mardi 25 juin 2019

Du contrat social

Il y a quelque chose d’intrinsèquement tyrannique dans le fait d’imposer à un individu d’être le membre d’une société, le citoyen d’un pays et le sujet d’une monarchie, sans qu’il n’ait eu de mot à dire là-dessus. Quand je vois comment l’on fonctionne encore de nos jours, adoptant soit le droit du sol soit celui du sang, pour déterminer l’allégeance forcée d’un nouveau-né à un État, je ne peux m’empêcher de trouver ça parfaitement absurde. À mon sens, la seule manière légitime de définir si un individu appartient ou non à un groupe serait via son adhésion volontaire à celui-ci. D’où la nécessité d’adopter un contrat social. Et ici je parle d’un vrai contrat, pas une entente tacite entre les gouvernants et les gouvernés; il faut qu’il y ait réellement un document qu’un individu nouvellement adulte ou nouvellement arrivé devrait signer pour faire officiellement partie de la société.

Afin d’être légitime et pas une sorte de tyrannie volontaire, ce contrat devra être aussi parcimonieux que possible, ne pas interférer dans la vie des gens plus que nécessaire pour assurer le vivre-ensemble et le bien-être collectif. Ainsi, dans ce contrat, le nouveau membre s’engagerait à respecter les lois, et c’est pas mal ça. La société, en contrepartie, s’engagerait à s’assurer que les services essentiels lui soient accessibles et à protéger ses intérêts. Cette adhésion doit se faire avec, disons, un niveau minimal, voire inexistant, «d’allégeance». On peut avoir les valeurs que l’on veut, être anarchiste même, sans problème. Le patriotisme et le nationalisme sont des croyances légitimes, bien sûr, mais ni plus ni moins que des croyances religieuses et n’ont donc pas à être forcées ou encouragées. Tout ce qu’on demanderait, ce serait juste un engagement à respecter les intérêts d’autrui et à accomplir nos responsabilités de membre. On a aussi le droit de ne pas être d’accord avec l’intégralité du contrat, le droit de vouloir militer pour que son contenu soit modifié, mais l’on s’engage à ne pas avoir recours à des moyens violents pour arriver à cette fin. On ne demanderait pas de réciter un serment à une reine-papesse trônant outremer, d’entonner un hymne militaro-religieux à la nation, ou de mémoriser les dates exactes de traités coloniaux d’il y a deux siècles, il n’y aurait qu’un simple contrat à signer.

D’oublier le droit du sol ou du sang, et de passer d’une autorité tyrannique à un groupe d’intérêts auquel on adhère volontairement, a des répercussions idéologiques et pratiques, et requiert une certaine refonte terminologique des attributs de l’État (dont le mot «État» lui-même). Par exemple, le gouvernement ne serait plus un gouvernement mais une administration, on abandonne le concept de citoyen et l’on parle plutôt de membre, nous n’avons plus un territoire nationale mais un territoire desservi (j’y reviendrai dans un prochain billet), les lois deviennent des «conditions d’utilisation» (ça aussi, on en reparlera), et on abandonne à la fois le statut de nation et celui d’État pour se contenter du titre plus neutre de «société». Du même coup, on s’affranchit des traditions, laissant aux gens la liberté de croire ou de ne pas croire, de pratiquer ou de ne pas pratiquer les différentes coutumes historiquement présentes parmi les membres ou sur le territoire desservi. La société devient avant tout un fournisseur de services plutôt qu'une identité collective. Ce qui ne l'empêcherait pas de se désigner une langue commune dans laquelle elle offre ses services, ni de se faire mécène de l'art et de la culture de ses membres mais sans parti-pris, plus pour préserver et vitaliser la diversité artistique et le patrimoine culturel de l'humanité, que par attachement envers un agencement spécifique de coutumes.

Évidemment, cette position possède ses propres difficultés. Elle requiert que l’on se pose certaines questions, dont:

  • Que fait-on lorsqu’un individu qui est né sur le territoire desservi et dont les parents sont membres refuse d’adhérer au contrat social?
  • Que fait-on quand un individu qui ne réside pas sur le territoire desservi et qui n’a aucune parenté avec un membre demande d’adhérer au contrat social?
  • Que fait-on si un individu est jugé inapte à signer un contrat?


Pour le dernier point, je pense principalement aux enfants. Ici, comme ils ne peuvent consentir à un contrat, ils ne peuvent non plus être «citoyen» au même titre que les adultes. Ça semble drastique de refuser l’adhésion aux enfants, mais au fond la différence avec maintenant est surtout terminologique. Les mineurs n’ont déjà pas le droit de voter, donc même si on choisit de leur conférer malgré tout l’appellation de citoyen, ils n’en sont pas au même titre que leurs parents. Ici, on choisira plutôt de distinguer un membre (qui peut voter) d’un pupille (qui ne le peut pas). Le pupille peut soit être sous la tutel d’un ou de plusieurs membres (ses parents) ou directement de l’administration (un orphelin). Il bénéficie de tous les services mais avec certaines limites (vote, alcool, etc.). En adhérant au contrat social, ses parents ont reconnu les droits de l'enfant et ont donc accepté l'idée que la société peut intervenir et le leur en retirer la garde en cas de mauvais traitement ou d'incompétence parentale. Lorsqu’il est présumé avoir acquis les compétences requises (lorsqu’il atteint l’âge majeur), il peut postuler pour devenir pleinement membre (s’il n’a pas encore l’âge majeure, il peut demander à suivre une évaluation individuelle de ses compétences pour obtenir sa majorité avant dix-huit ans).

Mais comment juger si un postulant désirant signer le contrat social et devenir membre de la société «mérite» ou non de le faire? Si on abandonne les droits du sol et du sang pour les remplacer par l’adhésion volontaire, la conséquence est qu’un mineur atteignant la majorité et un immigrant passeraient tous deux par le même processus. Comme l’enfant, l’immigrant serait d’abord un pupille (pouvant avoir comme tuteur la personne qui le parraine). Et comme l’immigrant, le natif atteignant l’âge adulte doit postuler pour être membre, on analyse ensuite sa situation, puis on le convoque pour le «rituel» de signature du contrat social. Donc, au nom de quel principe n’importe quel natif serait automatiquement accepté mais qu’un qu’étranger aurait des chances d’être refusé? De la façon dont je vois ça, chaque demande d'adhésion doit mettre d’un côté de la balance les intérêts du postulant et de l’autre les intérêts des déjà-membres, puis évaluer à quel point cette nouvelle adhésion affecterait positivement ou négativement ceux-ci, versus l’impact d'un refus. On peut ainsi hiérarchiser les demandes (je détaillerai dans un futur billet) et prioriser les natifs puisqu’ils n’ont pas d’autres États pour s’occuper d’eux et qu’on aime mieux qu’ils fassent partie du système plutôt que de les voir vivre ici mais dans la clandestinité.

Et si un étranger décide de ne pas immigrer, de continuer de résider dans un pays lointain, mais qu’il demande quand même à être membre pour bénéficier de nos services? Puisque l’on ne reconnaît plus le droit du sol, serait-ce légitime? Oui. Mais on considère aussi comme facteur d’acceptation ou de refus la capacité de la société et de ce nouveau membre à remplir leurs obligations mutuelles l’un envers l’autre. Ainsi, de résider et de travailler hors du territoire desservi, pourrait à la fois représenter un obstacle pour l’État de nous offrir ses services, mais aussi de lui permettre de s’assurer que nous-mêmes remplissions bien nos obligations (tels que de payer nos impôts). Par contre, nos services qui sont offerts en ligne sont accessibles partout, et nos services physiquement localisés peuvent desservir en partie les régions frontalières (certains sont offerts aux non-membres mais avec un «prix client», comme l'hydroélectricité par exemple). L’on pourra donc se mettre à accepter des membres dans les régions frontalières ou dans une éventuelle diaspora de membres au travers du monde. Il sera alors pertinent d’installer des points de services en dehors du pays dans les communautés où l’on retrouverait préalablement une forte concentration de membres ou d'usagers non membres, puis d’y accepter de nouveaux membres. Bref, un expansionnisme pourrait naître de la volonté des populations locales de faire partie de notre société. Toutefois, des contraintes diplomatiques avec les autres pays pourraient nous bloquer si ceux-ci nous perçoivent comme une nation étrangère qui les envahi. On ne veut pas déclencher de guerre. Mais puisqu'on ne se définit plus comme un État ou une nation, nous ne sommes pas en compétition avec les États-nations en terme d’allégeance. L'un pourrait donc à la fois être un citoyen américain et un membre québécois sans que cela ne soit contradictoire. Les autres pays pourraient nous percevoir comme une simple entreprise, une coop, plutôt qu'une entité de même nature qu'eux.

Et que fait-on quand on a un individu qui serait citoyen selon les droits du sol et du sang, mais qui choisit de ne pas l’être en vertu de notre nouveau principe de l’adhésion volontaire? Des mesures coercitives telles que la déportation, la non-reconnaissance de ses droits fondamentaux ou la prohibition de toute interaction économique avec lui auraient des conséquences si négatives sur sa vie que cela reviendrait pratiquement au même que de le forcer à signer le contrat, enlevant à celui-ci tout son sens. Et de l’autre côté, on ne veut pas non plus que l’individu en question ne fasse que profiter des bénéfices que lui procure le fait de vivre sur le territoire sans s’acquitter des obligations inhérentes à son adhésion à la société. Donc, il faut créer un statut social particulier pour ces gens que j’appelle des «commensaux», ceux qui vivraient parmi la société en choisissant de ne pas en être officiellement membres. De la façon dont je vois ça, la Terre appartient à tout le monde et l’abandon du droit du sol au profit de l’adhésion volontaire implique aussi forcément de déterritorisaliser la société. Celle-ci n’a pas nécessairement la légitimité d’expulser un individu non hostile du territoire desservi. Je discute plus amplement du statut des résidents non membres dans ma réflexion sur l'état de nature. En gros, tout ce qui relève des droits fondamentaux s’applique à tout le monde, tandis que certains services pourraient être les privilèges des membres ou être offert à un prix plus avantageux pour les membres que pour les «clients». Mais il est impératif de reconnaître et d’autoriser la possibilité pour un résident de ne pas signer le contrat social, sans le persécuter en retour, afin que de faire partie de la société demeure un choix libre. En attendant, nous sommes une tyrannie.

Aucun commentaire:

Publier un commentaire