samedi 9 novembre 2013

Les paradoxes de Dieu

Les monothéistes donnent à leur dieu plusieurs attributs pour en faire un être suprême et magnificent. Une sorte de «parent idéal» dont ils se croient l'enfant préféré. Par exemple: il sait tout, il voit tout, il a tout créé, il est tout-puissant, il est infiniment bon, il est parfait (qu'est-ce que ça peut bien vouloir dire?), il est amour (encore plus vide de sens…), il est partout à la fois, etc. Outre la puérilité manifeste de ces croyances, il s'y trouve certaines incohérences qui heurtent le gros bon sens. Des paradoxes. Je vois trois sortes de contradictions dans les attributs de Dieu:
  • contraire aux faits et à la logique;
  • contraire entre eux;
  • autocontradictoire (oxymore);

Évidemment, le fait que l'explication divine est, depuis des siècles, de plus en plus remplacée par l'explication scientifique nous pousse légitimement à présumer qu'il n'y a tout simplement pas de Dieu, et que tout a une cause naturelle. Mais même sans ce progrès de la science, je trouve qu'il y a des éléments dans la foi monothéiste qui sont en eux-mêmes problématiques. Le polythéisme m'apparaît déjà moins absurde car, bien que tout autant contraire aux faits, il a au moins l'intelligence de percevoir l'univers comme un équilibre entre plusieurs forces antagonistes ou rivales, et non comme le fruit d'une volonté unique. Bien sûr, il y a des démons dans le monothéisme, qui sont en guerre contre les anges. Mais, puisque ces méchants ont eux aussi été créés par le chef des gentils (Dieu) qui, en vertu de ses attributs, était parfaitement conscient qu'ils deviendraient méchants, on peut dire que tout l'univers devrait être l'œuvre d'une unique personne. Ce qui m'amène à un autre paradoxe de Dieu.

On attribut généralement cette réflexion au philosophe Épicure (342-270 avant notre ère) mais ça lui ait probablement postérieur même si ça fitte avec sa pensée. Le raisonnement est le suivant:
Si la puissance et la bonté de Dieu sont infinies, le mal ne devrait pas exister. Si le mal existe, c'est soit que Dieu aurait pu l'empêcher mais ne le veut pas (donc il n'est pas infiniment bon), soit il aurait voulu l'empêcher mais ne le peut pas (donc il n'est pas tout-puissant).

Les contre-arguments disent généralement que le mal ne vient pas de Dieu comme tel, mais qu'il est une condition nécessaire à l'existence du libre-arbitre, que Dieu nous a donné justement par bonté. Cette réponse est très peu satisfaisante pour moi, pour plusieurs raisons. Entre autres parce qu'elle sous-entend que non seulement les personnes mais aussi les catastrophes naturelles ont un libre-arbitre, ce qui est absurde. Ensuite parce qu'elle entre contradiction avec les raisons même qui nous poussent à nous doter de lois. Si nous nous enlevons certaines libertés au nom d'un plus grand bien, c'est parce que nous reconnaissons que, par exemple, mieux vaut perdre sa liberté de tuer autrui si c'est pour nous éviter d'être tué par autrui. Mais là, c'est comme si Dieu régnait sur l'univers sans intervenir pour imposer ses lois (et en envoyant aléatoirement des catastrophes). Donc l'existence même de gouvernements humains est la preuve que nous reconnaissons tous implicitement que Dieu ne fait pas son travail.

Mais il y a aussi la conception même du libre-arbitre qui me rebute dans cette explication. Comme si l'individu pouvait faire des choix qui n'auraient aucune cause extérieure ou antérieure (et que même Dieu ne pourrait anticiper?), ce qui m'apparaît encore plus insensé que l'idée de Dieu. Si on évite cet indéterminisme, on pourrait peut-être se dire que Dieu a programmé nos esprits comme un humain le ferait d'une intelligence artificielle, mais qu'il nous a conçu si complexe qu'il ne peut anticiper à l'avance nos décisions. Et c'est peut-être aussi pour ça qu'existent les catastrophes naturelles, le climat est peut-être un système trop complexe pour être prédictible pour Dieu? Ce qui m'amène à mon autre point.

J'ignore quel théologien a un jour posée la question suivante:
«Dieu peut-il créer une pierre si lourde qu'il ne pourrait lui-même la soulever?»

En calquant cette question dans mon questionnement théologique à propos du libre-arbitre, j'aurais pu me demander: «Dieu peut-il créer un système (ou un être) si complexe qu'il ne puisse anticiper ses actions à l'avance?» Évidemment, cela m'amène à remettre en question la toute-puissance de Dieu puisque, quoique l'on réponde à ces questions, on impose une limite à sa puissance. Ainsi, l'omnipotence est un attribut de Dieu qui m'apparaît autocontradictoire et qui, pour cette raison, aurait dû être abandonné par les théologiens.

Les autres attributs divins me semblent également difficile à défendre d'un point de vue rationnel. Par exemple, si Dieu est parfait, je ne vois aucune raison pour laquelle il aurait eu besoin de créer l'univers. Et s'il est partout à la fois, ça implique qu'il soit tout, comme si l'univers était son corps. Il faudrait pour ça que l'univers entier puisse être modélisé comme un seul grand système complexe, et non une infinité de galaxies qui ne se touchent pas. Son infini bonté, quand à elle, est plus tautologique que paradoxale. Si on définit le bien comme étant d'obéir à Dieu, alors c'est assez facile pour Dieu de s'obéir à lui-même.

Ainsi, l'existence de Dieu heurterait moins la raison si, à la place de lui donner tous ces attributs «infinis», on se contentait de dire qu'il est:
  • presque parfait, mais pas parfait,
  • super-puissant, mais pas tout-puissant,
  • clairvoyant mais pas omnivoyant,
  • assez bienveillant mais pas infiniment bon,
  • à plusieurs endroits en même temps mais pas omniprésent,
  • etc.

Évidemment, tout cela n'est qu'un exercice philosophique de ma part. Même si Dieu était présenté de façon moins absurde, il n'en demeurerait pas moins contraire aux faits et à la science, en plus d'être incompatible avec une sagesse adulte.

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P.S. – Il y en a qui vont encore me reprocher de m'attaquer à une croyance inoffensive… En fait, je n'adresse pas ce billet aux croyants qui se contentent de croire dans leur coin en sachant que ce n'est pas rationnel. Je m'adresse justement à ceux qui tente d'amener la question de Dieu sur le terrain de la raison.