samedi 5 octobre 2013

L'ego de l'État

Je suis en train de réfléchir à ce dont aurait l'air un État construit selon mon paradigme philosophique. La question est complexe puisqu'il en va à la fois de sa forme mais aussi de sa légitimité. Par ailleurs, plusieurs composantes de nos États vont directement à l'encontre de principes de base de mon paradigme, comme l'entretient d'une identité nationale par exemple.

Ma réflexion n'est pas encore aboutie, mais j'ai déjà quelques idées de base. Principalement, que l'État n'a de légitimité que s'il est pensé comme un contrat social. Ça m'a amené à prendre conscience que certains des rôles de l'État ont une finalité égoïste et d'autres une altruiste. C'est-à-dire que si les «signataires du contrat social» constituent, finalement, l'ego de l'État, toutes les lois favorisants leurs intérêts ont une fonction purement égoïste, et toutes celles qui les forcent à respecter les intérêts de ceux qui ne font pas partie du contrat social sont de l'altruisme. Conséquemment, il y a une distinction entre les individus qui «font partie de l'État» et ceux qui ne sont que «protégés par l'État».

D'abord je vais définir plus clairement l'ego de l'État. Il s'agit en fait de tous ceux qui ont un pouvoir politique au sein de l'État (c'est-à-dire, les électeurs). Au départ, ce sont les signataires du contrat social; les fondateurs du pays. Comme les fondateurs d'une entreprise, ils ont créé l'État afin que celui-ci ait une utilité pour eux-mêmes et, pour cette raison, il y a une certaine légitimité à ce que l'État s'occupe d'eux avant de s'occuper des membres d'un autre État. Mais, on peut ajouter de nouveaux membres à l'État. Si une entreprise ajoute à ses fondateurs de nouveaux membres à son ego en utilisant le critère de la propriété, qu'en est-il d'un État? Outre ses fondateurs (surtout s'ils sont morts…), qui d'autres l'État devrait-il inclure dans son ego? En suivant strictement mon paradigme, un État devra assimiler (c'est-à-dire, accorder citoyenneté et droit de vote) tout individu ayant le potentiel et le désir de faire partie de l'État, en autant que cette intégration soit moins nuisible pour les membres actuels que s'abstenir de le faire ne le serait pour le candidat. Bref, cela exclut toute possibilité de discrimination arbitraire – par exemple, de ne pas accorder le droit de vote aux femmes – et nous oblige à accepter autant de nouveaux citoyens que possible.

Mais l'ego de l'État n'est pas la somme des citoyens, ni leur moyenne. C'est tous les citoyens, chacun individuellement. Cette perspective a certaines conséquences. Principalement, il est nécessaire d'instaurer l'égalité sociale entre les citoyens, puisqu'ils sont tous l'État. Une autre conséquence c'est qu'on ne peut pas sacrifier un individu pour le bien du plus grand nombre puisque ses intérêts personnels comptent autant que ceux de n'importe qui d'autre. Aussi, plusieurs situations où l'égoïsme serait légitime selon l'éthique doivent demeurer illégales. Par exemple, si j'ai besoin d'un nouveau foie, tuer une personne innocente pour l'acquérir serait tout aussi légitime éthiquement que si je suis un loup qui tue une proie pour se nourrir. Mais, puisque l'État ne peut prendre partie comme ça entre deux membres de son ego, il se doit de prohiber la prédation entre citoyens. C'est-à-dire que, non seulement il ne peut prendre parti dans un dilemme mettant en concurrence les intérêts vitaux de deux membres, mais il interdit aussi à ses membres de provoquer une situation engendrant un pareil dilemme.

Ceux que je définis comme faisant partie de l'autrui de l'État sont ceux qui n'ont ou ne peuvent avoir de pouvoir dans l'État mais à qui ce dernier donne tout de même des droits. L'existence de cet «autrui» découle d'un désir pour les membres de l'État de ne pas s'attribuer des privilèges sans fondement ou de constituer une clique tyrannique imposant illégitimement sa volonté et son pouvoir. Les membres de l'ego constatent qu'il existe des êtres ne pouvant pas être intégrés à leur cercle mais qui possèdent tout de même certains attributs communs avec eux. Il serait donc arbitraire de leur part de ne pas leur accorder les droits qu'ils se donnent à eux-mêmes au nom de ces mêmes attributs.

Comme pour l'ego, on se doit d'inclure dans l'autrui tous les individus ayant le potentiel pour, sans avoir de critère d'exclusion arbitraire. Ainsi, tous les êtres sensibles de l'Univers font partie de l'autrui d'un État respectant mon paradigme. Concrètement, ça inclut les enfants, les personnes atteintes de déficience mentale, les étrangers (se trouvant ici ou ailleurs) et les animaux (sauvages ou de compagnie). L'État se doit donc de manifester son altruisme envers toutes ces catégories d'êtres.

Soit. Mais à l'instar de l'individu, l'État n'a pas les moyens d'être équitablement altruiste envers absolument tout ce qui existe. Ainsi, suivant la même logique que j'ai expliquée dans mes réflexions sur l'altruisme et sur l'égoïsme, l'État peut utiliser des critères égoïstes pour choisir comment il va répartir son altruisme. Si j'ai le choix entre sauver la vie d'un de mes proches et celle d'un inconnu, il est légitime que je sauve mon proche. Si l'État a le choix entre sauver la vie de l'enfant d'un citoyen et celle d'un étranger vivant à l'étranger, il est légitime qu'il priorise l'enfant. Donc, au sein de l'autrui de l'État, il est permis de hiérarchiser les choses en suivant le critère de la proximité d'avec l'ego de l'État, en autant que cela soit fait en respectant le principe voulant que l'égoïsme n'est légitime que s'il s'agit d'un intérêt supérieur ou si cela est nécessaire au bonheur minimal de l'ego. Bref, les proches des citoyens (nos enfants, nos parents à l'étranger qui attendent d'immigrer ici, nos handicapés mentaux et nos animaux de compagnie) ont un statut privilégié par rapport aux membres de l'autrui qui nous sont inconnus (les gens des autres pays et les animaux sauvages). Je me disais même que l'on pourrait créer une catégorie légale – une sorte de «semi-citoyenneté» qu'on pourrait désigner comme «les protégés» ou «les pupilles» de l'État – qu'on accorderait aux proches des citoyens qui ne peuvent devenir citoyens électeurs.

D'accord. Mais si on divise l'autrui en deux sous-catégories (proches versus inconnus) cela ne veut pas du tout dire de n'accorder aucune considération à la seconde. Au contraire, l'État se doit d'étendre son altruisme aussi loin que possible. Les missions de paix et l'aide humanitaire à l'étranger, par exemple, sont une mesure concrète découlant de cet altruisme désintéressé, de même que beaucoup de lois environnementales. Nos caprices et ceux de nos proches ne devraient jamais passer avant les intérêts vitaux d'autrui.

Un de mes buts ici était de déterritorialiser le concept d'État et de supprimer toute considérations spécistes. Il est contraire à mon paradigme d'accorder moins de droits à un individu juste parce qu'il se trouve de l'autre côté d'une frontière géographique ou biologique. En revanche, le critère de la proximité d'avec l'ego de l'État, que j'utilise ici, m'apparaît beaucoup moins arbitraire. Par ailleurs je n'abolis pas totalement le territoire. Si un étranger inconnu est blessé sur le territoire de l'État, on va davantage le prendre en charge que s'il se blesse à l'étranger simplement parce que, dans le second cas, on va prendre pour acquis qu'un autre État s'en occupera.

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