jeudi 29 octobre 2009

À propos des grèves

Je trouve personnellement que les grèves sont quelque chose qui ne devraient pas exister dans une société civilisée.

Fondamentalement, le rôle des employés n'est pas d'enrichir leur patron mais bien d'offrir un service à la société. Lorsqu'il y a grève, ce n'est pas que le patronat qui en pâtie, c'est tout ceux qui utilisaient ce service. Selon le secteur dans lequel elle éclate et les moyens de pression employés, une grève peut s'avérer très nuisible pour la société et perturbante pour l'ordre public.

Si, au lieu d'avoir recours à des moyens de pressions futiles, symboliques ou collatéralement dommageables, on avait recours à un arbitrage. Disons, une sorte de procès ou la partie patronale et la partie syndicale devraient toutes deux défendre leurs points respectifs. Le syndicat expliquerait pourquoi il juge que les employés méritent mieux, l'employeur expliquerait pourquoi il ne peut ou ne veut leur donner mieux. Le juge rendrait son verdict, en tenant compte de la justesse et de la faisabilité des exigences de chaque parti, et tous devraient s'y soumettre sans chialer.

Me semble que ça serait moins nuisible pour la société qu'une grève et que ça ferait pas mal plus mature…

Je ne veux pas d'enfants

Je ne suis personnellement pas attiré par l'idée de procréer. Avoir des enfants ne m'intéresse pas.

On me fait souvent le commentaire que je suis «égoïste» de ne pas vouloir d'enfants. J'ai de la difficulté à saisir ce qu'il y a d'égoïste là-dedans. Je ne commets pas de faute envers qui que ce soit puisque si mes enfants potentiels ne viennent jamais au monde, alors ils n'existeront jamais et l'on n'a aucun devoir envers ceux qui n'existeront jamais, même pas celui de les amener à l'existence. Par ailleurs, qui est vraiment égoïste? Quand on pense à ce monde cruel dans lequel on vit et à l'avenir si plein d'incertitudes que l'on a devant nous. Je pourrais, à la limite, soutenir que c'est ceux qui font des enfants qui sont égoïstes, puisqu'ils font passer leur désir égoïste d'avoir des enfants avant le droit de ces enfants de naître dans un monde qui a de l'allure.

Quand c'est moi qui dis ne pas vouloir d'enfants, la réaction des gens n'est pas si pire. Mais quand c'est ma blonde, on dirait que c'est blasphématoire. Dire que même après cinquante ans de féminisme, on en soit encore au stade où la femme est considérée comme un incubateur vivant. En effet, le seul sens à la vie d'une femme qui soit socialement bien vu, c'est de pondre une marmaille (tout en se réalisant professionnellement, bien sûr, parce qu'une femme au foyer est vue comme une aberration de nos jours). Ce n'est pas parce qu'une personne a un utérus qu'elle a nécessairement envie de s'en servir.

Personnellement, je pense que vouloir ou non des enfants est un choix libre basé sur une inclination personnelle, et n'a donc pas à être imposé par des sanctions informelles via une désapprobation générale explicite. Il y en a qui préfère le chocolat, d'autre le beurre de pinottes. Certains aiment les femmes, d'autres aiment les hommes. Il y en a qui aime les chiens, d'autres qui aiment les chats… et d'autres qui aiment les enfants. C'est comme ça.

Un philosophe* disait que notre désir de procréation sublimait notre désir d'immortalité parce qu'on voyait nos enfants comme une extension de nous-mêmes qui nous survivrait. Mais lorsque l'on prend conscience que notre enfant est un être en soi et pas qu'une extension de nous-mêmes, ça tue ce désir. Par ailleurs, comme notre enfant sera davantage élevé par le système d'éducation et les médias que par nous, il a plus de chance de nous être différent dans ses valeurs et ses choix de vie qu'il ne le serait si nous étions ses seuls mentors. Conséquemment, il est encore moins un «double de nous-mêmes», nous n'avons donc plus aucune raison de le considérer comme notre prolongation.

Toutefois peut-être que si le contexte avait été différent, j'aurais aimé avoir des enfants. Le fait que l'on soit dans une société où, pour avoir financièrement les moyens d'élever des enfants, il faille travailler au point que l'on n'ait ni le temps ni l'énergie de les éduquer, enlève un peu son sens à tout ça. Qu'est-ce que ça me donnerait d'engendrer un enfant si c'est pour le parquer dans un chenil pour enfants (les CPE) et le faire élever par de parfaits étrangers (les professeurs)?

Si j'avais une entreprise ou une terre, je concevrais un rejeton pour qu'il en hérite. Je lui enseignerais dès son plus jeune âge ce qu'il doit savoir pour qu'il prenne ma place. S'il finit par choisir de faire autre chose de sa vie, c'est son choix et tant mieux. Mais au moins s'il ne trouve pas de sens à sa vie, il aura eu une «fonction par défaut» de disponible au cas où. En plus de donner un sens personnel à sa vie, ça me donnerait une raison de lui donner la vie.

Bien que je ne désire moi-même pas élever d'enfants, ça ne veut pas dire que je souhaite que l'humanité entière s'arrête à ma mort. Je tiens à ce que les autres fassent des enfants. C'est comme sortir les poubelles : c'est un travail ingrat mais il faut bien que quelqu'un s'en charge. Et comme je ne pense pas avoir les qualifications requises pour ce travail, je laisse la procréation aux autres. Pour ce qui est de laisser quelque chose après ma mort, j'espère – naïvement sans doute – pouvoir transmettre autre chose à la génération suivante qu'un simple bagage génétique.

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*Désolé, j'ai lu ça quelque part mais je n'ai pas réussi à retrouver de quel philosophe il s'agissait.

2012

Je vous ai déjà parlé des livres attrape-nigauds qui nous prédisent la fin du monde en 2012. Je vous ai alors souligné qu'il y avait toujours une fin du monde de prévue dans un avenir rapproché. Je vais maintenant vous expliquer sur quoi se base cette idée qu'il y aurait une fin du monde en 2012.

C'est en fait le calendrier mésoaméricain (des Aztèques et des Mayas) qui est la cause du choix de cette date. D'autres vous diront que plusieurs prophéties convergent vers cette date (comme des quatrains de Nostradamus par exemple) mais, avant le bogue de l'an 2000, on utilisait exactement les mêmes prophéties pour soutenir que le monde s'éteindrait en cette fin de millénaire. Bref, seul le calendrier mésoaméricain fixe la date en décembre 2012.

Les Mésoaméricains utilisaient un calendrier comportant plusieurs cycles distincts (comme notre cycle lunaire des semaines qui est indépendant de notre cycle solaire des années) qui entrent parfois en concordance. Leurs croyances voulaient que plus une conjonction cyclique était rare, plus l'événement qui devait s'y produire serait important. Ainsi, la dernière conjonction telle que celle de décembre 2012 date du mois d'août de l'an 3114 avant notre ère. Selon les traditions mésoaméricaines, il y aurait eu plusieurs «fin du monde» diverses dans l'histoire dont un déluge universel, un ouragan universel et la métamorphose de tous les humains en ouistitis. Mais, à chaque fois, les dieux décidaient de créer le monde à nouveau, de sorte que chaque nouvelle apocalypse était suivit d'une nouvelle genèse.

Je ne comprends pas pourquoi la mythologie mésoaméricaine est soudainement considérée comme une source fiable. Si l'on croit les anciens Aztèques lorsqu'ils nous prédisent une catastrophe globale pour 2012, pourquoi ne les croyons-nous pas lorsqu'ils nous disent qu'il faut sacrifier des gens en leur arrachant le cœur vivant pour que l'univers continue de tourner? Pourquoi, si nous croyons en leur mythe de fin du monde, ne croyons-nous pas en leur mythe de début du monde qui veut que les humains actuels aient été créés à partir du sang d'un dieu mi-serpent mi-oiseau? Il me semble arbitraire de prendre certaines choses d'une mythologie et de rejeter (ou d'ignorer) le reste sans utiliser un critère autre que son feeling, comme le font ceux qui prétendent tirer leur éthique de la religion mais qui n'en ont jamais ouvert le livre.

Par ailleurs, je ne comprends pas comment l'on peut encore prendre au sérieux une prophétie de fin du monde alors que la précédente – celle du bogue de l'an 2000 – ne s'est pas accomplie. Cette expérience ne nous a-t-elle pas appris à nous méfier des prédictions millénaristes de la sorte? S'il y a une «fin du monde» un jour, ce ne sera certainement pas parce que l'un de nos calendriers humains se termine ou arrive à un chiffre rond. On peut s'inquiéter des changements climatiques anthropogéniques, des guerres avec des armes de plus en plus puissantes, des maladies contagieuses, de la mauvaise alimentation des gens et du fait qu'ils ne font plus d'exercice, de l'écart entre les classes sociales, de l'épuisement des ressources ou de la chute d'un météore… mais s'inquiéter du fait qu'un système de mesure du temps inventé par l'humain arrive à un point arbitrairement perçu comme étant spécial, c'est peut-être paniquer pour rien. Non?

mardi 27 octobre 2009

Le rasoir d'Occam

Guillaume d'Occam (1285-1347) fut un philosophe britannique qui apporta à la méthode scientifique le principe de parcimonie qu'il formula des deux manières suivantes :
Pluralitas non est ponenda sine necessitate
(les multiples ne doivent pas être utilisés sans nécessité)

Entia non sunt multiplicanda praeter necessitatem
(les entités ne doivent pas être multipliées par delà ce qui est nécessaire)

On appelle ce principe «le rasoir d'Occam» car il «rase» les éléments excédentaires dans une théorie. Aujourd'hui, nous connaissons davantage le principe de parcimonie sous cette forme:
«La plus simple des explications est souvent la meilleure.»

Il est nécessaire, je pense, de résoudre l'ambiguïté à propos du sens des termes «simple» et «meilleure» La «plus simple» ne veut pas dire la plus simpliste ou la plus réductionniste. C'est simplement celle qui implique de présumer l'existence du moins grand nombre d'entités; la moins spéculative. Et «la meilleure» ne veut pas dire «la plus vraie» mais «celle qui a raisonnablement le plus de chances d'être vraie parmi les hypothèses connues». Si, par exemple, on a les deux hypothèses suivantes :
  • A- Mes clés ne sont pas où je les ai laissées. Je dois me tromper, j'ai dû les déposer ailleurs par mégarde.
  • B- Mes clés ne sont pas où je les ai laissées. Sans doute que les objets ont une volonté propre et ont la faculté de se déplacer.
L'alternative «A» est incontestablement la plus simple et la plus probable. Mais dans cet autre dilemme :
  • A- Toutes les formes de vie sont apparues spontanément par l'action d'un créateur surnaturel.
  • B- Des formes de vie extrêmement simples apparurent lorsque des composés chimiques se sont assemblés dans la soupe primordiale. Puis, sous l'action conjuguée des mutations aléatoires et de la sélection naturelle, la vie évolua en engendra des êtres plus complexes et variés.
L'alternative «A» est «plus simple» mais pas au sens où on l'entend dans l'expression du rasoir d'Occam. C'est celle qui comporte le moins de phénomènes mais qui transgresse le plus les «lois» du modèle de la réalité que l'on peut établir à partir des données observées. C'est la même chose si l'on revient à l'exemple précédent avec les clés. Même si je suis totalement certain d'avoir laissé mes clés à cet endroit, l'hypothèse que je me trompe demeure plus plausible que celle qui veut que les clés aient une volonté propre et se soient déplacée toutes seules. Car, l'existence de ma faillibilité est un fait avéré tandis que celle de «l'âme des objets» va à l'encontre de tout ce que l'on sait à propos des objets inanimés.

Aussi, plus on accumule de données et moins la meilleure explication est simple. Par exemple, si au départ il est «plus simple» de croire que le Soleil tourne autour de la Terre plutôt que l'inverse (puisque l'on ne sent pas la Terre bouger et que l'on voit le Soleil traverser le ciel dans la journée), ça devient plus compliqué d'expliquer le mouvement des étoiles et la rétrogradation des planètes sans changer de paradigme en faveur de l'héliocentrisme. Ainsi, si l'on tient compte de toutes les observations astronomiques, l'héliocentrisme devient «plus simple» que le géocentrisme.

Également, toute hypothèse qui fait intervenir l'existence du surnaturelle est nécessairement «moins simples» qu'une qui s'en tient à la réalité telle que la science la décrit. Généralement, l'entité surnaturelle proposée comportera plus d'attributs que nécessaire pour combler notre hypothèse; ce n'est donc pas parcimonieux. Ce qui me donne une nouvelle occasion de citer à nouveau cette phrase du philosophe David Hume (1711-1776) :
«nul témoignage ne suffit à établir un miracle, à moins que (...) sa fausseté en fut plus miraculeuse que le fait qu'il tente d'établir»

S'il est possible de trouver, à l'intérieur de l'univers connu, une ou plusieurs causes probables à un phénomène, il n'y a rien qui justifie de rechercher une explication à l'extérieur de notre modèle du monde. Et si l'on ne peut trouver de cause rationnelle pour un phénomène, dire «je ne sais pas» demeure l'alternative la plus sage.

Par ailleurs, quand on associe arbitrairement un phénomène sans explication (objet disparu ou retrouvé à un endroit inhabituel, lumières étranges dans le ciel, guérison soudaine d'une maladie incurable, coïncidence anodine, etc.) à une explication sans phénomène (Dieu, les esprits, les extraterrestres, etc.) c'est souvent moins pour expliquer l'un que pour justifier notre croyance préexistante en l'autre. Cela va à contresens de la démarche scientifique. C'est partir des conclusions pour aller vers les faits, plutôt que d'établir ses conclusions à partir des faits.

J'aimerais clore cette réflexion en reformulant le principe de parcimonie :
«L'explication qui outrepasse le moins la somme des données observées, est celle qui a le plus de chance d'être vraie parmi l'ensemble des explications proposées.»


samedi 17 octobre 2009

Fondements des droits de l'enfant

J'ai réfléchis aux droits des enfants, par rapport aux droits et devoirs qu'ont leurs parents sur eux, ou aux droits et devoirs qu'a la société d'interférer ou non dans la relation parent/enfant. C'est une situation qui m'apparaît délicate et compliquée à analyser. Il y a plusieurs variables qui s'interfèrent mutuellement pour poser les limites et légitimer les droits et devoirs parentaux. Je vais donc essayer de démêler tout ça en partant de la base. En gros, ça se résume en :

  • L'enfant est un être
  • Il manque de lucidité
  • Il n'a pas choisi de venir au monde
  • C'est un adulte potentiel

D'abord, l'enfant est un être. À partir du moment où l'embryon possède un système nerveux actif (mais pas avant), il est légitime de lui accorder minimalement le droit d'être protégé de la souffrance, de rechercher le bonheur et de perpétuer sa propre existence. À cela s'ajoute le fait qu'il a des proches qui tiennent à lui et qui souffriraient s'il lui arrivait quoique ce soit. Donc ça c'est notre point de départ, mais si on s'arrête là, nul n'a de devoir envers l'enfant et celui-ci n'a de compte à rendre à personne. Pourquoi ses parents devraient-ils s'occuper de lui? Pourquoi devrait-il obéir à ses parents? Poursuivons notre réflexion…

Un être doit posséder un minimum de lucidité pour qu'on lui laisse la liberté de faire ses propres choix sans lui imposer de contraintes. Si un individu veut s'adonner à une activité mauvaise pour lui, on doit lui expliquer en quoi cela va lui nuire. Mais si, dans le cas d'un enfant par exemple, il est trop peu lucide pour réaliser qu'il se nuit à lui-même, on se doit de le contraindre. Toutefois, cette coercition sur l'individu ne conserve sa légitimité que si on ne lui impose des choses pour son bien et seulement dans les domaines où il manque de lucidité. Il serait fallacieux d'utiliser cet argument pour asservir totalement un être moins rationnel que nous à notre volonté en suivant exclusivement nos intérêts personnels.

Je ne pense pas que les parents aient un quelconque droit divin/naturel/magique sur leurs enfants. D'un point de vue très terre-à-terre, la génitrice et son rejeton sont deux individus distincts. J'aimerais souligner cependant que l'enfant n'a pas choisi de venir au monde, ce sont ses géniteurs qui ont pris cette décision pour lui. Qu'est-ce que ça implique? D'abord que ceux qui choisissent d'engendrer un nouvel individu s'engagent tacitement à s'assurer que celui-ci ait de bonnes conditions d'existence durant la première partie de sa vie, pendant laquelle il est plus vulnérable et dépendant. Les géniteurs peuvent remplir ce devoir en devenant eux-mêmes les parents de cet enfant ou en veillant à ce qu'il soit adopté par d'autres.

Cela implique aussi le devoir pour la société d'accorder un minimum de lousse aux parents quant à la façon dont ils élèveront leurs enfants. Si on interdit aux parents potentiels de choisir les contingences culturelles (religion, langue, valeurs, etc.) qu'ils transmettront à leurs enfants, ils n'auront plus aucune raison de faire des enfants. Et je ne pense pas que cela lèse d'une quelconque façon la liberté de l'enfant d'être ce qu'il veut, en autant qu'on lui présente le plus tôt possible les autres alternatives et que le parent accorde aussi à son enfant un minimum de lousse dans ses choix de vie.

Autre facteur, c'est que l'enfant est un adulte potentiel. Nous avons des devoirs envers les gens du futur. Conséquemment, en plus d'avoir des devoirs envers cet enfant, nous en avons aussi envers l'adulte qu'il deviendra. Les droits de cet adulte du futur viennent limiter ceux de l'enfant qu'il est, de ses parents et de la société en général. L'enfant «appartient» à l'adulte qu'il sera, c'est pourquoi il faut le prémunir contre ses propres choix irrationnels et préserver son intégrité, même contre son gré, afin qu'il ait toutes ses facultés une fois adulte pour disposer de lui-même. C'est sur ce point, je pense, que le statut de l'enfant diffère de celui d'un adulte qui aurait une déficience cérébrale le rendant intellectuellement équivalent à un enfant.

Par exemple, imaginons qu'un enfant veuille se faire tatouer un dessin sobre à un endroit peu visible. On ne pourrait pas invoquer le critère du manque de lucidité puisque son choix ne lui nuit pas et n'est pas irrationnel. On pourrait même invoquer son droit de disposer de lui-même. Mais, paradoxalement, je considère que c'est justement notre droit de disposer de nous-mêmes, en tant qu'adulte, qui justifie cette contrainte de la liberté de l'enfant. J'ai pris le tatouage pour exemple mais j'aurais pu prendre le perçage (que l'on impose aux fillettes), la consommation d'une substance particulièrement dommageable pour la santé (ex. : drogues) ou certaines mutilations religieuses (circoncision et excision). Tout cela devrait être réservé aux adultes.

Je conclus en vous rappelant qu'il est parfaitement arbitraire de fixer un âge donné (18 ans) à partir duquel on confère à l'individu tous les droits et responsabilité d'un être libre et lucide mais en deçà duquel il est sous la tutelle de quelqu'un d'autre. Évidemment, la sagesse voudrait que l'on fasse plutôt passer des tests psychométriques à chaque individu pour mesurer la progression de sa maturité et lui donner les droits qu'il mérite et les devoirs qu'il peut assumer. Toutefois, en donnant progressivement les droits d'adultes à plusieurs âges (par exemple, on peut conduire dès 16 ans) et en adoptant des mécanismes pour reclasser ponctuellement les individus d'exceptions (mineurs émancipés et adultes sous tutelle) on ajuste l'imperfection inhérente à une telle généralité tout en nous épargnant la tâche laborieuse d'évaluer chaque individu.

vendredi 16 octobre 2009

L'équipe des gentils

Dans les histoires fictives, principalement dans le style fantastique, il y a souvent une dichotomie simpliste entre le bien et le mal. On a les gentils d'un côté et leurs adversaires sont les méchants.* Ce genre d'éthiques non-utilitaristes me semble trop dominer notre littérature et notre cinéma. Je reproche plusieurs choses à cette vision manichéenne du bien et du mal.

D'abord, on s'attarde trop à la «valeur» de l'agent (éthique «vertualiste») plutôt qu'à ses actions (éthiques déontologiques) ou aux conséquences de ses actions (éthiques conséquentialistes telles que l'utilitarisme que je défends ici). Dans la triade sujet/action/objet, il me semble que l'éthique doit rechercher avant tout des conséquences positives pour l'objet (celui qui subit l'action); en considérant bien sûr qu'il y a des objets collatéraux, que le sujet est également objet, que son pouvoir se limite à l'action et non à l'objet lui-même, etc. Mais bref, les éthiques de la vertu, telle que celle-ci, me semble trop centrée sur l'agent au point qu'elles m'apparaissent égoïstes : le but n'est plus d'éviter de causer de la souffrance mais d'éviter de se souiller soi-même.

Autre reproche, c'est que le bien et le mal deviennent pratiquement comme des patries ou des attributs intrinsèques à l'être. Si je suis un démon, un soldat nazi, ou disciple de Voldemort, je suis un méchant par nature. Tandis que si je suis du côté des gentils, je demeure un gentil quoique je fasse. Ça rejoint un peu ce que je disais précédemment à propos de notre tendance à diaboliser les criminels, comme si on essayait de se convaincre qu'ils n'avaient pas la même nature que nous. Et ça me rappelle ce que m'avaient répondu deux fondamentalistes chrétiens différents (un pentecôtiste et une baptiste) lorsque je leur avais demandé : «Qui mérite le plus d'entrer au Paradis entre un athée qui serait juste et charitable envers tous et un tueur en série qui vénère Jésus-Christ?» Les deux répondants (d'accord, mon échantillon est petit...) avaient été catégoriques sur le fait que le croyant allait au Paradis quelque soit ses actes (puisque Dieu lui pardonne) tandis que l'athée allait systématiquement en Enfer (puisque nier l'existence de Dieu est le pire de tous les crimes). Le but n'est ni d'éviter de faire souffrir, ni de faire son devoir, mais d'être dans la bonne équipe!

La conséquence de tout ça, d'après mon impression, c'est que lorsque l'on se croit être dans «le camp des gentils», on devient davantage enclin à commettre les gestes les plus abominables, surtout envers ceux que l’on croit être dans «le camp des méchants». Tout le mal que l'on peut faire au méchant, il le mérite, puisqu'il est méchant. Tout le plaisir que l'on peut obtenir à ses dépens, on le mérite puisque l'on est gentil. Ainsi, les pires atrocités ont souvent été commises au nom des meilleurs idéaux.

Diffuser une éthique de cette sorte est peut-être utile au sein d'un corps militaire – si l'on veut que nos soldats tuent leurs adversaires sans remords – mais me semble dommageable dans une société civile. C'est encourager l'intolérance envers la différence et ça nous empêche de remettre en question la valeur de nos actes.

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*Parfois les histoires fantastiques adopte une variante à peine plus complexe que je trouve pourtant très intéressante: Ils divisent les méchants en deux factions rivales, l'une prônant l'ordre et l'autre prônant le chaos. Alors que le bien et le mal sont des patries auxquelles les personnages ne choisissent pas d'appartenir, les méchants choisissent entre l'ordre et le chaos. Le pattern général, c'est d'abord un équilibre initial entre le bien et le mal qui sont en conflit depuis toujours, ensuite une petite faction du mal devient le chaos et se retourne contre le reste des méchants. Les chaotiques prennent la place des méchants ordonnés ou alors ces derniers s'allient avec les gentils pour rétablir l'ordre initial en ouvrant la porte vers une paix relative entre les deux peuples.

mardi 13 octobre 2009

Qu'est-ce que l'altruisme?

J'ai réfléchi sur le concept d'altruisme et je me suis dit, qu'au fond, tout geste altruiste était, d'une façon ou d'une autre, bénéfique pour celui qui le posait et que par conséquent, il y avait nécessairement une dose d'égoïsme dans l'altruisme.

Par exemple, on peut facilement se représenter une situation où un individu semble agir pour le bien d'autrui, mais où son action était purement intéressée, faite dans le but de se mettre en valeur ou de s'attirer les faveurs d'autrui en le faisant se sentir redevable. Ce serait manifestement un cas de faux altruisme, un geste de manipulation. Mais ce n'est pas seulement à ce genre de situation que je pensais.

On peut également concevoir une situation où une personne agit de manière altruiste uniquement parce qu'elle aime ressentir de la reconnaissance, même si cette dernière ne s'accompagne d'aucune récompense matérielle ni de rien de plus qu'un simple «merci». La personne s'intéressera aux besoins des autres plus pour recevoir ces remerciements et cette reconnaissance, que pour réellement faire du bien aux autres.

Je vous ai déjà parlé, dans ma réflexion sur l'empathie, que l'on pouvait également avoir des comportements altruistes motivés viscéralement par les signaux de souffrance que nous envoie autrui. Par exemple, je pourrais secourir un blessé parce que ses cris de douleurs me font mal ou donner un cadeau à un enfant parce que son sourire me fait du bien. J'agis donc non pas pour le bonheur ou la souffrance d'autrui, mais pour altérer ses signaux corporels qui m'affecte par empathie.

Et même dans un cas qui semble totalement désintéressé. Imaginons que je ne tire ni récompense, ni reconnaissance et que la personne ne manifeste aucun signe perceptible de son bonheur ou de sa souffrance, mais que je sache que mon geste lui procurera du bonheur. En quelque part, si je pose cet acte pour rendre cette personne heureuse, c'est que le bonheur de cette personne m'importe; mon bonheur dépend du sien. Je suis heureux de la savoir heureuse. C'est donc, finalement, pour me rendre heureux que je la rends heureuse.

On pourrait peut-être mettre la frontière qui sépare l'altruisme de l'égoïsme au point où les bénéfices pour l'agent sont égaux à ceux d'autrui, mais je ne pense pas qu'une telle dichotomie soit pertinente. Ma conclusion à cette petite réflexion, c'est qu'il n'est pas nécessaire, pour mesurer la valeur d'un comportement altruiste, d'en soustraire les bénéfices pour l'agent. On ne devrait pas se soucier de la «pureté» de notre altruisme, du fait qu'il soit motivé par une empathie irrationnelle ou qu'il soit programmé par la sélection naturelle. L'important, finalement, c'est d'être une source de bonheur dans l'univers. Et si l'on en tire soi-même du bonheur, tant mieux!