vendredi 31 décembre 2010

Exigences de l'antispécisme

Mise en situation:
Jacques découvre une personne inconnue dans sa demeure. Il lui demande poliment de sortir, mais elle ne l'écoute pas. Au lieu de cela, elle se met à l'agacer en lui donnant de petites tapes sur la figure. Jacques essaie de la faire sortir de chez lui par la force, mais elle réussit à s'esquiver à chaque fois qu'il tente de la maîtriser. Il appelle la police pour qu'on le débarrasse de cet intrus, mais on refuse de l'aider. Las de cet inconnu qui l'agace et qui s'est introduit chez lui, Jacques lui assène un puissant coup de poing… puis constate que ça l'a tué.

Dans ce scénario, on ne peut pas vraiment reprocher à Jacques d'avoir tué l'intrus. Il a fait tout ce qui est en son pouvoir pour que l'intrus cesse de l'incommoder, en s'efforçant de minimiser les conséquences fâcheuses pour celui-ci. Il a utilisé parcimonieusement la coercition mais le meurtre semble avoir été le moindre mal qu'il eut été capable d'infliger à l'intrus pour obtenir sa collaboration. Même si l'intrus en question ne semblait pas menacer la survie de Jacques, celui-ci nuisait fortement à son bien-être. Cette situation fictive n'est pas très fréquente dans la vraie vie… sauf si l'intrus en question n'est pas une personne mais une mouche. Avec la mouche, on ne peut ni négocier ni appeler la police, et il est très difficile de l'attraper pour la remettre dehors, par conséquent on passe directement à l'étape de tuer.

Certains sont réticents à l'idée d'accorder des droits aux animaux parce qu'ils ont peur qu'une telle éthique ne soit trop exigeante et contraignante dans la pratique. Par exemple, ils ne veulent pas avoir à surveiller chacun de leurs pas pour éviter d'écraser un insecte. Ils veulent pouvoir passer l'aspirateur chez eux sans qu'on les condamne pour génocide d'acariens. Bref, ils refusent d'accorder le moindre droit à ce qui n'est pas humain de peur qu'on leur impose de vivre comme les Jaïns. Mais si on tolère qu'un humain puisse en tuer un autre lorsqu'il s'agit d'un cas de légitime défense, que sa survie en dépend ou dans une situation telle que celle de Jacques décrite ci-haut, et que cela ne remet pas du tout en question les principes des droits fondamentaux que l'on accorde aux êtres humains, alors on ne doit pas craindre de donner des droits aux animaux si la reconnaissance de ces droits comporte, elle aussi, les «échappatoires» requises pour qu'elle soit réalisable et accommodante.

De la façon dont je vois ça, il est tout à fait normal qu'un être, par sa seule existence, nuise aux intérêts et à la survie d'autres êtres. C'est une des cruelles lois de la nature. C'est la même chose à l'échelle des espèces. Les individus d'une espèce vont nécessairement interférer avec les intérêts des autres espèces qui partagent son environnement. Je ne dis pas que cela justifie que l'on répande délibérément et inutilement la souffrance autour de nous, mais simplement qu'on ne doit pas s'imposer un mode de vie trop contraignant qui nous empêcherait de jouir de la vie. Nul n'a pour devoir d'être malheureux.

Une autre objection que l'on entend parfois face à la reconnaissance des droits des animaux vient de ceux qui pensent que l'antispécisme implique de donner aux bêtes les mêmes droits qu'aux humains. Étant donné qu'il serait absurde de donner le droit de vote aux chiens, alors on balaye complètement l'idée de donner le moindre droit aux animaux. Pourtant, le fait que l'on refuse de donner le droit de vote aux enfants ne nous empêche pas de leur reconnaître des droits. Il y a beaucoup de situations où, en raison de leurs attributs individuels, il est légitime de ne pas accorder aux bêtes le même statut qu'aux personnes; et il n'y aurait rien de spéciste là-dedans. L'idée est de donner aux êtres des droits à la mesure de leurs besoins.

Finalement, seul le végétarisme est vraiment exigeant dans l'antispécisme que je prône. Pour le reste, c'est un changement de paradigme important mais affectant peu notre quotidien.

lundi 27 décembre 2010

Se promener nu en public

Dans la plupart des États du monde, qu'ils soient progressistes ou conservateurs, il est illégal de se promener nu dans les lieux publics. Est-ce dû à l'influence d'une tradition religieuse trop pudique? Devrions-nous tolérer qu'une personne s'exhibe dans son plus simple appareil? Je vous propose que nous fassions l'exercice de réfléchir à la dimension éthique de cette question. Si, en elle-même, cette dernière ne présente que peu d'intérêt – étant donné qu'il n'y a, à ce que je sache, personne qui revendique sérieusement le droit de se promener nu en public – les fondements de cet interdit influencent très certainement d'autres aspects de nos lois et de nos vies.

Du point de vue purement utilitariste qui est le mien, il n'y a rien qui justifie que l'on prohibe la nudité dans les lieux publics. C'est une entrave inutile à la liberté individuelle puisque cela ne ferait de mal à personne. En ce qui a trait à la liberté civile, j'adhère presque systématiquement à la position que le philosophe utilitariste John Stuart Mill (1806-1873) défend dans De la liberté, c'est-à-dire que :
«Le seul but en vue duquel on puisse à juste titre recourir à la force à l'égard de tout membre d'une communauté civilisée, contre sa propre volonté, c'est de l'empêcher de faire du mal aux autres.»

Comme l'acte de se promener nu ne fait de mal à personne, l'individu devrait pouvoir le faire sans que l'on ne lui interdise ni qu'on ne manifeste de l'intolérance à son égard… Mais ce nudiste ne fait-il réellement de mal à personne? Dans ma réflexion sur la tolérance, j'ai soulevé le point que la personne intolérante souffrait, d'une certaine façon, des actions ou de la présence de la personne face à qui elle est intolérante. Par exemple, l'homophobe «souffre» lorsqu'il voit deux hommes s'embrasser. Ma conclusion était que l'on devait simplement se demander qui souffre le plus entre l'intolérant et l'intoléré, puis faire pencher nos lois vers la moindre souffrance. Ainsi, celui qui voudrait se promener nu mais à qui on l'interdit souffre-t-il vraiment de cette atteinte à sa liberté? La souffrance pour les passants qui seraient incommodés de le voir non vêtu sera-t-elle inférieure à la sienne? On peut, sans trop risquer de se tromper, affirmer qu'être nu en public est moins important pour lui qu'il ne l'est pour les passants de ne pas avoir à voir de nudistes lorsqu'ils circulent dans les lieux publics. On pourrait donc alors conclure qu'il est parfaitement légitime d'interdire aux gens de se promener nu hors de chez eux ou des camps réservés à cet effet.

Mais cette conclusion partait d'un certain postulat. J'ai pris pour acquis que l'individu désireux de se promener nu, ainsi que ceux qu'il risquait de croiser, étaient des individus typiques d'une culture que je connais. Culture dans laquelle il est mal vu et bizarre d'être nu en public. Dans ce contexte, il est évident que si quelqu'un veut se promener nu ce n'est que par défi ou pour provoquer, et il est aussi évident que ceux qui le verront seront choqués. Mais si les croyances personnelles de cet individu faisaient en sorte qu'il est, pour lui, vraiment très important d'être nu dans un lieu public? Et si les gens qu'il croisera sont tous des personnes exceptionnellement ouvertes d'esprit qui seront indifférentes face à sa nudité?

Par ailleurs, ce qui m'agace vraiment dans ce genre de situation c'est que l'État érige nos mœurs en lois, comme pour normatiser nos us et coutumes. Une telle ingérence va à contre-courant de ce que je prône, soit la séparation de l'État et de la tradition. J'en arrive à la même conclusion que dans ma réflexion sur le port du voile, c'est-à-dire que l'État n'a pas la légitimité pour légiférer sur notre tenu vestimentaire mais qu'il devrait autoriser les établissements à se doter eux-mêmes d'un code vestimentaire. L'important est que cette interdiction émane de quelque chose de moins solide que l'État et qui puisse plus facilement être mise à jour. À la limite, qu'il s'agisse d'une loi municipale me semblerait plus légitime qu'une loi fédérale ou provinciale.

J'admets que ce que je défends ici est plus une question de principes que de conséquences. Je ne désire pas personnellement me promener nu en public et je serais probablement très mal à l'aise de croiser un nudiste sur le trottoir. Mais je me dois d'être cohérent avec moi-même. Par ailleurs, s'il n'y avait aucune loi pour interdire la nudité, il n'y aurait pas nécessairement des dizaines de gens nus dans les lieux publics. Ce ne sont pas les lois qui font les mœurs. Le regard désapprobateur des passants est souvent une menace suffisante pour dissuader les gens d'agir de façon extravagante ou incommodante. Aucune loi ne m'interdit de me promener en tutu rose avec un ananas sur la tête en criant que je suis un idiot, mais je ne vais pas le faire pour autant.

mercredi 1 décembre 2010

Au-delà de l'horizon

Autrefois, on croyait qu'il y avait des esprits dans chaque objet. Chaque phénomène de la nature était l'œuvre d'une divinité. Notre propre corps se muait grâce à l'action surnaturelle de notre esprit sur la matière.

Puis la science a avancée. Nous avons appris comment fonctionnait la nature et comment fonctionnaient nos corps. Nous pouvons expliquer comment nos muscles et nos nerfs font bouger notre corps, comment notre cerveau et nos hormones déterminent nos pensées et nos humeurs. Nous savons comment la vie s'est diversifiée pour se répandre sur toute la planète. Comment cette même planète s'est constituée par accrétion de poussière cosmique autour du Soleil il y a environ 4,5 milliards d'années. Comment notre Soleil est né, etc. Et tout cela, de façon purement contingente, par l'action des forces aveugles et inconscientes qui gouvernent notre univers.

Et à mesure que la science progressait et cartographiait les moindres recoins de notre environnement et de notre être, les entités surnaturels, telles que Dieu et l'âme, perdirent de leurs attributs et de leurs fonctions. Dieu perdit son tempérament agressif et jaloux pour devenir une personne parfaite, puis un être impersonnel. Du concepteur direct de toute chose, il devint un être discret qui se contente de «diriger» les transformations au sein de l'univers, d'une façon si subtile qu'elle ne peut être perceptible; à un point tel que l'univers est identique à ce qu'il serait si Dieu n'existait pas. On retira à l'âme sa juridiction sur les émotions et sur l'animation du corps, puis elle perdit également son rôle dans la mémoire et les pensées, qui sont toute l'œuvre du système nerveux, pour ne garder comme attribut que la conscience qui ne peut se percevoir autrement qu'insécable et éternelle. Mais une fois dépouillé de tous leurs attributs originaux et de tous nos modèles explicatifs sur l'univers, les entités surnaturelles, ou plutôt les mots qui les désignent, deviennent des termes creux ne référant à rien. Des concepts flous que l'on se représente intuitivement, moins par l'action de la raison que de celle d'un désir viscéral de s'accrocher à ces traditions.

Nous avons repoussé Dieu au-delà du Big-Bang et l'âme au-delà des particules quantiques. Étant donné que nous ne pouvons assumer que ces entités surnaturelles que se sont inventés nos ancêtres pour expliquer le monde, n'ont en fait jamais existées, nous les cachons derrière l'horizon de la science moderne, à un endroit où leur inexistence est indémontrable, afin d'utiliser un agnosticisme fallacieux pour justifier la persistance de nos croyances en elles. Les seules phénomènes qu'on leur attribut sont des anecdotes non reproductibles qui n'ont pas fait l'objet d'une observation scientifique. Mais y a-t-il plus de chance d'y avoir un Dieu derrière le Big-Bang que des schtroumpfs dans les trous noirs? Nous ne savons pas ce qu'il y a au-delà de l'horizon de la science mais ce ne sont certainement pas les ténèbres de l'ignorance superstitieuse de nos ancêtres qui pourront nous éclairer là-dessus.