vendredi 28 août 2009

L'innée et l'acquis

L'univers est un continuum, les séparations que l'on y fait sont souvent erronées. C'est le cas de la dualité que l'on fait en opposant l'innée et l'acquis. Dans les faits, tous les traits physiques et les comportements d'un individu donné sont à la fois innée (génétique) et acquis (environnemental). Le langage est «totalement acquis»? Oui mais, pour parler ça prend un cerveau, qui est un trait innée. Mon nombre de doigts est «totalement génétique»? Oui mais, si l'on m'en coupe un, mon nombre de doigts sera altéré par des causes environnementales.

Quand on pense à un comportement pris en lui-même et que l'on se demande, par exemple «L'alcoolisme est-il génétique?» ou «L'orientation sexuelle est-elle causé par le vécu?», on pose une mauvaise question, ou plutôt une question incomplète.

Supposons que je me demande si l'intelligence est innée (génétique) ou acquise (environnementale). Je puis faire l'expérience de prendre deux humains. Disons, des jumeaux identiques ayant été adoptés à la naissance par des familles différentes, appartenant à des cultures différentes et des classes de revenus différentes. Ou à l'inverse, deux frères adoptifs chacun originaire d'un continent différent. Dans les deux cas, si j'ai posé la question de manière erronée comme je le fais ici, je risque d'en conclure que l'intelligence est acquise, causée par l'environnement familial et social.

Si je me pose la même question sur l'origine de l'intelligence, avec la même dualité fictive innée/acquis mais que les deux individus que je choisis de comparer n'appartiennent pas à la même espèce. Supposons que je compare un humain et un chien qui aurait été élevés tous les deux dans la même famille (d'humains). Imaginons que l'on ait tenté, avec toute la bonne volonté du monde, d'apprendre au chien les mêmes choses qu'à l'humain comme l'usage de la parole ou de la toilette. Dans cette expérience, arriverai-je à la même conclusion? Mon résultat sera plutôt que l'intelligence est génétique.

Comment expliquer que la réponse à la question soit différente selon les individus comparés? Probablement par le fait que l'hypothèse de départ était mal construite. La formulation correcte ne serait donc pas «Ce trait est-il génétique ou environnemental?» mais «La variation de ce trait entre cet individu et cet autre individu est-elle génétique ou environnementale?» puisque, pour le même trait, la réponse changera selon les individus sélectionnés.

Personnellement, plutôt que de me représenter l'innée et l'acquis comme deux sortes de variables qui s'additionnent pour former l'individu et ses comportements, je vois l'innée comme une sorte d'éventail de possibilités et l'acquis comme la sélection de l'une de ces possibilités. Par exemple, l'innée d'un bébé lui offre le potentiel de parler français, anglais, mandarin ou aucune langue du tout, mais c'est son acquis qui fixera laquelle de ces potentialités sera choisie.

Aussi, il est d'usage d'avoir recours à la dichotomie inné/acquis et à celle génétique/environnement (ce qui est pratiquement la même chose), mais il me semble que l'on pourrait diviser les choses autrement. Par exemple, en distinguant plutôt les variables internes à l'individu des variables externes. Ainsi, ce qui est «interne» à l'individu serait ses gènes mais aussi les acquis qu'il a à un instant t. Ces facteurs définissent la fourchette des potentialités que pourrait devenir l'individu, et ses expériences futures (les variables externes) fixeront ce qu'il sera vraiment.

mardi 11 août 2009

Aimez-vous les uns les autres

J'haïs la haine et je ne tolère pas l'intolérance. Moi j'aime tout le monde! Je ne dis pas que je raffole de la présence de chaque humain sur Terre, mais il n'y a personne que j'haïs. Il y en a qui me tapent sur les nerfs, d'autres que je trouve stupides ou insignifiants. Il y en a que je trouve impolis ou inutilement blessants, d'autres qui manquent simplement de tact. Il y en a qui suivent une idéologie dangereuse et dont la mort ne serait, à mes yeux, que bénéfique pour le bonheur collectif. Mais il n'y a personne pour qui j'éprouve de la haine. Je vais aujourd'hui vous révéler les clés de ce que l'on pourrait appeler «l'amour universel». Lorsque vous les aurez, vous pourrez, tout comme moi, aimer profondément chaque être qui se meut dans cet univers et vous connaîtrez la sérénité d'un esprit sans haine.

Prenez d'abord conscience de l'aspect contingent du fait que nos proches soient nos proches. En effet, ce n'est pas comme si on les avait tous soigneusement sélectionnés en les comparant avec tous les humains du monde. Ce sont les hasards de la vie qui font que nos parents, nos amis et notre conjoint(e) ont ces relations avec nous. Évidemment, il y en a de qui l'on choisit de se rapprocher ou de s'éloigner, selon notre appréciation de ces personnes, mais nous n'avons pas choisi qui, parmi la vastitude de l'humanité, fera partie des rares qui croiseront notre chemin. Je pense qu'à peu près n'importe quel humain peut, si les conditions sont réunies, développer une relation bénéfique avec à peu près n'importe quel autre humain. Je ne nie pas l'unicité de chaque personne et de chaque relation, au contraire et c'est pourquoi on doit entretenir les relations que l'on a déjà, mais avant que nous connaissions ceux qui nous sont actuellement chers, ils étaient tous plutôt interchangeables. Conséquemment, cette myriade d'inconnus qui peuple le monde est composée de gens tout aussi appréciables et uniques que nos proches.

Ensuite, la deuxième voie pour s'émanciper de la haine, c'est de prendre connaissance de ce biais cognitif qu'est le biais d'attribution. Il nous pousse à considérer que nos propres actes néfastes ont des causes externes à nous-mêmes (j'étais fatigué, j'ai été manipulé, etc.), mais que les actes néfastes d'autrui ont des causes qui leur sont internes (il est méchant, il est incompétent, etc.). Bref, on se trouve des excuses pour soi mais pas pour les autres et il n'y a rien qui justifie cela. Par exemple, si un client ou un employé m'engueule sans raison, c'est peut-être qu'il a eu une mauvaise journée. Si un chauffard manque de m'écraser, c'est peut-être qu'il transporte d'urgence un blessé à l'hôpital. Si un homme est un criminel dangereux, c'est peut-être qu'il a manqué d'amour durant l'enfance. En faisant l'exercice d'essayer de donner le bénéfice du doute aux autres, on sera moins prompt à leur en vouloir et à les haïr.

Finalement, le troisième chemin vers l'amour universel, et sans doute le moins noble, est le chemin de la condescendance. Il s'agit d'utiliser le principe de parcimonie du rasoir d'Hanlon : «Ne jamais attribuer à la méchanceté ce que la stupidité suffit à expliquer.» L'idée c'est d'essayer, à chaque fois que l'on s'apprête à déduire qu'une personne est méchante, de nous demander si l'ignorance, l'incompétence ou l'imbécilité expliqueraient plus adroitement son comportement qu'une réelle intention de nuire. En agissant ainsi, on cesse de démoniser la personne et on se met plutôt à la mépriser. Ensuite, il faut passer du mépris à la condescendance. Le prédicateur galiléen Jésus de Nazareth (0-33) avait compris lui. Il prétendait aimer tout le monde mais se voyait lui-même comme un fils de Dieu, supérieur aux pauvres brebis égarés que sont les mortels. On développe cet «amour», lorsque l'on emprunte le sentier de la condescendance, en dévaluant l'autre et en aimant le fait qu'on se sent une bonne personne en comparaison. On est donc moins «pur» dans nos intentions qu'en éprouvant un véritable amour égalitaire, mais nos actions envers cette personne se rapprocheront plus des actes d'amour que des actes de haine. Une fois, donc, que l'on est passé du mépris à la condescendance, on peut essayer de passer de la condescendance à la pitié, ensuite de la pitié à la compassion, de la compassion à l'empathie et, si tout va bien, de l'empathie à… l'amour!

J'ai l'impression que, de nos jours, c'est plutôt à la mode d'haïr et c'est mal vu de prôner l'amour. Non? Peut-être parce que l'on croise tellement de gens tous les jours et que l'on a tant d'opportunité de personnes à rencontrer qu'au lieu de pardonner à un ami avec qui on est en chicane, on préfère s'en faire un autre pour le remplacer. Si une personne a un défaut, on préfère la rejeter et aller vers une autre. L'idéologie capitaliste s'est insinuée jusque dans nos relations. Pour moi, en tout cas, apprécier les gens en général et maintenir des bonnes relations avec ceux qui entrent dans ma vie fait partie des piliers de ma philosophie de vie. Même si mon éthique se base uniquement sur nos actes et non sur les intentions qui les motivent, je pense que cultiver des émotions positives pour nos semblables nous rendra plus enclin à bien agir envers eux. On peut donc dire que développer sa faculté à aimer est un devoir moral indirect, au même titre que le fait de sublimer ses émotions négatives et d'accroître ses connaissances.

dimanche 2 août 2009

Sommes-nous seuls dans l'univers?

Même les plus éminents scientifiques semblent manquer de scepticisme lorsqu'il est question de la vie extraterrestre. Les articles de vulgarisation scientifique sont encore pires. À chaque fois que l'on découvre quelque chose dans l'espace – une exoplanète, de l'eau, etc. – on se sent obligé de nous dire que cette découverte accroît les chances pour que l'on trouve bientôt une forme de vie extraterrestre qui pourrait être intelligente... J'veux pas casser le party mais c'est loin d'être aussi simple. Trouver de l'eau c'est très loin de trouver une civilisation extraterrestre.

L'eau est une substance chimique très simple : H2O. Et en plus le «H» (l'hydrogène) qui la compose est l'élément le plus simple de l'univers (un électron et un proton). Donc de l'eau ya de forte chance qu'on en trouve partout! La vie par contre, c'est une structure chimique beaucoup plus complexe. Même si on prend ça dans un sens large et qu'on définit la vie comme «tout composé chimique qui, dans un environnement donné, fabrique des répliques de lui-même», ça reste quelque chose d'exceptionnel. Maintenant cette vie primitive est bien loin de l'être doué de raison. Pensons aux milliards d'années que ça a pris pour passer de l'unicellulaire à l'humain. Par ailleurs, l'apparition de l'intelligence n'est pas nécessaire. La vie aurait pu exister pendant des milliards d'années puis disparaître avec la mort de notre soleil, sans jamais que n'apparaisse un être capable de réfléchir, ni même un être pourvu d'un cerveau!

Personnellement, je me dis que s'il existe effectivement une civilisation extraterrestre quelque part dans le cosmos, il est fort peu probable que l'on puisse un jour entrer en contact avec elle. C'est comme pour Dieu : on ne peut prouver qu'il n'est pas là, mais comme on ne peut pas prouver qu'il est là non plus, rien n'indique que ce concept existe en dehors notre imagination. Par conséquent, l'option la plus sage et la plus logique est d'adopter une attitude agnostique et de faire comme si nous étions seuls dans l'univers.

La haine de l'humain

Il n'est pas rare que j'entende chez l'un de mes semblables des paroles comme :
«Il y a tant de souffrances dans le monde! Tant que l'humain existera, il fera souffrir son semblable et les bêtes. L'humain pollue et compromet la survie de tant d'espèces. La solution la plus logique serait de tuer tous les humains sur Terre! Ou, au moins, de les stériliser. L'humanité doit disparaître! Ainsi l'équilibre de l'écosystème s'installera de nouveau. Toute la souffrance que nous causons s'en ira avec nous.»

Nous sommes tous arrivez à ce genre de conclusions un jour ou l'autre. Je m'y suis moi-même laissé piéger pendant un temps. Désormais, je m'oppose à ce genre de discrimination spéciste envers l'humain. Elle n'est pas constructive et est malsaine. D'abord, parce qu'elle nous empêche de changer les choses en nous donnant l'impression que la souffrance et la pollution font parties de «la nature humaine» et que l'on ne peut donc rien y faire. Ensuite, parce qu'elle cultive un sentiment de haine envers nos semblables et envers nous-mêmes.

Avant de diaboliser l'humain, songez au fait que n'importe quel animal qui se trouverait dans notre situation ferait comme nous. Lorsque les lapins furent introduits en Australie, se trouvant dès lors dans un milieu sans prédateurs, ils se reproduisirent en surnombre et consumèrent toutes les ressources naturelles qu'ils pouvaient, jusqu'à ce que la majorité d'entre eux meurent de famine. Les humains ont fait la même chose en arrivant sur l'île de Pâques. C'est ce qui arrive logiquement à toute population animale lorsque les ressources sont abondantes et les prédateurs absents. Il n'y a donc là aucune malveillance.

L'humain a par contre l'avantage de comprendre ce qu'il fait. Il n'a pas l'excuse de l'ignorance comme les lapins. Toutefois, c'est l'humain en tant qu'individu, et non en tant qu'espèce ou que société, qui a cette intelligence. J'ai déjà lu quelque part que si un humain est plus intelligent qu'une fourmi, une ville est moins intelligente qu'une fourmilière. Ce n'est donc pas notre intelligence qui fait que l'on nuit à l'environnement, ce serait plutôt notre manque d'intelligence. Les espèces peu intelligentes sont contraintes, par des forces systémiques et des pressions sélectives, de rester en équilibre avec leur écosystème. Être vraiment intelligent, disons l'être collectivement, serait de comprendre ces mécanismes et de trouver la façon d'avoir un mode de vie écologique. Notre situation présente est un état de «semi-intelligence» dans lequel l'individu a la lucidité nécessaire pour s'émanciper des pressions du milieu, mais où la population en tant que tout ne l'a pas encore assez pour s'harmoniser avec son environnement.

Ce que l'on doit faire, ce n'est pas de faire disparaître notre espèce mais simplement de modifier son rapport avec le reste du monde. Essayer d'intégrer dans notre culture des valeurs telles que la conscience écologique et la solidarité sociale. Faire en sorte que notre société acquiert cette intelligence environnementale qu'ont les individus qui la composent. C'est peut-être difficile mais c'est déjà plus faisable et moins défaitiste que de prôner l'extinction de notre espèce.

samedi 1 août 2009

La nature n'a pas de but

Je vous ai déjà expliqué que la nature n'est pas une personne et que l'évolution des vivants se faisait selon les principes aveugles de la sélection naturelle. Je remarque toutefois que, dans le langage courant, les expressions sont connotées d'une dimension téléologique qui n'existe pas empiriquement. Par exemple, prenez la phrase suivante :
«Le pancréas sert à produire l'insuline pour digérer les sucres.»

Bien qu'il ne s'agisse que d'un commode raccourci verbal, la formulation sous-entend une sorte de but et d'intention dans la fonction des organes, comme dans les composantes d'une machine. Comme si un concepteur avait placé le pancréas dans notre abdomen pour que l'on puisse digérer les sucres. Or, il n'y a pas de concepteur donc pas de finalité. Une formulation plus appropriée serait: «Le pancréas produit de l'insuline ce qui permet de digérer les sucres.»

L'usage de cette terminologie dans des contextes visant à dévaloriser un comportement jugé «contre-nature» est particulièrement ridicule. Par exemple, réprouver la sodomie en arguant que les organes impliqués dans cette action «ne servent pas à ça» est un abus de langage. Si les premiers tétrapodes s'étaient dit : «Les membres ça sert à nager dans l'eau, pas à marcher sur la terre!» nous serions toujours des poissons. C'est la même chose avec des termes comme «déviance», «malformation» ou «retard mental». Ils impliquent qu'il y a une norme que l'individu devrait suivre, ou un but vers lequel il devrait se diriger, mais qu'il s'en éloigne.

Aucun organe ne «sert» à quoique ce soit. Les organes font des choses, par eux-mêmes ou sous nos commandements, qui ont des conséquences, positives ou négatives. Si l'action d'un organe s'adonne à favoriser la transmission des gènes de l'individu, elle sera sélectionnée par l'évolution, d'où l'illusion de finalité quand un organe remplit sa «fonction». Mais, le bonheur d'un individu est plus important que la transmission de ses gènes. Et, notre corps sert à faire ce qu'on en fait. La question n'est donc pas «Cet organe sert-il à ça?» mais plutôt «Utiliser cet organe de cette façon a-t-il des conséquences positives sur mon bonheur ou sur celui d'autrui?»

La légalisation des drogues

En vertu de mon éthique personnelle qui fait une distinction entre le mal et le mauvais et qui ne réprouve que le mal, je suis en faveur de la légalisation des drogues (même si, je dois l'avouer, je n'en ai personnellement jamais consommées…). Il y a en fait trois actions différentes, par rapport à la drogue, qui méritent chacune d'être analysées séparément :
  1. la consommation
  2. la vente
  3. la promotion
Je pense qu'un individu lucide doit être libre de disposer de lui-même. On peut dire que les sanctions existent souvent pour qu'un individu qui a causé du tord en subisse lui aussi. Cela fait en sorte qu'un être purement égoïste évite les actions ayant des conséquences négatives pour autrui, puisqu'elles auront aussi – via le bras de la justice – des conséquences négatives pour lui-même. Mais dans le cas où une action n'a pas de conséquences négatives pour autrui et a déjà des conséquences négatives pour l'agent, je ne comprends pas pourquoi il faudrait une punition. Le philosophe utilitariste John Stuart Mill (1806-1873) disait que le pouvoir coercitif de l'État n'était légitime que pour empêcher l'individu de nuire aux autres, et non pour l'empêcher de disposer librement de lui-même.

Il y a d'ailleurs des drogues légales : le tabac et l'alcool. Je pense que nous avons trouvé de merveilleuses façons de concilier le droit de l'individu de consommer ces drogues, avec le devoir de l'État de protéger les individus les uns des autres. Par exemple, avec l'alcool, bien qu'il soit permis d'en boire, il est interdit d'être sous l'influence de l'alcool dans une situation où la sécurité d'autrui dépend de notre vigilance, comme quand on est au volant. Pour le tabac, on a pris la peine d'écrire sur le paquet des messages dissuasifs et une description des conséquences, afin que l'individu puisse faire un choix éclairé au moment de l'achat en mettant dans la balance tous les avantages et les inconvénients de son tabagisme. En plus, comme le tabac cause des dommages collatéraux via la fumée secondaire, on l'a interdit dans les lieux publics.

Éthiquement, il y a par contre un léger problème à propos de la vente de ces substances. En effet, même si en consommer n'a rien de mal (puisque l'on ne cause de souffrance qu'à nous-mêmes), en vendre l'est nécessairement (puisque l'on cause de la souffrance à autrui, même s'il consent à la subir). Toutefois, en interdire la vente, comme on le fait avec la marijuana présentement, c'est nuire au libre-choix du citoyen. Mais je pense qu'en interdisant la publicité sur le tabac, en forçant les commerçants à cacher cette marchandise, en interdisant leur consommation dans les lieux publics et en inscrivant des messages dissuasifs sur les paquets, on concilie parfaitement bien les choses. Si celui qui vend ne peut d'aucune façon inciter l'acheteur à acheter, on peut dire que ce dernier achète par sa propre volonté sans manipulation aucune et que le vendeur n'a rien à se reprocher.

Il faut par contre tenir compte du fait qu'une consommation excessive peut engendrer des problèmes de santé pour l'individu qui auront, quant à eux, des conséquences sur ses proches (qui devront l'aider) et sur la société (car l'assurance-maladie financera son traitement). Pour cette raison, instaurer une taxe sur les drogues (ou sur les autres produits mauvais pour la santé) afin de financer ses coûts pour le système de santé, m'apparaît légitime.

Tout ça pour dire que je pense que toutes les précautions que l'on prend actuellement avec les drogues légales sont suffisamment efficaces et légitimes pour que l'on puisse légaliser d'autres drogues douces. Si l'on n'a le droit d'en consommer que dans des lieux privés et que le commerce de ces substances est «discret» (pas de publicité, produits cachés des étalages, etc.), alors il s'agit d'un acte purement privé qui n'a pas à subir les répressions de la loi.

L'évolution de la coopération

Certaines gens ayant une conception, disons, obsolète de l'évolution du vivant, prétendront que la théorie de Darwin (1809-1882) entre en contradiction avec les principes de l'altruisme. Ils verront soit ce fait social comme contre-évolutif, soit, au contraire, comme ayant une origine autre que l'évolution naturelle. J'espère que la brève explication que je vous donnerai ici sur l'évolution de l'altruisme suffira à vous convaincre qu'il n'y a aucune dissonance entre l'empathie et la sélection naturelle.

La sélection naturelle ne s'attarde pas tant à la survie de l'individu qu'à la transmission de ses gènes. Ainsi, des traits qui permettent à l'individu de mieux survivre seront sélectionnés simplement parce qu'en vivant plus longtemps, l'individu augmente le nombre de copulations qu'il connaîtra dans sa vie. C'est pourquoi il arrive souvent, dans le monde des insectes et des arachnides, que le mâle meure immédiatement après la copulation – soit tué par sa partenaire, soit du simple fait de décharger sa semence – mais qu'il cherche quand même à copuler. Comme dit le biologiste Richard Dawkins (né en 1941), l'individu n'est qu'un véhicule qu'utilisent les gènes pour servir leurs intérêts égoïstes.

Pour avoir une valeur évolutive, un comportement altruiste doit donc soit être :
  1. Réciproque – donc impliquer une collaboration bénéfique pour les deux parties.
  2. Népotiste – donc accroître les chances pour que le bénéficiaire ait les mêmes gènes que l'agent, par exemple quand une mère se sacrifie pour ses rejetons.
  3. Prestigieux – donc conférer à l'agent une gloire qui fera de lui un partenaire plus recherché pour l'accouplement.
Chaque fois qu'un comportement altruiste comporte une ou plusieurs des caractéristiques précédentes, il peut être élu par la sélection naturelle. Les rapports de coopération peuvent s'intensifier et se complexifier à tel point que l'on verra l'émergence d'un superorganisme tel que les ruches, les fourmilières ou tout autre population d'animaux eusociaux; les pressions sélectives s'appliquant alors sur le groupe et non plus sur l'individu qui n'est plus qu'un organe de ce superorganisme.

Vous aurez compris, je l'espère, que la valeur évolutive d'un comportement altruiste ne nous éclaire pas sur sa valeur éthique, et inversement. Précédemment, je vous ai donné la distinction que je fais entre l'empathie brute et l'altruisme raisonné, le premier n'étant qu'une inclination viscérale et le second une compréhension rationnelle du fait que les intérêts de l'autre existent également. L'empathie en tant que sentiment viscéral est donc simplement le fruit de la sélection naturelle. C'est dans les contextes où un comportement altruiste sera évolutivement avantageux que l'on sera intuitivement enclin à nous y adonner. Inversement, on sera moins attiré par le fait de sacrifier nos intérêts au profit de ceux des autres si les bénéficiaires n'ont pas la possibilité de nous le rendre, s'ils ne nous sont pas proches affectivement et si l'on n'a aucune chance d'en tirer un prestige quelconque. Et ce, même si l'on comprend rationnellement que l'on devrait être altruiste dans cette situation.