vendredi 8 janvier 2010

La hiérarchie naturelle

On croyait autrefois à ce qu'on appelle en latin la scala naturae, c'est-à-dire l'échelle naturelle. Il s'agit d'une hiérarchie linéaire au sein de laquelle on classait toutes les choses de l'univers réel et mythologique. Par exemple, le vivant était au-dessus de l'inerte mais en-dessous du divin. Dans le vivant, les animaux étaient au-dessus des végétaux mais en-dessous de l'humain. Au sein de l'espèce humaine, le roi était supérieur au serf, l'homme supérieur à sa femme, le père supérieur à ses enfants, etc. Dieu, l'ultime perfection, était au sommet de l'échelle tandis que l'humain était le plus haut parmi ce qui existe pour vrai. Voyez cette page pour plus de détails.

Les théories de l'évolution prédarwiniennes – telle que celle de Jean-Baptiste de Lamarck (1744-1829) – utilisaient cette conception du monde linéaire. On assimilait les êtres vivants les plus primitifs avec le bas de l'échelle et les être plus complexes au haut, tout en plaçant arbitrairement l'humain à son sommet (bien qu'il ne soit pas plus complexe ni nécessairement plus récent que des animaux tels que l'orang-outang, le chat ou le pigeon). On voyait l'humain comme étant «l'aboutissement de l'évolution» ou «le plus évolué des animaux» au somment du monde des vivants. Évoluer signifiait monter dans l'échelle.*

Ce modèle unilinéaire du monde interféra dans les considérations éthiques des gens, pendant différentes époques. En effet, on croyait – selon l'éthique défendue originellement par le philosophe Aristote (384-322 av. notre ère) – que chaque chose n'existait que pour servir les intérêts de ce qui lui est supérieur dans la scala naturae et qu'il n'y avait donc rien de mal à faire passer les intérêts d'un humain avant ceux d'un chats, ceux d'un seigneur avant ceux d'un serf, ceux d'un homme avant ceux de sa femme ou ceux d'un natif avant ceux d'un étranger. Et ce, aussi infimes et superficiels que soient les bénéfices pour le «supérieur» par rapport aux conséquences négatives pour son subalterne.

Le modèle de l'évolution apporté par Charles Darwin (1809-1882) aurait dû amener un changement de paradigme à ce niveau. En effet, en étant arborescent plutôt que linéaire et en évacuant complètement le concept de «supériorité», il nous a apporté une conception du monde des vivants dans laquelle il n'y avait pas de place pour une quelconque «hiérarchie naturelle». Les populations évoluant, non pas pour grimper dans l'échelle, mais bien pour s'adapter davantage à leur milieu.

Il semble toutefois que, même si l'on ne se réfère plus directement à cette échelle, des vestiges de son influence persistent dans notre conception du monde. On continue à dire que les bêtes sont «inférieures» aux humains ou à sous-entendre implicitement que ce qu'elles sont est moindre que ce que nous sommes (par exemple, en disant «Ce n'est qu'un chat!»). Grâce aux progrès sociaux, on en est venu à la conclusion qu'il n'y avait pas de place pour une telle échelle biologique au sein de l'humanité. On a alors simplement décrété que «tous les humains sont égaux» dans cette hiérarchie, tout en maintenant en place le reste du modèle. Or il ne s'agit là que d'une contorsion ridicule d'un modèle erroné pour se plier à la réalité observée; comme la théorie des épicycles dans le géocentrisme. La vérité c'est que nous ne sommes pas égaux… ni inférieurs ou supérieurs, puisqu'il n'y pas d'échelle de la vie ou de hiérarchie naturelle. Le concept même de «supériorité» est donc complètement vide de sens. Ce n'est là qu'une conception obsolète dont on devrait se débarrasser.

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*Dans des histoires de science-fiction telles que X-Men, on utilise ce genre de conception linéaire de l'évolution puisque l'on considère que «la prochaine étape» pour l'humain est d'acquérir de supers pouvoirs... très analogues à ceux des dieux polythéistes.

3 commentaires:

  1. Une structure d'arbre n'empêche nullement les relations d'ordre. Il me semble que vous intuitez la notion de supériorité d'après la relation d'ordre définie dans les petites classes sur les nombres réels (vu l'utilisation du vocabulaire linéaire dans une de ses acceptions non mathématiques). Les relations d'ordres sont beaucoup plus riches que ça : un domaine entier de la recherche mathématique leur est consacré, notamment à l'aide de ce qu'on appelle les algèbres de treillis. En fait, une structure arborescente est un cas particulier de graphe relationnel. De plus, même un graphe avec attributs (la notion de supériorité peut porter sur les attributs selon le sens commun mais il est plus juste de raisonner sur les attributs et les relations vu que vous utilisez l'arborescence) peut être muni de structures de treillis ! Désolé d'utiliser un vocabulaire mathématique, mais tout ça pour dire que :
    arborescence évacue supériorité est scientifiquement faux !

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  2. Bonsoir Jude,

    Vous me dites «arborescence évacue supériorité est scientifiquement faux !»

    Je suis d'accord. Par exemple, un organigramme d'une entreprise c'est arborescent et ça sert justement à définir les rapports hiérarchiques. C'est pourquoi ma phrase était :

    Feel : «En effet, en étant arborescent plutôt que linéaire ET en évacuant complètement le concept de «supériorité»»

    L'un n'est pas la cause de l'autre, ce sont deux innovations distinctes dans la théorie de Darwin.

    Par ailleurs, si l'on décidait de lire un arbre phylogénétique comme un organigramme hiérarchique, on obtiendrait probablement une conception de la supériorité diamétralement différente de celle des prédarwiniens : les ancêtres seraient les supérieurs et leurs descendants leurs employés.

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  3. Merci pour votre réponse, c'est toujours bien de préciser. En fait, c'est pour ça que je pense aux arbres avec attributs (graphes valués ou mieux multivalués). On peut se limiter aux attributs ou coupler avec la généalogie. Il me semble de plus, qu'au niveau du sens commun, les gens ne pensent pas tant à la généalogie ou à quelque évolution, fut-elle Darwinienne, mais bien plus aux attributs.

    En l'occurrence, je respecte toute forme de vie mais je ne mets pas tout au même niveau (relativisme). Je considère que tout n'est pas comparable mais que tout ne se vaut pas non plus. Je considère en quelque sorte qu'il y a de multiples comparaisons valides, mais pas tout et n'importe quoi : pluralisme oui, relativisme non. Par exemple, indépendamment de toute considérations évolutives, je considère qu'une créature qui est capable de maîtriser la science correspond à un niveau plus élevé qu'une autre qui ne l'a pas atteint, que cela soit le fruit d'un long hasard ou pas. Pour moi, il en va de même pour les cultures : un tambour ne produit pas la même complexité mélodique qu'un piano.

    Cordialement.

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