dimanche 2 juin 2013

Les difficultés de l'utilitarisme

À la base, l'éthique utilitariste que je défends est assez simple. Il s'agit de maximiser l'indice de bonheur, de choisir l'option qui rendra autrui le plus heureux possible. On peut se représenter l'Autre comme une sorte de «jauge» nous disant où se situe son niveau de bonheur:


C'est donc très simple. Si je commets une action qui fait baisser cette jauge, j'agis mal, si je la fais monter, je suis gentil. Mais des difficultés peuvent survenir dès que la situation ne peut plus se modéliser de manière aussi simpliste, ce qui peut entraîner des désaccords entre les utilitaristes. Dans mon modèle de «jauge du bonheur», elles se classent dans deux catégories:
  • S'il y a plus d'une jauge à considérer, c'est-à-dire s'il y a plusieurs individus affectés différemment par mon action.
  • Si mon action modifie le nombre de jauges plutôt que le niveau de bonheur d'une jauge. Par exemple, si je tue un individu je ne le rends pas malheureux; sa jauge ne baisse pas mais disparaît.

Ces cas offrent plusieurs possibilités. Devrais-je additionner tous les individus de l'univers en une seule et même jauge? Devrais-je favoriser l'action qui causerait le plus grand bonheur à un individu spécifique? Devrais-je répartir ce bonheur sur le plus grand nombre d'individus possibles? Ou devrais-je plutôt m'assurer que tous ait, minimalement, un niveau acceptable de bonheur?

La tendance générale, chez les autres utilitaristes, sera de consolider toutes les jauges en une unique jauge – soit en les additionnant, soit en faisant une moyenne – ce qui implique que l'on peut sacrifier un individu donné pour le bénéfice de plusieurs, conclusion souvent contre-intuitive et critiquée par les adeptes d'éthiques déontologistes. Ma position est différente. Dans mon modèle, je considère que ce «bonheur de l'univers» est une pure construction de l'esprit – au même titre que l'honneur ou la souillure – puisqu'elle ne représente aucun individu réel. Ce fictif «monstre d'utilité» ne devrait pas avoir plus de droits que les individus, qui eux existent vraiment. En fait, la raison même qui m'a fait privilégier l'utilitarisme sur ses rivales, c'est parce qu'elle ne s'appuie que sur des choses terre-à-terre, mais en l'agrémentant d'un «bonheur du plus grand nombre», elle perd cet avantage.

Ce que je prône, si l'on s'en tient à ma modélisation de l'éthique sous forme de jauges, serait de ne pas additionner les jauges et de considérer celles qui n'existent pas ou plus comme étant à zéro (c'est-à-dire «neutres», ni heureuses ni malheureuses). Concrètement, ça se résumerait à:
  • Lorsqu'il y a plusieurs jauges (donc plusieurs individus) affectées par mon action ou mon inaction consciente, je dois favoriser le résultat qui permettra de répartir le bonheur de façon à ce que tous soient au-dessus du seuil de contentement, plutôt que le résultat qui donnerait une somme de bonheur supérieure. C'est ce que j'exprimais dans ma réflexion sur l'éthique sur le nombre.
  • Lorsque mon action pourrait faire disparaître une jauge existante (c'est-à-dire, tuerait quelqu'un), je dois considérer que je retirerais à cet individu le bonheur et la souffrance qui lui resterait à vivre si je ne le tuais pas (et que «retirer un bonheur» équivaut à «donner une souffrance» et inversement). Je dois aussi considérer que contrarier son désir de continuer à vivre ou de mourir est une souffrance. Ainsi, commettre un meurtre est répréhensible mais euthanasier une personne en phase terminale d'une maladie douloureuse et qui désire qu'on l'aide à mettre fin à ses jours, ne l'est pas.
  • Lorsque mon action fait apparaître une nouvelle jauge (par exemple, si je donne naissance à quelqu'un), cela ne constitue en soi ni un bien ni un mal, puisque celui qui n'existe pas ne souffre pas de son état et ne désir pas venir à l'existence. De plus, en amenant autrui à l'existence contre son gré (forcément!), je m'engage tacitement à faire tout ce qui est en mon pouvoir pour que le bonheur domine la souffrance dans sa vie, de sorte que je le fasse passer de «neutre» (inexistant) à «heureux».
  • Lorsque mon action empêche une potentielle nouvelle jauge d'exister (par exemple, si j'avorte ou que j'utilise la contraception), cela ne constitue en soi ni un bien ni un mal, puisque celui qui n'existe pas ne souffre pas de son état et ne désir pas venir à l'existence. De plus, empêcher une nouvelle jauge de naître (donc l'équivalent de laisser à zéro une jauge de zéro) est un acte éthiquement supérieur à celui de générer une nouvelle jauge dans laquelle la souffrance dominera sur le bonheur (donc, faire tomber dans les négatifs une jauge qui était à zéro). C'est ce que j'exprimais dans mes réflexions sur le futur et sur l'eugénisme.

Bref, bien que mon éthique soit clairement utilitariste, elle a ses propres manières de résoudre les difficultés de ce paradigme moral. Ainsi, pour la distinguer de ses sœurs, je qualifie mon éthique d'utilitarisme individualiste, puisque je focalise sur l'individu et non sur le groupe ou sur la somme des individus.

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