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dimanche 2 juin 2013

Les difficultés de l'utilitarisme

À la base, l'éthique utilitariste que je défends est assez simple. Il s'agit de maximiser l'indice de bonheur, de choisir l'option qui rendra autrui le plus heureux possible. On peut se représenter l'Autre comme une sorte de «jauge» nous disant où se situe son niveau de bonheur:


C'est donc très simple. Si je commets une action qui fait baisser cette jauge, j'agis mal, si je la fais monter, je suis gentil. Mais des difficultés peuvent survenir dès que la situation ne peut plus se modéliser de manière aussi simpliste, ce qui peut entraîner des désaccords entre les utilitaristes. Dans mon modèle de «jauge du bonheur», elles se classent dans deux catégories:
  • S'il y a plus d'une jauge à considérer, c'est-à-dire s'il y a plusieurs individus affectés différemment par mon action.
  • Si mon action modifie le nombre de jauges plutôt que le niveau de bonheur d'une jauge. Par exemple, si je tue un individu je ne le rends pas malheureux; sa jauge ne baisse pas mais disparaît.

Ces cas offrent plusieurs possibilités. Devrais-je additionner tous les individus de l'univers en une seule et même jauge? Devrais-je favoriser l'action qui causerait le plus grand bonheur à un individu spécifique? Devrais-je répartir ce bonheur sur le plus grand nombre d'individus possibles? Ou devrais-je plutôt m'assurer que tous ait, minimalement, un niveau acceptable de bonheur?

La tendance générale, chez les autres utilitaristes, sera de consolider toutes les jauges en une unique jauge – soit en les additionnant, soit en faisant une moyenne – ce qui implique que l'on peut sacrifier un individu donné pour le bénéfice de plusieurs, conclusion souvent contre-intuitive et critiquée par les adeptes d'éthiques déontologistes. Ma position est différente. Dans mon modèle, je considère que ce «bonheur de l'univers» est une pure construction de l'esprit – au même titre que l'honneur ou la souillure – puisqu'elle ne représente aucun individu réel. Ce fictif «monstre d'utilité» ne devrait pas avoir plus de droits que les individus, qui eux existent vraiment. En fait, la raison même qui m'a fait privilégier l'utilitarisme sur ses rivales, c'est parce qu'elle ne s'appuie que sur des choses terre-à-terre, mais en l'agrémentant d'un «bonheur du plus grand nombre», elle perd cet avantage.

Ce que je prône, si l'on s'en tient à ma modélisation de l'éthique sous forme de jauges, serait de ne pas additionner les jauges et de considérer celles qui n'existent pas ou plus comme étant à zéro (c'est-à-dire «neutres», ni heureuses ni malheureuses). Concrètement, ça se résumerait à:
  • Lorsqu'il y a plusieurs jauges (donc plusieurs individus) affectées par mon action ou mon inaction consciente, je dois favoriser le résultat qui permettra de répartir le bonheur de façon à ce que tous soient au-dessus du seuil de contentement, plutôt que le résultat qui donnerait une somme de bonheur supérieure. C'est ce que j'exprimais dans ma réflexion sur l'éthique sur le nombre.
  • Lorsque mon action pourrait faire disparaître une jauge existante (c'est-à-dire, tuerait quelqu'un), je dois considérer que je retirerais à cet individu le bonheur et la souffrance qui lui resterait à vivre si je ne le tuais pas (et que «retirer un bonheur» équivaut à «donner une souffrance» et inversement). Je dois aussi considérer que contrarier son désir de continuer à vivre ou de mourir est une souffrance. Ainsi, commettre un meurtre est répréhensible mais euthanasier une personne en phase terminale d'une maladie douloureuse et qui désire qu'on l'aide à mettre fin à ses jours, ne l'est pas.
  • Lorsque mon action fait apparaître une nouvelle jauge (par exemple, si je donne naissance à quelqu'un), cela ne constitue en soi ni un bien ni un mal, puisque celui qui n'existe pas ne souffre pas de son état et ne désir pas venir à l'existence. De plus, en amenant autrui à l'existence contre son gré (forcément!), je m'engage tacitement à faire tout ce qui est en mon pouvoir pour que le bonheur domine la souffrance dans sa vie, de sorte que je le fasse passer de «neutre» (inexistant) à «heureux».
  • Lorsque mon action empêche une potentielle nouvelle jauge d'exister (par exemple, si j'avorte ou que j'utilise la contraception), cela ne constitue en soi ni un bien ni un mal, puisque celui qui n'existe pas ne souffre pas de son état et ne désir pas venir à l'existence. De plus, empêcher une nouvelle jauge de naître (donc l'équivalent de laisser à zéro une jauge de zéro) est un acte éthiquement supérieur à celui de générer une nouvelle jauge dans laquelle la souffrance dominera sur le bonheur (donc, faire tomber dans les négatifs une jauge qui était à zéro). C'est ce que j'exprimais dans mes réflexions sur le futur et sur l'eugénisme.

Bref, bien que mon éthique soit clairement utilitariste, elle a ses propres manières de résoudre les difficultés de ce paradigme moral. Ainsi, pour la distinguer de ses sœurs, je qualifie mon éthique d'utilitarisme individualiste, puisque je focalise sur l'individu et non sur le groupe ou sur la somme des individus.

dimanche 19 mai 2013

Contre la peine de mort

J'ai lu récemment dans La Presse que, selon un sondage, la majorité des Québécois seraient en faveur du retour de la peine de mort. J'en ai été fort déçu. Qu'elle soit encore pratiquée dans quelques pays barbares, comme les États-Unis par exemple, c'est une chose. Mais que les gens d'une société soi-disant progressiste soient majoritairement pour, c'est décevant.

Il y a plusieurs excellentes raisons d'être contre la peine de mort. L'une qui est souvent invoquée est le caractère irréversible de la peine et la possibilité d'erreur judiciaire. Cet argument ne me séduit pas tant. Une erreur judiciaire est toujours grave et une sanction n'est jamais totalement réversible. On peut remettre en liberté celui qui a été injustement condamné à la prison à vie, et lui fournir un dédommagement monétaire pour ses années d'incarcérations, mais on ne peut pas lui rendre les années de vie qu'il a perdues. Ce n'est donc pas pour ça que je suis contre la peine de mort.

Ce qui m'agace le plus, en fait, c'est que l'État se place «au-dessus» de la justice lorsqu'il exécute un criminel. En effet, puisque tuer est illégal, autoriser l'État à tuer c'est lui permettre d'outrepasser les principes même qu'il nous impose. C'est faire au criminel précisément ce qu'on lui reproche. Je suis conscient que dans un paradigme de justice plus primitif, «tuer un tueur» est une façon de rétablir l'équilibre, mais à mes yeux c'est surtout une flagrante incohérence.

Pour moi, comme je l'ai dit dans ma réflexion sur la justice, la seule souffrance qu'il soit légitime d'imposer à un criminel lors d'une sanction, est la souffrance minimale requise pour qu'il cesse d'être lui-même une source de souffrance pour autrui. Ainsi, tuer ne se justifie qu'en cas de légitime défense; qu'on soit un citoyen ou l'État. L'action d'exécuter un criminel répond-elle aux critères requis pour être qualifiée de légitime défense? Pas du tout. Ce serait l'équivalent de tuer une personne qui nous menace, dans une situation où l'on aurait pu très facilement la désarmer et l'immobiliser.

Il paraîtrait également que, dans les pays pratiquants la peine de mort, les familles des victimes peuvent assister à l'exécution du criminel (et pourquoi pas le mettre dans une arène avec des lions tant qu'à ça…). C'est donc, clairement, que l'exécution s'inscrit dans un paradigme de vengeance plutôt que de prévention du crime. C'est dépassé. Tuer une personne n'effacera pas les conséquences de ses crimes. On ne peut pas extraire la vie du criminel pour la réinjecter dans le cadavre de sa victime afin de la ressusciter. La sanction devrait donc toujours être tournée vers l'avenir: prévenir les crimes futures et non venger ceux du passé.

On va me dire parfois: «Si ta fille se faisait violer et tuer, tu voudrais que le coupable meure!» Évidemment que je voudrais qu'il meure. Sans doute voudrais-je aussi le tuer moi-même, après lui avoir infliger d'atroces souffrances, comme dans ce film. Mais serais-je dans un état d'esprit approprié pour prendre une décision calme et éclairée? Bien sûr que non. Je serais beaucoup trop impliqué émotionnellement dans la situation. Ce n'est pas ce genre de pulsions vengeresses et haineuses qui devraient servir de piliers à notre système de justice.

Le seul argument pro-peine de mort que je trouve pas si pire est l'argument économique. Comme quoi que de financer les prisons coûte cher, donc que pour alléger leur fardeau, il vaudrait mieux euthanasier quelques-uns de leurs pensionnaires... À cela je réponds qu'il serait moins coûteux d'investir dans des programmes sociaux faisant en sorte que moins de gens ne grandissent dans un environnement malsain propice à faire d'eux des criminels. Mais je serais également en faveur de rentabiliser les prisons en faisant travailler les détenus. À condition, bien sûr, qu'on leur donne des conditions de travail semblables à celles d'un travailleur libre. Que la prison coûte cher à financer est sans doute un problème, mais il y a à cela des solutions moins drastiques que de tuer des gens.

Bref, arrêtez d'être pour la peine de mort. Sérieusement. Soyez meilleurs que les criminels que vous vous permettez si facilement de juger.

mardi 23 février 2010

Suicide et euthanasie

Dans ma réflexion sur le meurtre, j'en étais venu à la conclusion que même si la mort n'est ni un mal ni un bien, l'acte de tuer était tout de même mal selon mon éthique. Compte tenu que la seule chose qui soit répréhensible c'est d'engendrer la souffrance, et que retirer un bonheur équivaut à donner une souffrance, alors on peut dire que retirer à une personne toutes les joies qui lui restent à vivre est mal.

Soit. Mais pour arriver à cette conclusion, il faut prendre certaines choses pour acquis. Si je m'abstiens d'assassiner cette personne, peut-être se fera-t-elle happer par un autobus demain matin. Nous avons une certaine ignorance de l'avenir. C'est pourquoi ma désapprobation du meurtre découle de ces trois postulats à propos de la victime potentielle:
  1. Sa durée de vie restante est significative;
  2. Elle vivra, en moyenne, plus de bonheurs que de souffrances;
  3. Elle désire continuer à vivre;

Mais supposons j'ai les données pouvant contredire ces postulats. Si une personne est en phase terminale d'une maladie douloureuse et qu'elle me fait part de son souhait d'être euthanasiée, la tuer serait-il toujours répréhensible? Je ne vois pas en quoi. Au contraire, en lui retirant le peu de temps qui lui restait à vivre, on ne fait que supprimer des instants douloureux. C'est donc un devoir éthique que de tuer dans une telle situation.

On pourrait à cela ajouter le fait que la personne doit être libre de disposer d'elle-même; donc qu'on doit la tuer si c'est ce qu'elle veut sans se poser plus de questions...? Toutefois, comme je l'ai déjà dit précédemment, il n'est légitime d'accorder à une personne le droit de disposer d'elle-même que si sa décision est éclairée. Or, une décision éclairée ne peut être prise que si l'on a une connaissance minimale des implications. Étant donné que l'on ne connaît pas la mort, on ne peut la désirer pour elle-même. On désire seulement que cessent certaines souffrances que l'on croit, à tord ou à raison, être inhérentes à notre vie. Il est donc légitime d'empêcher une personne suicidaire de passer aux actes si sa croyance qu'elle souffrira toute sa vie est fausse.

Je conclus en vous proposant ce dilemme éthique qu'on m'a soumis récemment:
Une personne dépressive entre dans un hôpital en disant «J'en ai assez de vivre, je prévois me suicider aujourd'hui. Aidez-moi à mourir, ainsi vous pourrez prélever mes organes pour sauver des gens qui veulent vivre.» Les médecins devraient-ils acquiescer à la demande du suicidaire?

Personnellement, je n'ai pas su répondre, mais je vois plusieurs faits à considérer. Intuitivement, je dirais que les médecins devraient plutôt envoyer cette personne chez un psy pour qu'elle cesse de vouloir mourir. Toutefois, si c'est ce que font normalement les médecins et que le suicidaire le sait, il n'ira pas à l'hôpital et mettra fin à ses jours autrement. Conséquemment, on ne le sauvera pas et ses organes ne seront peut-être plus en bon état pour la transplantation.

C'est une conclusion aberrante et j'en suis conscient, mais il semble que si les médecins avaient pour consigne d'accepter ce genre de requête, il n'y aurait pas plus de suicides (puisque la personne se serait suicidée ailleurs de toute façon) et ceux qui ont besoin d'une greffe en bénéficieraient. Cependant, je suis intuitivement rebuté par cette conclusion.

lundi 30 novembre 2009

Sens de la vie et de l'après-vie

Comme je l'ai déjà mentionné dans ma réflexion sur la vie après la mort, certaines personnes pensent qu'il est nécessaire, pour donner un sens à sa vie, de croire qu'il y a quelque chose après la mort et que notre conscience est immortelle. Pour moi, il n'y a rien après la mort mais cela n'enlève rien à la valeur de la vie; au contraire. On cherche à donner un «sens» à sa vie parce que l'on sait que l'on cessera d'exister un jour et que l'on veut laisser au monde une part de nous-mêmes qui nous survivra. Mais si je crois que vais exister pour toujours, je n'ai pas besoin de sens.

Décortiquons un peu tout ça. D'abord, faisons une distinction entre notre «vie terrestre» (période séparant notre naissance de notre mort) et notre «existence totale» (notre vie terrestre plus tout ce qu'il y aurait après ou avant). Pour moi, évidemment, les deux ne font qu'un, mais pour une personne qui croit en la survivance de l'âme, il y a une distinction énorme. La question que l'on pourrait se poser, c'est si la croyance en l'après-vie donne un sens à notre vie terrestre ou à notre existence totale?

À la base, si une personne se contente de croire qu'il y a quelque chose après la mort, alors je dirais que cela ne donne pas de sens à la vie terrestre. C'est tout le contraire, la vie ne devient qu'un pénible et bref instant à passer avant de pouvoir accéder au party perpétuel de l'immortalité postmortem. Cela ne donne pas non plus de sens à notre existence totale, en fait ça nous évite d'avoir à lui donner un sens. Puisque si l'on est éternel, on peut se contenter de vivre le moment présent sans se soucier de ce qu'il y aura après. Avoir un sens dans sa vie n'est utile que lorsque l'on arrive au crépuscule de notre existence et que l'on en fait le bilan. Mais si celle-ci n'a pas de fin, elle n'a pas non plus besoin de finalité.

La croyance en l'après-vie peut cependant donner un sens à la vie terrestre si on y ajoute une notion de karma (donc que nos gestes dans la vie terrestre influencent notre sort après la mort) ou si on la combine avec d'autres croyances obscurantistes telles que des commandements divins par exemple. Ça me semble toutefois un raccourci un peu facile, fait pour ceux qui n'ont pas le courage de s'interroger et de donner réellement un sens à leur vie. Par ailleurs, cela ne donne pas plus de sens à notre existence totale. C'est fuir la question plutôt que d'y répondre.

samedi 28 novembre 2009

Respecter une dernière volonté

A-t-on des devoirs envers une personne défunte?

Tous comme les gens du futur, les gens du passé existent mais dans une autre période. Par conséquent, ils sont capables de bonheur et de souffrance et il est légitime de considérer leurs intérêts. Toutefois, puisque nous nous trouvons en aval dans l'axe temporel, aucun de nos gestes ne peut avoir de répercutions sur eux puisqu'un rapport causal s'effectue toujours du passé vers le futur et jamais dans l'autre sens. Conséquemment, nous ne pouvons, d'aucune façon, influer sur le bonheur ou la souffrance d'un être se trouvant dans une époque antérieure, ce qui fait qu'il est futile de considérer leurs intérêts dans nos actions.

Nous avons par contre des devoirs envers les personnes vivantes dans le présent. Je peux donc prendre un engagement envers l'un de mes contemporains, mais qui s'étendrait jusqu'après sa mort. Le fait de savoir que mes dernières volontés seront respectées après ma mort peut avoir un impact sur mon bonheur pendant ma vie. Ce raisonnement ne m'impose cependant pas de respecter réellement l'engagement que j'avais pris avec une personne défunte, il importe seulement que, de son vivant, la personne croit que sa volonté sera respectée après sa mort. Une fois trépassée, elle n'a aucune manière de savoir si l'on tient notre engagement et ne peut donc aucunement en souffrir. De ce point de vue, on est tacitement libéré de notre engagement envers elle à partir du moment qu'elle n'existe plus. Je pourrais donc mentir à la personne, lui dire que je vais m'occuper d'entretenir la maison ancestrale comme promis, puis décider de la vendre aussitôt que j'en hérite. L'important c'est qu'elle meure en ayant la certitude que sa volonté sera respectée; qu'elle le soit effectivement ou non ne l'affectera pas.

Mais si les vivants réalisent que l'on ne tient pas les engagements que l'on a pris envers les défunts, ils sauront qu'on ne respectera pas non plus leurs dernières volontés quand ils ne seront plus là et souffriront de ça. Le fait de ne pas respecter une dernière volonté causerait donc de la souffrance, non pas à la personne défunte, mais aux vivants qui souffriraient de savoir que ce type d'accord n'est pas respecté. C'est la raison qui me pousse à croire qu'il est éthiquement important de respecter la volonté des morts.

Cela ne doit toutefois pas trop interférer avec les intérêts des vivants. J'ai l'impression que l'on a tendance à surcompenser l'asymétrie inhérente au fait que les défunts ne sont plus là pour renégocier les ententes que l'on a avec eux, en faisant des concessions que l'on ne ferait pas avec les vivants. Dites-vous que si le mort n'est effectivement plus là pour défendre sa cause, il n'est plus là non plus pour souffrir que sa cause ne soit pas défendue.

samedi 21 novembre 2009

En tuer un pour en sauver cinq

En philosophie éthique, on utilise souvent les deux scénarios suivants pour vérifier si une personne est utilitariste et jusqu'à quel point elle l'est.
SCÉNARIO #1
Un groupe de terroristes s'apprête à exécuter six otages. Pour une raison quelconque, ils vous font l'offre suivante : si vous tuez vous-mêmes l'un des otages, ils relâcheront les cinq autres. Mais si vous refusez, les six seront exécutés comme prévu.

La bonne réponse est évidemment de tuer soi-même une personne pour en sauver cinq plutôt que de les laisser tous mourir (y compris celle que vous auriez choisie de tuer). Mais les non-utilitaristes, pour respecter l'impératif catégorique «Tu ne tueras point» ou pour éviter de se salir les mains, préféreront éviter de commettre un meurtre quitte à laisser cinq personnes mourir. L'autre mise en situation est différente :
SCÉNARIO #2
Vous êtes médecins. L'un de vos patients va mourir car il a besoin d'un rein. Un autre va mourir puisqu'il lui faut une greffe de cœur. Un autre a besoin d'un foie, un autre d'un pancréas et un cinquième patient a besoin d'un poumon. C'est alors qu'un homme vient vous voir en consultation. C'est un athlète en pleine forme qui vient vous voir pour un furoncle. Si vous le tuez, vous pourriez donner ses organes à vos cinq autres patients et ainsi sauver cinq vies en n'en sacrifiant qu'une seule.

Dans cette situation, peu de gens répondront qu'ils tueraient l'homme bien portant pour sauver les cinq malades. La différence principale est que, dans ce second scénario, le sacrifié n'appartient pas au même ensemble que les personnes sauvées. Et c'est toute une différence! Même si l'utilitarisme orthodoxe voudrait que l'on privilégie le plus grand nombre, ce n'est pas la position à laquelle j'adhère.

Je considère que mon premier exemple n'opposait pas «tuer une personne» à «laisser mourir six personnes» puisque l'otage que je tuerai mourra peu importe l'alternative. Elle ne fait donc pas partie de ce qui est sous mon pouvoir et ne doit donc pas être considérée dans mon calcul éthique, pas plus que n'importe quel autre événement extérieur n'ayant aucun rapport avec la situation. Le choix est donc «ces cinq personnes meurent» versus «ces cinq personnes ne meurent pas». Avant même de choisir laquelle parmi ces personnes sera ma victime, je puis considérer que m'abstenir d'en tuer une aura des conséquences pires pour tout le monde. Évidemment, la question de savoir lequel des otages je devrais tuer est un dilemme moral en soi, mais considérant que le pire choix est moins pire que l'absence de choix (laissant mourir les six), il faut bien en choisir une.

Le second scénario, pour sa part, est le seul des deux qui pose réellement la question «Peut-on et doit-on sacrifier une vie pour en sauver cinq autres?» Comme je vous le disais précédemment dans ma réflexion sur l'éthique du nombre, la réponse à cette question ne m'apparaît pas comme allant de soi. Je dirais que ça dépend de la situation et qu'il y a plusieurs angles sous lesquels on peut aborder le problème.

Par exemple, on pourrait se dire que compte tenu que la mort n'est rien pour le mort, ce n'est peut-être pas le meurtre en lui-même qui constitue un mal mais les conséquences pour les survivants. Dans cet optique, tuer cinq inconnus sans famille pour sauver une célébrité aimée de tous est éthiquement défendable. On peut aussi regarder ça sous le point de vue des victimes. Si l'athlète préfère ne pas être tué pour donner ses organes à cinq patients, il me semble que c'est un cas d'égoïsme légitime. Mais c'en serait un aussi si l'un des patients décidait de tuer l'athlète pour lui voler l'organe dont il a besoin pour vivre. Ce serait aussi légitime qu'un prédateur qui tue sa proie.

Finalement, on peut aussi aborder cette question par une approche un peu plus axée sur la règle et se demander s'il vaudrait mieux vivre dans une société où il est permis de tuer l'un de nos concitoyens pour survivre ou dans une où cet acte serait prohibé sauf en cas de légitime défense. Imaginons que l'on doive effectuer ce choix sans savoir si l'on aura ou non besoin un jour d'une greffe d'organe. On peut facilement prendre conscience que le climat de stress perpétuel dans une société où les citoyens peuvent être prédateurs les uns des autres est une conséquence néfaste sur le bonheur collectif.

Et l'on pourrait même tenter de produire un scénario intermédiaire :
SCÉNARIO #3
Un groupe de terroristes s'apprête à exécuter six otages. Pour une raison quelconque, ils vous font l'offre suivante : si vous tuez vous-mêmes l'un des otages, ils relâcheront les cinq autres. Mais si vous refusez, ils en tueront cinq au hasard pour n'en épargner qu'un seul.

S'il s'avérait que, dans ce troisième scénario, l'otage que j'aurais choisi d'exécuter serait la même que les terroristes auraient choisi d'épargner en cas d'abstention de ma part, alors on se retrouverait dans un dilemme semblable au scénario #2. Autrement, ça reviendrait au même que le scénario #1. Dans une situation où l'on ne peut pas prédire qui seront les victimes (et qu'elles sont pigées dans un même pool), leur nombre m'apparaît comme étant la variable à considérer.

Bref, la question «Vaut-il mieux tuer cette personne-ci plutôt que ces personnes-là?» est beaucoup plus discutable et moins tranchée que la question «Vaut-il mieux tuer l'une de ces personnes-ci plutôt que toutes ces personnes-ci?» dont la réponse (oui) me semble évidente.

mardi 12 mai 2009

Tu ne tueras point

Durant mes réflexions sur l'éthique, je n'ai pas réussi à trouver pourquoi le meurtre serait un mal en soi. Bien sûr, je n'ai pas de difficulté à percevoir le mal qu'il y a autour d'un meurtre. Par exemple, dans la souffrance que ressent la victime lorsqu'elle anticipe son sort, et évidemment dans celle de ses proches endeuillés. Mais, prise isolément, la mise à mort elle-même me semble plus difficile à condamner. Étant donné que la mort n'est rien pour nous, le fait de la donner n'est ni un mal, ni un bien.

Si nous étions tous virtuellement immortels et que seul un accident ou un meurtre pouvait mettre fin à nos jours, alors l'acte de tuer aurait une portée différente. En assassinant quelqu'un, je serais responsable de sa mortalité et je lui enlèverais les innombrables potentialités qui lui restaient à vivre dans son existence sans fin. Dans notre monde où la mort est obligatoire, tuer ne fait que rapprocher l'inévitable. Le meurtrier n'est pas responsable du fait que sa victime soit mortelle; même s'il est la cause de sa mort, sans son intervention, elle serait tout de même morte un jour où l'autre.

Je me suis dis que le mal dans l'acte de tuer résidait dans le fait que l'on privait un être de toutes les expériences agréables qui lui restait à vivre. Cela implique que, dans une situation où l'on pourrait présumer avec un taux de certitude suffisant qu'une personne va souffrir pour le restant de son existence, la tuer (l'euthanasier) n'est plus un mal mais un bien.

Je ne suis pas sûr mais il me semble que pour que l'on puisse voir du mal dans le meurtre il nous faut de la souffrance. Il faudrait donc que, dans les instants précédant son décès, la victime prenne conscience du fait que sa mort est imminente pour qu'elle puisse souffrir du fait de ne pas pouvoir vivre tout ce qu'elle voulait vivre. Sinon, c'est un peu comme voler une personne sans qu'elle ne s'en aperçoive ni ne manque de ce qu'on lui a pris. «Ce qu'on ne sait pas ne fait pas mal.» S'il n'y a aucun moment dans son existence où la victime souffre de son meurtre, d'un point de vue utilitariste, il n'y a aucun mal pour elle.

Pour isoler le meurtre de ses conséquences secondaires, imaginons une situation hypothétique improbable. Imaginez que je tue une personne si rapidement qu'elle n'a pas le temps de souffrir ni même de se rendre compte qu'elle meure. Présumons que cette personne n'a pas non plus pu anticiper mon geste d'aucune façon que ce soit. Finalement, prenons pour acquis que cette personne n'avait aucun proche d'aucune sorte et que nul ne s'aperçoive jamais de son décès. Dans cette situation «idéale», élaguée de toute souffrance collatérale, il ne semble y avoir rien de mal dans mon meurtre. Toutefois, la gratuité d'un tel geste me révulse intuitivement…

mercredi 25 mars 2009

Les livres attrape-nigauds

Voici donc les principales catégories de livre ayant pour but d'escroquer les esprits faibles.

Il y a ceux du culte de la «force d'attraction» ou «loi de l'attraction». Tels que Que la force d'attraction soit avec vous ou Les clés de la loi d'attraction. Le livre Le Secret et ses déclinaisons (Le Secret décrypté, Le secret du Secret, Le plus vieux secret du monde, Le secret de la rose, Le secret c'est Dieu, etc.) font également partie de cette catégorie qui inclue aussi tout ceux ayant «millionnaire» dans le titre ou «Marc Fisher» comme auteur. Il s'agit de livres valorisant la pensée magique. Avoir une attitude positive pourrait non seulement nous aider à passer une entrevue ou à réussir un examen, mais ça nous permettrait également de gagner à la loterie ou qu'il fasse beau demain. Cela est bien sûr absurde. On nous sortira comme argument que «Quelqu'un qui avait lu Le Secret a gagné à la loterie!» Ce qui est pour moi totalement explicable sans cause surnaturel. Il y a tellement de gens qui ont acheté Le Secret (c'est un best-seller!) qu'il y a toutes les chances pour que le gagnant du gros lot en fasse partie.

Ensuite, il y a les livres de médecines alternatives. Tout ceux qui parlent de l'énergie vitale (ch'i ou ki) et des chakras, ou qui disent que toutes les maladies sont psychosomatiques ou qu'elles ont en sens, en font partie. De même que les régimes des groupes sanguins, l'homéopathie et la majorité de la naturopathie. Ceux-là sont plus dangereux. Des gens se diront : «Bah, oublions la chimio… J'ai juste à mieux exprimer mes émotions, à jeûner pendant une semaine et à manger un pois sec, pis je vais être guéri de mon cancer!» et mourront quelques mois plus tard. Certains plus cyniques me diront que c'est la sélection naturelle et qu'il est normal donc que les gens moins intelligents meurent à cause de leur propre stupidité. Ce point de vue ne me semble pas défendable éthiquement.

Il y également les livres millénaristes, c'est-à-dire qui nous disent que la fin du monde est proche et que les élus seront sauvé pour aller dans un monde meilleur mais que les autres souffriront atrocement et seront détruits. En ce moment, la date de la fin du monde est le 21 décembre 2012, mais il n'y a pas si longtemps c'était le 31 décembre 1999 et avant cela c'était prévu pour 1984. En fait, on est toujours à moins de vingt d'une fin du monde. Quand la date passe et qu'il ne se passe rien, on la repousse vers une date ultérieure en fonction d'une autre soi-disant convergence de prophéties (en effaçant de nos mémoires le fait que la dernière prédiction d'apocalypse ne s'est pas réalisée). Par exemple, les Témoins de Jéhovah ont été fondés par un gars qui prétendait que la fin du monde serait pour 1914. Il l'a ensuite repoussé d'une dizaine d'année, puis une autre fois. Aujourd'hui, les Témoins de Jéhovah disent encore que la fin du monde est proche mais ne donnent plus de date précise; ils ont compris.

Il y a les livres de médiums. L'auteur est donc quelqu'un qui dit être en contact avec un guide surhumain quelconque (son fils décédé ou un maître archange ascensionné de niveau 7 avec une épée +1) qui lui dit que la mort n'est qu'un passage et qu'après c'est bin plus cool que maintenant. Je trouve toujours triste et pathétique ce genre de livre. Être à ce point incapable d'accepter l'existence de la mort doit être difficile à vivre.

Il y a aussi les livres conspirationnistes. Leur niveau de paranoïa et d'imagination est surprenant. C'est une chose de dire «l'administration Bush nous a peut-être caché certaines données sur le 11 septembre 2001...» mais c'en est une autre de dire «les attentats du 11 septembre, ainsi que tous les événements historiques importants, font partie d'une conspiration pour que le monde soit contrôlé par une société secrète qui date de 6000 avant notre ère, fondé par les mages sumériens, les templiers et les chevaliers de Colomb, et qui est composée de reptiles extraterrestres qui s'était installés sur un continent engloutie et qui peuplent désormais le monde souterrain» Il me semble que la version de celui qui remet en doute la version officielle mérite tout autant – sinon plus – d'être remise en doute que la version officielle.

Une réflexion sur les livres attrape-nigauds serait incomplète si je ne parle pas des champions intemporels de cette discipline : la bible, le coran, les vedas, la torah, etc. Il y aussi les livres d'astrologie dont je pourrais parler. Mais, malheureusement, cette réflexion est déjà assez longue comme ça. Ça prendrait trop de place! Vous vous en tirez pour l'instant, mais ce n'est que partie remise.

samedi 21 mars 2009

La vie après la mort

La plupart des gens croient en ce qu'ils appellent «l'âme». Il s'agit d'un hypothétique organe invisible où siégeraient notre conscience, notre personnalité, nos souvenirs, notre raison et certaines de nos émotions. L'âme aurait la faculté de survivre à la mort du reste du corps et de préserver éternellement son existence en transmigrant d'un corps à l'autre, en devenant un fantôme ou en allant vivre dans un «au-delà».

Comme le déisme, la croyance en l'après-vie est une position que je respecte. En autant qu'elle se limite à ça. Si l'on ne spécule pas sur le sort des âmes défuntes et que l'on ne prétend pas pouvoir communiquer avec elles, la croyance en l'au-delà ou en la réincarnation n'est pas un obstacle à la quête de vérité et est tout à fait compatible avec une éthique éclairée. Bref, je n'ai rien contre l'existence de telles croyances.

Mais aussitôt qu'on y rajoute une notion de karma (par exemple, selon laquelle les «pécheurs» vont en Enfer ou se réincarnent en limaces) ou de spiritisme (c'est-à-dire, la possibilité pour les vivants de communiquer avec les morts), on ne parle plus d'une simple croyance rassurante mais d'obscurantisme. Celui qui peut faire croire à ses semblables qu'il sait les secrets de l'après-vie, pourra leur faire faire ce qu'il veut. Car, il les manipulera par leur plus grande faiblesse, celle qui fait que l'on a besoin de donner un sens à nos vies : la peur de mourir et de perdre ceux qu'on aime. Ce charlatan pourra leur soutirer des sommes faramineuses en échange d'une séance de spiritisme pour communiquer avec un proche trépassé, ou d'indulgences pour écourter leur séjour au purgatoire.

Si l'on me demande personnellement si je crois qu'il y a une vie après la mort, je répondrai par la négative. Pour moi, l'âme n'existe pas indépendamment du corps, donc elle meurt avec lui. La croyance en l'âme est la conséquence d'une illusion inhérente à notre façon de modéliser le monde. La question «Que vit-on après la mort?» m'apparaît donc aussi paradoxale que «Qui avait-il avant le début du temps?» ou «Que font cinq divisés par zéro?».

Quand je dis que je crois qu'il n'y a rien après la mort, les gens s'imaginent généralement que je crois que notre âme continue son existence dans un néant ténébreux jusqu'à la fin des temps. En fait, comme nous le disait le philosophe Épicure (341–270 av. notre ère), «la mort n'est rien pour nous» puisque «tant que nous existons la mort n'est pas, et que quand elle est là nous ne sommes pas». Pour faire un lien avec ma réflexion sur le fait que le temps est une dimension, c'est comme si ce qui se passait après notre mort avait lieu dans un endroit où nous ne sommes pas (le futur). Et, c'est comme si ceux qui sont morts se trouvaient dans un lieu où nous ne sommes plus (le passé).

Cela ne nous renseigne pas vraiment sur l'expérience subjective que vît le mourant. Mais je me dis que nul n'expérimente vraiment la mort. Nous n'existons, en tant que conscience, que dans cette zone appelée «corps» et dans cette période appelé «vie». On peut se représenter cela comme si, après la mort, on revenait à notre naissance et que l'on revivait ainsi perpétuellement la même vie en boucle continue sans s'en rendre compte. Ou, comme si le présent et l'écoulement du temps n'étaient qu'illusion et qu'en réalité on existe «éternellement» en occupant tout l'espace temporel qu'est notre vie. Mais ce ne sont là que des images pour nous représenter l'inconcevable; une conscience ne peut concevoir sa propre non-existence.

Quoiqu'il en soit, même s'il s'avérait qu'il y a effectivement une «autre vie» après celle-ci, je pense que cela ne change rien à l'importance de notre vie actuelle. Vivons-la tant que nous sommes dedans. S'il y en a une autre ensuite, on verra ce qu'on fera rendu là.

vendredi 30 janvier 2009

Le temps est une dimension

Le temps est l'une des dimensions qui composent l'univers au même titre que les dimensions spatiales (longueur, largeur, profondeur). Le temps existe immuablement dans toute son immensité; qu'il soit infini, fini ou bouclé. On peut voir les différentes époques comme des «lieux» placés sur cet axe temporel. Nous sommes des maillons sur cette chaîne causale intangible.

Tout comme je suis un être limité spatialement dans une zone appelée «mon corps», je suis limité temporellement dans une période appelée «ma vie». Il ne peut en être autrement, car tout ce qui existe est défini par ses limites dans le continuum universel. Exister c'est être limité.

Se représenter le temps comme de l'espace nous aide à accepter l'aspect éphémère de toute chose. Une chose n'a pas besoin d'être omniprésente pour qu'on l'apprécie et qu'on la considère importante pour nous. Transposons cette conception sur l'axe du temps. Le fait qu'une chose ne soit pas éternelle ne la rend pas «vide de sens» si elle a une valeur dans le présent. On doit apprendre à apprécier le moment pour ce qu'il est.

Une autre conséquence du fait que le temps soit une dimension, c'est que le passé existe indépendamment du souvenir qu'on en a et qu'il est inaltérable. Conséquemment, se souvenir du passé n'apporte rien au passé. Cela ne peut être utile que pour le présent et l'avenir. Cela implique également que l'on ne doit pas s'attarder à ressasser inutilement des souvenirs douloureux; on doit apprendre à tourner la page. Inversement, on peut plus facilement faire le deuil du passé si l'on pense au fait qu'il n'a pas «cessé d'exister» mais que nous ne sommes tout simplement plus dedans.


La mort ne doit pas être une source d'angoisse inapaisable. Nos proches trépassés existent mais dans le passé (voyez cet autre époque comme un lieu inaccessible). Pour une conscience donnée, «le présent» se trouvera toujours à l'intérieur de la période que constitue sa vie. Nous sommes éternels pour nous-mêmes. Comme le disait Épicure : «la mort n'est rien pour nous». Ce qui est à craindre dans la mort n'est donc pas son inévitable imminence mais simplement qu'elle arrive avant que l'on ait accompli notre quête de sens.

Si le passé existe et est inaltérable indépendamment de nous, il en va de même du futur. Il n'y a qu'un futur, une seule séquence d'événements se produira et elle est prévisible pour quiconque dispose des données. Cela n'entrave aucunement notre liberté, car liberté et libre-arbitre font deux. Étant donné que la prise de conscience de l'inexistence du libre-arbitre trouble notre quête de liberté, notre ignorance des événements à venir accroisse ironiquement notre sentiment de liberté.

Les questions comme «Qui avait-il avant le début du temps?» sont vides de sens. Indépendamment de la forme de l'axe temporel, tout lien causal n'existe qu'à l'intérieur du temps. Conséquemment, si l'on remonte la chaîne des événements et qu'on arrive à un «début», on pourra avoir l'illusion que l'univers est apparu «à partir de rien». On recherche intuitivement un rapport causal mais notre démarche est vaine. Tous les maillons d'une chaîne ont un maillon avant eux et un maillon après eux, sauf le premier et le dernier. Cela n'a rien d'aberrant. Il ne le serait pas davantage que l'univers n'ait pas de cause. À moins que les dimensions soient bouclées, de sorte que le premier maillon serait attaché au dernier. C'est également concevable.

La mort n'est rien pour nous

Accepter sa mortalité et celle de tout ce qui nous est cher n'est pas une chose facile; c'est en quelque sorte le sens de notre vie. Il faut un haut degré de sagesse et de sérénité pour être constamment en paix avec cette fatalité.

Je cède quelques instants la parole au célèbre philosophe grec Épicure (341–270 av. notre ère) qui a exprimé très sagement cette réflexion sur la mort :
«Accoutume-toi à considérer que la mort n'est rien pour nous, puisque tout bien et tout mal sont contenus dans la sensation; or la mort est la privation de sensation. Par conséquent, la connaissance de cette vérité que la mort n'est rien pour nous, nous rend capables de jouir de cette vie mortelle, non pas en y ajoutant la perspective d'une durée infinie, mais en nous enlevant le désir de l'immortalité. (…) Ce serait (...) une crainte vaine et sans objet que celle qui serait produite par l'attente d'une chose qui ne cause aucun trouble par sa présence. (…) Tant que nous existons la mort n'est pas, et quand la mort est là nous ne sommes plus. Donc la mort n'existe ni pour les vivants ni pour les morts, puisqu'elle n'a rien à faire avec les premiers, et que les seconds ne sont plus. (…) Le sage (…) ne craint pas la mort car (…) il ne considère pas la non-existence comme un mal.»

Je pense que ça dit pas mal tout. Ça nous permet de ne plus craindre notre propre mort ni d'être triste pour ceux qui sont morts. Une autre manière de voir ça, et qui m'aide encore plus à ne plus craindre la mort, est de me représenter le temps comme une dimension. Cela me permet de voir le passé comme un «lieu» ou vivraient les défunts et de considérer que ma conscience existera «éternellement» mais toujours à l'intérieur de cette zone du temps qu'on appelle ma vie.

jeudi 15 janvier 2009

Le sens de la vie

La question «Quel est le sens de la vie?» peut être interprétée de nombreuses façons. Le mot «sens» peut vouloir dire «but», «cause», «raison d'être» ou «direction» tandis que le mot «vie» peut faire référence à la vie d'un individu particulier, à l'ensemble des êtres vivants ou même à l'univers tout entier. Cette ambiguïté fait en sorte que l'individu sera enclin à croire que le sens qu'il donnera à sa vie doit nécessairement être lié à la raison d'être de l'univers lui-même (donc soit l'univers est téléologique, soit nos vies n'ont aucun sens). Rien n'est plus faux, selon moi. Mais laissez-moi d'abord vous expliquer comment je définis le sens de la vie.

La sélection naturelle a favorisé chez l'humain le développement de l'intelligence. Il y a moult réalités dont l'humain est conscient et qui échappent à l'esprit des bêtes. L'une d'elle étant la fatalité de la mort. Nous sommes conscients qu'en dépit de tous les efforts que nous mettrons pour repousser la mort – bien s'alimenter, faire de l'exercice, ne pas prendre de risque inutile – cette dernière nous rattrapera inévitablement. Ce constat entre en conflit direct avec ce qu'on appelle souvent «l'instinct de survie», c'est-à-dire notre viscéral désir d'autoconservation. Nous sommes enclins à vouloir continuellement perpétuer notre existence individuelle mais nous savons que nous échouerons tôt ou tard dans cet éternel combat contre la mort.

Cet antagoniste donne naissance à un nouveau besoin que j'appelle «la quête de sens». C'est un mécanisme de défense psychologique qui nous permet de sublimer cette angoisse et d'accepter notre propre mortalité. Le «sens» de notre vie, d'après ma définition, c'est l'ensemble des accomplissements, des projets ou des expériences qui nous font apprécier nos vies en dépit de leur caractère éphémère. Lorsque l'on a l'impression que notre vie est «complète» ou que l'on a laissé dans le monde une part de nous-mêmes qui nous survivra, mourir devient moins angoissant.

La sélection naturelle a «recyclé» ce besoin en l'orientant de façon à ce qu'il optimise la propagation des gènes de l'individu. Ainsi, fonder une famille sera pour beaucoup de gens un accomplissement satisfaisant et donnera un sens à leur vie. Mais l'on peut assouvir notre quête de sens de bien des façons. En s'accomplissant artistiquement par exemple, ou en faisant progresser la science. Bref, ma vie a le sens que je lui donne.

On peut assouvir notre quête de sens mais on peut aussi se contenter de neutraliser l'antagonisme dont elle est issue en niant l'existence de la mort. C'est le principal pilier des croyances religieuses. Elles prolifèrent sur cette base en nous racontant que la mort n'est pas une fin mais une étape vers une autre vie bien meilleure que celle-ci. Bien sûr, pour y accéder, il faut obéir aveuglément aux commandements divins dont les prêtres de tout acabit se disent les porte-parole exclusifs…