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dimanche 2 juin 2013

Les difficultés de l'utilitarisme

À la base, l'éthique utilitariste que je défends est assez simple. Il s'agit de maximiser l'indice de bonheur, de choisir l'option qui rendra autrui le plus heureux possible. On peut se représenter l'Autre comme une sorte de «jauge» nous disant où se situe son niveau de bonheur:


C'est donc très simple. Si je commets une action qui fait baisser cette jauge, j'agis mal, si je la fais monter, je suis gentil. Mais des difficultés peuvent survenir dès que la situation ne peut plus se modéliser de manière aussi simpliste, ce qui peut entraîner des désaccords entre les utilitaristes. Dans mon modèle de «jauge du bonheur», elles se classent dans deux catégories:
  • S'il y a plus d'une jauge à considérer, c'est-à-dire s'il y a plusieurs individus affectés différemment par mon action.
  • Si mon action modifie le nombre de jauges plutôt que le niveau de bonheur d'une jauge. Par exemple, si je tue un individu je ne le rends pas malheureux; sa jauge ne baisse pas mais disparaît.

Ces cas offrent plusieurs possibilités. Devrais-je additionner tous les individus de l'univers en une seule et même jauge? Devrais-je favoriser l'action qui causerait le plus grand bonheur à un individu spécifique? Devrais-je répartir ce bonheur sur le plus grand nombre d'individus possibles? Ou devrais-je plutôt m'assurer que tous ait, minimalement, un niveau acceptable de bonheur?

La tendance générale, chez les autres utilitaristes, sera de consolider toutes les jauges en une unique jauge – soit en les additionnant, soit en faisant une moyenne – ce qui implique que l'on peut sacrifier un individu donné pour le bénéfice de plusieurs, conclusion souvent contre-intuitive et critiquée par les adeptes d'éthiques déontologistes. Ma position est différente. Dans mon modèle, je considère que ce «bonheur de l'univers» est une pure construction de l'esprit – au même titre que l'honneur ou la souillure – puisqu'elle ne représente aucun individu réel. Ce fictif «monstre d'utilité» ne devrait pas avoir plus de droits que les individus, qui eux existent vraiment. En fait, la raison même qui m'a fait privilégier l'utilitarisme sur ses rivales, c'est parce qu'elle ne s'appuie que sur des choses terre-à-terre, mais en l'agrémentant d'un «bonheur du plus grand nombre», elle perd cet avantage.

Ce que je prône, si l'on s'en tient à ma modélisation de l'éthique sous forme de jauges, serait de ne pas additionner les jauges et de considérer celles qui n'existent pas ou plus comme étant à zéro (c'est-à-dire «neutres», ni heureuses ni malheureuses). Concrètement, ça se résumerait à:
  • Lorsqu'il y a plusieurs jauges (donc plusieurs individus) affectées par mon action ou mon inaction consciente, je dois favoriser le résultat qui permettra de répartir le bonheur de façon à ce que tous soient au-dessus du seuil de contentement, plutôt que le résultat qui donnerait une somme de bonheur supérieure. C'est ce que j'exprimais dans ma réflexion sur l'éthique sur le nombre.
  • Lorsque mon action pourrait faire disparaître une jauge existante (c'est-à-dire, tuerait quelqu'un), je dois considérer que je retirerais à cet individu le bonheur et la souffrance qui lui resterait à vivre si je ne le tuais pas (et que «retirer un bonheur» équivaut à «donner une souffrance» et inversement). Je dois aussi considérer que contrarier son désir de continuer à vivre ou de mourir est une souffrance. Ainsi, commettre un meurtre est répréhensible mais euthanasier une personne en phase terminale d'une maladie douloureuse et qui désire qu'on l'aide à mettre fin à ses jours, ne l'est pas.
  • Lorsque mon action fait apparaître une nouvelle jauge (par exemple, si je donne naissance à quelqu'un), cela ne constitue en soi ni un bien ni un mal, puisque celui qui n'existe pas ne souffre pas de son état et ne désir pas venir à l'existence. De plus, en amenant autrui à l'existence contre son gré (forcément!), je m'engage tacitement à faire tout ce qui est en mon pouvoir pour que le bonheur domine la souffrance dans sa vie, de sorte que je le fasse passer de «neutre» (inexistant) à «heureux».
  • Lorsque mon action empêche une potentielle nouvelle jauge d'exister (par exemple, si j'avorte ou que j'utilise la contraception), cela ne constitue en soi ni un bien ni un mal, puisque celui qui n'existe pas ne souffre pas de son état et ne désir pas venir à l'existence. De plus, empêcher une nouvelle jauge de naître (donc l'équivalent de laisser à zéro une jauge de zéro) est un acte éthiquement supérieur à celui de générer une nouvelle jauge dans laquelle la souffrance dominera sur le bonheur (donc, faire tomber dans les négatifs une jauge qui était à zéro). C'est ce que j'exprimais dans mes réflexions sur le futur et sur l'eugénisme.

Bref, bien que mon éthique soit clairement utilitariste, elle a ses propres manières de résoudre les difficultés de ce paradigme moral. Ainsi, pour la distinguer de ses sœurs, je qualifie mon éthique d'utilitarisme individualiste, puisque je focalise sur l'individu et non sur le groupe ou sur la somme des individus.

dimanche 25 novembre 2012

Les droits du fœtus

Récemment, les Conservateurs ont tenté de rouvrir le débat sur l'avortement en créant un comité pour discuter du statut légal du fœtus. L'idée d'un tel comité ne me dérange pas en soi, ce qui me dérange c'est qu'il soit composé de conservateurs. Un des problèmes, je pense, dans ce débat est la définition du concept d'«humain» que l'on ne dissocie pas suffisamment, voire pas du tout, de celui de «personne». L'autre problème sont les droits que l'on considère inhérents à cette catégorie.

J'ai brièvement abordé la question des droits des embryons et fœtus dans ma réflexion sur l'avortement. J'y disais qu'avant un certain stade de la grossesse, il était absurde de donner à l'embryon plus de droits qu'à une plante. S'il n'a pas encore de système nerveux actif, il ne s'agit pas d'un être et il est par conséquent absurde et anthropomorphiste de lui accorder des droits. J'ajoutais toutefois un bémol en disant que, puisqu'à la veille de l'accouchement, l'enfant n'est pas bien différent de ce qu'il sera au lendemain de sa naissance, il était arbitraire d'y placer là une limite bien tranchée lors de laquelle il passe spontanément du statut d'objet à celui de personne. On tolère qu'une personne en tue une autre seulement si c'est un cas de légitime défense ou si c'est un soldat qui tue un soldat ennemi à la guerre. Or le fœtus n'est pas une personne, ni un objet. Ce serait plutôt comme une sorte de bestiole ou de bête primitive mais qui aurait le potentiel de se transformer en personne. Donc, quels droits devrait avoir un fœtus à partir de la date limite légale pour l'avortement – ce que l'on pourrait appeler l'individuation – et la naissance?

En fait, à ce stade, je donnerais au fœtus un statut juridique qui lui serait propre. Quelque chose qui le distinguerait du simple objet mais qui ne lui conférerait pas pour autant le statut de personne, même s'il est indubitablement humain (comme l'est un cadavre ou un humain en état de mort cérébral). Je me dis donc qu'avant ce point de la grossesse, la porteuse devrait être libre d'avorter sans avoir à rendre de compte, tandis qu'après elle devrait donner une raison et que plus la grossesse est avancée, plus la raison devrait être grave. Ce qu'il faudrait établir c'est une énumération des différents conflits d'intérêts pouvant survenir entre un fœtus et sa porteuse, puis dans quelle situation les intérêts de cette dernière l'autoriseraient à avorter aussi tardivement.

Imaginons qu'un problème médical grave survienne durant la grossesse et nous force à choisir entre la vie de la mère et celle du fœtus. Dans ce genre de situation, la grande majorité d'entre nous ferait passer la vie de la mère avant celle de son futur enfant. Mais plus les risques de complications médicales pour la mère seront faibles, moins il est bien vu qu'elle avorte. Prenons une situation différente. Imaginons que le fœtus se fasse diagnostiquer une maladie faisant en sorte qu'il n'aura jamais d'autonomie, disons un lourd handicap physique ou mental. Accepterions-nous un avortement tardif? Considérant le fardeau que cela risque d'apporter aux parents pour toute leur vie, je considère que ce serait éthiquement correct de les laisser avorter. Mais, la question est beaucoup moins tranchée. Finalement, si la porteuse veut avorter tardivement parce qu'elle n'est plus sûre en fin de compte de vouloir être mère, on le lui refuse généralement.

Tout cela est déjà pas mal comme ça, mais je ne pense pas que le fœtus n'ait pour autant de statut légal spécifique. Le fœtus n'est pas vraiment considéré comme un être pourvu de droits. Dans notre conception des choses, on ne fait pas vraiment de gradation entre une personne et un objet. Pourtant, la démarcation n'est pas si nette, tout est en continuum. Ainsi, il m'apparaît important de créer des catégories juridiques intermédiaires* pour être en cohérence avec la réalité.

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 * De la même façon, il m'apparaît pertinent et nécessaire de créer une catégorie juridique pour l'animal.

samedi 19 mars 2011

Les droits du père

Il y a eu récemment une discussion à propos de l'avortement sur un forum que je fréquente. Je vous ai déjà entretenu de mon opinion sur l'avortement; ce n'est donc pas de cela dont je vais vous parler ici. C'est qu'il y a un élément qui est arrivé dans la conversation qui a retenu mon attention. Il s'agit du fait que la mère a le pouvoir unilatéral de choisir si elle avorte ou si elle amène la grossesse à terme, tandis que le père n'a pas son mot à dire et doit assumer les conséquences du choix de sa compagne quel qu'il soit. C'est une problématique compliquée. D'un côté, c'est vrai que c'est logique mais d'un autre, c'est vrai que c'est injuste.

En fait, le problème ici tourne autour de la reconnaissance de la paternité. Je trouve que notre culture accorde trop d'importance au «lien du sang» dans sa façon de définir la parentalité. Pour moi le parent est davantage le tuteur que le géniteur. Mais il est vrai que cela pose problème pour savoir qui est le «propriétaire» d'un embryon, puisqu'à ce stade il ne peut avoir de «parents» au sens de «personnes qui l'élèvent». Il faudrait donc se demander comment attribuer ce statut.

À la base, je dirais que la personne qui porte un embryon devrait avoir la pleine souveraineté sur celui-ci (c'est-à-dire, pouvoir décider d'avorter ou non) et être considérée comme son parent une fois l'enfant mis au monde, et ce même si cette personne n'est pas la génitrice de l'enfant (elle pourrait avoir eu recours à un don d'ovule). Ce serait la situation «par défaut» mais je propose qu'elle puisse être modifiée via un «contrat parental» ou lorsque la personne a été jugée inapte à élever des enfants.

Je me dis que si c'est à la personne qui porte l'enfant que revient le choix de mener la grossesse à terme ou d'avorter, le père de son côté, s'il ne peut pas forcer la mère à avorter ou à garder l'enfant, devrait pouvoir choisir de ne pas être légalement le père s'il ne veut pas d'enfant. En fait, il faudrait éviter qu'une femme puisse contraindre un homme à devenir père s'il ne le veut pas, tout en évitant qu'un homme puisse laisser croire à une femme qu'il va s'occuper de l'enfant puis fuir ses responsabilités à la dernière minute.

C'est pour cette raison que je me dis qu'il devrait exister un genre de contrat entre les parents pour se signifier mutuellement qu'ils partageront les responsabilités parentales. Et, que ce contrat devrait être signé avant la date limite légale pour l'avortement (il pourrait même être signé avant la conception… disons jusqu'à un an avant la naissance). De cette façon, tout est clair pour tout le monde et personne ne peut fuir ses responsabilités ni en imposer à l'autre contre son gré. Si la mère sait qu'elle devra élever son enfant en monoparentale avant qu'il ne soit trop tard pour avorter, son choix de mener la grossesse à terme est plus éclairé que si son partenaire change d'idée deux jours avant l'accouchement. Une fois que ce contrat est signé, il ne serait plus permis pour la mère d'avorter sans l'accord du père (car l'enfant est dès lors celui des deux parents et plus seulement celui de la mère) à moins que sa propre santé ne soit compromise.

Je vois d'autres avantages secondaires à une telle mesure. Par exemple, on règle la question de la paternité une bonne fois pour toute. Le père est celui qui a signé cette entente avec la mère, et ce même si l'on découvre plus tard que le géniteur est un autre homme avec qui la mère a eu une aventure. Quoique cela pourrait peut-être être contrariant pour certains… Peut-être devrait-on intégrer une clause à ce contrat parental qui permettrait de le résilier suite à un résultat négatif à un test génétique de paternité. Mais je mettrais une date limite pour qu'interviennent ce genre de considérations biologiques. Disons que dès que l'enfant a un an, les tests génétiques ne pourraient plus annuler le contrat parental. À l'inverse, un géniteur ou une donneuse d'ovule qui aurait été écarté par la mère du contrat parental mais qui voudrait avoir des droits sur l'enfant, aurait lui aussi jusqu'au premier anniversaire de l'enfant pour que la génétique soit un argument valable en sa faveur. La logique serait qu'un bébé de moins d'un an est peut-être trop jeune pour que quelqu'un prétende «l'avoir élevé» et utilise cet argument pour s'en déclarer le parent; d'où la pertinence de faire intervenir un autre critère tel que la filiation génétique.

Un autre avantage c'est que ce contrat permettrait de régulariser le travail des mères-porteuses. Elles pourraient utiliser une version particulière de ce contrat pour renoncer complètement à leurs droits sur l'embryon (le droit parental par défaut revenant à la porteuse et non à celle qui fournit l'ovule) aux profits des parents pour qui elles travaillent. De la même façon, une personne qui voudrait donner son enfant en adoption à un couple de qui elle est proche et en qui elle a confiance pourrait procéder de la même manière.

Cela permettrait également de faciliter les choses pour les couples homoparentaux. Par exemple, dans un couple de femmes, celle des deux qui ne porte pas l'enfant aurait ici le même statut que le père, c'est-à-dire un second parent que le parent par défaut (la porteuse) reconnaît comme tel. On pourrait également permettre la polyparentalité si l'on autorise la porteuse à donner à plus d'une personne le titre de parent.

Mais bon, c'est une proposition en l'air comme ça. Honnêtement je parle pas mal à travers mon chapeau ici puisque, avant d'écrire ça, je n'ai même pas pris la peine de savoir comme ça fonctionne actuellement. Il se peut que les droits parentaux soient déjà attribués de manière tout à fait correcte.

lundi 21 septembre 2009

La phobie de l'eugénisme

Dans le cadre de mon travail, j'ai feuilleté un livre écrit par un prêtre qui parlait du fait que l'on avortait systématiquement les fœtus atteint de trisomie-21 et qui qualifiait de cette pratique de «génocide»! J'ai l'impression que notre culture a vraiment trop été traumatisée par la deuxième guerre mondiale, au point que l'on ne peut même plus dialoguer sur aucune forme d'eugénisme, aussi modérée et inoffensive soit-elle, sans que notre interlocuteur ne se mette à gagner des points Godwin. Ce qu'il y avait de monstrueux dans les actes d'Hitler, ce n'est pas qu'il voulait «purifier» l'espèce, c'est qu'il a fait tuer des millions de personnes.

Personnellement, je pense que prendre des mesures pour réduire la propagation d'une maladie, et éventuellement l'enrayer, n'est pas un crime; que cette maladie soit infectieuse ou génétique. C'est comme si l'on qualifiait de «génocide du peuple sidéen» le fait de vouloir éviter la propagation du sida.

Évidemment, je comprends la nuance : avorter systématiquement les futurs trisomiques est perçu comme le meurtre de personnes potentielles. Mais comme je l'ai dis dans ma réflexion sur l'avortement et dans celle sur nos devoirs envers les générations futures, je considère que l'on ne doit rien à un être qui n'existe pas et qui n'existera jamais. Par conséquent, si j'avorte une personne potentielle parce qu'elle aurait eu un handicap ou pour tout autre mobile, je ne commets pas de faute envers elle. Par ailleurs, si l'on étudie les deux alternatives suivantes :
  • A – J'engendre un enfant atteint d'une maladie génétique très grave et je l'appelle Pierre;
  • B – J'avorte mon embryon atteint d'une maladie génétique très grave et, pour le remplacer, j'en conçois un nouveau que j'appelle Jacques;
On se rend compte que si l'alternative B fait en sorte que Pierre n'existera jamais, l'alternative A empêche l'existence de Jacques. Donc pourquoi B serait-il un meurtre mais pas A?

Si nous n'avons pas pour devoir d'amener à l'existence ou non une personne donnée, je considère nous avons pour devoir de rendre son existence agréable. En conséquence, et même si ça peut sembler paradoxal, il est de notre devoir d'éviter de mener une grossesse à terme si l'embryon est trop susceptible d'avoir une maladie génétique quelconque qui l'empêcherait considérablement de jouir de la vie.

Il est évident que l'on ne peut toutefois pas agir ainsi avec toutes les maladies génétiques. Une qui serait trop bénigne ou trop répandue, comme la myopie par exemple, ne peut pas possiblement être enrayée sans que l'on se prive du même coup d'une bonne part de notre biodiversité. C'est d'ailleurs sur ce point que devrait porter le débat. On devrait méditer sur la question suivante :
«À quelle point une maladie génétique doit-elle être grave et/ou doit-elle avoir de chances de se manifester pour qu'il vaille la peine qu'on en fasse un décryptage prénatal systématique et qu'on avise les géniteurs de sa présence avant la date limite légale pour l'avortement?»

Mais bloquer notre raisonnement en amont à cause d'un tabou irrationnel envers tout ce qui pourrait se retrouver sous le label de «eugénisme» n'est pas une solution. De toute façon, il faudra nous poser cette question un jour ou l'autre.

samedi 20 juin 2009

Nos devoirs pour les gens de demain

Je pense que la plupart conviendront avec moi du fait que nous avons des devoirs envers les générations futures, même envers celles qui ne sont pas encore nées. Comme nos actions d'aujourd'hui affectent le bonheur et la souffrance des gens de demain, nous sommes éthiquement tenu de considérer ce bonheur et cette souffrance dans nos choix éthiques, même si notre estimation des conséquences à très long terme est moins certaines. Par exemple, abîmer l'équilibre des écosystèmes ne peut être justifié par l'argument «Les conséquences de ces actes n'auront d'impact que sur des gens qui n'existent pas encore et l'on n'a aucun devoir envers des êtres inexistants» car, bien que l'on n'a effectivement aucun devoir envers un être qui n'existera jamais (et qui, par conséquent, n'est pas un être), je pense que nous en avons envers ceux qui existeront bel et bien.

Le temps est une dimension, par conséquent le futur peut être traité comme un «lieu» lointain sur l'axe temporel. Imaginons que nous avons deux villages voisins qui se nomment «Aujourd'hui» et «Dans-cent-ans». Il y a une rivière qui irrigue les deux villages, Aujourd'hui est en amont et Dans-cent-ans en aval. Si les villageois de Aujourd'hui jettent leurs déchets à l'eau, cela aura un impact sur les habitants de Dans-cent-ans qui utilisent cette même eau pour s'abreuver et se laver. Cette analogie qui transpose une distance temporelle en une distance spatiale nous permet de prendre conscience que les gens du futur existent… mais dans le futur seulement. Cela ne leur enlève pas le droit au bonheur. Bien sûr, on ne peut pas cerner d'individus particuliers dans le lot, mais on se doute de l'existence d'une population humaine dans cette zone de l'espace-temps. C'est comme si les habitants de Aujourd'hui ne connaissaient personne à Dans-cent-ans mais qu'ils savaient tout de même, en voyant ses lumières s'allumer le soir à l'horizon, que le village est habité.

Mais si j'avorte l'embryon que je porte, j'empêche un humain potentiel de venir au monde, alors est-ce un meurtre? Est-ce que c'est comme de porter préjudice à l'un des habitants du village de Dans-cent-ans? Pas du tout. Puisque, empêcher un être potentiel de venir au monde fait en sorte que cet être n'habite pas le futur. Donc, non seulement il n'existe pas en ce moment en tant qu'être, mais il n'existera jamais. C'est comme si l'un des habitants du village de Aujourd'hui était accusé par ses concitoyens d'avoir assassiné et dissimulé le cadavre d'un homme originaire de Dans-cent-ans, mais que personne dans le village de Dans-cent-ans n'ait été porté disparu. C'est contre-intuitif mais «s'abstenir de créer un être» n'équivaut pas à «détruire un être». Il y a, à chaque instant, des milliers d'êtres potentiels qui pourraient venir au monde mais il est impossible qu'ils viennent tous au monde. Par exemple, si une femme décidait de tomber enceinte ce mois-ci, elle n'engendrait pas la même personne qu'elle aurait engendrée si elle avait attendu un mois de plus avant de se faire féconder. Je ne pense pas qu'amener à l'existence un individu particulier, parmi le pool des inexistants, soit un devoir moral envers cet individu.

samedi 21 mars 2009

L'avortement

Aux États-Unis et dans le Canada anglophone, les obscurantistes religieux continuent de s'opposer farouchement à l'avortement qu'ils perçoivent comme «le meurtre d'un bébé», et font des campagnes de propagandes et d'intimidations en se donnant le nom de «pro-vie» (bien que ces mêmes gens soient très souvent en faveur de la peine de mort). Étant un humaniste éclairé, je n'ai bien sûr aucune opposition face à l'avortement. Cette pratique est pour moi une forme de contraception tardive et fait donc partie des acquis de la révolution sexuelle.

La question «Est-ce un humain?» ne me semble ni scientifique, ni pertinente pour se demander si un embryon «a des droits». L'humanité n'est, finalement, qu'une catégorie arbitraire. On devrait plutôt se demander s'il peut souffrir, s'il désire survivre et s'il a une conscience d'être. Le moment de la grossesse où il acquiert ces facultés - que l'on pourrait appeler «la naissance cérébrale» ou l'individuation* - me semble le seul qui ne soit pas arbitraire pour définir à partir de quand l'embryon passe du statut de chose à celui d'être; donc le point où l'on devrait fixer la date limite légale pour l'avortement. Avant cela, il n'est qu'un amas de cellules sans conscience. La naissance, quant à elle, me semble arbitraire comme stade du développement considérant que le foetus à la veille de l'accouchement n'est pas bien différent de ce qu'il est une fois né.

Certains sont pour l'avortement mais «avec modération». Comme si cet acte était un mal mais un mal minuscule, et donc que le cumul de plusieurs avortements constituait un mal suffisant pour être répréhensible. Pour ma part, je ne vois strictement rien de mal dans le fait d'interrompre une grossesse à un stade où l'embryon n'a pas plus d'activité cérébrale qu'une fougère (c'est-à-dire, aucune). Pour qu'il y ait du mal, il doit y avoir de la souffrance, et pour qu'il y ait de la souffrance ça prend un système nerveux actif ce que ce proto-humain ne possède pas. Peu importe ce que l'embryon aurait pu devenir, présentement il n'est qu'un amas de cellules dépourvu de conscience et doit être traité comme tel.

Et c'est encore plus vrai si je l'avorte, car cela veut dire que l'état embryonnaire dans lequel il se trouve constituera l'intégral de son existence et donc qu'aucune conscience n'habitera jamais ce morceau de viande. Si je choisissais, par exemple, de mutiler un embryon, on pourrait toujours me dire que ce n'est pas mal pour lui (puiqu'il n'a pas encore de conscience) mais que c'est porter préjudice à la personne qu'il deviendra (puisqu'elle souffrira des conséquences de mon action). Mais si j'élimine un embryon acéphal, je ne porte préjudice à aucune conscience présente (puisqu'il n'en n'a pas encore) ni future (puisqu'il n'en aura jamais). Nous n'avons aucun devoir envers celui qui n'existera jamais. C'est pourquoi, je considère que l'avortement n'est pas plus mal que la contraception ou l'abstinence sexuelle; c'est simplement une interruption du processus de création d'humains, à un stade différent, mais précédent l'émergence de la conscience. J'entends souvent des arguments terriblement fallacieux tels que : «Imagine si tes parents avaient choisi de t'avorter, tu n'aurais jamais existé!» Et s'ils avaient choisi de ne pas copuler le soir de ma conception, je n'aurais jamais existé non plus... mais personne ne dira pour autant que l'abstinence sexuelle est un meurtre.

La seule objection que je verrais c'est que ça finirait par coûter cher à la société si l'avortement est toujours financé par l'assurance-maladie. Pour cette raison, responsabiliser les gens par rapport à ça, afin d'éviter qu'il ne soit utiliser comme un substitut à la contraception, serait pertinent. Par exemple, si l'État n'offrait gratuitement que les avortements d'embryons issus d'un viol ou portés par une mineure, et que les autres avortements seraient aux frais de la génitrice (ou, disons, que l'on accorderait un avortement gratuit par personne), je ne vois pas où serait le mal.

Bien sûr, si je violente une femme enceinte dans le but de détruire le fœtus qu'elle porte, je commets un geste répréhensible. Toutefois, pour moi ce geste ne porte préjudice qu'à la femme et non à l'embryon puisqu'il n'est pas encore un être. On pourrait considérer ça comme un crime traumatisant au même titre qu'un viol, mais ce n'est en aucun cas un meurtre.



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* Je trouve important d'introduire un nom court pour désigner ce stade. C'est plus pratique que de dire à chaque fois quelque chose comme «date limite légale pour l'avortement» et ça permettrait à ce moment clé de prendre de l'importance dans l'imaginaire collectif et d'y rivaliser avec la naissance et la conception.