mardi 11 août 2009

Aimez-vous les uns les autres

J'haïs la haine et je ne tolère pas l'intolérance. Moi j'aime tout le monde! Je ne dis pas que je raffole de la présence de chaque humain sur Terre, mais il n'y a personne que j'haïs. Il y en a qui me tapent sur les nerfs, d'autres que je trouve stupides ou insignifiants. Il y en a que je trouve impolis ou inutilement blessants, d'autres qui manquent simplement de tact. Il y en a qui suivent une idéologie dangereuse et dont la mort ne serait, à mes yeux, que bénéfique pour le bonheur collectif. Mais il n'y a personne pour qui j'éprouve de la haine. Je vais aujourd'hui vous révéler les clés de ce que l'on pourrait appeler «l'amour universel». Lorsque vous les aurez, vous pourrez, tout comme moi, aimer profondément chaque être qui se meut dans cet univers et vous connaîtrez la sérénité d'un esprit sans haine.

Prenez d'abord conscience de l'aspect contingent du fait que nos proches soient nos proches. En effet, ce n'est pas comme si on les avait tous soigneusement sélectionnés en les comparant avec tous les humains du monde. Ce sont les hasards de la vie qui font que nos parents, nos amis et notre conjoint(e) ont ces relations avec nous. Évidemment, il y en a de qui l'on choisit de se rapprocher ou de s'éloigner, selon notre appréciation de ces personnes, mais nous n'avons pas choisi qui, parmi la vastitude de l'humanité, fera partie des rares qui croiseront notre chemin. Je pense qu'à peu près n'importe quel humain peut, si les conditions sont réunies, développer une relation bénéfique avec à peu près n'importe quel autre humain. Je ne nie pas l'unicité de chaque personne et de chaque relation, au contraire et c'est pourquoi on doit entretenir les relations que l'on a déjà, mais avant que nous connaissions ceux qui nous sont actuellement chers, ils étaient tous plutôt interchangeables. Conséquemment, cette myriade d'inconnus qui peuple le monde est composée de gens tout aussi appréciables et uniques que nos proches.

Ensuite, la deuxième voie pour s'émanciper de la haine, c'est de prendre connaissance de ce biais cognitif qu'est le biais d'attribution. Il nous pousse à considérer que nos propres actes néfastes ont des causes externes à nous-mêmes (j'étais fatigué, j'ai été manipulé, etc.), mais que les actes néfastes d'autrui ont des causes qui leur sont internes (il est méchant, il est incompétent, etc.). Bref, on se trouve des excuses pour soi mais pas pour les autres et il n'y a rien qui justifie cela. Par exemple, si un client ou un employé m'engueule sans raison, c'est peut-être qu'il a eu une mauvaise journée. Si un chauffard manque de m'écraser, c'est peut-être qu'il transporte d'urgence un blessé à l'hôpital. Si un homme est un criminel dangereux, c'est peut-être qu'il a manqué d'amour durant l'enfance. En faisant l'exercice d'essayer de donner le bénéfice du doute aux autres, on sera moins prompt à leur en vouloir et à les haïr.

Finalement, le troisième chemin vers l'amour universel, et sans doute le moins noble, est le chemin de la condescendance. Il s'agit d'utiliser le principe de parcimonie du rasoir d'Hanlon : «Ne jamais attribuer à la méchanceté ce que la stupidité suffit à expliquer.» L'idée c'est d'essayer, à chaque fois que l'on s'apprête à déduire qu'une personne est méchante, de nous demander si l'ignorance, l'incompétence ou l'imbécilité expliqueraient plus adroitement son comportement qu'une réelle intention de nuire. En agissant ainsi, on cesse de démoniser la personne et on se met plutôt à la mépriser. Ensuite, il faut passer du mépris à la condescendance. Le prédicateur galiléen Jésus de Nazareth (0-33) avait compris lui. Il prétendait aimer tout le monde mais se voyait lui-même comme un fils de Dieu, supérieur aux pauvres brebis égarés que sont les mortels. On développe cet «amour», lorsque l'on emprunte le sentier de la condescendance, en dévaluant l'autre et en aimant le fait qu'on se sent une bonne personne en comparaison. On est donc moins «pur» dans nos intentions qu'en éprouvant un véritable amour égalitaire, mais nos actions envers cette personne se rapprocheront plus des actes d'amour que des actes de haine. Une fois, donc, que l'on est passé du mépris à la condescendance, on peut essayer de passer de la condescendance à la pitié, ensuite de la pitié à la compassion, de la compassion à l'empathie et, si tout va bien, de l'empathie à… l'amour!

J'ai l'impression que, de nos jours, c'est plutôt à la mode d'haïr et c'est mal vu de prôner l'amour. Non? Peut-être parce que l'on croise tellement de gens tous les jours et que l'on a tant d'opportunité de personnes à rencontrer qu'au lieu de pardonner à un ami avec qui on est en chicane, on préfère s'en faire un autre pour le remplacer. Si une personne a un défaut, on préfère la rejeter et aller vers une autre. L'idéologie capitaliste s'est insinuée jusque dans nos relations. Pour moi, en tout cas, apprécier les gens en général et maintenir des bonnes relations avec ceux qui entrent dans ma vie fait partie des piliers de ma philosophie de vie. Même si mon éthique se base uniquement sur nos actes et non sur les intentions qui les motivent, je pense que cultiver des émotions positives pour nos semblables nous rendra plus enclin à bien agir envers eux. On peut donc dire que développer sa faculté à aimer est un devoir moral indirect, au même titre que le fait de sublimer ses émotions négatives et d'accroître ses connaissances.

8 commentaires:

  1. Bonjour.

    Cela fait un bout de temps que je lis vos articles, je les trouve toujours aussi intéressants est instructifs.

    En ce qui concerne votre philanthropie, bien argumenté d'ailleurs, j'ai du mal. Vivant dans un pays théocratique où le pouvoir d'oppression et de coericition émane non seulement de l'état, mais plus encore de la société, il est bien difficile d'adopter une telle atitude. En effet, je répète souvent qu'il y a des société dont la culture même est liberticide, oppressive, et laide (même esthétiquement parlant), l'éthique, quelle soit d'essence utilitariste ou autre, semble désuète, incongrue presque dans de tels contextes.

    Prôner une attitude purement philanthropique est dangereux à mon sens. Dans mon pays, par exemple, la sociologie dominante est d'essence apologétique alors qu'il y a des phénomenes sociaux, des valeurs, et autres représentations qui sont condamnable, etc.

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  2. Mais qu'est-ce que l'amour?

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  3. Bonjour Amazigh,

    D'abord, merci de lire mon blog. Je compatis avec votre situation et je comprends qu'il est difficile - voire impossible - d'aimer tout le monde dans un pareil contexte. C'est d'ailleurs plus un idéal vers quoi il faut tendre plutôt qu'un état que l'on doit nécessairement atteindre.

    Toutefois, je pense que l'on peut détester un aspect d'une personne (comme une croyance, un comportement ou tout autre trait culturel) sans pour autant haïr la personne elle-même. J'essaie de voir ça comme une sorte de virus par lequel cette personne serait infecté; on ne peut lui en vouloir pour ça.

    Mais je sais bien que ma situation est différente et que, d'où je me situe, il est facile de prôner ce genre de choses avec un tel détachement. Si j'étais mis dans un contexte plus "théocratique" j'aurais sans aucun doute plus de difficulté à adopter un discours aussi tolérant.

    Je ne vois cependant pas en quoi il pourrait être "dangereux" d'être philanthropique, même dans un tel contexte.

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  4. Bonjour Le Passant,

    Votre question est tout à fait légitime, et j'admets ne pas avoir été très loquace à propos de ce que j'entendais par «amour». Je prends ici ce mot dans son sens le plus large en incluant toutes ses formes et toutes ses nuances; allant de la simple absence de haine jusqu'à l'appréciation la plus intense.

    Évidemment, j'utilise l'expression «amour universel» plutôt dans un but esthétique. Il faut l'entendre comme «absence de haine envers qui que ce soit» et non pas comme «passion torride envers tout le monde».

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  5. Merci pour les précisions. Si je comprend bien, votre définition "d'amour universel" serait assez proche de la neutralité.

    Petite parenthèse: je doute qu'on aille besoin de passer par le mépris, la condescendance et la pitié pour avoir de la compassion et de l'empathie.

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  6. Bonjour,

    Le côté dangereux de la philanthropie est celui-ci: Le relativisme culturel.
    Je pense par exemple à des intellectuels soi-disant philanthropes qui empêchent le progrès dans les sociétés dites du tiers-monde, on produisant un discours apologétique sur la culture, les paradigmes, les représentations des sociétés "dominées". Je pense notamment à Edward Said qui, à mon sens, est pire qu'un imam ou un théologien. Je pense aussi à la philosophie postmoderne qui s'érige en protectrice des peuples et cultures minorées et opprimées. Je pense que c'est une fausse philanthropie et qu'elle produit l'effet inverse: Contribuer à l'asservissement et au malheur de ces gens. Je parle de cette philanthropie qui est à mon sens aveugle.

    Mais bon, je crois que je m'éloigne un peut du sujet.

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  7. Je crois qu'il faut des gens qui ont la réflexion au coeur pour arriver à ''L'amour universel''. Et surprise! Le monde n'est pas composé seulement par eux, il y a des individus pour qui haïr, aimer, ce ne sont que des émotions. Ils peuvent aimer à la folie quelqu'un et avoir envi de le tuer le lendemain. L'amour ne peut être que la raison.

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  8. En fait, votre article reprend également ce qu'a dit Platon : "Nul n'est méchant volontairement".
    Je suis assez d'accord avec vous.

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