lundi 13 juillet 2015

Être ce que l'on veut

Récemment, nous avons entendu parler de l'histoire de Rachel Dolezal, cette Blanche qui se faisait passer pour Noire. Cette personne était une grande militante dans la lutte contre le racisme, elle travaille dans une organisation pour les droits des Noirs qui, si elle n'exige pas explicitement une généalogie particulière, aime se doter d'une certaine diversité parmi ses membres.

Cette histoire m'a amené à réfléchir à plusieurs choses. En fait, je me suis interrogé sur les motivations possibles de cette personne. Pourquoi se faire passer pour Noire? Je me suis dit qu'il y avait deux possibilités. La première étant tout simplement que cette personne voulait occuper un poste dans une organisation militante antiraciste, parce que c'est une cause qui lui tient à cœur, et qu'elle craignait qu'on le lui refuse pour la seule raison de son origine ethnique. Certains pourraient voir ça comme de voler une place qui revenait de droit à une personne noire... De mon impopulaire point de vue antiprivilèges, il est tout à fait légitime de dissimuler la catégorie dans laquelle la société nous classe si l'on pense que l'on pourrait être discriminé pour celle-ci. Par exemple, quand je postule dans un cégep et que l'on me demande si je suis femme, autochtone ou handicapé, je coche toujours «préfère ne pas répondre». Je serais stupide de déclarer ouvertement être un homme en sachant que, même si les femmes sont majoritaires parmi les postulants, je passerais après elles à cause de mon entrejambes. Mais ce qu'il y a de particulier dans la situation de cette femme, c'est qu'il ne s'agit pas seulement d'usurper une catégorie pour avoir un poste, elle voulait un poste dans une organisation antiraciste. Elle tenait tellement à la cause contre le racisme envers les Noirs, elle voulait tant y participer, qu'elle s'est fait passer pour Noire pour ne pas être discriminée d'être Blanche... C'est comme ces hommes qui se sont déguisés en femmes pour participer à cette manifestation non-mixte organisée par les Hyènes en jupons, parce que la cause leur tenait à cœur. Il y a, je trouve, quelque chose de terriblement paradoxale dans cette situation...

Mais j'avais également une deuxième hypothèse à propos des motivations de cette personne. Peut-être s'est-elle fait passer pour Noire parce qu'elle se sent Noire. De la même façon que l'on peut se sentir de l'autre sexe, peut-être se sentait-elle d'une autre race. Elle serait alors une transraciale, une Noire dans un corps de Blanche qui a modifié son extérieur pour qu'il ressemble à ce qu'elle se sent être à l'intérieur. Je trouve ça vraiment intéressant comme phénomène. Pour moi, les races comme les genres, sont avant tout des constructions sociales. Des fictions mais qui ont été échafaudées sur des superficialités dans l'apparence physique des personnes. Ainsi, si, pour sentir qu'elle est elle-même, une personne sent qu'elle doit modifier son corps, elle devrait être libre de le faire et d'être du sexe ou de la race de son choix. Donc nier que cette femme soit Noire est aussi offensant que de nier, par exemple, qu'une personne transgenre soit du sexe qu'elle a choisit d'être.

Un de mes amis m'a parlé d'un autre phénomène semblable mais complètement différent en même temps... Je ne sais pas s'il me niaisait, s'il était lui-même victime d'un canular ou si ça existe vraiment. Les «trans-handicapés». Des personnes valides qui se sentent handicapés à l'intérieur et qui choisissent volontairement de se faire handicaper pour devenir ce qu'elles sentent être. Bon. La différence c'est qu'il ne s'agit plus seulement d'esthétique, l'individu se prive de certaines capacités dans le but d'entrer dans la catégorie sociale qu'il sent être la sienne. Comme j'ai dit, je ne sais pas si c'est vrai mais, ce que j'en pense, c'est que si ça l'est on devrait là aussi laisser les individus devenir ce qu'ils sentent être déjà.

Mais le fait est que s'il y a des trans et des cis c'est parce qu'il existe des frontières. Des enclosures entre des catégories sociales étanches que certains individus réussissent tout de même à traverser, parce qu'ils sentent qu'ils sont nés du mauvais côté de la clôture. Qu'est-ce que ça nous dit? Que des gens soient prêts à s'amputer d'un membre ou de subir une séries de chirurgies pénibles pour transformer leur physique afin d'être reconnus par la société pour ce qu'ils sont vraiment... Pourquoi? Mon ami qui m'a parlé des trans-handicapés a commenté ce fait par cette remarque sarcastique:
«Moi je suis dans un corps d'homme mais au fond je suis un hélicoptère... La société est obligée de le reconnaître et de l'accepter parce qu'aujourd'hui tout le monde peut être ce qu'il veut!»

Ce à quoi je répondrais: Oui! Oui et c'est merveilleux! Que l'on puisse être ce que l'on veut, traverser les frontières entre les catégories, c'est formidable. Mais... le vrai progrès sera accompli lorsque l'on aura réussi à faire éclater ces frontières. Quand il ne sera plus possible de se sentir intérieurement d'un autre sexe, race, culture, génération ou capacité, puisqu'il n'existera plus de telles catégories sociales pour classifier rigidement les citoyens. Quand il n'existera plus aucune forme de trans puisqu'il n'y aura plus de frontières à transgresser; se faire changer de sexe sera comme se faire teindre les cheveux. Là, rendu là, on pourra dire que chacun peut vraiment être libre de ce qu'il est. Et c'est vers ça qu'on devrait s'en aller selon moi. Pouvoir être ce que l'on veut.

mardi 7 juillet 2015

Regarder avec insistance

Un statut facebook récemment diffusé par l'humoriste Jean-François Mercier a suscité un tollé. Il y disait:
«La pensée du jour. S'habiller sexy et se déhancher de manière suggestive dans une discothèque pour ensuite se plaindre des regards insistants des hommes, c'est un peu comme manger de la crème glacée dans un village éthiopien et de dire : "Coudonc calice, pas moyen de manger un cornet icitte sans se faire regarder!"»

Les réactions n'ont pas tardé à fuser, autant pour s'insurger contre de tels propos que pour les défendre. Alors je me suis dit ici que j'allais essayer d'analyser la situation pour faire comprendre aux deux parties ce qu'ils ne semblent pas comprendre de l'opinion de l'autre.

La raison principale de pourquoi un commentaire de la sorte est inacceptable, c'est parce qu'il s'inscrit dans un type d'argument qu'on appelle le slut-shaming. Comme, par exemple, de dire qu'une femme qui se fait violée est à blâmée de son sort puisqu'elle s'habillait trop sexy. Évidemment, l'humoriste ici n'est pas allé aussi loin, il n'a pas parlé de viol, juste de regard. Au fond, il n'a rien dit de si choquant. Mais c'est la similitude avec cet argument, et la pente glissante qui semble y mener, qui rend son propos déplacé.

Mais justement, un autre point de mécompréhension semble résider dans cette nuance subtile entre deux actions, apparemment semblables, mais entre lesquelles existe pourtant la ligne de partage entre ce qui se fait et ce qui ne se fait pas. Je parle de la distinction entre:
  • Regarder quelqu'un,
  • Regarder quelqu'un avec insistance,

Ça semble la même affaire, mais ça ne l'est pas du tout. Je vais faire une analogie. Je n'aime pas trop celle de la crème glacée employée par l'humoriste, alors je vais en faire une autre, sûrement de tout aussi de mauvais goût, mais que risquent de comprendre les gens concernés. Imaginons quelqu'un qui s'achète une belle voiture de luxe et qu'il l'entretient soigneusement. On peut supposer qu'il sera content d'attirer les regards. C'est sans doute ce qu'il recherche, la raison pour laquelle il s'est acheté un tel véhicule. Mais, si des gens tournent autour de sa voiture dans le stationnement, en s'en approchant beaucoup trop, et en restant là beaucoup trop longtemps, ne serait-il pas normal qu'il s'inquiète qu'on la lui vole ou qu'on la vandalise? Et, s'il se fait suivre en voiture sur une longue distance par un fan de son auto, ne serait-il pas normal qu'il soit inquiet pour sa sécurité? Et est-il obliger de laisser n'importe qui conduire sa voiture juste parce qu'il le lui demande? Évidemment que la fille qui se met belle, qui sort dans les bars et qui danse sensuellement veut se faire trouver belle. C'est normal et il n'y a rien de honteux là-dedans. Mais ça ne veut pas dire qu'elle veut se faire dévisager par un creep pendant des heures ou se faire dire des remarques déplacées.

Par ailleurs, je pense que c'est important de souligner que si, moi, je trouve que la tenue de telle personne est sexy et aguichante, ça reste subjectif. Ça ne veut pas nécessairement dire qu'elle-même voit son propre habillement de la même façon. Même chose pour sa façon de bouger soi-disant suggestive. Peut-être qu'elle aime s'habiller ainsi, sortir avec ses amies et danser. Je n'ai pas à présumer de ses intentions. Et, si cette jeune femme précise qu'elle est incommodée par tous ces regards insistants, je n'ai pas à m'imaginer qu'au fond elle pense le contraire. J'ai l'impression que plus la fille est belle, et plus facilement on aura tendance à qualifier son habillement ou son attitude comme «aguichant».


Bon. Maintenant j'aimerais expliquer l'autre versant de la médaille: Quelle est cette émotion dans le commentaire de l'humoriste et que d'autres semblent partager? Je parle de cette colère envers les femmes sexys. D'où vient-elle? Je pense que cette phrase humoristique que j'ai lue dans un mème sur facebook résume très bien la cause de leur frustration:
«The only difference between creep and romantic is if the guy is attractive.»

Ce n'est évidemment pas vrai; c'est de l'humour. Comme je l'ai dit, il y a une distinction entre «regarder» et «regarder avec insistance» qui ne dépend pas du fait que le gars soit attirant. Mais le fait est que certains ont vraiment l'impression que plus le gars est moche, et moins longtemps son regard ne peut durer avant d'être considéré «avec insistance». Même chose pour le fait d'essayer de crouser et de se faire dire que l'on fait une remarque déplacée: si l'autre te trouve attirant physiquement, tu peux dire pas mal d'affaires déplacés avant d'être vraiment considéré comme déplacé. Cette frustration du gars qui ne pogne pas, parce que trop moche ou parce qu'il ne sait pas crouser, est reportée sur la fille parce que le gars a l'impression qu'elle est intolérante envers lui juste parce qu'il est moche. Une sorte de discrimination, finalement, qui le priverait de son droit inaliénable de crouser une fille cute.

En ce qui me concerne, je pense qu'il n'y a rien de mal à essayer de courtiser une personne qui nous attire, même si elle est vraiment trop belle pour nous, il faut juste ne pas trop insister et savoir se retirer quand elle nous a clairement manifesté son désintérêt. C'est peut-être ça aussi le problème: ces gars ne savent pas suffisamment bien interpréter et comprendre les signaux de «ça ne m'intéresse pas» et continuent leur tentative de séduction ou leurs regards insistants au-delà de cette limite. Donc oui, dans certain cas – comme probablement celui du elevatorgate – la personne courtisée est peut-être trop prompte à crier à l'agression sexuelle en face d'une personne qui ne l'attire pas, mais bien souvent c'est peut-être juste que l'individu qui courtise n'a pas suffisamment porté attention aux rétroactions de celle qu'il convoite.