samedi 7 février 2009

Débattre

Les gens me demandent souvent: «Toi qui est un grand sage, apprends-moi l'art de la rhétorique afin que je puisse moi aussi gagner lorsque je défends mes idées!» Je vais donc ici, en exclusivité, vous enseigner comment gagner un débat. Cela requiert plusieurs choses importantes:
  • Avoir raison et comprendre pourquoi;
  • Rassurer l'ego de son adversaire et lui faire sentir qu'on est dans la même équipe que lui;
  • Cesser le débat lorsque l'autre admet que son opinion ne repose pas sur la raison.

La première, la plus importante, c'est d'avoir raison. Pour avoir raison, il faut accepter que l'opinion avec laquelle on est venue au monde n'est pas nécessairement la plus meilleure de l'univers. Il faut savoir changer de camp lorsque l'on nous apporte les arguments rationnels nécessaires. Beaucoup d'orgueilleux voulant trop avoir raison s'obstineront à avoir tord. Mais il est aussi très important de comprendre pourquoi on a raison. C'est bien beau d'avoir la bonne réponse, mais si on l'a gagné au hasard, on ne pourra pas justifier notre point de vue et c'est justement notre but ici. Ces deux aspects se rejoignent puisqu'en défendant patriotiquement une opinion rigide depuis toujours, on ne la remet jamais en question et l'on ne peut donc pas comprendre en quoi elle est meilleure que celle de l'autre; si elle l'est effectivement. Se remettre en question est donc autant nécessaire à celui qui a raison qu'à celui qui a tord.

La deuxième chose important c'est de rassurer l'ego de son opposant. En effet, beaucoup de gens se sentiront «diminués» d'avoir eu tord. Il faut donc contrebalancer cette «défaite» en rassurant discrètement l'autre, en lui expliquant que son erreur est fréquente et qu'elle ne le rend pas moins intelligent, en reconnaissant tous les points sur lesquels il avait malgré tout raison, etc. Certains voient un débat comme une guerre ou une rivalité. Moi je le vois, au contraire, comme un acte de communion entre deux esprits. Il est très agréable de débattre avec quelqu'un quand chacun le fait de bonne foi. Autrement, un débat d'idées peut dégénérer en un combat d'ego. Normalement, j'apprécie beaucoup débattre de mes idées avec autrui, mais cela devient désagréable pour tout le monde s'il y en a un qui fait preuve de mauvaise foi en évoquant des sophismes qui ne le convaincrait pas lui-même. C'est pour éviter, justement, que la personne avec qui l'on débatte ne nous voit comme un «ennemi» (et qu'elle refuse, pour cette raison, d'admettre qu'elle a tord) qu'il faut lui faire sentir qu'on est du même côté qu'elle. Cela peut être accompli en soulignant les aspects qui convergent entre nos deux opinions, ou en rappelant que l'on a au fond les mêmes objectifs. S'il s'agit d'un débat sur une question éthique, il faut rassurer l'autre en lui disant que même si nos éthiques divergent, nous le considérons tout de même comme une bonne personne.

Malgré tout, l'autre ne reconnaîtra probablement pas votre victoire si vous l'amener trop rapidement trop loin de son opinion de départ. Rappelons-nous l'allégorie de la caverne qui nous enseigne que celui que l'on tente de forcer à «monter vers la lumière» répondra agressivement. Pour rester dans la même métaphore, je dirais que l'on doit se contenter de briser les chaînes de celui qui est prisonnier dans les ténèbres, mais que c'est à chacun de tracer le chemin de sa propre ascension vers la lumière. En d'autres termes, on peut lui présenter les faits et le laisser lui-même se diriger vers les conclusions. Adoptons donc des objectifs réalistes quand on essaie de convaincre quelqu'un. Par exemple, il serait naïvement idéaliste de croire qu'une conversation suffirait à convaincre un créationniste que Dieu n'existe pas, mais on peut commencer par l'amener à reconnaître la différence entre connaissance et foi, puis lui démontrer qu'en certaines circonstances la connaissance est plus sûre que la foi. On sème une idée dans son esprit, elle y germera si elle y trouve un terreau fertile. Ainsi, je préconise de cesser le débat aussitôt que l'autre reconnaît tacitement que son opinion ne repose pas sur la raison, en admettant qu'il suit son intuition, sa tradition ou ses goûts personnels. L'important c'est surtout de lui donner une bonne image de notre propre opinion, et non de dénigrer la sienne.

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