dimanche 4 décembre 2011

Fuir le monde

À une certaine époque, lorsque j'étais jeune, je ne voyais sérieusement pas comment je pourrais me trouver une place dans la société. Et, en même temps, je voyais tant d'écart entre ma perception du monde et celle qui domine. Tant au niveau des croyances que de l'éthique. Je me disais que je devais fuir ce monde, non pas en me suicidant, mais bien en sortant du «système». Quitter la civilisation et aller défricher une terre pour y fonder ma propre société. Repartir la civilisation à zéro sur de nouvelles bases. Poussé par mon désir irrationnel de fuir notre société, j'ai fait des recherches sur internet pour connaître les alternatives. C'est là que j'ai découvert le concept des écovillages. Il s'agit d'une communauté intentionnelle à vocation écologique qui regroupe des gens ayant des valeurs communes et, souvent, une spiritualité commune. Leur but est de se doter d'une terre, d'y vivre selon leur vision du monde et d'en gérer les ressources de façon écologique. Généralement, ils produisent eux-mêmes une partie importante de ce qu'ils consomment.

Au premier regard, j'y voyais de nombreux avantages. Par exemple, le fait de vivre de façon plus conviviale avec un groupe plus restreint de personnes nous permettrait d'établir des interactions socioaffectives plus solides et bénéfiques que dans une société où l'on côtoie autant de gens de façon aussi superficiel. Nous sommes devenus trop individualistes. Mais, si mon voisin était également mon collègue de travail et mon ami d'enfance, j'aurais une meilleure relation avec lui que si je ne le vois que pour lui demander de faire moins de bruit. En plus, ce mode de vie nous permettrait de savoir d'où vient ce que l'on mange et ce que l'on consomme comme produits. Conséquemment, on serait plus enclin à faire des choix santés et éthiques. Le simple fait de vivre dans cet endroit aurait un impact énormément positif sur l'environnement.

La collaboration est également sans doute quelque chose qui irait plus de soi dans ce genre d'organisation sociale. Lorsque je vois cinq maisons de banlieue, côte à côte, avec chacune leur petite piscine hors terre, je me dis: «Si ces gens s'étaient alliés, ils auraient pu avoir une seule grande piscine, creusée, avec un chauffe-eau, peut-être même intérieure, qu'ils se seraient partagée à tour de rôle ou en même temps.» Tout ce qu'un foyer n'utilise qu'occasionnellement pourrait être mis en commun avec d'autres foyers. Ainsi, soit ça reviendrait moins cher pour chacun, soit ils pourraient s'acheter des choses de meilleure qualité.

Je me disais aussi que si une telle communauté acquérait un minimum d'autarcie (par exemple, en produisant elle-même une partie de sa nourriture, de ses vêtements et de son électricité) elle serait moins vulnérables à des phénomènes globaux, telle qu'une crise économique. Et que, même si elle était elle-même victime d'une crise ou d'une catastrophe naturelle, la cohésion sociale qu'on y trouverait permettrait d'offrir aux plus affectés de ses membres un réseau de soutient indispensable.

En théorie, ça me semble merveilleux. En pratique, il n'y a malheureusement pas beaucoup d'écovillages au Québec qui existent autrement que sous une forme plutôt embryonnaire. Ce ne sont, en plus, bien souvent que des projets plutôt utopiques, qui coûteraient une fortune à mettre en place et qui ne comporte aucune idée pour se financer autre que de demander des dons. Ils semblent également manquer de réalisme et de structure dans la façon dont ils prévoient faire fonctionner leur projet. Également, certains semblent désirer une sorte de régression technologique, comme pour être «plus naturels», ce qui est à l'opposé de ce que je prône à la fois par rapport à la technologie et par rapport à l'écologie.

Par ailleurs, le côté «spirituel» de la chose m'agace profondément; comme lorsqu'on gratte une fourchette sur une assiette. Évidemment, il faut que les habitants d'un tel lieu partagent des valeurs communes (autrement, il n'aurait aucune raison d'être) mais il semble qu'ils aient systématiquement opté pour une conception du monde plutôt ésotérique. Les écovillages ne sont, finalement, rien de plus que des monastères de la religion Nouvel-Âge. Je n'y trouverais donc qu'encore plus d'obscurantisme que dans la culture dominante, et mon désir d'exil au départ avait entre autres pour but de justement fuir cet obscurantisme.

Puisque tous les projets existants de ce type semblent s'opposer à mes valeurs, j'ai abandonné depuis longtemps l'idée d'émigrer dans un tel endroit et j'ai choisi de m'intégrer à ma façon dans la culture dominante, de trouver ma niche dans ce système. Toutefois, si jamais je gagnais miraculeusement une somme d'argent incroyablement élevée, il est fort probable que je l'investisse dans la construction d'un écovillage dont l'une des valeurs fondamentales serait la pensée rationnelle. Un endroit où les gens partageraient une éthique semblable à la mienne, et où l'on s'efforcerait de s'émanciper de la tradition pour adopter quelques réformes culturelles. Ce serait une terre promise où pourraient s'exiler les libres-penseurs pour y bâtir une société nouvelle. Où la science et l'art seraient valorisés. À défaut de pouvoir apporter des changements positifs dans notre immense société, on pourrait les introduire dans cette microsociété.

Mais bon, cela ne demeure qu'un rêve irréaliste.

4 commentaires:

  1. Salut Feel,

    Triste constat que de réaliser qu'on est un marginal bien mal adapté à la culture dominante :)

    Je crois que "fuir le monde", c'est un peu "fuir tout court". Les bonnes raisons de fuir ce monde ne manquent pas, mais le fuir revient à s'isoler et ignorer ses maux afin de ne plus en souffrir. C'est abandonner l'espoir du progrès, du changement. C'est plus difficile de s'intégrer dans une culture dont la logique nous échappe et de tenter d'y apporter un point de vue différent.

    Dans la série des questions qui ne mènent à rien, je me suis déjà demandé ce que ça donnerait si les libertaires, les athées ou les sceptiques (ou les trois à la fois) se revendiquaient en tant que peuple et réclamaient la création d'un territoire bien à eux (comme ce fût le cas pour les juifs et la création d'Israël). Ca serait marrant d'avoir des pays comme Doubtland, Nogodland ou Freeland :)

    Poulpeman

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  2. Très intéressant ce billet. Pour faire bref, je dirais que je m'accorde à Poulpeman quant à la fuite. Fuir, n'est que rarement la solution... C'est avouer que le combat est perdu, c'est laisser les gens qui pensent comme nous un peu plus seul... c'est baisser les bras. Je pense parfois à partir du Québec (à chaque fois que j'entends que la CAQ va gagner... ou à chaque décision de Harper) pour aller rejoindre un pays scandinave... mais ce serait fuir, ce serait « abandonner l'espoir du progrès, du changement. »

    Ensuite, je suis content de voir que je ne suis pas le seul à m'attrister de voir que la plus part des groupes vraiment écologistes ont tous une sorte de croyance new-age quelconque. C'est bien triste pour moi qui, comme toi, entretiens un scepticisme assez généralisé.

    J'ajouterais à Poulpeman que les libertariens ont de nombreux projets de fondation d'un état bien à eux. Il y a l'idée de faire une ile artificielle libertarienne ou celle de tous aller s'installer dans un des nombreux états américains. L'idée est à la fois tellement absurde et fascinante (je serais vraiment curieux d'observer si le projet d'ile se concrétisait... voir comment s'organisent les dominants et dominés, etc...).

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  3. Dans le fond, je me dis que si l'on fondait vraiment un nouveau pays avec seulement des libres-penseurs athées et sceptiques, rien ne nous garantirait la pérennité de nos nouvelles valeurs. Après quelques générations, peut-être verrait-on un retour massif du religieux, ou peut-être pas. Mais bref, une société peut très bien dériver des intentions de ses fondateurs. Il n'y a qu'à penser à l'écart entre les États-Unis modernes et ses pères fondateurs.

    L'idéal est donc de demeurer dans une société pluraliste, puisque les individus peuvent alors choisir à quelle système de valeurs ils veulent adhérer. La communauté demeure «intentionnelle» même après plusieurs générations.

    Mais le problème que je vois toutefois pour les sceptiques humanistes éclairés tels que nous, c'est le manque de cohésion et d'organisation. Si l'on se compare aux religions, ces dernières ont un clergé et peuvent «mobiliser leurs troupes» tandis que nous, nous sommes dispersés. C'est normal, en même temps, vu qu'on est des libres-penseurs: on pense pas tous pareils sur tout, et on se méfie des associations. Peut-être la solution serait, comme j'ai déjà suggéré, de fonder une sorte de «religion laïque»?

    Sinon, juste continuer individuellement de défendre l'esprit critique et le gros bon sens, ça devrait finir par faire son chemin.

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  4. Je vois deux erreurs dans le raisonnement...

    1. Plan A vs Plan B

    Si le Plan B vise à remplacer le Plan A, mais que l'existence du Plan B dépend de la continuité du Plan A, alors ça ne peut pas marcher. Autrement dit, n'importe quel projet basé sur «si jamais je gagnais miraculeusement une somme d'argent incroyablement élevée» sera dépendant à jamais du système qu'il entend remplacer et ne pourra servir de modèle pour que d'autres fassent la même chose, puisque tous n'auront pas la chance de gagner à la loterie.

    2. Fuir le monde = se fuir soi-même

    Tous les êtres humains sont reliés à tous les autres êtres humains, pas juste à ceux qui leur ressemblent, qui pensent la même chose, qui vivent proche, etc. Que l'on vive en ville ou en forêt, bien intégré ou totalement marginal, on fait quand même partie de l'humanité. Une personne ou un groupe de personnes qui nie ce lien finira par dépérir.

    Serge Grenier

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