vendredi 24 mai 2019

Les croyances sexuelles

La vision traditionnelle des sexes est mises à mal de nos jours. Nous commençons à accepter l’idée que le genre est quelque chose de socialement construit, à le percevoir comme une catégorie plus fluide, moins binaire, et à accepter que l’un puisse se sentir d’un genre différent que celui que la société lui a assigné à sa naissance. C’est très bien. Mais comme toute idée nouvelle, cela apporte des débats parfois conflictuels avec les gens qui ne sont pas prêts à accepter ce nouveau paradigme et lui préfère le traditionnel «binarisme».

En fait, la divergence n’est pas non plus qu’entre la vieille mentalité et une nouvelle conception des choses parfaitement unifiée; même parmi ces idées nouvelles il y en a qui entrent en contradiction les unes avec les autres. Par exemple, l’un peut croire que l’identité sexuelle est quelque chose de bien ancrée dans la biologie, qu’un cerveau mâle est physiquement différent d’un cerveau femelle, mais accepter l’existence des transgenres en se disant qu’une mutation quelconque peut mettre parfois un cerveau femelle dans un corps mâle. À l’inverse, l’un pourrait voir les identités de genre comme une simple construction sociale, quelque chose qui est dans notre tête, et s’opposer à la reconnaissance des transgenres en lui préférant l’abolition des genres.

Bref, il y a des oppositions sur plusieurs axes:

  • les genres sont innés et biologiques ou socialement construits?
  • les genres sont étanches ou fluides?
  • les genres sont deux ou plusieurs?
  • peut-on être d’un genre différent de celui qu’on nous a assignés à la naissance ou pas?
  • notre sentiment d’autoidentification à un genre est-il quelque chose de viscéral et d’inaltérable ou peut-il être modifié?


Devant, donc, la potentielle diversité d’opinions en face de laquelle ces débats nous amènent, je me dis que, en tant que société, l’on devrait adopter une posture analogue à celle que l’on a – ou que l’on devrait avoir – avec la religion. C’est-à-dire, une position de neutralité. Être «laïc» sur la question et laisser les gens avoir l’opinion qu’ils veulent sur la question des genres. Ainsi, si l’un croit que je suis une femme mais que moi je crois que je suis un homme, l’on devrait être capable de coexister en dépit de cette divergence de croyance, de la même façon qu’on le fait lorsque moi je crois vénérer le bon culte mais que mon voisin croit que je suis damné.

Soit. Mais le concept de neutralité de l’État semble souvent être mal compris. Pour beaucoup de gens, c’est favoriser systématiquement le statu quo et empêcher l’expression des idées nouvelles. Ainsi, pour certains, il est laïc d’avoir un crucifix à l’Assemblée nationale mais ce ne serait plus neutre que de l’enlever. Ça semble absurde – et ça l’est! – mais ces gens sont mûs par une conception dualiste du monde (la même tendance qui les pousse à croire à la binarité des genres), dans laquelle ils forment un NOUS et le reste sont un EUX homogène. Ainsi, il y a pour eux la religion (la leur, la vraie) et l’antireligion (qui comprend toutes les autres religions ainsi que l’athéisme). Ainsi un recul de la religion est forcément une avancée de l’antireligion et inversement. Dans cette optique, le statu quo représente forcément la neutralité puisque tout changement, d’un côté comme de l’autre, est perçu comme favorable à la progression de ce côté. Mais la réalité, c’est qu’il y a plusieurs religions et plusieurs postures antireligieuses ou areligieuses, et que la réelle expression de la neutralité serait d’autoriser toute cette diversité de position, tout en évitant d’embarquer l’État dans ces débats, ce qui implique forcément de cesser de reconnaître tacitement la religion traditionnelle locale comme plus importante en lui donnant des passe-droit sur ce principe de neutralité.

Bref, faisons la même chose pour la question des identités de genre. Cessons de faire de la conception traditionnelle «binariste» la «religion officielle» et soyons «laïcs» sur cette question. C’est-à-dire, faisons en sorte que tout le monde soit libre de croire ce qu’il veut par rapport aux identités de genre, et n’intervenons que pour défendre les gens contre la discrimination ou les oppressions pouvant découler de ces croyances. On n’officialiserait donc pas nécessairement la non-binarité mais on cesserait de reconnaître le binarisme comme la croyance officielle. Ainsi, de même que les catholiques continuent d’avoir le droit de croire en leur religion, même si on a laïcisé les institutions, les binaristes doivent accepter que l’État se retire de cette juridiction et que, par conséquent, les pratiques et les lois qui découlaient directement de leur croyance soient invalidés.

Dans la pratique ça implique que les identités de genre – comme les identités religieuses – ne fassent plus partie de notre identité légale. Et que chacun puisse choisir le titre de civilité (monsieur, madame, autre) et le genre grammatical qu’il veut qu’on utilise avec lui. Ça semble aller directement à l’encontre de la binarité et de la fixité des genres, mais c’est tout simplement un retrait stratégique de l’État de trancher sur des questions qui ne sont pas de sa juridiction. L’individu exprime comment il s’identifie, l’État catalogue cette donnée pour ce qu’elle est: une autoidentification. La question philosophique de savoir ce que l’individu est «réellement» ne l’intéresse pas, on veut juste savoir si on écrit «monsieur» ou autre chose dans les messages qu’on lui adresse.

Ça veut aussi dire, donc, de lutter contre la transphobie, le sexisme ou tout autre discrimination basée sur l’identité de genre ou l’expression de genre. Encore une fois, cela ne veut pas dire que l’on reconnaît le genre comme quelque chose qui existe ni que l’on a une opinion officielle sur le fait qu’une personne trans est, ou non, du genre qu’elle dit être. On peut lutter contre le racisme sans croire à l’existence des races, et contre l’islamophobie sans croire à la révélation du Coran. En fait, comme j’ai déjà dit, plutôt que d’ajouter constamment des amendements à la loi contre la discrimination à chaque fois que les gens en inventent une nouvelle sorte, on devrait juste interdire de discriminer arbitrairement les gens.

Ça peut sembler difficile, autant pour les fervents adeptes du binarisme que pour ceux qui s’y opposent, de lâcher-prise sur l’idée que, non, vous ne réussirez pas à convaincre tout le monde de ce qui vous apparaît clairement comme un fait. Mais, quand on y pense, on agit de même avec la religion. On accepte l’idée que la majorité des gens croit à un mensonge (même pour les croyants, les autres croyances sont des mensonges) et on vit bien avec ça. Je peux pas croire qu’on peut pas faire de même avec nos points de vue sur les genres.

lundi 20 mai 2019

Pour une vraie laïcité

Voici ce qu’il aurait suffit de faire au lieu de la loi 21:

  1. Enlever toute reconnaissance légale spécifique au caractère religieux d’une organisation, d’une croyance, d’un symbole ou d’une pratique (sans nier que des pratiques, croyances, symboles ou organisations soient importantes aux yeux de certains citoyens), ce qui est la définition de la laïcité; 
  2. Redéfinir les codes vestimentaires des employés et cadres des services publics et parapublics pour leur accorder une plus grande souveraineté sur leur corps (qui s’adonnerait à permettre de porter des signes religieux mais vraiment pas juste ça) et modifier les normes du travail pour que les employeurs privés soient soumis à des limites similaires dans leur pouvoir d’uniformisation vestimentaire;
  3. Dans les serments que doivent prêter les représentants de l’autorité de l’État, ajouter une clause d’impartialité spirituelle (qu’aucun «fanatique ayant un agenda secret» ne pourrait réciter sans commettre un blasphème mais que tout croyant modéré et tout incroyant pourraient dire sans s’offusquer);
  4. Faire en sorte que l’école apprenne davantage aux enfants à développer leur pensée critique (afin qu’il soit plus ardu de les endoctriner pour les groupuscules de droite, qu’ils soient islamistes ou néonazis) et à remettre en question leurs propres croyances, et qu’elle leur apprenne également mieux le vivre-ensemble (de sorte qu’il n’y ait désormais plus de débats de société aussi intense pour un sujet aussi trivial) ainsi que les religions mais sous une perspective historique et anthropologique.


C’est tout.

Un serment de modération

Oui, mes concitoyens provinciaux sont encore en train de se déchirer à propos de la présence ô dérangeante de symboles religieux dans leur environnement visuel. D’un côté on a les régions qui voudraient tapisser la province de crucifix et expulser tous ceux qui ne vénèrent pas Jésus (ce qu’ils appellent «la laïcité»), même s’ils n’en ont eux-mêmes jamais à les côtoyer. Et de l’autre on a Montréal qui, habitué à la diversité, veut que les individus puissent s’habiller comme ils veulent, mais trouvent que ça serait peut-être une bonne idée d’arrêter d’accrocher des crucifix dans les lieux publics représentant l’autorité de l’État.

Je comprends l’idée derrière le compromis Bouchard-Taylor. On pense que certains fonctions, notamment celles qui représentent l’autorité de l’État, devrait être neutre, impartial. Mais d’enlever une pièce de vêtement changera-t-il réellement quelque chose à la ferveur religieuse d’un représentant de l’État? Si l’on pense au maire de Saguenay, il n’a pas besoin d’avoir une croix autour du cou pour être un intégriste religieux. Par ailleurs, comme j’ai déjà dit, je ne suis pas fan des codes vestimentaires et je trouve que la situation actuelle est le symptôme d’un nationalisme qui s’érige en religion et qui tente de repousser ses rivales… Bref je propose qu’au lieu de faire une fixation sur comment s’habille le monde, on focalise un peu plus notre attention sur l’ensemble des symptômes de religiosité extrême et qu’on slaque un peu sur l’idée de contrôler le linge.

Comme alternative, je propose qu’on intègre dans les serments ou contrats de travail que doivent réciter ou signer les représentants de l’autorité de l’État, des clauses pour nous assurer d’écarter les intégristes. Quelque chose comme :
« Je conçois que le mandat qui m’est confié ici m’a été donné par la population via la démocratie, et n’est pas l’oeuvre d’une entité surnaturelle qui m’aurait élu pour cette fonction, et que les buts de ce travail sont à l’intérieur de cette vie-ci et non pour une hypothétique vie future. J’accepte donc de remplir ce rôle sans que n’intervienne dans mes choix les croyances que j’ai ou que je n’ai pas à propos du surnaturel, de Dieu ou d'autres entités surhumaines, de la vie après la mort, de la cause première de l’univers, du sens de l'existence, de la morale ou des bonnes mœurs. Je jure de servir les citoyens de la même manière, quel que soient leurs croyances sur ces sujets. J’accepte que si je me rends coupable de discrimination ou que j'utilise la tribune officielle qui m’est confiée ici comme d’un outil de propagande, je puisse subir des sanctions professionnelles allant jusqu’au congédiement. »

Bref, intégrons réellement la laïcité dans l'État et rassurons la plèbe que, non, le gouvernement ne s’est pas fait infiltrer par des méchants extrémistes étrangers qui menacent nos précieuses habitudes.

Pourquoi être contre le voile?

Voici ce que je crois qui se passe.

Des gens, qui se considèrent eux-mêmes comme de bonnes personnes, éprouvent un espèce de sentiment de malaise en face d’une femme voilée ou d’un homme enturbanné. Sachant ne pas être racistes ni intolérants, puisqu’ils n’éprouvent rien de semblable devant un Noir ou un gay, ils rejettent la faute de leur inconfort sur la personne qui se vêt de la sorte… mais un petit doute persiste en eux. Et s’ils étaient vraiment intolérants? Et s’ils étaient de mauvaises personnes? Au malaise initial s’ajoute donc une remise en question de leur propre valeur morale, inconfort encore moins supportable. Conséquemment, pour ne plus avoir à subir ce sentiment désagréable, ils votent des lois pour les aider à avoir le moins possible à interagir avec des voilées et des enturbannés. Ils n’ont rien contre ces personnes elles-mêmes, aussitôt qu’elles enlèvent cette pièce de vêtement exotique, le malaise disparaît. Mais ensuite, pour justifier leur décision, ils utilisent des arguments factices et contradictoires, soit la laïcité ou la crainte de l’islamisation.

La solution n’est donc ni d’argumenter à propos de l’infondé de cette peur de l’islamisation ou à propos du fait que ce n’est pas vraiment ça la laïcité, puisque, de toute façon, ce n’est pas leur vrai mobile. Il n’aide pas non plus de confronter ces personnes en leur disant qu’elles sont racistes puisque, justement, tout ceci est un mécanisme pour fuir l’idée qu’elles seraient racistes. Le souligner ne fera que nourrir leur besoin de se débarrasser des voilées. Le vrai remède serait plutôt de rassurer ces gens quant au fait qu’elles sont de bonnes personnes*, en leur disant que c’est normal d’éprouver un petit malaise à interagir avec quelqu’un présentant un trait que l’on n’est pas habitué de voir, mais qu’éventuellement on finit par s’y accoutumer, et que le sentiment s’en va.

Malheureusement, la loi 21 — et les débats qui en résultent — ne font qu’alimenter le problème. Justifiant l’inconfort de ses partisans envers les minorités vestimentaires, et les campant dans leur position via la réaction de leurs détracteurs qui les traitent de racistes.

Personnellement, je trouve que là où ça va clairement trop loin, où ce n’est plus de la petite xénophobie de malaises mais de l’hostilité pure, c’est quand, par exemple, un habitant d’une région éloignée s’insurge que Montréal veuille être exempt de cette loi parce qu’elle y est difficilement applicable. Bref, lui n’aura jamais à interagir avec des voilées de toute façon, mais il tient tout de même à leur nuire. Là je pense que, oui, on ne peut plus nier qu’il s’agisse d’intolérance.

———
 * Je rappelle que je ne crois pas au concept de bonne ou de mauvaise personne, mais c’est malheureusement le paradigme ambiant,et la situation problématique décrite ici en est l’une des fâcheuses conséquences.

De l'islamophobie

De nos jours, on peut difficilement écrire le mot «islamophobie» sans qu’on nous reproche aussitôt de faire le procès des Québécois (et ce même si on est juste en train de dire que l’attentat de Christchurch est islamophobe). Un des arguments avancés par ceux qui voudraient faire disparaître le terme, et qui le qualifient souvent de mot inexistant, est que celui-ci pourrait être récupéré par des gens qui voudraient nous empêcher de critiquer l’islam en général ou une personne musulmane en particulier, en qualifiant d’islamophobe tout ce qui ne fait pas leur affaire. Un peu comme quand on qualifie d’antisémite toute critique des politiques de l’État d’Israël.

Personnellement, je n’ai jamais vu le terme utilisé en ce sens. Au contraire, j’ai beaucoup plus souvent lu de l’islamophobie pure. Mais peut-être faut-il clarifier le terme pour rassurer ceux qui ont peur de ne plus pouvoir dire qu’ils ne croient pas en la révélation de Mohammed sans se faire traiter de bigot. On peut, je pense, assez facilement faire la distinction entre :

  • Critiquer ou remettre en question les fondements scientifiques ou l’éthique d’une croyance ou d’une pratique religieuse,
  • Exprimer de l’hostilité ou de la méfiance à l’égard d’une minorité ethnique qui s’adonne à se définir par son étiquette religieuse.


Il me semble que c’est assez évident. Je pense que l’étymon-clé ici est «phobie». C’est une peur irrationnelle, paranoïaque, d’être d’abord envahi par des musulmans puis d’être forcés par ceux-ci à se convertir à l’islam. Ou plus simplement, la peur d’être tué par des musulmans lors d’un attentat terroriste. Les chiffres sont pourtant rassurants. Les musulmans ne forment qu’une infime minorité (3%) de la population, la majorité d’entre eux sont modérés dans leur croyance, et les projections estiment que leur nombre ne devrait jamais atteindre plus de 14% de la population. Et, statistiquement, si l’on vit en Amérique du Nord, on a beaucoup plus de chances de mourir dans un attentat terroriste commis par un nazi que par un musulman.

Je peux dire que je trouve l’islam absurde. Que l’existence de Dieu ou de la vie après la mort sont des vœux puérils. Que de penser qu’un être anthropomorphe qui aurait créé l’univers impose aux humains un régime et un code vestimentaire définit selon notre anatomie génitale m’apparaît complètement ridicule. Il n’y a rien d’islamophobe là-dedans, je ne fais qu’exprimer mes croyances. Je peux avoir un débat théologique avec un adulte à propos de nos valeurs ou de notre vision du monde, mais si je me réjouis de la mort d’un enfant dans un incendie ou dans un attentat, juste parce que l’enfant en question est élevé dans l’islam, là je suis islamophobe.

Vous voyez la nuance?