samedi 25 mai 2013

Statut des religions

Je relisais une de mes réflexions sur la laïcité, et je me rendais compte que je n'y avais pas exprimé assez clairement et explicitement ce que je prônais comme statut légal pour les organisations religieuses. Actuellement, elles bénéficient d'un statut particulier leur conférant, entre autres privilèges, une exemption d'impôts et même des subventions; ce qui va directement à l'encontre du principe de séparation de l'Église et de l'État.

Personnellement, il m'apparaît que la seule façon d'être cohérent avec nos valeurs communes (laïcité, égalité) tout en autorisant l'existence des clergés (un accommodement nécessaire tant qu'il y aura des pratiquants), serait d'offrir le choix suivant à toute organisation religieuse:
  • Soit elle s'enregistre légalement comme personne morale, au même titre que les entreprises, et a tous les droits et devoirs qui en découlent;
  • Soit elle perd toute existence légale ou fiscale et n'est donc, aux yeux de l'État, rien de plus que la somme des individus qui la composent;

Ça risquerait d'être un dilemme intéressant pour les clergés. En effet, ceux qui décideraient d'accepter le nouveau statut «d'entreprise fournissant un service de spiritualité» devraient apporter des changements drastiques dans leur organisation. Tous les clercs seraient légalement les employés de leur clergé, et en acquérraient donc les droits. Un exemple simple de ce qui serait problématique: le statut des femmes. Une église qui refuserait d'engager une personne comme curé uniquement parce qu'elle est une femme, violerait directement le principe d'égalité que l'on impose à toutes les entreprises. Pour cette raison, il est fort à parier que les clergés de tous les cultes opteraient en majorité pour l'autre option: n'avoir aucune existence légale.

Les organisations religieuses qui choisiraient de ne pas s'enregistrer légalement ne seraient considérées que comme une somme d'individus sans connexion. Chaque clerc déclarerait son revenu comme travailleur autonome. Tous les lieux de culte seraient légalement propriété d'une ou de plusieurs personnes physiques. Même chose pour les comptes en banque des institutions religieuses. Les conditions de travail, d'embauche, de congédiement et de retraite des prêtres ne seraient d'aucune façon garanties par l'État; il faudrait se fier à la bonne volonté du clergé. Si jamais un prêtre serait expulsé de son clergé, il n'aurait pas droit à l'assurance-emploi; ce serait comme un travailleur autonome qui n'a plus de travail.

Ça semble un peu drastique, mais c'est la seule façon de concilier l'existence d'une entité qui maintient des pratiques allant aussi ouvertement à l'encontre des valeurs élémentaires de notre État. Et en même temps, ça serait comme un incitatif pour les institutions religieuses afin de les pousser à moderniser certaines de leurs façons de faire. Par ailleurs, il y aurait aussi des avantages pour celles qui choisiraient de ne pas s'enregistrer. Exemple, quand un clerc est accusé de propagande haineuse ou de pédophilie, ce serait lui en tant qu'individu qui serait poursuivit tandis que le reste de l'organisation, puisqu'elle n'existerait pas, n'en serait pas éclaboussée.

Évidemment, je trouve personnellement qu'il est aberrant que l'on tolère de nos jours des pratiques comme le fait de refuser d'engager une femme comme prêtre. Mais, on ne peut pas non plus forcer les choses, surtout au sein d'une institution qui tire sa légitimité de la tradition et de son infaillibilité. Ma proposition ici me semble un compromis raisonnable. Comme je disais, tant qu'il y aura des pratiquants, il va nous falloir s'accommoder de l'existence des organisations religieuses. Mais j'attends avec impatience le jour où chacun aura ses croyances personnelles, sans avoir d'allégeance envers un clergé.

Faire sa part

Je vous cite de mémoire une sorte de conte que j'ai lu quelque part. Il me semble que c'est une fable amérindienne. Brièvement c'est:

Un terrible incendie ravageait la forêt. Tous les animaux s'enfuirent de l'autre côté de la rivière. Sauf le colibri. Il plongea dans la rivière pour se gaver d'eau, puis survola le brasier pour y recracher les quelques gouttes qu'il avait pu transporter, avec le vain espoir d'éteindre les flammes. Il répéta cette manœuvre à plusieurs reprises, tandis que les autres animaux le regardaient avec moquerie.
«Mais qu'essaies-tu donc de faire?» lui demanda l'orignal. «Tu vois bien que tes efforts ne servent à rien!»
«Peut-être…» lui répondît-il. «Mais moi au moins je fais ma part.»

Cette histoire m'a fait réfléchir. Au début, je trouvais moi aussi le colibri stupide. Concrètement, ses actions n'apportent aucune conséquence positive et ne sont donc que des efforts inutiles. Même après sa justification, comme quoi il «fait sa part» je trouvais cela tout de même absurde puisque cela n'apporte quelque chose qu'à lui-même; il recherche la satisfaction dans l'accomplissement d'une tâche vaine en se valorisant d'être le seul qui a essayé de lutter plutôt que de fuir. Ainsi, selon mon paradigme utilitariste, j'étais en désaccord, à prime abord, avec la morale de cette fable. Ce n'était qu'orgueil, à mes yeux, que d'agir inutilement pour se glorifier d'être un individu honorable.

C'est en y repensant plus tard que je me suis dis que si les conséquences immédiates des actions du colibri semblent les rendre futiles, elles auraient pu avoir des conséquences indirectes bien positives. Si tous les animaux avaient aidé le colibri en jetant sur les flammes autant d'eau qu'ils le pouvaient, leur forêt aurait pu être partiellement sauvée. Tout ce que le colibri pouvait donc faire, c'était prêcher par l'exemple et si tous les autres l'avaient imité, ses gouttes d'eau auraient fait partie d'une somme d'eau qui elle aurait eu un impact.

Ça m'a amené à penser qu'il y a plusieurs situations dans la vie où les actions d'une personne n'ont absolument aucune conséquence si elle est la seule à agir, mais nécessitent qu'une quantité significative de gens agissent de même pour avoir du sens. Par exemple:
  • Recycler,
  • Manger végétarien,
  • Boycotter un produit,
  • Voter pour un parti politique autre que l'un des deux au pouvoir,
  • Participer à une marche, à une manifestation ou à une pétition,
  • Faire un modeste don à une œuvre de charité,

Dans toutes ces situations, on peut arguer à juste titre que le fait qu'une personne donnée participe ou non a très peu d'influence sur le résultat final. Que la cause ait beaucoup ou très peu de supporteurs, un de plus ou moins ne changera pas grand-chose. Ainsi, plusieurs personnes ayant à cœur les objectifs d'une cause, mais n'étant pas certains de vouloir participer, se justifieront à eux-mêmes leur laxisme en se disant «Il y a déjà assez de gens qui participent, alors même si je participais aussi ça ne changerait rien» ou «Il y a si peu de gens qui participent, donc même si je participais aussi ça ne donnerait rien». Moi-même je fais souvent ça.

Je pense que la question que l'on devrait tous se poser dans ce genre de situation, c'est: Si tout le monde faisait comme moi, qu'est-ce qui se passerait? Si tout ceux qui contribuent à une cause décidaient d'abandonner en prenant pour acquis que tous les autres contribueront pour eux, la cause mourra. Si, à l'inverse, absolument tous les gens qui croient ne serait-ce qu'un peu à la cause décidaient de faire leur part, nous gagnerions notre cause. Par exemple, ça m'agace tellement quand quelqu'un vote pour un vieux parti corrompu en disant: «Bah, de toute façon, c'est sûr que c'est lui ou l'autre tout aussi corrompu qui va gagner…» Non. À chaque élection, tous les partis repartent à zéro. Si c'est toujours les mêmes qui gagnent, c'est justement parce que trop de gens se font ce même raisonnement absurde.

Bref, même quand notre pouvoir en tant qu'individu est nul si on est seul à agir, je pense que l'on doit tout de même faire notre part. Non seulement parce que c'est le seul pouvoir que l'on a, mais aussi parce que ça peut réellement faire une différence si l'on est plusieurs à agir, et qu'en nous comportant ainsi, nous prêchons par l'exemple ce qui incitera davantage de gens à se joindre à la cause. Pour moi quelqu'un qui ne fait rien du tout contre un problème, fait partie du problème et perd complètement son droit de chialer contre le problème en question.

dimanche 19 mai 2013

Contre la peine de mort

J'ai lu récemment dans La Presse que, selon un sondage, la majorité des Québécois seraient en faveur du retour de la peine de mort. J'en ai été fort déçu. Qu'elle soit encore pratiquée dans quelques pays barbares, comme les États-Unis par exemple, c'est une chose. Mais que les gens d'une société soi-disant progressiste soient majoritairement pour, c'est décevant.

Il y a plusieurs excellentes raisons d'être contre la peine de mort. L'une qui est souvent invoquée est le caractère irréversible de la peine et la possibilité d'erreur judiciaire. Cet argument ne me séduit pas tant. Une erreur judiciaire est toujours grave et une sanction n'est jamais totalement réversible. On peut remettre en liberté celui qui a été injustement condamné à la prison à vie, et lui fournir un dédommagement monétaire pour ses années d'incarcérations, mais on ne peut pas lui rendre les années de vie qu'il a perdues. Ce n'est donc pas pour ça que je suis contre la peine de mort.

Ce qui m'agace le plus, en fait, c'est que l'État se place «au-dessus» de la justice lorsqu'il exécute un criminel. En effet, puisque tuer est illégal, autoriser l'État à tuer c'est lui permettre d'outrepasser les principes même qu'il nous impose. C'est faire au criminel précisément ce qu'on lui reproche. Je suis conscient que dans un paradigme de justice plus primitif, «tuer un tueur» est une façon de rétablir l'équilibre, mais à mes yeux c'est surtout une flagrante incohérence.

Pour moi, comme je l'ai dit dans ma réflexion sur la justice, la seule souffrance qu'il soit légitime d'imposer à un criminel lors d'une sanction, est la souffrance minimale requise pour qu'il cesse d'être lui-même une source de souffrance pour autrui. Ainsi, tuer ne se justifie qu'en cas de légitime défense; qu'on soit un citoyen ou l'État. L'action d'exécuter un criminel répond-elle aux critères requis pour être qualifiée de légitime défense? Pas du tout. Ce serait l'équivalent de tuer une personne qui nous menace, dans une situation où l'on aurait pu très facilement la désarmer et l'immobiliser.

Il paraîtrait également que, dans les pays pratiquants la peine de mort, les familles des victimes peuvent assister à l'exécution du criminel (et pourquoi pas le mettre dans une arène avec des lions tant qu'à ça…). C'est donc, clairement, que l'exécution s'inscrit dans un paradigme de vengeance plutôt que de prévention du crime. C'est dépassé. Tuer une personne n'effacera pas les conséquences de ses crimes. On ne peut pas extraire la vie du criminel pour la réinjecter dans le cadavre de sa victime afin de la ressusciter. La sanction devrait donc toujours être tournée vers l'avenir: prévenir les crimes futures et non venger ceux du passé.

On va me dire parfois: «Si ta fille se faisait violer et tuer, tu voudrais que le coupable meure!» Évidemment que je voudrais qu'il meure. Sans doute voudrais-je aussi le tuer moi-même, après lui avoir infliger d'atroces souffrances, comme dans ce film. Mais serais-je dans un état d'esprit approprié pour prendre une décision calme et éclairée? Bien sûr que non. Je serais beaucoup trop impliqué émotionnellement dans la situation. Ce n'est pas ce genre de pulsions vengeresses et haineuses qui devraient servir de piliers à notre système de justice.

Le seul argument pro-peine de mort que je trouve pas si pire est l'argument économique. Comme quoi que de financer les prisons coûte cher, donc que pour alléger leur fardeau, il vaudrait mieux euthanasier quelques-uns de leurs pensionnaires... À cela je réponds qu'il serait moins coûteux d'investir dans des programmes sociaux faisant en sorte que moins de gens ne grandissent dans un environnement malsain propice à faire d'eux des criminels. Mais je serais également en faveur de rentabiliser les prisons en faisant travailler les détenus. À condition, bien sûr, qu'on leur donne des conditions de travail semblables à celles d'un travailleur libre. Que la prison coûte cher à financer est sans doute un problème, mais il y a à cela des solutions moins drastiques que de tuer des gens.

Bref, arrêtez d'être pour la peine de mort. Sérieusement. Soyez meilleurs que les criminels que vous vous permettez si facilement de juger.