lundi 6 juillet 2009

Les limites de la liberté de culte

Lorsque je suis allé assister à la Commission Bouchard-Taylor sur les accommodements raisonnables, je n'ai malheureusement pas pu y exprimer mon opinion. En effet, il y avait trop de monde avant moi* et pas assez de temps pour que tout le monde parle. Je vais donc, ici, vous exprimer ce qu'il y avait dans le mémoire que j'ai déposé à cette commission et que je n'ai malheureusement pas pu commenter à haute voix.

Nous sommes dans un État laïc**, c'est-à-dire que nous séparons l'État et les religions. Si la religion peut s'ingérer dans la législation, si le gouvernement respecte et fait respecter les lois religieuses, si les droits d'un citoyen peuvent varier en fonction de sa religion, alors nous ne sommes plus un État laïc. Pour moi un État laïc ne devrait pas faire comme si la religion était «quelque chose». Une institution religieuse ne devrait pas avoir de statut légal (ou alors, le même que les entreprises). Les actes des individus devraient être traités pour ce qu'ils sont, en considérant les conséquences sur autrui et la nécessité pour l'agent. Selon mon opinion, voici donc les trois conditions sine qua non pour considérer que nous sommes laïques :
  1. La religiosité d'une pratique ne devrait pas être reconnue par l'État et, par conséquent, ce critère ne devrait pas être utilisé pour l'interdire ou pour la légaliser;
  2. Le citoyen a le droit d'accorder de l'importance à une pratique et l'État doit accorder de la considération à cette importance;
  3. Les droits du citoyen ne devraient pas varier selon sa religion;

C'est assez basique finalement. Ça implique que l'on ne peut pas, par exemple, interdire à une femme de se voiler la face pour des raisons religieuses dans un contexte où c'est autoriser de le faire pour des raisons climatiques. Inversement, ça implique aussi que l'on ne peut pas autoriser cette même pratique dans un contexte où l'identité de la personne doit être reconnaissable.

Mais cela ne veut pas dire que l'on ne devrait en aucun cas écouter les demandes d'accommodements et s'en tenir aux lois telles qu'elles sont en ce moment. Les lois ne sont pas parfaites, il se peut que l'une d'entre elles contraigne abusivement ou inutilement la liberté d'un individu. Si un individu ou un groupe d'individus estime qu'une loi, un règlement ou une norme (émise par l'État, l'une de ses institutions, une entreprise privée ou toute autre instance pouvant imposer des règles) lui nuit dans une liberté qu'il juge fondamentale (que ce soit pour des raisons religieuses, culturelles ou personnelles***) il devrait pouvoir revendiquer cette liberté. Mais, puisque la loi doit être la même pour tout le monde, plutôt que de faire des accommodements (des dérogations ponctuelles à la loi pour des individus spécifiques) je ferais des ajustements (des modifications sur des détails de la loi qui s'appliqueront à tous). Ainsi, s'il est possible de modifier la loi ou le règlement afin que cet individu puisse obtenir la liberté demandée (ou obtenir un compromis acceptable), sans que cela ne porte préjudice à une liberté (autant ou encore plus fondamentale) d'un ou de plusieurs autres individus, cela devrait être fait.

Les lois ont des raisons d'être; normalement c'est de prévenir certains préjudices. S'il est possible de remodeler une loi pour qu'elle soit tout aussi efficace dans sa fonction mais qu'elle permette une pratique importante pour certains citoyens, alors il n'y pas de raison de ne pas aller dans ce sens. Par exemple, si l'on a la loi «Défense de porter des couteaux dans certains lieux publics» c'est pour éviter qu'un couteau ne soit utilisé comme arme et ne fasse souffrir une ou plusieurs victimes. Mais si c'est important pour les gens de religion sikhe de porter le kirpan (couteau sacré) en tout temps, est-il possible de modifier notre loi de façon à ce que leur besoin soit comblé sans pour autant réduire la sécurité des gens? Si leur kirpan n'est pas aiguisé et qu'il est dans un étui scellé, comment pourrait-il servir d'arme? On peut donc reforger notre loi comme suit : «Défense de porter des couteaux dans certains lieux publics à moins qu'il ne soit émoussé et soudé dans son fourreau».

Il est toutefois important de garder en mémoire les trois points que j'ai énumérés plus haut. C'est pourquoi, toute altération de la réglementation devrait s'appliquer à tous les citoyens (indépendamment de leur culture, religion, etc.) et pas seulement à celui qui a fait la demande d'accommodement ou à ceux que l'on considère comme appartenant au même groupe. Par exemple, si l'on autorise un enfant sikh à porter un kirpan à l'école, tous les autres écoliers devraient également avoir le droit de porter un couteau sur eux, sous les mêmes conditions, qu'ils soient sikhs ou non. Autrement, ce serait une forme de discrimination envers les gens n'appartenant pas à cette religion, et ce serait accorder une reconnaissance légale à la religion. C'est pourquoi, pour traiter une demande d'accommodement, on devrait se demander quelles seront les conséquences si tous les citoyens (et pas seulement l'individu l'ayant demandé ou les individus appartenant au même groupe que celui l'ayant demandé) auraient la permission de s'adonner à cette pratique.

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*Ce fut une expérience très pénible pour moi que d'écouter tout ces gens déblatérer leurs discours décousus et inintelligibles… ça m'a fait perdre foi en l'intelligence humaine et en la démocratie… mais c'est un autre sujet!

**Ce n'est pas tout à fait vrai, la constitution canadienne commence par «Attendu que le Canada est fondé sur des principes qui reconnaissent la suprématie de Dieu et la primauté du droit
» (!). Ironiquement, c'est la dernière version, celle de 1982, qui invoque un dieu. L'ancienne version qui date de 1867 était parfaitement laïc. On a régressé…

***Lors du non-événement des accommodements, on avait tendance à toujours considérer les demandes d'accommodements importantes parce qu'elles étaient motivées par des raisons religieuses. Toutefois, il me semble qu'une pratique peut être aussi importante pour un individu même si cela ne fait pas partie des prescriptions de sa religion. Ce peut être ses valeurs personnelles par exemple. Une personne qui ne veut pas que son enfant mange la viande de la cafétéria parce que le traitement des animaux d'élevage s'oppose à ses principes, mérite autant que l'on écoute sa requête qu'une personne qui demanderait la même chose parce que son dieu lui a dit de manger cascher.

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