mardi 12 mai 2009

Tu ne tueras point

Durant mes réflexions sur l'éthique, je n'ai pas réussi à trouver pourquoi le meurtre serait un mal en soi. Bien sûr, je n'ai pas de difficulté à percevoir le mal qu'il y a autour d'un meurtre. Par exemple, dans la souffrance que ressent la victime lorsqu'elle anticipe son sort, et évidemment dans celle de ses proches endeuillés. Mais, prise isolément, la mise à mort elle-même me semble plus difficile à condamner. Étant donné que la mort n'est rien pour nous, le fait de la donner n'est ni un mal, ni un bien.

Si nous étions tous virtuellement immortels et que seul un accident ou un meurtre pouvait mettre fin à nos jours, alors l'acte de tuer aurait une portée différente. En assassinant quelqu'un, je serais responsable de sa mortalité et je lui enlèverais les innombrables potentialités qui lui restaient à vivre dans son existence sans fin. Dans notre monde où la mort est obligatoire, tuer ne fait que rapprocher l'inévitable. Le meurtrier n'est pas responsable du fait que sa victime soit mortelle; même s'il est la cause de sa mort, sans son intervention, elle serait tout de même morte un jour où l'autre.

Je me suis dis que le mal dans l'acte de tuer résidait dans le fait que l'on privait un être de toutes les expériences agréables qui lui restait à vivre. Cela implique que, dans une situation où l'on pourrait présumer avec un taux de certitude suffisant qu'une personne va souffrir pour le restant de son existence, la tuer (l'euthanasier) n'est plus un mal mais un bien.

Je ne suis pas sûr mais il me semble que pour que l'on puisse voir du mal dans le meurtre il nous faut de la souffrance. Il faudrait donc que, dans les instants précédant son décès, la victime prenne conscience du fait que sa mort est imminente pour qu'elle puisse souffrir du fait de ne pas pouvoir vivre tout ce qu'elle voulait vivre. Sinon, c'est un peu comme voler une personne sans qu'elle ne s'en aperçoive ni ne manque de ce qu'on lui a pris. «Ce qu'on ne sait pas ne fait pas mal.» S'il n'y a aucun moment dans son existence où la victime souffre de son meurtre, d'un point de vue utilitariste, il n'y a aucun mal pour elle.

Pour isoler le meurtre de ses conséquences secondaires, imaginons une situation hypothétique improbable. Imaginez que je tue une personne si rapidement qu'elle n'a pas le temps de souffrir ni même de se rendre compte qu'elle meure. Présumons que cette personne n'a pas non plus pu anticiper mon geste d'aucune façon que ce soit. Finalement, prenons pour acquis que cette personne n'avait aucun proche d'aucune sorte et que nul ne s'aperçoive jamais de son décès. Dans cette situation «idéale», élaguée de toute souffrance collatérale, il ne semble y avoir rien de mal dans mon meurtre. Toutefois, la gratuité d'un tel geste me révulse intuitivement…

6 commentaires:

  1. Il semble parfois qu'il faille se fier à son instinct.

    "En assassinant quelqu'un, je serais responsable de sa mortalité et je lui enlèverais les innombrables potentialités qui lui restaient à vivre dans son existence sans fin."

    Qu'il soit immortel ou non n'y change rien il me semble. Qui sommes-nous pour juger de la valeur (quantitative et qualitative) de ces potentialités?

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  2. Tout à fait. Dans le fond c'est juste ça, tuer c'est retirer à une personne une portion potentielle de sa vie qui est susceptible de contenir des expériences positives (l'euthanasie se justifie donc parce que la portion de vie restant à cette personne ne contient plus que de la souffrance).

    C'est juste dans le contexte où la victime meurt avant de réaliser qu'on la tue, que ça me posait problème. Quand on enlève à quelqu'un quelque chose de positif qu'il aurait aimé avoir, le mal réside dans la déception de cette personne de ne pas avoir cette chose. Une fois morte, elle ne peut plus être déçue de ne plus être vivante...

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  3. Mais il y a quand même une souffrance (ou une absence de plaisance) causée aux autres. Peut-être cette personne aurait-elle améliorer la vie des gens autour d'elle? Dans ton cas extrême, peut-être que personne ne la connaissait car elle travaillait en secret à trouver un remède contre le cancer (mais que, comme elle est un peu schyzo, les gouvernements ne lui ont pas accordé de subvention et elle a été mis dehors des universités où elle faisait ses recherches).

    Je réponds au cas extrême par le cas extrême, justement pour dire qu'on peut pas vraiment savoir le "bonheur potentiel" qu'un personne engendrera aux autres.

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  4. Non non non, ton exemple pourrait justifier d'interdire l'avortement...

    Mais finalement c'est vrai que de retirer un bonheur (dans ce cas-ci, celui que représente le restant de sa vie) équivaut à créer une souffrance puisque bonheur et souffrance sont les deux pôles d'une même «jauge». Donc écourter une vie potentiellement pleine de bonheur est un mal en soi.

    Et, de toute façon, il est rare qu'un individu n'ait réellement personne pour le pleurer. Il y a presque toujours de la souffrance collatérale dans un meurtre.

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  5. Bien sûr qu'elle peut justifier l'interdiction de l'avortement, et voilà pourquoi les pro-choix se basent sur d'autres facteurs pour justifier celle-ci. Sinon, il n'y aurait pas de débat. Mais il ne faut pas le penser comme ça, sinon, à juger un meurtre on se retrouverait à juger un génocide (en invoquant l'ensemble des individus potentiels détruits). Voilà pourquoi il faut mettre une limite à l'individuation, les pro-vies la placent au moment de la fécondation (voilà pourquoi ils ne voient pas comme un meurtre une stérilisation) alors que les pro-choix la placent à un moment précis de la grossesse.

    Bref, le potentiel est quelque chose de très flou, et c'est un concept qui m'intéresse.

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  6. Intéressant ce billet!
    Je pense qu'on va être d'accord pour dire que ultimement le "bien" et le "mal" sont des concepts purement humain et qu'en dehors de nos têtes, il n'existe pas.

    Même qu'on constate que suivant les différentes cultures, ces concepts sont assez flexibles. Le cas de la peine de mort, par exemple, est très éloquent:

    "T'as tué quelqu'un - tuer c'est mal- donc en conséquence, on te tue, même si tuer c'est mal"

    Un peu contradictoire...

    Personnellement, je ne vois aucune raison valable de mettre un terme à l'existence de quelqu'un car je pars du principe que cette existence est tout ce que nous avons réellement. Je ne voudrais pas que quelqu'un empiète sur mon libre arbitre en choisissant de terminer ma vie et donc, "je vie et laisse vivre".

    Dans ton billet tu dis:

    Mais, logiquement, pour que l'on puisse voir là un mal, cela nous prend de la souffrance. Il faut que, dans les instants précédant son décès, la victime prenne conscience du fait que sa mort est imminente pour qu'elle puisse souffrir du fait de ne pas pouvoir vivre tout ce qu'elle voulait vivre.

    À mon avis, cela n'a rien à voir avec la logique. Si on pars du principe que le "bien" et le "mal" sont des concepts humain, alors ils dépendent des opinions/perception de chacun.

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