Lorsque l'on fait la régression du doute systématique de Descartes qui nous ramène au «
Je pense donc je suis», on réalise que tout autour de nous existe au moins en tant que perceptions,
comme je l'ai expliqué plus tôt. Mais du lieu où se rencontrent ces perceptions – notre «nature profonde», le «noyau central de notre esprit» – que sait-on? J'appellerai
conscience ce «programme» dans notre psyché chargé de reconstituer la réalité extérieure à l'intérieur de notre tête.
N'oublions pas que
l'univers est un continuum. Si l'on prend pour acquise cette hypothèse, on peut également assumer que notre conscience siège dans le même univers que les sources de ses perceptions et qu'elle s'inscrit dans la continuité de ces dernières. Qu'il n'y a pas de rupture nette entre ce «moi profond» et son environnement. Ce n'est pourtant pas ce que l'on perçoit. On a l'illusion que l'esprit se distingue de la matière.
Cela n'est pas complètement faux. En fait, le monde dans lequel on croit évoluer n'est qu'une construction de notre esprit (construction purement mentale mais basée très vraisemblablement sur la réalité extérieure à nous-mêmes dans laquelle on évolue effectivement). Notre «programme de construction de la réalité» – la
conscience – va nécessairement se percevoir lui-même comme une chose totalement distinct de l'environnement qu'il construit. Cela constitue donc une inclination naturelle à croire en une dualité matière/esprit.
Pour faire une analogie, prenons une caméra qui filme quelque chose. Il y aura une distinction entre la réalité filmée et l'enregistrement de cette réalité à l'intérieur de la caméra. Si je compare la caméra à la réalité, je constate qu'elles appartiennent toute deux à un même monde objectif où tout est éphémère et décomposable. Mais si elle se compare au film qu'elle contient, la caméra se verra comme quelque chose de distinct. Elle semblera plus tangible, éternelle et indivisible, extérieure à l'enregistrement qu'elle renferme. La caméra transcende les données qu'elle contient. C'est pareil pour notre esprit. Donc, pour résumer cette partie, on peut dire que le monde tel qu'on le perçoit existe dans notre
conscience qui elle-même se trouve dans le monde tel qu'il est.
Je poursuivrai ce point ultérieurement.
On pourrait se demander pourquoi certains de nos attributs sont vus comme appartenant au «corps matériel» et d'autres au «corps spirituel.
J'élabore là-dessus plus loin.
Autre faiblesse de notre conscience c'est qu'elle ne peut se concevoir elle-même que comme un tout homogène et inaltérable. Nous ne pouvons concevoir ce que
c'est que de
ne pas être (c'est logique, c'est un paradoxe). Conséquemment, on a l'illusion d'être éternel (évidemment, l'éternité nous est tout aussi inconcevable quand on essaie de se l'imaginer tout entière mais, si on se l'imagine à plus court terme, il est plus facile de se dire à chaque jour «Je serai encore là demain!» plutôt que de concevoir notre propre annihilation).
On ne peut pas non plus s'imaginer, par exemple, ce que ce serait si une conscience se fusionnait avec une autre pour ne devenir qu'une. «
Laquelle des deux serait-elle vraiment?» se demanderait-on. On ne peut pas s'imaginer une conscience qui se scinderait ou se dupliquerait de sorte qu'à partir d'une on en aurait deux. «
L'une des deux serait nouvelle et l'autre la même qu'avant…» penserait-on intuitivement.
Mon point ici est simplement d'exprimer que la conscience étant le programme de perception du monde, elle échappe elle-même à sa propre loupe. Et, que les biais que j'associe à cet état de fait sont très certainement la cause des attributs que pratiquement toutes les cultures associent à l'âme. Cette croyance universelle que l'on retrouve dans toutes les traditions serait donc la conséquence d'une inclination inhérente au fonctionnement de notre conscience (en plus d'être un inhibiteur pratique contre notre
quête de sens).
L'«âme» (ou l'esprit) c'est un mot qu'on utilise pour désigner
l'ensemble des activités du cerveau. Mais ce n'est qu'un phénomène du corps au
même titre que la respiration et la digestion. On pourrait faire la même chose
avec un autre organe et inventer, par exemple, le mot «hépatessence» pour
désigner l'ensemble des activités du foie… puis se mettre à croire que
l'hépatessence est immatérielle, qu'elle survit à la mort du corps et va dans
un paradis de bile pure. On ne peut pas extraire l'esprit du corps, pas plus
qu'on ne peut extraire la vitesse d'un guépard, la petitesse d'une fourmi ou la
beauté d'un coucher de soleil.