Afin de nous éclaircir les idées, essayons de dissocier la prostitution elle-même de tout ce qui l'entoure dans notre représentation de cette activité. Supposons qu'une personne adulte et lucide décide, sans être contraint par la force ou le désespoir, de faire payer une autre personne adulte en échange d'une faveur sexuelle. Dans cette situation précise, la personne qui achète du sexe fait-elle quelque chose de mal? Et celle qui le vend? Je vois difficilement ce que l'on pourrait reprocher à l'un ou l'autre; ils ne font de mal à personne. Ce n'est donc pas tant l'acte de vendre du sexe qui est en lui-même problématique, qu'un ensemble de facteurs qui sont autour de ce commerce. Et c'est d'ailleurs pour cette raison que – vous serez peut-être surpris de l'apprendre – la prostitution est légale au Canada. Si, donc, je décidais d'avoir une transaction de cette sorte avec une de mes amies par exemple, nous ne serions pas dans l'illégalité.
Mais solliciter un inconnu sur la rue pour lui vendre du sexe demeure un geste punissable par la loi. En fait, tout ce qui entoure la prostitution (sollicitation, proxénétisme) est criminel de sorte que l'on peut pratiquement dire que ce commerce l'est également. Il me semble pourtant que la majorité des problèmes liés à la prostitution viennent justement du fait qu'elle n'est pas encadrée par la loi. Criminaliser une pratique ne la fait pas disparaître. Donc, si l'on avait le choix entre l'une des alternatives suivante:
- A. La prostitution est clandestine;
- B. La prostitution est légale et encadrée;
- C. La prostitution n'existe plus;
Même si l'on considère l'option C comme étant la plus désirable, on doit reconnaître qu'elle est irréaliste dans la pratique. Notre choix se limite donc à A ou B, et c'est l'option B qui m'apparaît comme étant le moindre mal. C'est comme pour la drogue en ce moment et le jeu autrefois. Si l'on refuse de légaliser un bien ou un service pour lequel il existe une forte demande, on ne fait que laisser ce marché aux groupes criminalisés. On ne règle pas un problème, on le cache, ce qui autorise toutes les dérives que l'on peut imaginer. On éviterait, par exemple, qu'une personne se prostitue par désespoir, qu'elle se fasse arnaquer ou violenter par son proxénète, ou qu'on la contraigne à faire des choses qui la répugnent. On peut donc être contre la prostitution ou la drogue, mais être pour sa légalisation, sans manquer de cohérence. Au contraire, la légalisation du phénomène devient une étape nécessaire dans la lutte contre celui-ci.
Je trouve tendancieuse l'expression «vendre son corps» que l'on utilise parfois pour désigner la prostitution. Elle sert à ce que l'on associe cette pratique à de l'esclavage, comme si en ayant du sexe en échange d'argent on vendait à autrui la propriété de notre corps. Pourtant, si je vends des services sexuels à quelqu'un, je ne lui vends pas mon corps… je lui loue! Il me paierait uniquement pour que je lui offre un service particulier pendant une période de temps donnée, pas pour qu'il puisse me faire faire tout ce qu'il veut à tout jamais. Fondamentalement, la prostitution est donc un travail comme un autre. La nuance réside dans le fait que le sexe est une activité hautement intime… mais c'est peut-être surtout qu'il n'est pas totalement désacralisé.
Je me disais également qu'il y avait peut-être certaines gens pour qui la prostitution est nécessaire. Certains clients des prostitués n'ont peut-être pas d'autres alternatives pour combler leurs besoins sexuels. Imaginons une personne si repoussante qu'elle n'arrive pas à trouver de partenaire avec qui avoir du sexe «gratuitement». Ou encore, une personne ayant un fantasme vraiment bizarre et qui ne trouve personne avec qui le mettre en pratique. Que font ces gens? Et de l'autre côté, peut-être qu'il y a réellement des personnes qui préfèrent pratiquer la prostitution plutôt que n'importe quel autre métier pour lequel elles sont compétentes.
Personnellement, je ne serais pas capable de me prostituer; le sexe est pour moi une activité trop intime. Mais je ne serais pas non plus capable d'être préposer aux bénéficiaires dans un hôpital ou égoutier… pourtant je ne reprocherais pas pour autant à quelqu'un qui choisirait l'une de ces professions de faire un travail répugnant ou dégradant. Je me dis que si moi je serais personnellement révulser en faisant une opération à cœur ouvert ou en ramassant les ordures, ce n'est pas le cas de tout le monde et c'est tant mieux. De la même façon, si quelqu'un a suffisamment de détachement par rapport à l'acte sexuel pour en faire son métier, je n'ai aucune raison de l'en empêcher ou de dénigrer son travail.
Bref, même si intuitivement je ne suis pas à l'aise avec le fait que la prostitution existe, je n'ai rien de rationnel à lui objecter directement.
Salut Feel,
RépondreEffacerLa France est un très bon exemple de ce qu’il ne faut pas faire en matière de prostitution et de drogue. La politique y est très conservatrice et répressive. Et ça ne règle pas le problème. Une société sans drogue et sans prostitution est utopique. Alors entre une société où ces deux marchés sont laissés aux mains d’une économie criminelle et une société où l’Etat encadre leur fonctionnement, il faut savoir choisir le moindre mal.
C’est assez paradoxal de voir que la morale de nos sociétés est avancée sur certains sujets (droits de l’homme, de l’enfant, des animaux, etc.) alors que nous avons encore beaucoup de difficultés à intégrer correctement des problématiques comme la prostitution et la drogue. Ca ressemble à une sorte de « dissonance morale ».
Poulpeman
Salut Poulpeman,
RépondreEffacerD'après moi, le problème ici est qu'en légalisant et en encadrant le phénomène, les gouvernements et leurs électeurs auraient l'impression «d'endosser» le mal qu'il provoque, tandis qu'en le laissant dans la clandestinité, même si cela rend le phénomène plus dommageable, au moins ce n'est pas de notre faute.
C'est un vestige d'une éthique primitive basée sur la pureté et la souillure. Mais peut-être que si les gens comprenaient qu'être altruiste c'est être prêt à «se souiller moralement» pour réduire la souffrance des autres, et qu'ils comprenaient également que la légalisation de la prostitution et de la drogue est une étape nécessaire dans la lutte contre ces phénomènes, peut-être qu'alors la société irait dans ce sens.
D'ailleurs, au Québec, le jeu à l'argent et la vente d'alcool sont sous la juridiction de sociétés d'État. En plus de Loto-Québec et de la Société des Alcools du Québec, on pourrait avoir des sociétés d'État semblables pour la drogue et la prostitution. Ça serait l'extension logique du raisonnement qui nous a poussé à créer ces institutions au départ. C'est-à-dire qu'une demande forte pour un produit néfaste est moins néfaste lorsqu'elle est comblée par l'État plutôt que par le crime organisé.
En effet. Je pense aussi que derrière tout ça, il y a un refus de cautionner des activités considérées de façon primitives comme immorales ou "sales". Le Premier Ministre français l'a très bien exprimé en affirmant l'année dernière au sujet des centre d'injection supervisés : "La priorité du gouvernement est de réduire la consommation des drogues en France, non de l'accompagner voire de l'organiser"
RépondreEffacerCeci dit, on observe des progrès sur les sujets de la drogue et de la prostitution, en particulier en Europe. La Hollande a légalisé le cannabis et la prostitution depuis longtemps. La prostitution est aussi légale en Allemagne. En 2000, le Portugal a dépénalisé la consommation de stupéfiant et leur détention pour usage personnel.
Bref, on commence à voir des progrès sur ces sujets. Espérons que les pays qui restent réticents finissent par emboiter le pas.
Poulpeman
J'ai espoir que oui. En voyant ces pays qui nous donnent l'exemple, et en comparant les statistiques sur la drogue et la prostitution entre ces pays et les nôtres, nous finirons bien par comprendre que la prohibition n'est pas la bonne voie.
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