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samedi 29 octobre 2016

Procès animalier

On en a suffisamment entendu parler, je vous l’accorde. Mais je voulais profiter du fait que le sujet commence à s’épuiser pour vous exprimer mon opinion sur la situation des pitbulls. Je m’excuse d’avance pour ceux qui sont tannés. J’ai d’autres billets peut-être plus intéressants qui s’en viennent. On va dire que j’ai attendu à la toute fin pour discuter de cette opinion justement parce que je voulais être certain d’avoir bien entendu tous les points de vue. Afin d’y voir plus clair, décortiquons un peu la problématique. Différents droits y sont impliqués:
  • La sécurité des gens;
  • Le désir de choisir un pitbull comme animal de compagnie (plutôt qu’une autre sorte de chien);
  • Le droit d’aimer et de vouloir conserver un animal de compagnie qu’on a déjà (et qui s’adonne à être pitbull);
  • Les droits des pitbulls eux-mêmes (d’être vivant, de se promener dehors, de ne pas être muselé, etc.);
  • Le désir de préserver la souche pitbull pour des raisons patrimoniales ou écologiques.

Lorsqu’il est question des droits des animaux, puisque c’est un sujet sur lequel nous ne sommes tous malheureusement pas encore d’accord, je dis souvent que l’on pourrait au moins reconnaître les droits des humains par rapport à ça. Dans ce cas-ci par exemple, on peut reconnaître que certaines personnes aiment leurs animaux de compagnie et qu’ils sont importants pour eux. On peut aussi reconnaître que certains veulent vraiment se doter d’un pitbull. Donc, si on se contente de mettre dans les balances ces deux droits là, versus le droit du reste des gens d’être protégés contre un animal présumément dangereux…

Mais avant de poursuivre, je me dois de faire une digression par rapport à la dangerosité des pitbulls. Les informations qui nous ont été fournies à ce propos sont-elles réellement suffisantes et fiables? Les données disent-elles ce qu’on prétend leur faire dire? Des facteurs comme, par exemple, le fait que ce type de chiens est plus souvent choisi par certains types de personnes qui sont elles-mêmes plus enclines à le maltraiter ou l’entraîner comme chien de garde ou de combat, influencent-ils l’agressivité du chien davantage que ses prédispositions biologiques? Les médias, lorsqu’ils choisissent de documenter une attaque de chien, le font-ils plus souvent lorsque le chien est un pitbull? Et, ne nomment-ils la race du chien que s’il s’adonne à être pitbull? Ont-ils tendance à qualifier un chien de pitbull alors qu'il ne l'est pas? Existe-t-il des études sérieuses sur le sujet? Les utilise-t-on? Les questions de ce genre n’ont, à ma connaissance, pas obtenu les réponses qu’elles méritaient.

Certains s’offusquent lorsque l’on compare cette situation à du racisme, arguant que c’est un terme qui ne peut s’appliquer qu’aux humains et qu’il est offensant ou absurde de l’utiliser pour une situation impliquant des animaux. Et pourtant, l’analogie me semble tout à fait valide (mais c’est probablement parce que je ne crois pas que les humains soient magiques). Nous sommes devant un cas où des gens manifestent de la peur et de la haine envers les membres d’un groupe construit à partir d’une corrélation entre des caractères visibles, des caractères comportementaux et une origine biologique… C’est pratiquement la définition même du racisme. Maintenant, le racisme envers une race de chiens est-il scientifiquement plus valide que celui envers un groupe d’humains? C’est fort possible. C’est-à-dire que, considérant la genèse des races de chiens, les corrélations ainsi présumées risquent d’être plus fortes… mais le raisonnement n’en demeure pas moins fallacieux, et les données scientifiques demeurent lacunaires. Comme j’ai dit, il faudra répondre à certaines questions factuelles avant d’affirmer ce genre de choses. Mais le fait est que, dans sa forme, le raisonnement est exactement le même que celui du racisme envers un groupe humain. Donc la comparaison est loin d’être farfelue.

Donc, supposons -- pour l’exercice de réflexion -- qu’il existe un animal vraiment dangereux dont beaucoup de gens aimeraient faire leur animal de compagnie, que fait-on? Si l’on fait abstraction des droits animaux eux-mêmes et que l’on focalise sur les humains, je dirais que la situation est analogue à celle de quelqu’un qui voudrait porter un kirpan ou avoir une arme à feu chez lui: il nous faut trouver un accommodement raisonnable. Donc les restrictions sur la longueur de la laisse ou le muselage entrent dans cette catégories de mesures: Elles permettent de trouver un compromis pour que l’un puisse avoir ce qu’il veut sans compromettre la sécurité d’autrui.

Mais une différence majeure entre un fusil d’épaule ou un couteau sacré et un animal est que ce dernier est un être sentient. Il a lui-même des besoins qu’il faut inclure dans l’équation avec les besoins de l’humain de l’avoir pour compagnon ou de s’en protéger. Ainsi, si les mesures requises pour éviter que l’animal ne soit dangereux, font en sorte que ce dernier ait alors une qualité de vie inférieure à celle qu’il aurait eu si on l’avait laissé à sa situation initiale (par exemple, s’il s’agit d’un animal exotique, on peut comparer sa vie dans son habitat naturel à celle dans un vivarium) on peut calculer que la chose éthique à faire serait de ne tout simplement pas en faire un animal de compagnie. Et, étant donné que l’on fait une généralité, il faut nous demander aussi si le préjudice qu’il subit en étant présumé dangereux est supérieur à celui subi par les victimes potentielles de sa dangerosité en rapport avec le niveau de probabilité qu’il soit effectivement dangereux, et si l’on ne pourrait pas évaluer individuellement son indice de dangerosité. Bref, si les pitbulls qui attaquent ne représentent qu’une infime minorité des pitbulls et qu’un pitbull spécifique a été évalué par un éthologue comme étant à faible risque d’avoir un comportement dangereux, il n’y a pas lieu de le museler.

Il existe une autre nuance que j’aimerais faire. Si l’on se doit effectivement de ne pas porter préjudice aux êtres sentients qui existent dans le moment présent, nous ne sommes pas tenus de faire naître ceux qui pourraient naître dans un instant futur. Donc si, par exemple, on découvrait que telle souche d’animal de compagnie est effectivement dangereuse, la chose éthique à faire, d’après moi, serait de continuer de bien traiter les individus vivants mais d’empêcher de nouveaux individus d’arriver à l’existence (en stérilisant tous les membres du groupe). Et attention, des mesures prises qui se voulaient aller dans ce sens négligeaient de considérer leurs propres répercussions sur les vivants. Par exemple, d’autoriser ceux qui ont un pitbull à garder leur animal mais d’interdire à quiconque d’en adopter un nouveau n’aura pas d’impact que sur les futurs individus à naître. Les vivants qui se trouvent en ce moment dans des refuges ou chez des éleveurs sont condamnés à mort.

En éthique animale cette idée est appelée l’extinctionnisme. La position selon laquelle la chose éthique à faire avec les animaux d’élevage (et, pour certains, avec tous les animaux) serait d’offrir une belle vie à ceux déjà en vie, mais de mener progressivement ces espèces à l’extinction via une stérilisation systématique. On pourrait arguer que, pour des raisons écologiques ou au nom du patrimoine biologique de la Terre, ce ne serait pas correct, mais ce serait faire fi de l’origine réelle de tous nos animaux d’élevage. Que ce soit les races de chiens, de vaches, de poules ou de porcs, ce sont toutes des créations artificielles. Des créatures forgées par des millénaires de croisements sélectifs jusqu’à ce que l’on obtienne des individus déformés pour mieux répondre à nos besoins mais incapables de survivre par eux-mêmes. Toutes les races de chiens, que ce soit le pitbull, le St-Bernard ou le chihuahua, sont des loups gris qui ont été altérés pour nos désirs esthétiques. Nous n’avons pas pour devoir écologique de préserver ces formes aberrantes. Donc, je ne vois rien de mal à ce que l’on prône l’extinction d’une souche d’élevage, que ce soit les pitbulls ou une autre, en autant que les individus déjà vivants n’en pâtissent pas. Je pourrais toutefois souligner l’arbitraire de la situation s’il n’y aucun argument logique pour éteindre une lignée plutôt qu’une autre.

Voilà. Je vous ai entretenu de mon opinion sur ce sujet parce qu’il impliquait les droits des animaux et que c’est une cause qui me touche, mais je suis bien conscient qu’il doit surtout sa popularité médiatique à un populisme détestable qui gangrène malheureusement notre ignoble classe politique. Les pitbulls ne sont que des boucs-émissaires que nos bons élus diabolisent dans le seul but de nous faire croire qu’eux-mêmes servent à quelque chose. Comme d’habitude, ces individus méprisables fabriquent un problème à partir de faits divers éparses, misant sur la peur et l’ignorance des gens, puis s’érigent en sauveur en nous présentant une solution aussi absurde qu’inutile. Pathétique. Et, en voyant quelle importance médiatique on accorde à ce sujet, je ne peux pas non plus m'empêcher de souligner l'incohérence entre notre souci de l'espèce canine et notre indifférence face au sort des animaux qu'on peut changer en viande. Je pense que l'on va probablement accorder le droit de vote aux chiens avant de reconnaître que les vaches peuvent souffrir.

samedi 30 juillet 2016

Tu me dois la vie

Mise en situation:
Deux vieux amis se promènent en haut d’une falaise. Le premier dit au second:
«Te souviens-tu, mon ami, lorsque tu m’as sauvé la vie il y a trente ans, jour pour jour? Je m'agrippais avec peine, au bord de cette même falaise. Un faux pas m’y avait fait glisser. Mes bras étaient à bout de force et mes pieds ne trouvaient aucun appui sur la paroi rocheuse. Et toi, qui par bonheur passait par là, tu m’as tendu une main salvatrice, m’empêchant ainsi de chuter vers une mort certaine.»

Ce à quoi le second lui répondît:

«Oh je m’en souviens, très certainement. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle je t’ai emmené ici aujourd'hui...»
Et aussitôt, sans prévenir, il pousse son compagnon qui tombe dans le vide et s’écrase violemment en bas de l’abîme empalé sur des rochers pointus.
«Mais tu ne peux m’en vouloir,» poursuit-il comme si son défunt ami pouvait encore l’entendre. «Grâce à moi, tu as vécu trente ans de plus!»

Il m’est venu cette histoire lors d’une discussion avec l’un de mes amis. Vu que je suis végétarien pour des raisons éthiques utilitaristes, il me demandait si j’aurais un problème éthique à manger de la viande si l’animal était bien traité, avec une vie plus longue et de meilleure qualité que s’il avait vécu à l’état sauvage. J’ai déjà discuté de cette question, dans ma parabole de l’ermite affamé et celle du dragon éleveur d’humains, mais j’avais laissé en suspend un dernier point qu’il convient de développer. La question que je voulais soulever, et qui est illustrée dans la petite histoire ci-dessus, est par rapport au fait de tuer quelqu’un qui nous doit la vie.
Puis-je tuer un être à qui j’ai sauvé la vie?
Est-ce que, par exemple, je pourrais considérer l’ensemble de mes interventions sur cet individu et calculer que même si je viens de le tuer, il a au total plus gagné que perdu en interagissant avec moi puisque sa vie aurait été beaucoup plus courte si je ne l’avais pas sauvé au départ? À mon humble avis, on ne devrait pas comptabiliser les choses de cette façon. Chacune de mes interventions sur un individu devrait être évaluée pour elle-même, en mettant dans la balance la façon dont cela affecte ses intérêts et à quel point elle est nécessaire pour les miens. Ainsi, si je n’ai nullement besoin de tuer cet individu -- humain ou animal -- pour poursuivre ma propre existence, alors le fait que je lui ai sauvé la vie par le passé ne change absolument rien. J’ajouterais, à l’inverse, que de ne pas sauver la vie de cet être aurait été éthiquement répréhensible surtout si, comme dans l’histoire ci-haut, cela n’aurait impliqué qu’un effort minime.

Les choses seraient bien sûr différentes dans une situation où je n’aurais pas le choix de tuer l’être en question pour continuer à vivre. Dans ce cas-là, le critère de la nécessité m’aurait autorisé à procéder à cet acte autrement ignoble. Et, d’avoir sauvé la vie de l’être en question au préalable aurait très certainement été une façon d’amoindrir le mal inhérent à une telle action, en apportant quelque chose de positif à ma victime. D'autres facteurs atténuants auraient pu être de lui offrir une mort rapide et indolore, de consacrer des efforts à son bonheur pendant sa vie, et de sélectionner ma proie en prenant l’individu pour qui la mort est un moindre mal pour elle-même (par exemple, quelqu'un à qui il restait peu de temps à vivre) et pour autrui (par exemple, un individu qui faisait du mal autour de lui).

Mais une caractéristique propre à l’élevage doit également être prise en considération. Si je reprends mon histoire du début, des deux amis au bord de la falaise. Supposons que le sauveur/meurtrier, lorsqu'il a vu pour la première fois son comparse qui s’apprêtait à tomber dans le vide, se soit dit:
«Hum, j’ai le pouvoir de le sauver… mais je n’en ai pas envie. J’aimerais tant voir quelqu'un tomber de cette falaise! Ce serait un spectacle rare, inoubliable, auquel je serais chanceux d’assister. Mais j’imagine que ce ne serait pas correct pour ce pauvre bougre… J’ai une idée! Je lui sauve la vie, pour qu’il connaisse quelques années de plus, puis je le ramène ici et je le pousse dans le vide! Comme ça, il aura vécu plus longtemps et moi j’aurai pu assister à la mort d’un homme qui tombe d’une falaise. Tout le monde gagne!»

Vous voyez la différence? Si, au moment d’affecter positivement les intérêts d’un autre, notre motivation est d’ultimement tout lui reprendre, cela veut dire que sans ce mobile sous-jacent on ne serait tout simplement pas venu en aide à cet individu. Ainsi, un éleveur n’aurait aucun intérêt à loger, nourrir et soigner des bêtes si ce n’était pas parce qu’il a l’intention de les abattre à la fin. Donc, dans ce genre de situation spécifique, mes deux actions peuvent alors s’additionner pour en faire le bilan puisqu'elles sont indissociables l’une de l’autre. Mon questionnement éthique devient maintenant:
Puis-je sauver la vie de cet être et le tuer plus tard?
Il va de soi que la réponse varie selon les paramètres exactes de la situation. Il est évident que si sauver cet être nuirait fortement à mes intérêts à moins que je ne le tue plus tard, cela deviendrait tout à fait défendable. Par opposition, si je peux sans trop d’efforts sauver l’être en question, il n’y a rien qui justifie que je fasse de la possibilité de le tuer plus tard un préalable nécessaire pour lui venir en aide maintenant. Comme dans l’histoire de la falaise, le sauveur/meurtrier aurait dû se demander qui y perdrait le plus: lui en n’assistant pas à la mort d’un homme, ou l’homme en mourant. La réponse aurait été évidente.

Mais le but de ma parabole ici était de faire une analogie avec l’élevage. Donc c’est certain que si l’animal y gagne plus qu’il n’y perd, et si l’éleveur y perdrait trop à juste s’occuper de l’animal altruistement sans jamais l’abattre, au point qu’il n’aurait aucune raison de l’élever du tout, alors l’élevage pourrait être considéré comme éthique à condition que les animaux soient bien traités (ce qui n’est pas le cas). Il ne faut toutefois pas oublier une autre caractéristique de l’élevage dont j’ai déjà discuté dans mes réflexions précédentes. À savoir qu’il ne s’agit pas d’un animal trouvé dans la nature, incapable de survivre par lui-même. Il s’agit d’un animal que l’éleveur a volontairement fait venir au monde et qui a été génétiquement conçu (via des croisements sélectifs) pour être incapable de survivre par lui-même. Alors, en incluant dans la balance le fait que l’éleveur ne ferait pas naître d’animaux s’il ne pourrait les faire abattre à la fin, notre questionnement éthique devient:
Puis-je donner la vie à cet être et le tuer plus tard?
Je reviens toujours à la même conclusion que dans mes réflexions précédentes: non. À moins que cela ne soit une nécessité pour moi, je n’ai aucune raison de tuer cet être et, si cette action est un préalable à sa mise au monde, la chose éthique à faire est de tout simplement ne pas lui donner la vie. Ceux qui n’existent pas ne souffrent pas de ne pas exister. Et s’il est trop tard, si j’ai déjà donner la vie à cet être avec cette intention mais que je réfléchis soudainement à la situation, je devrais quand même me demander si, à ce point-ci, je perdrais plus à ne pas tuer que ma victime ne perdrait à être tuée. Comme je le disais quand je parlais des droits des enfants, ceux-ci ne sont pas «redevables» à leurs parents du fait d’exister. Ils n’ont pas demandé à venir au monde, cette décision à été prise à leur place contre leur gré, donc c’est celui qui donne la vie qui doit quelque chose à celui qu’il a fait naître et pas l’inverse.

Bref, j'ai parlé beaucoup finalement mais, dans tout ça, je voulais juste rajouter une seule chose par rapport à mes billets passés: même quand le bilan de nos interventions sur un individu lui apporte, en somme, plus de bien que de mal, chacune de nos interventions peuvent être jugées pour elles-mêmes et, dans tous les cas, l’absence de nécessité pour celui qui agit empêche de légitimer tout le mal qu’il fait à celui qui subit, et ce même si ce dernier y gagne plus qu’il n’y perd au total, car la transgression éthique découle alors, non pas du fait d’avoir pris, mais de ne pas avoir donné assez. Tel un employeur aisé qui, en sous-payant un employé, améliore sa condition en comparaison avec le chômage, mais le laisse vivre tout de même dans la misère, alors qu'il aurait les moyens de mieux le payer, sauver une vie pour la prendre ensuite alors qu’on n’y est pas contraint est un acte répréhensible. Fin.

dimanche 26 janvier 2014

Choisir d'être du bétail

Mise en situation:
Imaginez que nous vivons dans un monde horrible ou l'humain a de multiples prédateurs. Des dinosaures, des ogres et des monstres de toutes sortes parcourent la Terre et nous traquent jusque dans les grottes où l'on vît. Les catastrophes naturelles et les épidémies sont également très fréquentes. Dû à la prédation, à la difficulté de trouver à manger et aux nombreuses maladies, le taux de mortalité est très élevé et la quasi-totalité des gens meurent avant d'avoir atteint vingt-cinq ans. 

Un jour, un terrifiant dragon surgit de nul part et vous fait l'offre suivante: «J'ai construit un magnifique palais au sommet de la montagne. Je peux y accueillir tous ceux qui le voudront. Vous y vivrez dans un confort tel que vous n'en avez jamais connu. Je vous nourrirai des mets les plus raffinés. Aucun prédateur, maladie ou catastrophe naturelle ne vous y incommodera. En retour, je ne vous demande qu'une chose: vous ne pourrez sortir de mon palais paradisiaque et, après que vous y aurez passé quarante années de pur bonheur, je viendrai vous y chercher et je vous mangerai tous sans qu'il vous soit possible de fuir.»

Qu'est-ce que vous choisiriez? Une vie longue et heureuse avec une mort programmée, ou essayeriez vous de continuer de survivre libre dans un monde cauchemardesque? En fait, le choix logique demeurerait d'accepter ce pacte avec le dragon, l'autre option étant davantage fondée sur un vain espoir où sur le désir de ne pas savoir à l'avance l'instant de notre mort.

Mon but ici était de faire une analogie avec l'élevage. J'en avais déjà fait une autre, mais là je voulais réfléchir à dans quelles circonstances les humains accepteraient de devenir eux-mêmes des animaux d'élevage. Supposons qu'une population animale a de la difficulté à survivre par elle-même dans la nature, lorsque l'humain la retire de son environnement pour l'ajouter à son cheptel, c'est comme s'il faisait un pacte avec elle. Il lui offre le confort et la protection pour une durée de temps, puis en fait son repas. Pour que le deal soit honnête, vu que l'animal n'a pas la raison qui lui permettrait de prendre cette décision lui-même, il faudrait que l'humain, s'il se trouvait dans la position inverse, accepte lui-même l'entente. Donc que la longueur et la qualité de la vie de la proie soient améliorées par cette situation.

Soit. Maintenant, prenez cette seconde mise en situation:
Imaginez que nous vivons dans un monde assez semblable au nôtre à une époque antérieure. Nous n'avons pas le confort et la technologie moderne, mais nous arrivons quand même à nous débrouiller. Parfois, des maladies ou des animaux sauvages emportent quelques-uns des nôtres, mais la majorité des gens vivent au moins jusqu'à quarante ans après une vie relativement heureuse. 
Un jour, un terrifiant dragon surgit de nul part et vous fait l'offre suivante: «J'ai construit une horrible prison sous la montagne. Je peux y accueillir tous ceux qui le voudront. Vous y serez confinez dans une cellule si petite que vous ne pourrez pas vous asseoir ni même vous retourner. Il y fait noir et beaucoup trop chaud. L'air sera vicié par l'odeur de vos déjections. Des tubes vous injecteront de la nourriture dans la gorge jusqu'à ce que vous deveniez obèse. Je vous amputerai douloureusement de toutes les parties de vos corps que je juge inutiles. Après que vous y aurez passé cinq ans d'atroces souffrances, je viendrai y chercher ceux d'entre vous qui auront survécus et je vous mangerai tous sans qu'il vous soit possible de fuir.»

L'élevage moderne, j'en ai bien peur, ressemble beaucoup plus à cette seconde histoire. Ce n'est donc pas un deal qu'un être doué de raison accepterait. C'est pour ça que ça m'agace quand quelqu'un essaie de défendre l'éthique de l'élevage en disant que c'est une situation gagnant-gagnant. Si on est honnête avec nous-mêmes, on sait que l'animal d'un élevage intensif n'aurait aucun intérêt à choisir ce mode de vie s'il avait la liberté et l'intelligence pour pouvoir le faire.

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Note: Même si la logique de l'élevage obéissait à ma première histoire ci-dessus, le critère de la nécessité pourrait faire en sorte qu'il demeurerait contraire à l'éthique d'exécuter un animal que l'on a choisit de sauver de la nature.  

lundi 14 octobre 2013

Croire en la viande

J'ai appris récemment l'existence du concept de carnisme (ou viandisme), introduit par la psychologue Melanie Joy qui donnera une conférence à Montréal vendredi prochain. Ce terme désigne, disons, la «croyance en la viande». Au début, je n'étais pas sûr d'aimer le mot, mais finalement plus j'y pense et plus je trouve qu'il y a un parallèle tout à fait approprié entre une idéologie religieuse et l'idéologie qui prône la consommation de viande. En gros, l'idée, c'est que la consommation de viande est une activité qui repose sur des croyances et des paralogismes tout à fait analogues à ceux qu'utilisent les religions et les idéologies. La somme de ces croyances – comme quoi consommer de la viande est naturel, normal, nécessaire et inévitable – mérite bien un nom en –isme.

Ce qui me saute aux yeux c'est que, comme avec toute croyance, il y a une distinction entre les intégristes et les modérés. Et comme pour la religion, la majorité des gens instruits sont modérés. Cela ne veut pas dire qu'ils consomment de la viande avec modération, c'est au niveau de la croyance et non de la pratique qu'ils sont modérés. C'est-à-dire que, comme un religieux modéré qui admet volontiers que sa croyance ne repose pas sur la raison, en disant par exemple qu'il «sent que Dieu existe» sans s'empêtrer dans des sophismes de théologiens, le carniste modéré ne cherchera pas à rationaliser sa pratique et dira simplement qu'il «aime trop la viande» pour arrêter. Il reconnaîtra tout à fait que l'animal est un être capable de souffrir, et la nécessité éthique de tenir compte de cette souffrance. Il sera tout à faire ouvert à l'idée que l'on change les méthodes d'élevage et d'abattage pour améliorer la condition animale, quitte à ce que la viande devienne moins abordable. Bref, il sera d'accord avec la théorie mais ne la mettra pas en pratique. Souvent aussi, le carniste modéré n'aura tout simplement jamais vraiment réfléchis à ces questions et ne leur accorde pas trop d'intérêt; comme le religieux modéré par rapport à la religion.

L'intégriste viandeux comme l'intégriste religieux se retrouve principalement chez les gens ayant moins de scolarité. Il affichera ouvertement sa condescendance envers ceux qui ne partagent pas sa croyance. Il refusera même de goûter un plat végétarien, de peur de se souiller, et, si on l'y contraint, simulera que c'est la chose la plus mauvaise qu'il a mangé de toute sa vie. Comme les croyants, il aura recours à une série de sophismes préfabriqués qu'il aurait bien du mal à développer, comme:
«Les animaux se mangent entre eux!»
«L'humain est omnivore! Nous sommes faits pour manger de la viande!»
«Écraser un maringouin, c'est un meurtre!?»
«Mais tu fais souffrir les plantes que tu manges!»
«C'est impossible de supprimer toute la souffrance animale!»
«On est supérieurs aux animaux!»
«On n'est pas des animaux!»

Ce qui me rappelle tout à fait les sophismes religieux qu'utilisent, par exemple, les Témoins de Jéhovah qui font du porte-à-porte. Dans les deux cas, la personne effacera rapidement mes réponses de sa mémoire pour ne pas se trouver en situation de dissonance cognitive (souvent, elle va juste s'abstenir d'écouter mes réponses).

Le lien le plus intéressant que je trouve entre le carnisme et la religion est au niveau de sa pluralité. Tout comme il existe plusieurs religions, qui adhèrent chacune à certaines croyances et en nient d'autres de façon purement arbitraire, il existe aussi plusieurs carnismes qui, chacun, justifient la consommation de certaines viandes mais en réprouvent d'autres. Le chrétien croit aux miracles de Jésus mais pas à ceux de Mahomet, et le musulman croit aux miracles de Mahomet mais nie ceux de Krishna. De la même façon, le carniste québécois moyen trouve correct de manger du steak haché et du poulet, un peu moins de manger un animal qui a le même nom que sa viande (comme du cheval, de l'autruche) et trouve mal de manger du chien ou du chat, contrairement à un carniste de Thaïlande qui n'y verrait rien de méchant. Mais aucun n'a rien de rationnel pour justifier que tels animaux méritent notre considération et que tels autres sont des biens de consommation. Le fait que l'on vénère nos chats et que l'on maltraite nos porcs, est parfaitement illogique et relève donc de l'idéologie et non de la raison.

Comme le chrétien qui dira que sa religion est plus logique et plus gentille que les autres, celui qui ne mange que certains animaux essaiera lui aussi de défendre la soi-disant logique du fait de manger les porcs mais pas les chiens. S'il est un «intégriste» de la viande, il pourra aussi manifester le même discours haineux et xénophobes envers les mangeurs de chiens qu'un chrétien du même niveau tiendra à l'égard des musulmans. Ethnocentrique, il refusera de reconnaître que s'il mange tel animal, prie tel dieu et parle tel langue, ce n'est pas parce que c'est plus logique ou plus gentil, mais uniquement à cause de contingences sociohistoriques.

Ainsi, un végétarien par rapport aux carnismes se retrouve dans la même position qu'un athée par rapport aux religions. Quand une personne me demande «Pourquoi t'es athée?» ou «Pourquoi t'es végétarien?», je me trouve dans la même posture. Je dois lui expliquer pourquoi je n'adhère pas à sa croyance, sans pour autant qu'elle sente que je la trouve stupide ou méchante. Et c'est vraiment là que je perçois à quel point je suis en face d'un croyant. La réaction agressive que je risque de susciter me le confirme. Je me suis donc donner un «code de conduite» pour bien répondre à ce genre de questions. Aussi, dans les deux situations, les contre-arguments auront surtout de leur côté le poids de la tradition et de l'habitude, mais n'offriront que peu de défi à l'intelligence. Je me demande souvent, si nous vivions dans un monde presque unanimement athée et végétarien depuis toujours, quels seraient les arguments des religieux et des pro-viande? Également, j'ai le même dilemme lorsque l'adhérant à la croyance majoritaire manifestera devant moins son intolérance face à une croyance minoritaire: Je me retrouve paradoxalement à devoir «défendre» l'islam ou l'hippophagie lorsque ses adeptes sont exagérément persécutés par des gens ayant des croyances religieuses ou des pratiques alimentaires dont le fondement ou l'éthique sont tout aussi faibles.

C'est tout. Je voulais juste en parler. En même temps, peut-être que de prendre conscience que notre comportement est influencé par une croyance est le premier pas pour s'émanciper de cette croyance? Bof, j'imagine que si c'était vrai, la religion n'existerait plus depuis longtemps.

samedi 14 septembre 2013

Des sauvages

Je suis allé à un séminaire sur l'éthique animale. L'un des conférenciers nous a parlé du livre Zoopolis, ouvrage qui présente une vision possible de ce qu'aurait l'air une société reconnaissant les droits des animaux. On nous proposait d'accorder le statut de citoyens aux animaux qui vivent parmi nous (je reviendrais sur cette question dans un futur billet) et de traiter les animaux sauvages et leur environnement comme des nations étrangères. Je paraphrase:
Qu'on croit ou non pouvoir mieux gérer la Chine que les Chinois, on n'intervient pas parce qu'on leur reconnaît le droit à la souveraineté. C'est la même chose pour les animaux sauvages. On doit leur accorder la souveraineté donc les autoriser à continuer de vivre comme ils le font dans la nature, même si leurs actions contreviennent à notre éthique.

Je n'étais pas tout à fait d'accord avec ça. En fait j'approuve l'analogie et, dans les deux cas, pour les animaux sauvages comme pour les nations étrangères, je suis d'accord avec ce non-interventionnisme. Mais, je ne le justifie pas de la même façon et ça modifie donc également son application. Si je suis d'accord avec le fait que l'État doit laisser leurs souverainetés aux individus, je ne pense pas nécessairement la même chose de la souveraineté d'entités collectives. En gros, pour moi, la principale ressemblance est que, dans les deux cas, la situation de l'individu n'est peut-être pas des plus confortable, mais elle s'inscrit dans un système qu'une intervention de notre part pourrait briser et, conséquemment, faire empirer.

J'ai déjà dit que je ne suis pas nationaliste. Je ne crois pas qu'un peuple d'humains forment une sorte d'entité ayant des droits propres. Les frontières entre États n'ont pas à interférer dans mes considérations éthiques. Ainsi, n'en déplaise à nos lois sur le travail et le libre-échange, sous-payer un travailleur m'apparaît tout aussi répréhensible qu'il soit Québécois ou Taïwanais. Si un peuple est opprimé par un dictateur abusif, je ne considère pas qu'il s'agit d'une «nation souveraine». La liberté des individus ne devrait pas passer après celle de la fiction qu'est la nation. Bref, lorsqu'on laisse faire ce qui se passe dans les autres pays mais qui contrevient à nos valeurs, ça se justifie si:
  • Une différence culturelle fait en sorte que cette situation qui nous parait désagréable est positive aux yeux des locaux;
  • Nous ne comprenons pas suffisamment tous les facteurs impliqués dans la situation sociopolitique en question pour pouvoir nous prononcer de façon éclairée sur ce qui en serait une issue désirable;
  • Nous n'avons pas le pouvoir d'intervenir sans causer un mal supérieur à celui que l'on voudrait enrayer.

Par exemple, si la seule façon de libérer un pays d'un dictateur est de déclencher une guerre dont la victoire est incertaine et qui causera significativement plus de souffrances que ne l'aurait fait le dictateur en temps de paix, intervenir serait contraire à l'éthique. Mais dans tout autre situation, ne pas intervenir est hypocrite.

Pour les animaux sauvages, si je suis le raisonnement qui m'a amené au végétarisme et ma réflexion sur le fait que l'inaction vaut l'action d'un point de vue éthique, alors je devrais considérer que mon devoir serait d'empêcher les animaux sauvages de se manger les uns les autres, puisque cela cause une souffrance. En plus, puisque les animaux n'ont pas la lucidité, tout comme les enfants, il est nécessaire que des êtres rationnels prennent les décisions pour eux. Voilà... Est-ce vraiment ma conclusion logique? Non. Je pense qu'il convient de tenir compte des facteurs suivants:
  • Contrairement à nous, les animaux prédateurs ne peuvent survivre sans manger de proies et seraient malheureux si l'on frustrait leurs instincts de chasseurs, il s'agit donc d'un égoïsme légitime;
  • Contrairement aux enfants, les animaux, bien que non doués de raison, sont capable d'autonomie, et peuvent donc agir dans leur propre intérêt par eux-mêmes lorsqu'ils sont dans un environnement spécifique, sans avoir à réfléchir;
  • Contrairement aux humains, les prédateurs ne condamnent pas leurs proies à vivre toute leur vie dans un élevage intensif, mais les laissent libres dans leur habitat naturel;
  • Briser l'équilibre d'un écosystème risquerait d'amener davantage de souffrances, pour les prédateurs comme pour leurs proies, que de laisser les choses telles qu'elles sont.

C'est pour ces raisons que je prône de laisser «intouchés» des environnements sauvages dans lesquels les animaux devraient conserver leur «souveraineté» sans qu'on interfère. Toutefois, dans un hypothétique lointain futur technologique où l'humain pourrait pratiquement tout contrôler dans la nature, il sera éthiquement requis d'abolir la prédation. Ce sera comme quelqu'un qui empêche son chat de manger sa perruche, mais à une échelle globale. Cela pourra être accompli en nourrissant les prédateurs avec de la viande de synthèse, en leur donnant des jouets pour qu'ils canalisent leurs instincts de chasseurs, et en réduisant la fécondité des proies pour ne pas qu'elles se reproduisent en surnombre. Mais au niveau technologique où nous sommes maintenant, toute tentative d'intervention de ce genre à cette échelle risque de causer pas mal plus de mal que de bienfaits.

jeudi 13 décembre 2012

Les droits des bestioles

Je suis en train de réfléchir à ce dont aurait l'air une charte des droits de l'animal. Ma réflexion n'est pas encore aboutie à ce sujet, mais certaines choses me semblent déjà évidentes. D'abord qu'elle devra faire des compromis entre ses idéaux éthiques et sa faisabilité. Entre autres, l'une des évidences qui me frappe à ce propos est que cette charte ne pourra pas protéger de la même façon tous les membres du règne animal. En fait, la majorité des espèces de cet ensemble ne peuvent réalistement être inclus dans l'objet d'une telle charte. Un chat et un moustique devraient-ils être protégés de la même façon? Une vache et une sangsue? Un gorille et une huître?

Pour cette raison, je la nommerais «charte des droits de la bête», plutôt que «des droits de l'animal». Le mot «bête» serait défini dans un préambule de façon à ce que l'on sache quels animaux sont l'objet de cette charte, et tous les membres du règne animal qui ne sont ni des bêtes ni des personnes seraient appelés «bestioles». Je ne fixerai pas ici l'emplacement exact de cette frontière bête/bestiole mais il faudrait que cela concilie la faisabilité et la logique. Les bêtes pourraient être seulement les mammifères et les oiseaux, ou alors on pourrait ratisser plus large et inclure tous les chordés ainsi que les céphalopodes.

Pourquoi exclure les bestioles de la protection de la loi? D'abord pour des raisons pratiques, il y a tant d'êtres invertébrés dans notre environnement qu'il serait impossible de ne pas leur nuire et, souvent, d'être conscient qu'on leur nuît. Il n'y a qu'à penser aux acariens qui coexistent avec nous mais que l'on tue par milliers à chaque fois que l'on fait le ménage. Ensuite, parce que les bestioles pourvus d'un système nerveux en ont un qui diffère considérablement du nôtre. Plutôt que d'avoir un cerveau, ils ont souvent plusieurs ganglions cérébroïdes. À l'inverse, si je compare le cerveau d'un homme à celui d'un chat, d'un rat ou d'un porc, j'y verrai exactement les mêmes structures. Il est donc un peu plus «métaphysique» de se demander si la mouche souffre comme nous; de la même façon qu'il le serait de se poser la question par rapport à une intelligence artificielle imitant la nôtre ou face à un visiteur extraterrestre. Mais présumer que les porcs puissent souffrir est aussi terre-à-terre que de présumer que les autres humains peuvent souffrir comme moi.

Je trouve d'ailleurs parfaitement fallacieux lorsque quelqu'un utilise cette distinction bête/bestiole que je fais pour tenter de trouver une faille dans mon éthique. Si l'on trace un arbre phylogénétique, on constatera qu'un porc, par exemple, est plus proche de nous qu'un moustique et qu'il est aussi loin du moustique que nous le sommes:


Considérer le porc comme le moustique est aussi absurde qu'il l'était à l'époque du racisme de traiter un Noir comme un porc. Deux humains de deux origines différentes sont plus proches entre eux que des porcs et en sont tous deux exactement aussi éloignés. Le racisme comme le spécisme utilise la logique réductrice du nous/eux et l'applique de façon à considérer tous les «eux» indistinctement et comme s'ils étaient tous aussi éloignés du «nous». La réalité est plus complexe que ça. Donc même si on demeurait prisonniers d'un paradigme éthique fonctionnant par catégories, on pourrait reconnaître que la catégorie commune aux humains et aux bêtes est distinctes de celle qu'ils partagent avec les bestioles, par conséquent que les bêtes sont plus proches des humains que des bestioles.

Mais, personnellement, ce ne sont pas les catégories classificatoires qui m'importe que les attributs individuels qu'elles représentent. Si tous les peuples humains ont le même potentiel d'intelligence (puisque leurs cerveaux sont identiques), tous les mammifères ont le même potentiel de souffrance (puisqu'ils partagent les structures cérébrales qui en sont responsables). Traiter une bête comme une bestiole c'est comme traiter une personne comme une bête.

Soit. Mais traiter une bestiole comme un comme un objet...? Ce n'est pas ce que je préconise mais je ne pense pas que de légiférer sur les droits individuels des bestioles soient pertinents pour l'instant. Mais on peut leur donner des droits collectifs indirects via nos lois protégeant l'environnement par exemple. Ainsi, si écraser une abeille ne serait pas un crime, exterminer toute une population d'abeilles dans un environnement où elles sont responsables de la pollinisation, en serait un. Tuer un membre d'une espèce de bestiole en voie d'extinction serait également répréhensible. C'est sûr que, pour suivre mon éthique personnelle, j'évite de tuer une bestiole lorsque je peux faire autrement. Par exemple, je vais mettre dehors une araignée qui s'est introduite chez moi au lieu de l'écraser, mais je ne pense pas qu'il faudrait condamner pour meurtre celui qui aurait choisi de l'écraser.

samedi 8 septembre 2012

Éthique de la chasse

Beaucoup de gens trouvent que la chasse est une activité barbare, mais cela ne les empêche pas d'être de grands consommateurs de viande. Parfois cette incohérence vient du fait qu'ils considèrent différemment les animaux chassés des animaux d'élevage. Probablement parce que les Bambi et les bébés phoques sont plus cute que les porcs ou les vaches. En fait, pour l'animal, la chasse est une activité beaucoup moins pire que l'élevage intensif. Si on compare les deux selon la perspective de la proie:
  • L'animal chassé peut passer sa vie en liberté, dans son habitat naturel, et sa mort est souvent moins douloureuse.
  • La chasse est une compétition beaucoup plus «loyale», puisque l'animal a des chances de s'enfuir. L'humain n'est alors qu'un prédateur parmi d'autres. Certains individus réussissent à ne jamais mourir de prédation, ce n'est donc pas tout le troupeau qui est génocidé comme avec les abattoirs.
  • La proximité entre le chasseur et sa proie facilite la formation d'un lien d'empathie qui fait en sorte que le consommateur de viande va davantage respecter l'animal, lui éviter de souffrir, ne pas trop en tuer, ne pas gaspiller la viande, etc.
  • Dans certaines situations, ce peut être presque nécessaire dans les cas où l'on a déjà exterminé les populations de prédateurs qui servaient à réguler les populations de proies. Évidemment, stériliser des animaux serait moins pire que de les tuer. Réintroduire les espèces prédatrices pourraient également être une alternative. Mais chasser revient alors au même pour la proie que de subir la prédation de n'importe quelle autre espèce.

Évidemment, cela dépend aussi de l'éthique personnelle du chasseur. Certains tirent sur tout ce qui bouge même ce qui ne se mange pas, tandis que d'autres ne prennent que ce dont ils ont besoin pour se nourrir. Certains peuvent prendre plaisir à faire souffrir leur proie, tandis que d'autres essayent de leur offrir une mort propre et rapide.

Personnellement, je me dis qu'une façon de rendre la production de viande plus éthique serait de remplacer les élevages et les abattoirs par des pourvoiries et des chasseurs. Ce pourrait même être des genres de réserves fauniques plutôt que des pourvoiries. On y autoriserait la chasse uniquement lorsque les scientifiques y auront remarqué une surpopulation. Le nombre de bêtes que l'on pourrait tuer serait limité de façon à ce que la population se renouvelle d'elle-même. Les chasseurs devraient payer pour avoir le droit de tuer, mais pourrait par la suite se rentabiliser en vendant leurs proies à la pourvoirie qui les revendraient dans les épiceries. On ne détruirait plus l'environnement pour nourrir notre bétail, au contraire, on préserverait l'environnement afin qu'elle nous donne de la viande. Nous ferions partie de l'écosystème. Mais il est évident que, si l'on faisait ça, la viande deviendrait un produit beaucoup plus rare, cher, que l'on ne consommerait qu'occasionnellement. Pour que cette idée soit réaliste, considérant nos habitudes alimentaires actuelles, il faudrait soit améliorer la simili-viande pour qu'elle ressemble plus à la vraie, soit développer une technologie pour fabriquer de la vraie viande à partir de cultures de cellules animales. Bref, cette idée n'est actuellement pas très réaliste.

On me demande parfois si je mangerais de la viande issue de la chasse ou d'un élevage plus éthique. Ou, si je réintégrerais la viande à mon alimentation dans l'éventualité où une nouvelle législation rendrait tous les élevages plus éthiques. Qu'est-ce que je ferais si l'on mettait en pratique l'idée que j'ai émise ci-haut? Ou, plus simplement, si l'on m'offrait un plat de viande issu de la chasse? Abandonnerai-je mon végétarisme? En fait, pour moi, tuer un animal ne doit pas être pris à la légère, ça devrait demeurer un acte de nécessité et non un loisir ou un désir gastronomique. Je suis devenu végétarien à cause des conditions actuelles de l'élevage. Ce faisant, j'ai brisé ma «dépendance» à la viande. Désormais, manger de la viande n'est plus du tout un besoin pour moi. Si les élevages avaient été plus éthiques, je ne serais probablement jamais devenu végétarien, mais maintenant que je le suis, je n'ai pas vraiment de raison de recommencer à manger de la viande. Mais probablement que, dans un monde où l'élevage deviendrait plus éthique ou serait remplacé par la chasse, j'en mangerais lors de rares occasions; si je suis reçu à souper par exemple. Autrement, je ne réintégrerai la viande à mon alimentation régulière que lorsqu'elle poussera dans les arbres ou s'il en va de ma survie.

mardi 10 juillet 2012

Les animaux abandonnés

Je suis en train de réfléchir à ce dont pourrait avoir l'air une charte des droits des animaux, mais ma réflexion à ce propos n'est pas encore suffisamment aboutie. Je peux toutefois vous dire qu'elle implique de créer une nouvelle catégorie juridique, intermédiaire entre l'enfant et le mobilier. Mais il y a déjà certaines mesures que l'on devrait prendre pour aller dans cette direction et qui n'implique, légalement, que de légers changements. Je vais donc vous faire part immédiatement de mesures minimales qui devraient être prises pour améliorer le sort des animaux de compagnie.

Je viens de déménager et j'avais perdu mon chat qui s'était enfui dans mon ancien quartier. Ça m'a pris une semaine pour la retrouver. J'ai donc eu à l'esprit pendant cette semaine les refuges pour animaux et j'ai pensé au fait qu'il y a tellement d'animaux abandonnés en cette période de déménagements, et au fait que les animaux dans les refuges ne sont pas nécessairement bien traités, surtout lorsqu'ils sont très nombreux, et qu'ils sont parfois tués.

Il y a deux petites choses que le gouvernement pourrait faire et qui réduirait énormément cet immense fardeau qui revient aux refuges pour animaux à chaque 1er juillet:
  • Interdire aux propriétaires de logements d'interdire à leurs locataires d'avoir des animaux de compagnie.*
  • Financer la stérilisation des animaux de compagnie.

C'est tellement simple et ça n'implique aucun changement dans le statut juridique de l'animal. La plupart des animaux dans les refuges viennent soit de personnes qui déménagent dans un nouveau logement dont le propriétaire leur refuse de garder leur animal, soit sont les rejetons d'un animal de compagnie qu'on a négligé de stériliser. Si les vétérinaires offraient gratuitement la stérilisation (c'est-à-dire, que le gouvernement la paierait à la place du propriétaire de l'animal), ça serait tout de même rentable considérant que les refuges sont, à ma connaissance, souvent financés par l'État. Et interdire d'interdire d'avoir un animal dans son logement serait quelque chose de gratuit et d'énormément positif pour le sort des animaux. La conséquence serait que les refuges auraient beaucoup moins d'animaux. Ils pourraient donc leur offrir de meilleures conditions de vie et se permettre de les garder plus longtemps.

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*Un propriétaire de logements pourrait toutefois obliger ses locataires à faire stériliser leurs animaux de compagnies.

dimanche 24 juillet 2011

Des poules pas de tête

Supposons que nous je vous reçoive chez moi de façon très informelle. Un moment donné, je vous dis: «Si t'as faim, tu peux prendre une pomme dans le bol à fruit ou du poulet dans le frigidaire». Selon ce dont vous avez le goût, vous choisirez l'un ou l'autre. Mais si je vous dis plutôt: «Si t'as faim, tu peux prendre une pomme dans le bol à fruit ou aller égorger le coq dans la cours». Là, par contre, il y a peu de chances que vous choisissiez le poulet. Et probablement pas seulement parce que vous aurez peur de vous salir les mains, vous vous direz que votre désir de poulet n'est pas assez fort pour qu'il vaille la peine de tuer un coq pour ça.

De nos jours, il y a une sorte de déconnexion émotionnelle entre le consommateur de viande et la vie de ses proies. Certains éprouvent quelque chose lorsqu'ils prennent conscience de ce qu'ils mangent et de la souffrance que ça implique, mais diront que ce serait un excès d'émotivité que de se laisser aller à cette compassion envers l'animal. Il y a, bien sûr, une composante émotionnelle présente dans tout altruisme – que ce soit celui qui m'empêche de consommer de la viande ou celui qui m'empêche de tuer mon voisin pour lui voler sa télé. Mais ce que je prône est un altruisme raisonné, découlant d'une compréhension rationnelle de la nature d'autrui. Si l'autre a, comme moi, des désirs et des souffrances, il importe que je tienne compte de ceux-ci comme je tiens compte des miens. Le point est que la déconnexion émotionnelle que l'on s'efforce d'avoir par rapport aux animaux d'élevage est arbitraire. Il n'y a pas de raison raisonnable qui puisse justifier que, dans ce cas-ci, on devrait faire abstraction de notre empathie naturelle alors qu'on s'y laisse aller face à un humain ou un animal de compagnie. Mais si l'on devait contempler la vie et l'abattage de chaque bête que l'on désire manger, on en mangerait moins.

Ce qui est intéressant c'est que les conditions actuelles dans les élevages intensifs ont atteint leur paroxysme en matière de souffrance, justement à cause de cette indifférence générale des consommateurs. Ne voyant pas la souffrance impliquée et s'efforçant de l'ignorer, le consommateur de viande achète ce produit et crée une demande proportionnelle à son appréciation du produit comme tel mais indépendante de la façon dont il est produit (comme lorsqu'il achète un produit fabriqué en polluant ou en bafouant les droits de la personne). Conséquemment, le producteur qui, lui, voit cette souffrance, est contraint d'adopter des méthodes beaucoup plus douloureuses s'il veut répondre à la demande et demeurer compétitif. Comme dans l'expérience de Milgram, le producteur soulagera sa conscience en se disant qu'il ne fait qu'obéir «aux ordres» des consommateurs, ou encore en percevant le triste sort de l'animal comme étant «son destin», une inévitable fatalité.

Mais parfois, pour surmonter la vue prolongée de cette souffrance, le producteur devra cesser de considérer l'animal comme un être. Ce ne sera plus qu'un objet, les signaux de douleurs qu'il enverra ne seront plus que «des réflexes» ou des engrenages qui grincent dans cette complexe machine dépourvue de conscience et de sensation. Conséquemment, la maltraitance qu'il aura à son égard empirera. Je vois une analogie facile avec un dictateur qui ordonnerait à son général de commettre un génocide: Ce dernier adoptera les mêmes stratégies psychologiques pour obéir aux ordres et voir cette souffrance sans se sentir coupable, tandis que le dictateur aura de la facilité à donner un tel ordre puisqu'il ne sera pas confronté directement à la vue de cette souffrance ce qui évitera à son empathie naturelle d'être sollicitée.

Ma conclusion est que cette situation qui mène à un accroissement de la souffrance dans les élevages et les abattoirs, est causée par l'apparence dénaturée des produits animaux dans les épiceries. Un steak ne ressemble pas à une vache, des tranches de jambon n'ont pas l'allure d'un porc et une boîte de croquettes pannées ne ressemble pas à une poule. On chosifie la bête que l'on mange, on la transforme pour qu'elle ne se ressemble plus. Mais il faut être cohérent avec soi-même. Si je ne suis pas prêt à tuer un coq uniquement pour avoir un plat de poulet, alors je ne vais pas m'acheter de poulet en sachant que cela implique que l'on tue un coq. Je me dis que si les poulets dans les épiceries étaient vendus avec leur tête toujours en place, les gens se rappelleraient que ce fut autrefois des êtres vivants et en achèteraient moins ou en gaspilleraient moins. Mais nul n'éprouve d'empathie pour des poules pas de tête.

mercredi 1 juin 2011

Éthique de l'élevage

Mise en situation:

Un homme vivait seul dans une petite cabane au milieu de la forêt. Un matin de novembre, il trouva une bête blessée dans les bois. Il décida de l'amener chez lui pour la soigner. L'animal s'en remit vite mais était dès lors trop handicapé pour survivre dans la nature en plein hiver. L'homme choisît donc de garder la bête avec lui jusqu'au printemps et de partager avec elle ses provisions. Malheureusement, il avait sous-estimé l'appétit de son protégé; ses réserves alimentaires diminuèrent beaucoup plus rapidement que ce qu'il n'avait prévu. Lorsqu'il restait encore un mois à la saison froide, son stock de nourriture était à sec. L'homme dut se résoudre à abattre l'animal qu'il avait hébergé, afin de manger son cadavre. Il lui offrit une mort rapide et presque indolore. Il surmonta les remords en se disant que, de toute façon, la bête serait déjà morte depuis longtemps, d'une mort beaucoup plus douloureuse, s'il ne s'en était pas occupé tout l'hiver.

Dans ce scénario, pourrait-on reprocher à l'homme d'avoir tué l'animal? Éthiquement, a-t-il mal agit? Pour moi, il est clair que non. Je n'aurais strictement rien à lui reprocher. C'est une situation ponctuelle, non préméditée. La proie y gagne beaucoup plus qu'elle n'y perd et elle n'est tuée que par nécessité. L'homme a retiré cette bête de la nature dans son intérêt à elle, sans avoir pour but d'en faire son dîner. Cette situation représente pour moi un «élevage idéal» d'un point de vue éthique. C'est-à-dire que l'ensemble des arguments qui pourraient légitimer l'élevage et l'abattage d'animaux sont présents sous leur forme la plus forte. Si l'on soutient, par exemple, que l'animal est plus heureux dans l'élevage que dans la nature, ce serait indubitablement le cas dans notre mise en situation.

Pour moi, donc, pour que l'élevage d'animaux ait des chances d'être éthique, il doit se rapprocher le plus possible de cette mise en situation. Si l'animal est maltraité, ce n'est plus éthique. Si les conditions d'élevage sont pires que celles de la nature, alors ce n'est pas éthique non plus. Il faudrait que l'animal gagne à être en élevage plutôt que sauvage. Si, nous-mêmes, nous avions à choisir entre vivre l'une ou l'autre de ces vies alternatives, nous préférerions la vie d'élevage.

Mais il y a également d'autres facteurs à considérer. Par exemple, l'animal d'un élevage moderne est bien différent de son ancêtre sauvage. Il a été altéré par les croisements sélectifs et n'est désormais plus du tout adapté à la vie sauvage. La vie d'élevage est donc la seule à laquelle il soit adapté. Est-il donc automatiquement éthique de continuer son élevage? C'est comme si l'on avait rendu un être dépendant d'une situation douloureuse, et que l'on justifiait ainsi de le maintenir dans cette situation douloureuse. Indépendamment de l'alternative sauvage, on peut questionner pour elles-mêmes les conditions de vie que nous imposons aux animaux d'élevage. Même si nous sauvons la vie d'un être, cela ne nous donne pas le droit de lui faire vivre ce que l'on veut ensuite. L'homme dans ma petite histoire du début, a tué son animal non parce qu'il l'avait sauvé au préalable, mais parce que cela lui était nécessaire. Nous est-il nécessaire d'imposer de telles conditions de vie aux animaux d'élevage?

Mais une autre question en amont rend inutile toute tentative de répondre à ces questions-ci. Pour l'illustrer, reprenons ma mise en situation du début mais modifions-la légèrement. Imaginons que l'homme n'ait pas trouvé un seul animal dans les bois mais un couple d'animaux, et qu'il ait en réserve un peu plus de nourriture. Supposons qu'après avoir constaté qu'il avait tout juste assez de nourriture pour eux trois pour tout l'hiver, l'homme ait tout de même choisi de laisser ses deux bêtes se reproduire. Bref, il a décidé de faire venir au monde plus de bêtes en sachant qu'ils finiraient par manquer de nourriture et qu'il serait donc contraint de les manger. Ainsi, pour ces nouveaux-nés, le dilemme éthique n'est pas de savoir s'il leur aurait été plus avantageux de vivre dans la nature ou chez cet homme, c'est tout simplement de savoir si cette vie est préférable à la non-existence.

La situation de l'élevage moderne ressemble plus à cette version altérée de mon histoire d'origine. La reproduction des bêtes est totalement contrôlée par les éleveurs. Ce ne sont pas des individus qui ont été retirés de la vie sauvage, ils ont été créés sciemment dans le but d'être abattus et mangés. Comme je le disais dans ma réflexion sur nos devoirs envers les générations futures et dans celle sur les droits de l'enfant, amener un être à l'existence ne nous donne pas de droit sur lui. Au contraire. Les êtres qui n'existent pas encore ne sont pas en train de souffrir ou de désirer exister. L'inexistence devrait être traitée par notre éthique comme un état de béatitude ou, disons, un état «neutre», c'est-à-dire sans bonheur ni souffrance. Donc pour qu'amener un être à l'existence soit éthique, il faut que l'on s'assure au préalable qu'il puisse avoir une vie où le bonheur domine largement sur la souffrance. Ce n'est manifestement pas le cas dans l'élevage intensif.

Bref, ma position n'est pas qu'il est en tout temps et en tout contexte contraire à l'éthique de retirer un animal de son environnement puis de prendre soin de lui avant de l'abattre et de le manger. C'est surtout la forme spécifique que revêt cette activité dans notre civilisation que je trouve indéfendable.

vendredi 31 décembre 2010

Exigences de l'antispécisme

Mise en situation:
Jacques découvre une personne inconnue dans sa demeure. Il lui demande poliment de sortir, mais elle ne l'écoute pas. Au lieu de cela, elle se met à l'agacer en lui donnant de petites tapes sur la figure. Jacques essaie de la faire sortir de chez lui par la force, mais elle réussit à s'esquiver à chaque fois qu'il tente de la maîtriser. Il appelle la police pour qu'on le débarrasse de cet intrus, mais on refuse de l'aider. Las de cet inconnu qui l'agace et qui s'est introduit chez lui, Jacques lui assène un puissant coup de poing… puis constate que ça l'a tué.

Dans ce scénario, on ne peut pas vraiment reprocher à Jacques d'avoir tué l'intrus. Il a fait tout ce qui est en son pouvoir pour que l'intrus cesse de l'incommoder, en s'efforçant de minimiser les conséquences fâcheuses pour celui-ci. Il a utilisé parcimonieusement la coercition mais le meurtre semble avoir été le moindre mal qu'il eut été capable d'infliger à l'intrus pour obtenir sa collaboration. Même si l'intrus en question ne semblait pas menacer la survie de Jacques, celui-ci nuisait fortement à son bien-être. Cette situation fictive n'est pas très fréquente dans la vraie vie… sauf si l'intrus en question n'est pas une personne mais une mouche. Avec la mouche, on ne peut ni négocier ni appeler la police, et il est très difficile de l'attraper pour la remettre dehors, par conséquent on passe directement à l'étape de tuer.

Certains sont réticents à l'idée d'accorder des droits aux animaux parce qu'ils ont peur qu'une telle éthique ne soit trop exigeante et contraignante dans la pratique. Par exemple, ils ne veulent pas avoir à surveiller chacun de leurs pas pour éviter d'écraser un insecte. Ils veulent pouvoir passer l'aspirateur chez eux sans qu'on les condamne pour génocide d'acariens. Bref, ils refusent d'accorder le moindre droit à ce qui n'est pas humain de peur qu'on leur impose de vivre comme les Jaïns. Mais si on tolère qu'un humain puisse en tuer un autre lorsqu'il s'agit d'un cas de légitime défense, que sa survie en dépend ou dans une situation telle que celle de Jacques décrite ci-haut, et que cela ne remet pas du tout en question les principes des droits fondamentaux que l'on accorde aux êtres humains, alors on ne doit pas craindre de donner des droits aux animaux si la reconnaissance de ces droits comporte, elle aussi, les «échappatoires» requises pour qu'elle soit réalisable et accommodante.

De la façon dont je vois ça, il est tout à fait normal qu'un être, par sa seule existence, nuise aux intérêts et à la survie d'autres êtres. C'est une des cruelles lois de la nature. C'est la même chose à l'échelle des espèces. Les individus d'une espèce vont nécessairement interférer avec les intérêts des autres espèces qui partagent son environnement. Je ne dis pas que cela justifie que l'on répande délibérément et inutilement la souffrance autour de nous, mais simplement qu'on ne doit pas s'imposer un mode de vie trop contraignant qui nous empêcherait de jouir de la vie. Nul n'a pour devoir d'être malheureux.

Une autre objection que l'on entend parfois face à la reconnaissance des droits des animaux vient de ceux qui pensent que l'antispécisme implique de donner aux bêtes les mêmes droits qu'aux humains. Étant donné qu'il serait absurde de donner le droit de vote aux chiens, alors on balaye complètement l'idée de donner le moindre droit aux animaux. Pourtant, le fait que l'on refuse de donner le droit de vote aux enfants ne nous empêche pas de leur reconnaître des droits. Il y a beaucoup de situations où, en raison de leurs attributs individuels, il est légitime de ne pas accorder aux bêtes le même statut qu'aux personnes; et il n'y aurait rien de spéciste là-dedans. L'idée est de donner aux êtres des droits à la mesure de leurs besoins.

Finalement, seul le végétarisme est vraiment exigeant dans l'antispécisme que je prône. Pour le reste, c'est un changement de paradigme important mais affectant peu notre quotidien.

vendredi 8 janvier 2010

La hiérarchie naturelle

On croyait autrefois à ce qu'on appelle en latin la scala naturae, c'est-à-dire l'échelle naturelle. Il s'agit d'une hiérarchie linéaire au sein de laquelle on classait toutes les choses de l'univers réel et mythologique. Par exemple, le vivant était au-dessus de l'inerte mais en-dessous du divin. Dans le vivant, les animaux étaient au-dessus des végétaux mais en-dessous de l'humain. Au sein de l'espèce humaine, le roi était supérieur au serf, l'homme supérieur à sa femme, le père supérieur à ses enfants, etc. Dieu, l'ultime perfection, était au sommet de l'échelle tandis que l'humain était le plus haut parmi ce qui existe pour vrai. Voyez cette page pour plus de détails.

Les théories de l'évolution prédarwiniennes – telle que celle de Jean-Baptiste de Lamarck (1744-1829) – utilisaient cette conception du monde linéaire. On assimilait les êtres vivants les plus primitifs avec le bas de l'échelle et les être plus complexes au haut, tout en plaçant arbitrairement l'humain à son sommet (bien qu'il ne soit pas plus complexe ni nécessairement plus récent que des animaux tels que l'orang-outang, le chat ou le pigeon). On voyait l'humain comme étant «l'aboutissement de l'évolution» ou «le plus évolué des animaux» au somment du monde des vivants. Évoluer signifiait monter dans l'échelle.*

Ce modèle unilinéaire du monde interféra dans les considérations éthiques des gens, pendant différentes époques. En effet, on croyait – selon l'éthique défendue originellement par le philosophe Aristote (384-322 av. notre ère) – que chaque chose n'existait que pour servir les intérêts de ce qui lui est supérieur dans la scala naturae et qu'il n'y avait donc rien de mal à faire passer les intérêts d'un humain avant ceux d'un chats, ceux d'un seigneur avant ceux d'un serf, ceux d'un homme avant ceux de sa femme ou ceux d'un natif avant ceux d'un étranger. Et ce, aussi infimes et superficiels que soient les bénéfices pour le «supérieur» par rapport aux conséquences négatives pour son subalterne.

Le modèle de l'évolution apporté par Charles Darwin (1809-1882) aurait dû amener un changement de paradigme à ce niveau. En effet, en étant arborescent plutôt que linéaire et en évacuant complètement le concept de «supériorité», il nous a apporté une conception du monde des vivants dans laquelle il n'y avait pas de place pour une quelconque «hiérarchie naturelle». Les populations évoluant, non pas pour grimper dans l'échelle, mais bien pour s'adapter davantage à leur milieu.

Il semble toutefois que, même si l'on ne se réfère plus directement à cette échelle, des vestiges de son influence persistent dans notre conception du monde. On continue à dire que les bêtes sont «inférieures» aux humains ou à sous-entendre implicitement que ce qu'elles sont est moindre que ce que nous sommes (par exemple, en disant «Ce n'est qu'un chat!»). Grâce aux progrès sociaux, on en est venu à la conclusion qu'il n'y avait pas de place pour une telle échelle biologique au sein de l'humanité. On a alors simplement décrété que «tous les humains sont égaux» dans cette hiérarchie, tout en maintenant en place le reste du modèle. Or il ne s'agit là que d'une contorsion ridicule d'un modèle erroné pour se plier à la réalité observée; comme la théorie des épicycles dans le géocentrisme. La vérité c'est que nous ne sommes pas égaux… ni inférieurs ou supérieurs, puisqu'il n'y pas d'échelle de la vie ou de hiérarchie naturelle. Le concept même de «supériorité» est donc complètement vide de sens. Ce n'est là qu'une conception obsolète dont on devrait se débarrasser.

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*Dans des histoires de science-fiction telles que X-Men, on utilise ce genre de conception linéaire de l'évolution puisque l'on considère que «la prochaine étape» pour l'humain est d'acquérir de supers pouvoirs... très analogues à ceux des dieux polythéistes.

mardi 12 mai 2009

L'instinct

J'ai réfléchi sur l'instinct des animaux. Je me suis demandé ce que ressentait au juste l'animal lorsqu'il suit son instinct. Se sent-il «esclave» de celui-ci, comme on pourrait le croire en lisant certains philosophes? Est-ce plutôt comme un savoir ou un souvenir avec lequel il viendrait au monde?

L'erreur que l'on fait c'est encore de voir l'animal comme quelque chose de foncièrement différent de l'humain (raisonnement spéciste). Mais tout est en continu. Un organe complexe hyperspécialisé chez une espèce aura un analogue atrophié chez une autre. Nous avons donc sûrement en nous des vestiges d'instincts sous-développés.

Par exemple, le fait que l'on considère comme attirante l'odeur des fruits pourrait être considéré comme un proto-instinct nous dictant de manger des fruits. Le fait d'être répugné par l'odeur de nos excréments amène le comportement d'enfouir (ou de flusher) ces derniers. Le fait que la viande crue soit répugnante mais que la cuite soit attirante impose le comportement de cuisson de la viande. Et ainsi de suite.

L'animal vît sûrement son instinct de la même façon. Sauf qu'il ressent l'envie viscérale de faire quelque chose de plus précis et compliqué. Par exemple, l'oiseau va se dire «Tiens, j'ai le goût de ramasser des petites branches et de les rassembler pour construire un nid!» Mais encore là, le produit final de son œuvre, ainsi que sa fonction, ne sont peut-être pas «prémédités» par la conscience de l'animal. Disons qu'en voyant un arbre, le castor se dise «Je feelerais pour gruger moi-là…» et qu'en voyant l'arbre tombé sur le sol, il se dise «Il me semble que je le garocherais dans l'eau!» et ainsi de suite jusqu'à ce qu'il ait construit son barrage. Même chose pour l'araignée qui n'a sans doute pas en tête un plan détaillé de sa toile avant de la construire mais qui, à chaque fois qu'elle y place un fil, ne fait que réagir intuitivement à l'agencement des autres fils déjà en place.

Bref, un comportement instinctif serait en fait composé d'une série d'actes impulsifs (les bêtes n'ayant pas de conventions culturelles pour les inhiber). Chacun d'entre eux étant déclenché par l'accomplissement du précédent, et le tout étant programmé par la sélection naturelle pour accomplir une tâche complexe bénéfique pour la propagation des gènes de l'individu. Ce dernier percevrait son comportement instinctif comme un geste spontané qu'il accomplit en toute liberté.

vendredi 17 avril 2009

La simili-viande

Je vous ai déjà confessé mon végétarisme et je vous en ai donné les fondements éthiques. En vertu de ce choix alimentaire, il m'arrive fréquemment de consommer une catégorie d'aliments que l'on nomme «fausses viandes» ou «simili-viandes». Ce n'est pas du tofu. Ce sont des produits imitant les charcuteries traditionnelles mais n'étant composé que d'ingrédients végétaux comme du blé et du soya. La plupart de ces produits sont fabriqués par la compagnie Yves' Veggie, vous pouvez les voir sur leur site ainsi que connaître leur valeur nutritive. Souvent, ils sont nutritionnellement mieux cotés que leurs équivalents animaux.

Cette gamme de produits est très pratique. Par exemple, si je suis invité à un barbecue, je n'ai qu'à apporter mon paquet de saucisses «veggie dog» pour pouvoir maintenir mes choix alimentaires sans pour autant subir l'exclusion sociale (même si je vais inévitablement être victime de moqueries et de commentaires désobilgeants). Ou, simplement, si je manque d'imagination pour composer des plats végétariens, je puis faire une recette traditionnelle familiale en substituant le steak haché par du «faux bœuf haché».

J'entends souvent la même objection par rapport à ces produits. Elle me fait rire intérieurement tant elle me semble insensée quand on y pense comme il faut, même si elle a l'air logique si on l'écoute distraitement. Ça va comme suit :
« Moi je mangerais jamais ça de la fausse viande… Tant qu'à manger du faux aussi bin manger du vrai! »

On appelle ça de la fausse viande parce que ce n'est pas de la viande mais que ça a pour but d'occuper la même niche gastronomique. Ça sert à remplacer la vraie viande comme ingrédient dans les recettes. Cela ne rend pas ce produit «faux» pour autant. Il existe réellement! Et sa valeur nutritionnelle aussi. Ce n'est qu'un nom. Si l'on décidait d'appeler le chocolat du simili-caca, je ne pense pas que personne ne se mettrait à se délecter d'excréments en me disant «Tant qu'à manger de la marde, autant en manger de la vraie!»

+++ la portion qui suit est un ajout du 20 novembre 2009 +++

J'entends également parfois un autre commentaire à propos de la fausse viande. En plus de ceux qui me disent qui ne comprennent pas pourquoi je mange de la fausse viande plutôt que de la vraie, il y a ceux qui me disent :
«Si tu manges de la fausse viande c'est que, en quelque part, tu reconnais que la viande c'est bien.»

J'ai essayé de donner une version synthétique de cet argument mais, en gros, l'idée c'est que consommer de la fausse viande confirme qu'il faut manger de la viande, ou que la viande goûte bon, ou qu'on ne peut s'en passer, ou qu'elle est supérieure aux mets végétariens, etc. C'est un argument que l'on peut entendre autant de la part de non-végétariens que de végétariens ne mangeant pas de simili-viande.

Dans la perspective d'une éthique utilitariste, ce type d'argument n'a aucun sens (j'ai moi-même de la difficulté à en saisir le sens tant il me semble creux...). À moins de considérer que ce qu'il y a de non-éthique dans la consommation de viande c'est le fait de prendre plaisir à goûter le fruit de la souffrance animale (ce qui se défend moyennement...) et qu'en goûtant une imitation de ce produit on se souille autant qu'en goûtant l'original (ce qui m'apparaît indéfendable). Personnellement, c'est la souffrance elle-même que je considère indésirable et c'est le fait de créer une demande pour causer cette souffrance que je considère répréhensible.

Donc la consommation de simili-viande ne vient d'aucune façon affaiblir, ni même attaquer, les fondements de mon végétarisme. Le «mal» ne réside pas dans la viande mais dans la souffrance. Si l'on produisait en laboratoire de la vraie viande à partir de culture de cellules animales, je n'aurais aucune objection éthique à en consommer.

dimanche 29 mars 2009

Mon végétarisme

Mes réflexions m'ont éventuellement amené à adopter le végétarisme. Cette pratique alimentaire était la conséquence logique de ma conception du monde et m'y soustraire m'aurait mis en contradiction avec moi-même. En gros, on peut résumer mon raisonnement en trois points:

J'ai moins besoin de manger le porc que le porc n'a besoin de ne pas être mangé. Pour lui, cela signifierait la mort alors que, pour moi, c'est simplement la perte d'une saveur particulière. Donc, selon une éthique utilitariste, il ne serait pas légitime que je tue ce porc pour le manger si je puis bien vivre en m'en passant. Il y a plus de bonheur dans l'univers si ce porc ne meure pas pour me servir de repas. Les choses seraient différentes si j'étais un animal carnivore. Le loup ne peut survivre sans viande. Même si ce serait théoriquement possible de lui concevoir des substituts, le loup a la capacité de se pourvoir en viande mais pas celle de cultiver un champ de soya. Bref, son besoin «manger un cerf» est nécessaire à sa survie et arrive donc à égalité avec le besoin «ne pas être mangé» du cerf. Dans une telle situation, son égoïsme est légitime.

Selon ce raisonnement, il serait contraire à l'éthique, si je croiserais un porc sur le trottoir, de l'abattre dans le seul but de me délecter de sa chair. Mais qu'en est-il de l'action d'acheter de la viande à l'épicerie? L'animal est déjà mort. Même avec le bouche-à-bouche ou un défibrillateur, je doute que je puisse ramener à la vie un paquet de six McCroquettes. Toutefois, bien qu'acheter la viande d'une bête morte ne lui porte pas préjudice, cela est nuisible pour celle qui devra mourir pour prendre sa place sur la tablette. Ce n'est donc pas le geste de consommer la viande qui est contre l'éthique, c'est le fait d'encourager une entreprise à continuer d'élever et de tuer des animaux pour la consommation. C'est la demande que je crée qui fait que l'on abattra cette bête.

Maintenant, si l'on m'offre de la viande gratuitement? Je pourrais la manger sans financer les abattoirs. Toutefois, je préfère laisser cette viande à ceux qui n'ont pas choisi le végétarisme. En laissant plus d'individus dans le pool de proies, les prédateurs en tueront moins. Si mon hôte a un restant de viande demain midi, il s'en fera un sandwich ce qui lui évitera de s'acheter un met à base de viande au resto d'en face. Indirectement, j'aurai quand même réduit la demande.

Certains m'objecteront que l'animal d'élevage est créé pour être mangé, donc qu'il faut qu'on en mange autrement il n'aurait pas vécu du tout. La question devient un peu plus «métaphysique» et floue puisque cela considère qu'il est plus désirable d'exister, indépendamment de nos conditions d'existences, plutôt que de ne jamais exister. Mon opinion personnelle est diamétralement opposé avec celle-ci. J'approfondis un peu plus cette question ici.

Il m'est quand même arrivé une fois de manger de la viande. J'avais commandé une pizza nature (fromage et sauce seulement) et le livreur m'a donné une pepperoni-fromage. Il avait déjà quitté lorsque je m'en suis rendu compte. Étant donné que je ne pouvais plus rien pour cette pizza (qui serait jeté aux poubelles si je la retournais) et que la transaction avait déjà effectuée, j'ai dégustée cette pizza (qui, objectivement, n'étais pas très bonne finalement…). Car mon végétarisme est un principe éthique et non un tabou alimentaire. Le but n'est pas d'éviter de «me souiller» en touchant la chair morte avec ma langue, mais bien de réduire la souffrance dans l'univers.

Pour finir cette réflexion, je tiens juste à préciser que je ne porte pas de jugement de valeurs sur personne. J'ai évalué ici que mon besoin de manger de la viande était trop faible pour rivaliser avec les besoins vitaux de mes proies potentielles. Mais je ne suis pas vous (j'ai d'ailleurs employé le «je» tout au long de mon raisonnement). Peut-être avez-vous une telle «addiction» envers la viande qu'il vous serait inconcevable de vous en passer. Si tel est le cas, je me verrais mal vous dire : «Cessez de mangez de la viande, sombrez dans la dépression, puis suicidez-vous!» Moi je n'ai jamais trippé sur la viande, ça m'a toujours apparut comme un met plutôt fade. Je ne mangeais d'ailleurs que le blanc de poulet, le steak haché (dans de la sauce) ou les saucisses à hot-dog; le reste goûtait mauvais dans ma bouche sans une surdose de sauce ou de ketchup. Choisir le végétarisme fut donc facile pour moi. Mais si j'apprenais demain matin que le beurre de pinottes ou le chocolat est fait avec des pancréas d'enfants du Tiers-Monde, il me serait sans doute difficile d'arrêter d'en manger. Mais pour la viande, ce sont seulement les pressions sociales qui me font regretter de ne pas en consommer.

Comme je vous l'ai déjà mentionné en parlant des «monstres», je ne suis pas du genre à juger et à diaboliser ceux qui commettent des actions qui causent de la souffrance. En plus, je ne suis pas en train de dire que manger de la viande c'est «être méchant», je dis simplement que c'est un geste contraire à une éthique utilitariste car cela cause plus de souffrance que de bonheur dans l'univers. C'est comme de dire 2+2=4.

mercredi 25 mars 2009

Mon antispécisme

L'univers est un continuum, les frontières entre les ensembles ne sont que des conventions plus ou mois arbitraires. Cela est autant vrai pour la frontière que l'on met entre les espèces. Avant la théorie de l'évolution, c'était plus facile de définir les espèces puisqu'on les voyait comme des entités étanches créées distinctement. Aujourd'hui, on sait qu'elles partagent toute une filiation commune et que ces groupes se sont progressivement détachés les uns des autres par un procédé continu toujours en action. Comme toutes les espèces, la nôtre se définit comme «un ensemble d'individu interféconds». Ainsi, le «propre de l'Homme» n'est pas la parole, la culture ou la technologie, c'est uniquement d'être génétiquement compatible avec un autre humain. Un humain peut avoir une déficience intellectuelle le rendant psychologiquement équivalent à un chien et il demeura tout de même un humain.

Mon point est que, dans cette optique, l'ensemble «espèce» n'est pas un critère pertinent pour établir la limite de notre considération éthique. Bien sûr l'espèce est corrélée avec un grand nombre de traits – ceux qu'elle a acquis depuis sa spéciation – mais c'est sur ces traits eux-mêmes que l'on devrait focaliser et non sur le critère «espèce». L'interfécondité me semble un critère insuffisant pour établir les droits d'un individu. Pour moi, un chien qui aurait une mutation improbable le rendant capable de parler et de raisonner, mériterait d'avoir le droit de voter.

Un deuxième point très important qu'il faut également prendre en considération, c'est que les critères que l'on qualifie généralement de «propre de l'Homme», telles que la parole et la raison, sont souvent arbitrairement corrélé avec nos considérations éthiques. Logiquement, tout être capable de souffrir mérite que l'on prenne en compte le fait qu'il souffre. Un idiot ne souffre pas moins qu'un génie. Un sourd-muet ne souffre pas moins qu'une personne qui parle. Comme disait le philosophe utilitariste Jeremy Bentham (1748-1832) :
La question n'est pas, «peuvent-ils raisonner?» ni «peuvent-ils parler?» mais «peuvent-ils souffrir?»

Donc même si l'espèce était vraiment un ensemble étanche et bien défini empiriquement, il serait tout de même arbitraire de la choisir comme critère suffisant pour établir la limite de nos considérations éthiques. L'important n'est pas la catégorie dans laquelle on classe l'individu mais ses attributs intrinsèques personnels. Autrement ce serait une forme de discrimination arbitraire que l'on appelle «spécisme».

Je soutiens donc qu'il est important de donner aux animaux des droits à la mesure de leurs besoins, au lieu de ne pas leur donner de droit du tout. Ce point de vue est très rationnellement défendu dans le livre La libération animale du philosophe utilitariste Peter Singer (1946-…). Sinon, l'article Antispécisme de Wikipédia n'est pas mal non plus.

dimanche 15 mars 2009

Deux bêtes, deux mesures

Nous avons tous été choqués par le reportage sur les usines à chiots de l'émission Enquête à Radio-Canada. La réaction du public m'a cependant amené à un questionnement. Oui, ces chiens sont honteusement maltraités, mais s'ils réussissent à survivre à cette épreuve qu'est l'usine à chiots, ils auront la chance de passer leur vie dans une famille qui leur fournira nourriture, abri et amour. Les porcs d'un élevage intensif moderne ne seront pas mieux traités que ces chiens – ce sera probablement de pires conditions – et le mieux qu'il pourra leur arriver sera de finir comme bacon et tranches de jambon. Je me dis que, comme l'élevage représente l'intégral de leur vie, il est autant sinon plus important de leur offrir de bonnes conditions qu'il l'est de le faire pour les chiens.

Même chose pour ceux qui s'insurgent contre la chasse aux phoques. Peut-être est-il tué inutilement, mais le phoque pourra passer toute sa vie en liberté dans son habitat naturel avant que le chasseur ne vienne écourter son existence idyllique. Le poulet que tu manges aura passé sa vie dans une cage minuscule avec six autres poulets, on lui aura retiré le bec avec un coupe-ongle pour ne pas qu'il picore ses frères, il marchera sur un grillage inconfortable pour que ses excréments puissent tomber hors de la cage, et il finira accroché la tête en bas dans une machine qui lui tranchera la tête. Entre la vie du phoque et celle du poulet, je pense que je préférerais vivre celle du phoque. Donc ceux qui voulaient « boycotter les produits canadiens » pour protester contre le « massacre des phoques » me semblent hypocrites s'ils continuent de s'alimenter quotidiennement de viande d'animaux encore plus maltraités.

Ce qui m'écœure le plus, c'est que ce genre de discrimination spéciste que l'on fait entre les espèces animales n'est pas basée sur un critère pertinent. Les chiens et les phoques ne sont pas plus sensibles à la douleur que les porcs ou les poulets. Si l'on se soucie davantage des premiers que des seconds c'est uniquement parce qu'on les trouve plus cute. Personnellement, je ne pense pas que le droit à la vie et le droit d'être préservé de la souffrance devraient être fondés sur le critère de la mignardise.

samedi 21 février 2009

Éthologie et ethnologie

L'éthologie est l'étude du comportement animal tandis que l'ethnologie, la psychologie, la sociologie et les autres sciences humaines étudient le comportement humain.

Je trouve personnellement qu'entre éthologie et ethnologie, l'approche est trop différente. Pour l'humain, on va s'intéresser à sa conception subjective de ses comportements tandis que pour l'animal – vu qu'il ne peut nous expliquer ce qu'il fait – on va simplement faire une observation extérieure et objective de ses agissements.

Cela donne lieu à des aberrations dans la pensée commune. Par exemple, j'ai déjà entendu : « Seul l'humain fait l'amour pour le plaisir. Les animaux le font pour la reproduction uniquement. »* Cela est évidemment insensé. Je m'imagine mal un chien en train de se dire : « Ah j'haïs ça copuler, mais il le faut! L'avenir de l'espèce en dépend. » Je doute fort que les animaux soient conscient de la causalité entre copulation et reproduction. S'ils le font, c'est qu'ils y ressentent un stimulus positif; c'est-à-dire du plaisir!

Bref, tout ce que je voulais dire ici c'est que l'illusoire « abîme » séparant l'humain de la bête semble réel surtout parce que l'on étudie le comportement humain sous un angle complètement différent de celui qu'on utilise pour étudier le comportement animal. Mais quand ce sont des ethnologues – comme Jane Goodall (1934-...) et Dian Fossey (1932-1985) – qui étudient le comportement des primates et quand ce sont des éthologues qui étudient le comportement humain, la frontière bestio-humaine s'évapore.

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* Cette phrase est une mauvaise formulation pour dire que seul l'humain (et le dauphin!) copule même lorsque la femelle n'est pas dans ses chaleurs. Donc, uniquement pour le plaisir de la chose, sans que cela n'est une fonction reproductive. Mais, encore là, je ne suis pas certain que ce soit vraiment propre à l'humain et au dauphin.

mercredi 21 janvier 2009

L'évolution

Cette année, cela fait 200 ans que le naturaliste Charles Darwin (1809-1882) est né et 150 ans que son oeuvre maîtresse, L'Origine des espèces, a été publiée. En cet honneur, je vais vous faire part ici d'une vulgarisation personnelle de sa théorie. Pas seulement en cet honneur, en fait, car la prise de conscience de ce fait scientifique est l'un des piliers de ma philosophie. À cause de l'obscurantisme religieux, certains persistent à demeurer créationnistes, mais même les gens acceptant la réalité de l'évolution ne la saisissent pas toujours entièrement et conservent certaines croyances ne tenant pas compte de ce fait. Je vais tâcher, au mieux de mes capacités, de vous vulgariser la théorie moderne de l'évolution.

L'évolution est le résultat de deux phénomènes antagonistes : la diversification et la sélection. Les mutations aléatoires qui surviennent parfois lors de la méiose causent un accroissement de la diversité. L'individu mutant naîtra avec une différence – pouvant être très voyante ou imperceptible – par rapport à ses congénères. La plupart du temps ces mutations sont bénignes, souvent elles sont nuisibles mais quelques fois elles sont utiles. Parallèlement, les contraintes imposées par le milieu de vie feront en sorte que certains individus d'une population auront plus de facilité à survivre et à se reproduire que d'autres. Par exemple, les pinsons ayant le bec un peu plus gros que leurs frères pourront picorer des grains plus gros inaccessibles aux autres. C'est la sélection naturelle. Les traits (issus des mutations) sont «sélectionnés» par des pressions (issus de l'environnement) ce qui engendre la transformation progressive de la population.

Lorsque deux populations d'une même espèce se retrouvent séparées l'une de l'autre par une barrière géographique, elles ne pourront plus s'échanger du matériel génétique. Elles vont donc cumuler leurs propres mutations chacune de leur côté. Si leur environnement est différent, la sélection naturelle choisira des mutations différentes dans chaque population, les faisant évoluer différemment. Si la situation persiste, à un moment donné les deux populations auront cumulés tant de différences qu'elles ne seront plus compatibles génétiquement. Elles auront perdu leur fécondité réciproque. C'est la spéciation. Une espèce en devient deux. Une fois que ce point est franchi, les deux populations devenus deux espèces ne pourront plus jamais s'échanger leurs gènes, ce qui fait qu'elles vont continuer à diverger l'une de l'autre même si la barrière géographique qui les séparait disparaît.

Il faut comprendre que dans tout ça il n'y a pas de bien ou de mal, de supérieurs ou d'inférieurs, de forts ou de faibles. Cette théorie scientifique n'a pas pour but de nous donner un repère moral, de justifier une quelconque pratique ou de donner un sens à nos vies. Elle fait juste expliquer comment les espèces se sont divisées et transformées.

L'évolution n'est pas unilinéaire. L'humain n'est pas «l'espèce la plus évoluée» (expression totalement vide de sens…) ni le but de la Vie ou de l'univers. Le parcours de la vie est multilinéaire, formant un arbre semblable à un arbre généalogique. C'est sans doute justement parce qu'elle nous faisait perdre notre statut de «roi de la Création» que cette théorie a eu de la difficulté à percer. C'est pour la même raison que le géocentrisme a eu de la difficulté à laisser sa place. L'humilité est une rare vertu. Aujourd'hui, seuls quelques extrémistes religieux nient encore la réalité de l'évolution.