samedi 14 août 2010

Les voyelles du Québec

Je vous ai déjà expliqué que, dans ma conception du monde, il n'y avait pas de bon ou de mauvais parler. Au Québec, nous avons notre propre dialecte du français, qui n'est ni plus mauvais ni moins logique que le dialecte parisien. Aujourd'hui, je vais vous présenter l'une des différences entre les deux dialectes. Il s'agit de la prononciation des voyelles.

Nous distinguons deux formes de «a» en québécois. Le «a» antérieur [a] et le «a» postérieur [ɑ]. Ainsi, les mots suivants – qui sont des homonymes en français de France – ne peuvent être confondus en québécois:

à/a
sa/ça*
la/là
ta/tas
ma/mât
moi/mois
noie/noix
patte/pâtes
tache/tâche
caler (boire) / caller (appeler)
boite (verbe boiter) / boîte
Troie/trois
bois (verbe boire) / bois (matériau végétal)

Même chose pour les «o». Nous avons un «o» ouvert et un «o» fermé [o]. Le premier s'écrivant le plus souvent «o» et le second pouvant s'écrire «ô», «au» ou «eau».
notre/nôtre
votre/vôtre
cote/côte
Paul/Paule
Tom/tome
top/taupe
pomme/paume
sotte/saute
chaudière (seau) / chaudière (de moteur à vapeur)
colloque/coloc 

Notre «o» ouvert tend à converger avec notre «a» postérieur, de sorte que les mots suivants – qui sonnent complètement différemment en français de France – sont des paronymes en québécois:
art/or
bar/bord
phare/fort
part/port

Lorsqu'il y a ambiguïté, on va généralement hypercorriger notre parler en utilisant un «a» antérieur au lieu du postérieur afin de faire la distinction.

Maintenant, pour les voyelles nasales. Dans le parler des Français, je remarque que le «an», le «in», le «on» et le «un» convergent de plus en plus vers le [ɑ̃]. En québécois, nos quatre voyelles nasales ([ã], [ɛ̃], [ɔ̃], [œ̃]) demeurent totalement distinctes. Impossible de confondre les termes suivantes:
ont/hein/en/un
don/daim/dans/d'un
bon/bain/banc
pont/pain/paon
son/sain/sans
brin/brun

Et, alors que le «e» et le «eu» ne forment qu'un seul phonème en français de France, ils ne sonnent pas du tout pareil aux oreilles d'un Québécois ([ə] / [ø]).
de/deux
ne/noeud
que/queue
jeune/jeûne

Même situation pour le «é», le «è» et le «ê» qui convergent en France mais demeurent distincts ici ([e],[ɛ],[æ:]). Par exemple:
les/laid
mai/mais
thé/tais
fée/fait
épée/épais

faite/fête
mettre/maître
saine/scène
prête (être prête) / prête (verbe prêter) 

Pourquoi je vous parle de ça? Sans doute pour démontrer qu'il y a une richesse dans les particularités du français québécois, et qu'il ne s'agit pas d'une version abâtardie et dégénérée du français de France.

J'ai déjà exprimé mon opinion selon laquelle la langue écrite va inévitablement finir par se réformer pour rattraper la langue orale dans son évolution. À toutes les époques, les gens ont fini par abandonner les langues classiques pour écrire dans leurs langues vernaculaires; simplement, les langues vernaculaires d'une époque sont les langues classiques de l'époque suivante. Ma crainte, donc, dans cette évolution prochaine de la langue écrite, c'est qu'elle se fasse au détriment de la diversité dialectale au sein de la francophonie. Ainsi, j'ai peur qu'au lieu de se mettre à écrire comme on parle, ce qui présenterait les avantages dont j'ai parlé précédemment, on se mette à écrire comme les Français parlent. Par exemple, dans cette orthographe alternative, on ne distingue pas nos deux "a" ni nos deux "o". Non seulement cette situation ne nous serait pas plus avantageuse que l'actuelle (puisqu'il y aurait toujours diglossie entre l'oral et l'écrit), mais en plus cela nous ferait perdre une part de la richesse de notre français québécois, puisque des mots que l'on prononce différemment s'écriraient pareil.

Ma position est que l'on devrait déjà commencer à redéfinir le concept de francophonie et considérer qu'il n'y a pas une langue française mais des langues françaises (comme il y a des langues latines). Chaque région du monde francophone devrait écrire ses propres dictionnaires et ses propres grammaires, en se fiant à l'évolution du parler local et en n'ayant pas peur d'adopter des réformes plus drastiques au besoin.

––
*Au Québec, le «ça» se prononce avec un «a» postérieur lorsqu'il est en position d'objet (ex. «Je veux ça» = [ʒvøsɑ]) mais se prononce avec un «a» antérieur, comme le «sa», lorsqu'il est sujet (ex. «Ça veut dire» = [savødzIR]).

6 commentaires:

  1. Je suis pas tout a fait d'accord sur les convergences en français de France...

    D'après moi le un et le in sont bien indifférenciables, le ê et le è aussi, le e et le eu aussi, mais pas le on, le an et le in, ni le é et le è, ni le o et le ô. Après ça dépend peut être des accents : certains prononce "ai" é et d'autre è, par exemple. Pour le e : celui de "peu" n'est pas le même que celui de "peur".

    Enfin ceci dit ça ne change rien au fond ;-)

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  2. Hum, sans doute que certaines prononciations européennes qui sonnent pareil à mes oreilles nord-américaines, comportent des subtilités qui me sont simplement inaudibles (tout comme j'ai de la difficulté à distinguer les accents toniques en espagnol).

    Toutefois, si les Français eux-mêmes font des jeux de mots ou des rimes en utilisant ces sonorités, ça me donne une preuve que ce sont des phonèmes semblables pour eux. Par exemple, j'ai déjà vu un français écrire «2» pour «de»; un Québécois ne fera jamais ça (mais il pourra écrire «po» pour «pas»).

    Q : «Pour le e : celui de "peu" n'est pas le même que celui de "peur"»

    Ici non plus. :) En fait, on a trois "e". Le "eu" ou le "oeu" lorsqu'il est dans la dernière syllabe d'un mot se terminant par "r" est une voyelle distincte à la fois du "eu" [ø] et du "e" [ə]. En plus, le "r" final est généralement absorbé par la voyelle en une diphtongaison de cette dernière. Ainsi, la final «-eur» en québécois se prononce généralement comme une sorte d'intermédiaire entre le "e" et le "eu" mais qui serait rallongé et diphtongué.

    Mais tu as raison de souligner qu'il y a des différences régionales au sein de l'Europe francophone. Même si, pour un Québécois, l'accent parisien et l'accent belge sont plutôt semblable.

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  3. La plupart des manuels de francais enseigne le francais parisien. Mais en japonais, ils ont un japonais standart, qui n'est parle nul part sauf a la TV, et c'est celui qu'on apprend. Meme le japonais de Tokyo est un dialecte de ce japonais standart...

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  4. Intéressante remarque. En fait, au Québec, c'est un peu comme ça aussi. On a un «français normatif» ou «français radio-canadien» qui est utilité dans les médias et dans les contextes très formels et est une sorte de compromis entre le joual et le parisien, mais qui n'est parlé dans aucune région de la province.

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  5. L'objè de l'ortograf ne devrè pa ètre de reproduire fidèlemen lè son mè d'évoqé la lang paré peu inporte lè variasion dan la prononçiasion.

    Ç'è pourqoi lè signe de l'ortograf altèrnative reprézente dè plaje de son pluto qe dè son préçi. Ex. le mo écri 'foto' évoqe bièn le mo parlé dans toute sè nuançe de prononçiasion, pour tou lè francofone, intuitivemen, mème s'il n'on jamè apri l'ortograf altèrnative.

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    1. Oui, je comprends l'idée de donner à chaque lettre une sorte d'éventail de prononciations possibles plutôt qu'un seul phonème précis. Toutefois, j'aurais aimé une distinction entre les deux «o» et les deux «a», mais avec des étendues qui se chevauchent un peu. Par exemple:

      o = [ɔ], [ɔ:], [ɑ]
      ô = [o], [o:], [ɔw]
      a = [a], [a:]
      â = [ɔ], [ɑ], [ɑ:], [ɑw]

      Voyez-vous, dans un orthographe dépourvu de toutes les lettres muettes qui encombrent le nôtre, il peut être plus ardu de distinguer deux homonymes. Donc si en plus on ne tient pas compte de ces distinctions a/ɑ et o/ɔ, on crée encore plus d'homonymie!

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