lundi 30 juin 2014

Les pseudoscepticismes

Je vous ai déjà parlé de la distinction que je fais entre deux formes de scepticismes, soit le «philosophique» (tout est incertain) et le «scientifique» (avoir différents degrés d'incertitudes). Maintenant je vais vous parler de ce que j'appelle les «pseudoscepticismes» c'est-à-dire de certains courants qui imitent le scepticisme mais n'en sont pas. En voici quelques exemples:

  • les conspirationnismes,
  • le climatoscepticisme,
  • les anti-vaccins et autres anti-médecines,
  • les racialistes et autres défenseurs de vieilles théories obsolètes,
  • les révisionnistes et négationnistes,
  • le créationnisme scientifique (sic).


Hum... mais ne suis-je pas en train de simplement énoncer les trucs sceptiques auxquels je ne crois pas et de leur accoler le préfixe «pseudo» pour les discréditer? Non, ma distinction repose sur quelque chose de réel. Tous ces courants ont un point commun, un mode de réflexion semblable. Ils doivent en fait leur qualité de pseudo à leur sélectivité*, ils n'utilisent pas le scepticisme de façon équitable envers tout. Ils auront une attitude hypercritique envers la «version officielle» (un événement historique reconnu ou une théorie scientifique établie) au point que le moindre petit détail mal connu, mal expliqué ou juste mal compris par eux suffira à discréditer en bloc absolument toute la théorie et toute la science sur laquelle elle repose. À l'inverse, les pseudosceptiques seront très peu sceptiques envers leurs propres sources. La moindre vieille théorie poussiéreuse depuis longtemps réfutée, la moindre rumeur, le moindre site web douteux bourrés de fautes d'orthographe et qui ne cite pas ses sources, seront considérés comme des références valables et incontestables pour établir la vraie vérité.

Évidemment, il est très sain de questionner les faits que l'on prend pour acquis. Pour que la science évolue, on doit pouvoir la remettre en question. Mais même si on accepte que notre modèle du monde actuel comprend sans aucun doute des éléments qui seront réfutés dans le futur, on peut aussi se douter que certains autres sont plutôt fiables. Par exemple, je ne pense pas qu'un jour la NASA nous dise: «Alors on a fait d'autres observations et finalement on avait tord, c'est bel et bien la Terre qui est au centre de l'Univers et le Soleil lui tourne autour. Désolé pour les inconvénients.» Un changement de paradigme s'effectue lorsque les nouvelles données nous poussent à remettre en question les bases du modèle actuel afin d'adopter un nouveau modèle qui soit plus parcimonieux et plus en cohérence avec l'ensemble des données dont on dispose. Mais, un revirement de paradigme tel que le retour au géocentrisme serait impossible puisque les données actuelles le contredisent déjà. Bref, la méthode scientifique est un protocole rigoureux d'expérimentation nous permettant de modéliser le monde, alors même si le modèle ainsi produit est voué à changer, on ne peut pas juste lui opposer quelque chose qui est sorti de nul part ou qui a déjà été prouvé faux en prétextant la faillibilité de la science. Il faut des preuves au moins aussi fortes.

Je pense que nous avons souvent la mauvaise attitude, en tant que société, envers les pseudoscepticismes. En fait, nous avons deux attitudes différentes qui me semblent également mauvaises. La première consiste à les laisser pulluler sans les confronter et ce au nom de la liberté d'expression (très souvent envers les positions religieuses mais aussi envers les pseudomédecines). La seconde consiste l'inverse à criminaliser (comme le négationnisme en Europe) ou à intimider (comme les thruters aux États-Unis) les partisans de ces pseudoscepticismes. Dans les deux cas, je suis en désaccord. Comme tous les obscurantismes, les pseudoscepticismes ne deviennent que plus forts quand on les attaquent par la coercition. Et, quand on les ignore, ils continuent de croître. La seule façon logique de les confronter c'est par l'éducation. Nous ne devons pas nous contenter de dire que c'est interdit de penser telle chose, nous devons instruire les gens pour qu'ils comprennent à quel point sont infondés ces croyances usurpant le titre de sceptiques. Parce que si certaines sont inoffensives, d'autres pourront être très nocives pour l'individu qui en est porteur ou pour les autres individus qui entreront en contact avec lui.

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* C'est la même distinction que je fais entre la vraie laïcité et la pseudolaïcité (qui n'est laïque qu'envers les religions des autres) même chose aussi pour la pseudogauche (qui est contre les privilèges de certains mais en défend d'autres).

mercredi 11 juin 2014

Détruire les machines

À l'époque de la Révolution industrielle exista un mouvement que l'on appela «luddisme». Certains artisans mécontents d'avoir perdu leur gagne-pain au profit de machines, s'étaient mis à vandaliser et à détruire lesdites machines dans le vain espoir de ramener les choses comme avant. Je trouve intéressant de réfléchir à cette situation, parce que le phénomène n'a jamais cessé de se produire: la progression technologique contribue forcément à faire sombrer des jobs dans l'obsolescence. Que ce soit des emplois d'ouvriers ou de bureaucrates, beaucoup de fonctions sont susceptibles d'être un jour exécutées par des machines ou des logiciels plutôt que par des humains. Le dilemme éthique qui découle logiquement de ce constat c'est:
Devrait-on limiter le développement de certaines technologies si leur émergence a pour conséquence de créer du chômage en faisant disparaître des emplois?

Quand on y pense, il est évident que le bonheur des gens devrait passer avant le progrès. Lui-même n'est pas un but en soi, mais un outil dont l'unique finalité est d'améliorer la qualité de vie des gens. Par conséquent, il serait totalement paradoxal de condamner des salariés à la misère au nom du culte du progrès. En plus, puisque, jusqu'à maintenant, ces emplois étaient occupés par des humains et que tout allait bien ainsi, a-t-on vraiment besoin de les remplacer par des machines? Non. Donc… on devrait cesser dès maintenant toute avancée technologique susceptible de causer des pertes d'emplois? Eh non. Les choses ne sont pas si simples.

J'aimerais d'abord que l'on se rappelle quels types d'emplois ont cessé d'exister à cause des machines, de l'informatique et même des outils plus anciens. Quand on y pense, les tâches que la technologie peut faire à notre place ou qu'elle nous permet d'accomplir plus efficacement étaient toute plutôt pénibles voire aliénantes. Ce n'est pas parce qu'ils aimaient leur travail que les gens étaient contre son abolition, c'est parce que c'était leur gagne-pain. Si les facteurs de Poste Canada sont fâchés qu'on supprime leur job, ce n'est pas parce que mettre des enveloppes dans des boîtes aux lettres est leur passion dans la vie, c'est parce que c'était une job stable et payante qu'ils savaient faire. Même chose pour les tisserands du mouvement luddite. Et plus on remonte loin dans le passé, plus on se rend compte que les emplois et les tâches qui n'existent plus à cause du progrès techniques étaient désagréables. Réduire un humain à l'exécution d'une tâche monotone et répétitive c'est brimer son potentiel et l'empêcher de s'accomplir comme il le devrait.

Petit exercice pour savoir si un emploi est gratifiant pour lui-même, et pas seulement pour son salaire ou pour son utilité, demandez-vous la question suivante:
Si j'héritais d'une fortune telle que je ne n'aurais plus besoin de travailler jusqu'à la fin de mes jours. Et, si l'emploi que j'ai en ce moment ne servait plus à personne et qu'on ne me paierait plus pour, est-ce que je continuerais de le faire juste pour le plaisir? 

Par exemple, si je suis concierge, est-ce que je nettoierais un bâtiment désaffecté où personne ne va et qu'on s'apprête à démolir, rien que pour le plaisir? Évidemment, ma question ici est divisible en deux questions distinctes. Si nous demander si nous ferions cet emploi bénévolement ne sert qu'à savoir si on aime notre job, il est évident que peu d'entre-nous continuerait de travailler si le fruit de notre travail ne bénéficierait à personne d'autre, même si on aime ce que l'on fait. Mais c'est justement là qu'est mon point. À partir du moment où la technologie est disponible – ou, du moment qu'il serait aisé de la développer – ne pas l'utiliser pour préserver un emploi revient au même que d'avoir un emploi totalement inutile. C'est comme si on nous payait à rien faire par charité, parce qu'on n'est incapable de faire autre chose. On ne peut pas être contre le progrès juste pour garder des jobs obsolètes; le sens même du travail c'est d'être utile.

Je voudrais aussi souligner que lorsque l'on choisit sa carrière, on sait qu'il y a toujours certains risquent pour que notre emploi cesse un jour d'exister. Parfois ce risque est minime, parfois il est énorme, c'est selon notre domaine. Certains emplois risquent de disparaître à cause du progrès technologique, oui, mais il y a d'autres raisons possibles, de nouvelles lois environnementales par exemple, ou une diminution de la demande. Dans tous les cas, en choisissant de faire telle job plutôt que telle autre, on sait à quoi s'attendre à ce niveau, on accepte le risque et on fait le pari que notre emploi continuera d'exister au moins pour la durée de temps qu'on prévoit l'occuper. Conséquemment, si notre poste vient à disparaître, ce n'est pas une aberration, c'est quelque chose qu'on aurait pu anticiper et à quoi l'on aurait dû être préparé; à la fois en tant qu'individu, mais aussi au niveau de la société.

D'accord. Alors… les gens dont l'emploi devient désuet ne méritent pas mieux que de se retrouver sans revenu et à la rue? Mais non! Je dis juste que le problème n'est pas le progrès technologique comme tel. C'est en fait notre politique du travail. Si un patron congédie ses employés parce qu'il a acheté une machine qui fait leur job plus efficacement, il s'enrichie et crée de la misère. Mais imaginons qu'au lieu de ça, ce soit les employés qui s'étaient cotisés pour acheter cette même machine. Ils auraient alors pu continuer de recevoir leur paye de leur patron (qui aurait été satisfait lui aussi grâce à l'augmentation de leur productivité) et n'auraient plus eu à travailler, à part pour veiller à l'entretien de ladite machine. Ainsi, pour paraphraser Marx, la solution serait que les prolétaires deviennent propriétaires de leurs moyens de production… ou que les employés deviennent copropriétaires des entreprises qui les emploient. Par exemple si, au lieu de faire augmenter notre salaire, notre ancienneté nous donnait des parts dans l'entreprise. Ça serait moins dur de perdre son salaire si on recevait des dividendes. Également, en tant que société, il faut nous assurer d'avoir des programmes de solidarité sociale mais aussi d'aide à la recherche d'emploi, de financement des études (pour se lancer dans un nouveau domaine si le nôtre disparaît) et de formation continue (pour ne jamais être dépassé par le progrès de notre domaine) afin que perdre son emploi ne soit pas une condamnation à mort mais une opportunité.

Voilà. Donc… où cela va-t-il s'arrêter? Quand le progrès de la technologie va-t-il cesser de nous enlever du travail? Va-t-on finir comme dans le film Wall-E, où les humains ne sont plus que des fainéants oisifs et inutiles qui se font entretenir par les robots? J'en doute fortement. Comme j'ai dit, les emplois et les tâches que l'on a fait disparaître sont ceux qui ne procuraient pas de sentiment d'accomplissement pour eux-mêmes; c'est-à-dire pour lesquels c'est le salaire ou l'utilité que l'on visait. Ainsi, les humains vont toujours continuer de vouloir s'accomplir. Ultimement, ce qui va rester et que les machines ne pourront pas faire à notre place (sauf peut-être dans un futur vraiment lointain de type science-fiction) et que l'on va continuer de faire par pur plaisir, ce sera des postes de chercheurs, d'artistes (au sens large, tout ce qui est créatif), de penseurs et peut-être d'enseignants. Bref, quand on n'aura plus besoin de personne pour ramasser les vidanges, tout le monde va pouvoir faire ce qu'il voulait faire quand il était enfant.