée propre, mais elle a accès à des vêtements et des chaussures variés, tant dans leur esthétique que dans leur adaption à la température. Un homme n'aura pas ce pouvoir. Il devra toujours porté un suit chaud avec des pantalons longs et des chaussures fermées quelle que soit la saison. Conséquemment... lors d'un été caniculaire comme celui-ci, la différence de température entre l'extérieur et l'intérieur est trop significative pour qu'on y porte les mêmes vêtements, qu'on soit homme ou femme. Donc deux solutions:

  • Soit les femmes font comme les hommes et s'habillent plus chaudement même si c'est l'été, ce qu'elles ont déjà parfaitement le droit de faire.
  • Soit les hommes font comme les femmes, c'est-à-dire s'habiller de saison, ce qui serait le choix sensé et nous permettrait de monter un peu la température du thermostat... sauf que les hommes n'ont pas le droit de faire ça!


C'est là que réside le problème. Tout le monde est incommodé de la différence de température excessive entre le dedans et le dehors, mais si l'on ne mettait pas la climatisation aussi forte, les hommes seraient trop accablés par la chaleur et n'auraient pas plus le droit que maintenant de porter des vêtements de saison. Là au moins c'est égal: tout le monde doit s'habiller chaudement même en été. C'est parfaitement stupide, évidemment, et c'est très sain de dénoncer ça. Mais la solution n'est pas d'incommoder encore plus les hommes, en faisant en sorte qu'ils aient trop chaud à l'intérieur comme à l'extérieur, mais ce serait plutôt de leur donner à eux aussi la liberté de montrer leurs épaules, leurs mollets et leurs orteils lorsque c'est l'été. Voilà pourquoi je disais que c'était un problème avec une solution plus «antisexiste» que «féministe», on ne pense pas suffisamment à remettre en question les contraintes sociales auxquelles les hommes sont soumis, même lorsque le problème y tire manifestement sa source. Et pourtant, lorsque l'on est en face d'un désagrément plutôt que d'une oppression systémique, on ne devrait pas s'empêcher d'adopter ce genre de position.

Il y avait une autre perspective du même problème dans le Huffington Post. On y disait que, indépendamment des vêtements, à la même température, la femme aura légèrement plus froid que l'homme, études scientifiques à l'appui. À ce moment-là, oui, il va de soi qu'il faudra faire des compromis pour que chacun puisse ne pas trop être incommodé par la température... mais ça rend le problème des vêtements encore plus flagrant. Logiquement, ce sont les hommes qui devraient être habillés moins chaudement que les femmes puisqu'ils sont, en moyenne, naturellement plus enclins à avoir chaud.

Bref, quand on aura aboli le port obligatoire du suit à cravate pour les hommes (qui, pour moi, symbolise non seulement le patriarcat mais aussi l'ethnocentrisme occidental, puisque totalement inadapté à la chaleur des pays du sud) et que plus personne ne verra d’inconvénients à avoir un dîner d'affaires avec un homme vêtu d'une camisole, de shorts et de sandales, alors là, enfin, les gens pourront avoir un espace de travail dans lequel la température ambiante sera agréable.