samedi 30 avril 2011

Mentir au nom de la Vérité

Il est un comportement que j'ai remarqué à quelques reprises dans l'argumentaire de certaines personnes ayant une croyance forte envers la religion, l'ésotérisme ou le paranormal. Parfois, lorsqu'ils sont à court d'arguments pour défendre leur opinion, ces croyants n'hésiteront pas à fabriquer de fausses preuves, à volontairement donner une mauvaise interprétation d'une donnée scientifique ou à tout simplement mentir. C'est une sorte de «la fin justifie les moyens». Puisque leur point de vue est «la Vérité» alors tous les moyens sont bons pour convaincre autrui, même le mensonge. Prenons cette mise en situation:

Une personne A et une personne B se parlent de leurs croyances. A a une croyance forte mais elle n'arrive pas à y convertir B. Alors, A invente une fausse histoire qui prouverait hors de tout doute la véracité de sa croyance, et réussit à convaincre B grâce à ce pieux mensonge. Plus tard, B rencontre C et lui parle de sa nouvelle croyance. Mais C n'est pas convaincu, même avec l'anecdote fictive qu'a ajouté A. Alors, B invente elle aussi une fausse preuve pour valider sa croyance, et réussit ainsi à convaincre C. Plus tard, C rencontre D et lui parle de sa nouvelle croyance…

Supposons que l'histoire se prolonge ainsi jusqu'à la conversion de Z. À chaque fois, l'individu est tellement convaincu que sa croyance est véridique, qu'il considère comme correct de mentir pour convaincre autrui de la validité de cette croyance. Son mensonge lui paraît tout petit par rapport à la grandeur de sa croyance. Ainsi, son converti, même s'il croira à son mensonge, croira aussi à cette immense vérité et en conséquence sa nouvelle opinion contiendra en somme plus de vérité que de fausseté. Mais à chaque fois, l'individu ignore lui-même qu'une partie de ce à quoi il croit est un cumul de pieux mensonges de cette sorte, eux aussi concoctés pour rendre plus crédible ce que l'on postule être la Vérité.

Les exemples de cette pratique sont très variés. Un religieux pourrait donner un faux témoignage d'un miracle ou fabriquer une fausse relique pour que l'on adhère à son culte, un «chercheur» d'une pseudoscience pourrait falsifier les données de ses expériences pour qu'elles collent plus avec ses croyances, un adepte d'une théorie du complot pourrait choisir les sources qu'il sait les moins fiables lorsqu'elles sont celles qui appuient ses délires paranoïaques, un ufologue pourrait faire croire qu'il a vu un ovni, et ainsi de suite.

Évidemment, je désapprouve ce genre de pieux mensonge. Comme on ne peut pas savoir avec une certitude suffisante si notre croyance initiale était véridique, même si on en est viscéralement convaincu, il importe de faire preuve d'intégrité et d'honnêteté intellectuelle lorsque l'on essaie de la défendre. Si notre but est réellement de défendre la vérité, on doit se donner les moyens de s'en approcher le plus possible et, pour cela, permettre une loyale confrontation d'idées plutôt que de protéger notre croyance à tout prix à l'aide d'un bouclier de mensonges. Il m'apparaît énormément présomptueux de croire que l'on a atteint la Vérité, plutôt que d'avoir l'humilité d'admettre que l'on peut toujours progresser. Il y a plusieurs situations dans lesquelles le mensonge est justifiable, mais celle-ci n'en fait pas partie. Cela me rappelle ma réflexion sur l'éthique des gourous qui construisent un ensemble de croyances fausses pour justifier des pratiques qu'ils jugent bonnes; ils commettent la même erreur. Ils prennent pour postulat qu'ils ont raison, donc que tous les moyens sont bons pour amener autrui à adopter cette opinion.

Je pense qu'il faut avant tout se rappeler que l'on doit tirer nos conclusions des faits et non falsifier les faits pour qu'ils soutiennent nos conclusions. Autrement on pense à l'envers. Si nos croyances sont vraiment vraies, alors inutile de mentir pour les protéger : la science finira bien par leur donner raison. S'il s'avère que ce n'est pas le cas, c'est peut-être que l'on avait tord et que l'on devrait réviser nos opinions. Je conclus avec cette petite histoire de mon crû:

Une femme pleure la mort de son fils qui a été exécuté pour ses idées. Elles vient visiter sa tombe et constate que sa dépouille a été volée par des charognards. C'est trop pour elle, c'est comme si on lui enlevait son fils une deuxième fois. Pourtant, au fond de son cœur de mère, elle a l'impression que son fils est toujours vivant quelque part. Ne pouvant accepter la réalité, elle se dit que son fils est revenu à la vie et que c'est la raison pour laquelle son corps n'est plus là. Elle raconte cela aux amis de son défunt fils qui se moquent de son histoire. Alors pour les convaincre, elle leur fait croire qu'elle a réellement vu son fils ressuscité, ce qui convainc ces hommes qui s'en vont aussitôt rapporter ce miracle à tous. Voyant qu'on ne les croit pas, ils font croire qu'eux aussi ont vus leur ami revenu d'entre les morts… et ainsi de suite, les faux miracles s'accumulent jusqu'à celui du soleil dansant de Fatima en 1917.

Vendre son corps

Malgré la libéralisation des mœurs et l'hypersexualisation qui caractérisent l'Occident contemporain, nous avons encore un tout petit peu tendance à sacraliser le sexe… du moins, juste assez pour que sa commercialisation soit mal vue. Y a-t-il un fondement éthique raisonnable qui justifie le statut actuel de la prostitution? Pourquoi cette haine viscérale et ce mépris collectif envers une activité aussi ancienne que nécessaire? La prostitution devrait-elle être légale ou illégale? J'ai décidé de faire l'exercice de réfléchir à ces questions.

Afin de nous éclaircir les idées, essayons de dissocier la prostitution elle-même de tout ce qui l'entoure dans notre représentation de cette activité. Supposons qu'une personne adulte et lucide décide, sans être contraint par la force ou le désespoir, de faire payer une autre personne adulte en échange d'une faveur sexuelle. Dans cette situation précise, la personne qui achète du sexe fait-elle quelque chose de mal? Et celle qui le vend? Je vois difficilement ce que l'on pourrait reprocher à l'un ou l'autre; ils ne font de mal à personne. Ce n'est donc pas tant l'acte de vendre du sexe qui est en lui-même problématique, qu'un ensemble de facteurs qui sont autour de ce commerce. Et c'est d'ailleurs pour cette raison que – vous serez peut-être surpris de l'apprendre – la prostitution est légale au Canada. Si, donc, je décidais d'avoir une transaction de cette sorte avec une de mes amies par exemple, nous ne serions pas dans l'illégalité.

Mais solliciter un inconnu sur la rue pour lui vendre du sexe demeure un geste punissable par la loi. En fait, tout ce qui entoure la prostitution (sollicitation, proxénétisme) est criminel de sorte que l'on peut pratiquement dire que ce commerce l'est également. Il me semble pourtant que la majorité des problèmes liés à la prostitution viennent justement du fait qu'elle n'est pas encadrée par la loi. Criminaliser une pratique ne la fait pas disparaître. Donc, si l'on avait le choix entre l'une des alternatives suivante:

  • A. La prostitution est clandestine;
  • B. La prostitution est légale et encadrée;
  • C. La prostitution n'existe plus;

Même si l'on considère l'option C comme étant la plus désirable, on doit reconnaître qu'elle est irréaliste dans la pratique. Notre choix se limite donc à A ou B, et c'est l'option B qui m'apparaît comme étant le moindre mal. C'est comme pour la drogue en ce moment et le jeu autrefois. Si l'on refuse de légaliser un bien ou un service pour lequel il existe une forte demande, on ne fait que laisser ce marché aux groupes criminalisés. On ne règle pas un problème, on le cache, ce qui autorise toutes les dérives que l'on peut imaginer. On éviterait, par exemple, qu'une personne se prostitue par désespoir, qu'elle se fasse arnaquer ou violenter par son proxénète, ou qu'on la contraigne à faire des choses qui la répugnent. On peut donc être contre la prostitution ou la drogue, mais être pour sa légalisation, sans manquer de cohérence. Au contraire, la légalisation du phénomène devient une étape nécessaire dans la lutte contre celui-ci.

Je trouve tendancieuse l'expression «vendre son corps» que l'on utilise parfois pour désigner la prostitution. Elle sert à ce que l'on associe cette pratique à de l'esclavage, comme si en ayant du sexe en échange d'argent on vendait à autrui la propriété de notre corps. Pourtant, si je vends des services sexuels à quelqu'un, je ne lui vends pas mon corps… je lui loue! Il me paierait uniquement pour que je lui offre un service particulier pendant une période de temps donnée, pas pour qu'il puisse me faire faire tout ce qu'il veut à tout jamais. Fondamentalement, la prostitution est donc un travail comme un autre. La nuance réside dans le fait que le sexe est une activité hautement intime… mais c'est peut-être surtout qu'il n'est pas totalement désacralisé.

Je me disais également qu'il y avait peut-être certaines gens pour qui la prostitution est nécessaire. Certains clients des prostitués n'ont peut-être pas d'autres alternatives pour combler leurs besoins sexuels. Imaginons une personne si repoussante qu'elle n'arrive pas à trouver de partenaire avec qui avoir du sexe «gratuitement». Ou encore, une personne ayant un fantasme vraiment bizarre et qui ne trouve personne avec qui le mettre en pratique. Que font ces gens? Et de l'autre côté, peut-être qu'il y a réellement des personnes qui préfèrent pratiquer la prostitution plutôt que n'importe quel autre métier pour lequel elles sont compétentes.

Personnellement, je ne serais pas capable de me prostituer; le sexe est pour moi une activité trop intime. Mais je ne serais pas non plus capable d'être préposer aux bénéficiaires dans un hôpital ou égoutier… pourtant je ne reprocherais pas pour autant à quelqu'un qui choisirait l'une de ces professions de faire un travail répugnant ou dégradant. Je me dis que si moi je serais personnellement révulser en faisant une opération à cœur ouvert ou en ramassant les ordures, ce n'est pas le cas de tout le monde et c'est tant mieux. De la même façon, si quelqu'un a suffisamment de détachement par rapport à l'acte sexuel pour en faire son métier, je n'ai aucune raison de l'en empêcher ou de dénigrer son travail.

Bref, même si intuitivement je ne suis pas à l'aise avec le fait que la prostitution existe, je n'ai rien de rationnel à lui objecter directement.

lundi 11 avril 2011

Le mystère de la foi

Imaginez qu'une personne proche de vous et en qui vous avez confiance, vous annonce qu'elle est morte dans un accident de voiture la semaine dernière puis qu'elle est revenue à la vie deux jours plus tard. Disons qu'elle vous raconte cela avec un ton tout à fait sérieux et sincère et que ce n'est pas du tout son genre de faire des blagues de ce type. Supposons également qu'elle prétende avoir deux témoins qui ont assisté à son décès. Croirez-vous sur parole l'histoire de cette personne sans même demander de preuves? Bien sûr que non!

Pourquoi devrait-on être sceptique dans cette situation, mais croire sur parole un témoignage vieux de deux milles ans, maintes fois réécris et de source plutôt douteuse? Pourquoi, quand je vois Criss Angel marcher sur l'eau, alors qu'il est filmé et qu'il y a plusieurs témoins, je me dis tout de suite qu'il y a un truc tandis que je devrais croire que Jésus l'a fait pour vrai? Pourquoi le contenu de la bible – un texte ancien quelconque issu de l'une des très nombreuses mythologies de l'Antiquité –, les paroles d'un prêtre ou le credo d'une foi devrait-il être considéré comme véridique lorsqu'il nous présente une histoire absurde, alors qu'une histoire d'un niveau d'absurdité égal mais ne venant pas de la religion mérite que l'on soit critique? N'est-ce pas là un manque de cohérence?

Et si je vous dis que Dieu est à la fois un et trois? Que Jésus est assis à la droite de Dieu mais partout à la fois? Qu'il est tout-puissant et bienveillant mais qu'il laisse le mal exister quand même? Que les voies de Dieu sont impénétrables? Que Dieu existe mais que je n'ai aucune idée de ce qu'il est? Comment peut-on affirmer croire en une chose que l'on ne comprend pas? N'y a-t-il pas là une contradiction logique? Si je disais que les xuüphtalzops existent mais que je refusais d'expliquer ce que veut dire ce mot, comment pourrais-je reprocher à autrui de ne pas me croire? Nul ne peut croire en une proposition s'il ne la comprend pas, si elle se contredit elle-même ou si elle contient un mot sans définition. Affirmer le contraire c'est se mentir à soi-même.

Il est grand le mystère de la foi. Comment des adultes par ailleurs raisonnables peuvent-ils croire en des telles inepties? C'est tout un mystère. Mais qu'est-ce que la foi au fond? Un concept inventé par les prêcheurs d'obscurantisme pour faire passer la crédulité pour une vertu.